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L'actualité de l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I Evaluation des premiers arrêts interprétatifs portant sur la disposition relative à la compétence judiciaire internationale en matière contractuelle, R.D.C.-T.B.H., 2012/2, p. 127-144

L'actualité de l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I Evaluation des premiers arrêts interprétatifs portant sur la disposition relative à la compétence judiciaire internationale en matière contractuelle

S. Francq [1] , E. Álvarez Armas [2] et M. Dechamps [3]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Qualification des contrats A. Interprétation de la catégorie 'prestation de services' 1. Contrat de licence de droits intellectuels

2. Agence commerciale

B. Distinction entre les catégories 'vente de marchandises' et 'fourniture de services'

C. Enseignement relatif à la qualification des contrats

III. Hypothèses de localisation multiple du lieu d'exécution A. Contrat exécuté en plusieurs lieux d'un même Etat membre

B. Contrat 'complexe' 1. Affaire 'Redher'

2. Enseignements de l'arrêt 'Redher' a) Identification de l'obligation caractéristique des contrats de services

b) Contrats complexes et ubiquité: localisation de l'obligation caractéristique

C. Contrat exécuté dans plusieurs Etats membres

D. Enseignements concernant les hypothèses de plurilocalisation

IV. Termes 'en vertu du contrat' A. Premier enseignement: primauté des termes du contrat

B. Deuxième enseignement: le lieu doit être déterminé en fonction de tous les termes du contrat mais uniquement au regard des termes du contrat

C. Troisième enseignement: le recours à une règle subsidiaire si aucun lieu ne ressort du contrat

V. Enjeux du processus interprétatif A. Apport au futur droit privé européen 1. Fin de l'ère 'Tessili'

2. Interprétation autonome et développement du droit privé

B. Maintien de la cohérence systémique 1. Cohérence interne du Règlement Bruxelles I a) Cohérence de l'article 5.1.

b) Cohérence dans l'interaction des dispositions du Règlement Bruxelles I

2. Cohérence de l'ordre juridique européen a) Droit primaire et dérivé en général

b) Système de droit international privé européen

VI. Conclusion

RESUME
Depuis l'entrée en vigueur du Règlement Bruxelles I, de nombreuses questions préjudicielles ont été présentées à la Cour de justice de l'UE à propos de la nouvelle formulation de l'article 5.1. relatif à la compétence internationale en matière contractuelle. Les enseignements fournis par la Cour à cette occasion établissent pas à pas un 'guide interprétatif' de cette disposition et tranchent d'importantes questions pratiques. Ils soulèvent, dans la foulée, de nouvelles interrogations. Par ailleurs, ils témoignent de l'adoption par la Cour de justice d'une nouvelle approche interprétative en matière de droit privé, en rupture avec le passé. Enfin, l'acquis interprétatif ainsi constitué par la Cour suscite de réelles questions de cohérence interne au Règlement et, plus largement, de cohérence dans le cadre du développement de l'ordre juridique européen. L'interprétation autonome de cette disposition clé en matière contractuelle mérite une mise au point afin de tirer les enseignements des arrêts rendus jusqu'à présent et de mettre en lumière les enjeux de la nouvelle méthode interprétative.
SAMENVATTING
Sinds de inwerkingtreding van de Brussel I-Verordening zijn verschillende prejudiciële vragen voorgelegd aan het Hof van Justitie van de EU in verband met de nieuwe bewoordingen van artikel 5.1. betreffende internationale bevoegdheid in contractuele zaken. De bakens die het Hof naar aanleiding hiervan heeft uitgezet, hebben stap voor stap een 'interpretatieve gids' voor deze bepaling tot stand gebracht en beslechten verschillende praktische vragen. Zij brengen, van de weeromstuit, nieuwe vragen aan het licht. Bovendien getuigt de aanneming door het Hof van een nieuwe interpretatieve aanpak inzake privaatrecht van een breuk met het verleden. Tot slot roept het aldus door het Hof samengestelde interpretatieve acquis reële vragen op betreffende de coherentie binnen de verordening en, in een ruimer perspectief, betreffende de coherentie in het kader van de ontwikkeling van de Europese rechtsorde. De autonome interpretatie van deze sleutelbepaling in contractuele zaken verdient het op punt gesteld te worden teneinde de richtlijnen uit de tot op heden gewezen arresten te destilleren en de inhoud van de nieuwe interpretatieve methode aan de oppervlakte te brengen.
I. Introduction

Depuis 2007, six arrêts interprétatifs ont été rendus à propos de l'article 5.1. du Règlement 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après 'Règlement Bruxelles I') [4]. Ces quelques arrêts apportent d'utiles précisions concernant la mise en oeuvre de la disposition relative à la compétence en matière contractuelle. Ils augurent également (et posent les balises pour) d'une abondante jurisprudence à venir, tant chaque question préjudicielle révèle d'autres questions d'interprétation potentielles.

L'importance de ces arrêts est liée au rôle clé de l'article 5.1. au sein du Règlement Bruxelles I. Si d'après la règle de principe énoncée à l'article 2 du Règlement Bruxelles I, tout défendeur domicilié dans un Etat membre peut être attrait devant les juridictions de celui-ci, l'article 5.1. ouvre, en matière contractuelle, une option de compétence en faveur du demandeur [5]. En vertu de l'article 5.1., a) du Règlement Bruxelles I, celui-ci peut choisir d'intenter son action “devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée”. Cette règle de compétence spéciale est complétée par un point b) qui prévoit que:

“aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

    • pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées;
    • pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis”.

    Le point c) de l'article 5.1. précise enfin que les situations ne relevant pas du point b) sont régies par le point a).

    Dès l'adoption de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, l'article 5, dont le contenu initial se limitait à l'actuel point a), a suscité de sévères difficultés d'interprétation, relatives à la définition de la 'matière contractuelle', à l'identification de l'obligation à prendre en considération et à la détermination du lieu d'exécution de celle-ci [6]. Appelée à résoudre ces difficultés par la voie préjudicielle, la Cour de justice a notamment précisé que l'obligation à prendre en considération est celle qui sert de base à la demande, c'est-à-dire l'obligation en litige [7]. Elle a ensuite tranché la question de la localisation de l'obligation dans le célèbre arrêt Tessili, en déléguant l'identification du lieu d'exécution de l'obligation en litige au droit matériel applicable, désigné en vertu de la règle de conflit de lois du juge saisi [8]. Il convient donc de prendre connaissance du droit matériel applicable au fond, pour identifier en vertu de celui-ci, où est localisée l'obligation en litige. On connaît les difficultés liées à cette solution laborieuse qui impose au juge de déterminer le droit applicable au moment où il vérifie sa compétence. Elles ont poussé de nombreux auteurs à proposer une réforme, voire la suppression, de l'article 5.1. de la Convention de Bruxelles [9].

    Lors de l'adoption du Règlement Bruxelles I, les institutions européennes ont opté pour le maintien de l'article 5.1. mais l'ont complété par un point b). En vue de simplifier la détermination de la compétence internationale, le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse a été défini pour les contrats les plus courants, à savoir les contrats de vente et de fourniture de services [10]. Pour ces deux types de contrats, le lieu d'exécution est le lieu de la livraison des marchandises, d'une part, et le lieu de la fourniture de services, d'autre part. Cette solution, on le comprend aisément, a pour but de contourner les difficultés autrefois rencontrées dans l'interprétation de la disposition et en particulier, d'éviter l'application de la jurisprudence Tessili. Pour les contrats visés au point b) de l'article 5.1., il n'est plus nécessaire de s'interroger sur la nature de l'obligation en litige [11], ni de rechercher la localisation de cette obligation dans le droit matériel applicable [12]. Le Règlement identifie et localise lui-même l'obligation pertinente.

    Toutefois, depuis son adoption, l'interprétation de l'article 5.1., b) donne lieu à d'importantes controverses, qui prolongent, comme par un effet de miroir, celles ayant entouré le contenu de l'actuel point a). Elles concernent, comme autrefois, la délimitation de la portée de la disposition et la localisation des obligations pertinentes. Premièrement, comment définir et distinguer, au niveau européen, un contrat de vente et un contrat de fourniture de services, alors que les conceptions des Etats membres diffèrent à ce propos? Ensuite, le point b) peut-il s'appliquer lorsque les obligations découlant du contrat ont été exécutées dans une pluralité d'Etats membres? Si oui, comment identifier le lieu de livraison des marchandises ou de fourniture du service? Finalement, quel sens prêter à la partie de phrase qui entend fixer le lieu de livraison des marchandises ou de fourniture des services 'en vertu du contrat'?

    La présente contribution a pour objet principal de présenter de manière transversale les six arrêts rendus jusqu'à présent sur ces questions et formant la base interprétative de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I [13]. Les termes de l'article 5.1., b) sont analysés suivant l'ordre des questions suscitées par la lecture de la disposition. Ainsi, nous aborderons successivement, les solutions dégagées à propos de la qualification des contrats de livraison de marchandises et de fourniture de services (II), de la pluralité du lieu d'exécution du contrat (III) et de l'interprétation des termes 'en vertu du contrat' (IV). Si d'un point de vue logique, l'interprétation des prescriptions contractuelles devrait précéder l'analyse de l'hypothèse de 'plurilocalisation' (hypothèse qui existe uniquement si les prescriptions contractuelles le prévoient), la chronologie des affaires et la démarche adoptée par la Cour conduisent à une présentation inversée. Celle-ci permet en outre de relater avec clarté les faits des affaires soumises à la Cour. Nous nous interrogerons ensuite sur les enjeux du processus interprétatif dans lequel la Cour s'est engagée (V).

    II. Qualification des contrats

    La première question concerne la définition des situations visées par chacune des règles de compétence internationale de l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I. Il s'agit de préciser, d'une part, la frontière séparant les contrats de vente de marchandises (art. 5.1., b), 1er tiret) des contrats de fourniture de services (art. 5.1., b), 2ème tiret) [14] et d'autre part, de tracer la marge distinguant les situations relevant des deux catégories de contrats visées au point b) de l'article 5, des situations qui, ne relevant d'aucune de ces deux catégories, sont absorbées par la règle de l'article 5.1., a). Ces questions ont été abordées dans les affaires Falco et Wood Floor, d'une part (A), et dans l'arrêt Car Trim, d'autre part (B).

    A. Interprétation de la catégorie 'prestation de services'
    1. Contrat de licence de droits intellectuels

    L'arrêt Falco, rendu en 2009, porte sur un contrat de cession de droit de propriété intellectuelle liant une fondation autrichienne à une ressortissante allemande et autorisant cette dernière à commercialiser dans différents Etats membres des enregistrements vidéo d'un concert du chanteur Falco. La fondation gérant les droits du chanteur décédé reprochait à son cocontractant d'avoir exploité les enregistrements vidéo d'une manière non conforme au contrat et réclamait des dédommagements sur une base contractuelle [15]. Dans le cadre du contentieux portant sur la compétence des juridictions autrichiennes, la Cour de justice a été saisie de la question de savoir si un contrat par lequel le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle cédait le droit d'exploiter celui-ci en contrepartie du versement d'une rémunération pouvait être qualifié de 'contrat de fourniture de services' au sens de l'article 5.1., b), 2ème tiret. La réponse est négative. La Cour considère que “la notion de services implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération” (pt. 29), ce qui n'est, selon elle, pas le cas du contrat en cause par lequel le titulaire du droit de propriété intellectuelle s'engage simplement à laisser son cocontractant exploiter le droit et 'n'accomplit aucune prestation' (pts. 30 et 31). Ce faisant, la Cour propose une interprétation autonome de la notion de prestation de services, sans que l'on sache exactement d'où provient le critère proposé relatif à l'existence d'une activité déterminée [16]. Pour contrer l'argument de la Commission et de la partie demanderesse qui proposaient de retenir une conception large de la notion de fourniture de services alignée sur celle du droit primaire [17], la Cour évoque un argument de type 'structurel' (pts. 33 à 43): le concept de 'prestation de services' ne joue pas, dans le cadre du Règlement Bruxelles I, le 'rôle résiduel' qui lui revient en droit primaire [18]. En droit primaire, la catégorie 'prestation de services' est définie largement pour éviter que “le plus grand nombre d'activités économiques ne relevant pas de la libre circulation des marchandises, des capitaux ou des personnes n'échappe […] à l'application du traité CE” (pt. 35). Or au sein de l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I, un rôle résiduel est réservé au point a), auquel sont soumis tous les contrats ne relevant pas des deux tirets du point b). Une conception large de la notion de prestation de services porterait d'ailleurs atteinte à l'effet utile du point a) (pt. 43 de l'arrêt Falco). Ce premier arrêt vient donc tracer la marge entre le point a) et le point b) de l'article 5.1. à la faveur d'une interprétation de la catégorie 'prestation de services', que certains ont qualifiée de 'restrictive' [19], voire de 'trop étroite' [20]. On y reviendra [21].

    2. Agence commerciale

    A l'inverse de l'arrêt Falco qui exclut le contrat de licence de la catégorie des 'fournitures de services', l'arrêt Wood Floor range sans hésitation le contrat d'agence dans cette catégorie [22]. Dans cette affaire, une société autrichienne assignait une société luxembourgeoise en Autriche, en vue de la voir condamnée à lui verser, pour résiliation d'un contrat d'agent commercial, une indemnité de résiliation et une indemnité compensatrice [23]. Cette qualification ne soulève guère de difficultés pour certains ordres juridiques [24], par exemple pour les droits belge, français et allemand [25]. Néanmoins, la qualification d'autres contrats de distribution, comme les contrats de concession exclusive ou de franchise, est plus controversée [26]. On suivra donc avec intérêt les développements futurs de la Cour à propos de ce dernier type de contrat. Elle aura certainement l'occasion de préciser si le critère de la fourniture d'une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération suffit à lui seul à qualifier un contrat de fourniture de services au sens de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I [27].

    B. Distinction entre les catégories 'vente de marchandises' et 'fourniture de services'

    Dans l'affaire Car Trim, une société italienne (Keysafety) avait acheté à une société allemande (Car Trim) des composants entrant dans la fabrication de systèmes d'airbag, composants à produire par la vendeuse en fonction de certaines exigences formulées par l'acheteuse concernant l'identité des fournisseurs, l'organisation du travail, les contrôles de qualité, etc. (pt. 27). Suite à un contentieux de type contractuel entre ces deux entreprises, les juridictions de fond s'interrogeaient sur la qualification de ce contrat et ont donc demandé à la Cour de “délimiter les 'contrats de vente de marchandises' et les 'contrats de fourniture de services' au sens de l'article [5.1., b)], s'agissant de marchandises à produire selon les indications de l'acheteur [28]. La Cour de justice considère qu'il s'agit d'une 'vente de marchandises' et se réfère à l'obligation caractéristique des contrats comme critère de délimitation entre les deux catégories controversées. Le contrat ayant pour obligation caractéristique la livraison d'un bien constitue un contrat de vente, alors que le contrat dont l'obligation caractéristique est la prestation d'un service, constitue un contrat de services (pt. 32 de l'arrêt Car Trim). En l'occurrence, elle retient en particulier trois éléments pour déterminer si dans le cas d'une marchandise à produire, le contrat s'apparente à une vente plutôt qu'à un service (pt. 32).

    Premièrement, la Cour de justice se réfère à diverses dispositions définissant la notion de 'contrat de vente de marchandises' contenues dans des instruments juridiques distincts du Règlement Bruxelles I, voire 'étrangers' au droit de l'Union européenne: la directive relative à la vente de biens de consommation, la CVIM (Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises) et la convention de Nations Unies relative à la prescription en matière de vente [29]. Ces instruments, assimilant les contrats de fourniture de biens à fabriquer ou à produire à des ventes [30], constituent 'un indice' en faveur d'un classement dans la catégorie vente de marchandises (pt. 38).

    Deuxièmement, la Cour se réfère à un critère relatif à l'origine des matériaux à transformer. “Si l'acheteur a fourni la totalité ou la majorité des matériaux à partir desquels la marchandise est fabriquée, cette circonstance peut constituer un indice en faveur de la qualification comme 'contrat de fourniture de services'” (pt. 40). A l'inverse, en l'absence de fourniture de matériaux de la part de l'acheteur, il existe un indice fort pour que le contrat soit qualifié de vente de marchandises.

    Enfin, le troisième élément à prendre en considération concerne l'objet de la responsabilité du fournisseur. “Si le vendeur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, [...] cette responsabilité fera pencher la balance vers une qualification en tant que [vente de marchandises] (pt. 42). S'il n'est responsable que de l'exécution correcte suivant les instructions de l'acheteur, il s'agira plutôt d'une fourniture de services. Comme un auteur l'a soulevé, ce troisième élément équivaut à une réintroduction silencieuse de la méthode Tessili au sein de l'article 5.1., b) car la détermination de cette responsabilité peut nécessiter un détour via le droit applicable [31]. Ceci contrevient à l'objectif fondamental de l'article 5.1., b), consistant à contourner les complications excessives découlant de cette jurisprudence et introduit une incohérence au sein même de l'arrêt, puisque, dans un autre point, la Cour de justice rejette l'utilisation de la méthode Tessili dans le cadre de la localisation du lieu d'exécution de l'obligation (pts. 51, 52 et s.) [32].

    De manière générale, si un auteur considère cet arrêt comme apportant une interprétation extensive du contrat de vente de marchandises [33], il nous semble que l'intérêt principal de l'arrêt réside dans son caractère casuistique. Les critères proposés conviennent uniquement à la vente de marchandises à produire. Cette limitation implique que d'autres critères soient dégagés plus tard pour les autres cas limites et que la Cour s'engage dans une démarche de qualification au cas par cas.

    C. Enseignement relatif à la qualification des contrats

    On retiendra essentiellement que la qualification des contrats s'opère de manière autonome et casuistique. La vente de marchandises à produire relève a priori du 1er tiret de l'article 5.1., b). Pour le 2ème tiret, un critère lié à la prestation d'une activité déterminée moyennant rémunération se dessine a priori, sans que l'on puisse déjà déterminer si ce critère sera auto-suffisant. Les juridictions du fond saisiront probablement la Cour de nouvelles questions préjudicielles concernant la qualification par exemple de contrats de prêt, de concession, de sous-traitance ou de recherche et de développement [34].

    III. Hypothèses de localisation multiple du lieu d'exécution

    En se référant au lieu de livraison d'une marchandise ou de fourniture d'un service, et en mettant cette référence au singulier, ce qui suppose une unicité de lieu, l'article 5.1., b) soulève deux questions relatives à son application dans le cas de livraison ou fourniture de services localisés en plusieurs lieux: (i) le point b) est-il applicable dans les hypothèses où il existe une multiplicité de lieux de prestation de services ou de livraison de marchandise?; (ii) et en cas de réponse positive, comment identifier le(s) juge(s) compétent(s) pour connaître de ces hypothèses?

    Les hypothèses de localisation multiple sont variées. Le contrat peut impliquer une exécution en plusieurs lieux au sein d'un même Etat membre (A). Le contrat peut également nécessiter une exécution localisée de manière indivisible en plusieurs lieux (hypothèse que nous qualifions de 'contrat complexe') (B). L'exécution d'un contrat peut encore être localisée dans plusieurs Etats membres, ou s'avérer difficilement localisable (C). A l'évidence, d'autres combinaisons factuelles sont encore envisageables, pour lesquelles les arrêts de la Cour rendus jusqu'à présent fourniront une base de raisonnement. Les affaires analysées ci-après n'épuisent pas la complexité de la réalité, notamment, à propos des contrats prestés en ligne.

    A. Contrat exécuté en plusieurs lieux d'un même Etat membre

    Cette hypothèse a été traitée dans l'arrêt Color Drack, premier arrêt interprétatif concernant l'article 5.1., b) [35]. Il porte sur un contrat de vente de marchandises (en l'occurrence, des lunettes de soleil) par lequel la société acheteuse (Color Drack, localisée en Autriche) s'engageait à payer le prix des marchandises alors que le vendeur (Lexx, localisé en Allemagne) s'engageait à livrer celles-ci aux différents revendeurs de l'acheteuse en Autriche, ainsi qu'à reprendre et rembourser les invendus. Il s'agissait donc d'un contrat international par la localisation des parties, mais dont l'exécution était circonscrite au sein des frontières d'un seul pays, l'Autriche. La seule difficulté était liée au fait que les marchandises étaient livrées, en Autriche, en de multiples endroits.

    En se fondant sur 'la genèse', les 'objectifs' et le 'système' du Règlement (pt. 18), la Cour considère que les termes de l'article 5.1., b) n'excluent pas leur application en l'espèce. Au contraire, l'application de la disposition serait conforme à l'objectif de prévisibilité (propre au Règlement) puisque les parties peuvent raisonnablement prévoir la compétence des juridictions autrichiennes (pts. 32-33), et à l'objectif de proximité (propre à l'art. 5.1., b), puisque la livraison étant entièrement réalisée dans un Etat membre, il est certain que les juridictions de cet état entretiennent un lien étroit avec le litige (pts. 34-35). Reste à identifier la juridiction compétente parmi les tribunaux autrichiens. Sur ce point, la Cour ne suit pas la proposition de l'avocat général qui considérait ce problème comme une question de compétence interne soumise au droit autrichien [36]. La Cour prend en considération quatre éléments fondamentaux ayant marqué la rédaction de l'article 5.1., b): (i) premièrement, la volonté de se passer du détour par le droit applicable marquant la méthode Tessili; (ii) la volonté de déterminer “une compétence judiciaire unique pour toutes les demandes fondées sur le contrat”; (iii) la volonté de désigner cette juridiction sur la base du lieu d'exécution de l'obligation caractéristique du contrat (pt. 39); et enfin, (iv) la recherche de proximité entre le tribunal et le litige. Sur ce fondement, elle désigne le lieu de livraison principale, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques (pt. 40) [37]. A défaut de pouvoir fixer un lieu d'exécution principale, chacun des lieux de livraison s'avère pertinent pour désigner les juridictions compétentes, au choix du demandeur (pt. 40).

    L'arrêt Color Drack est remarquable à plusieurs égards. Premièrement, il entame un processus d'interprétation autonome des termes de l'article 5.1., b), liés à la volonté explicite de rompre avec la jurisprudence Tessili. On verra que ce processus peut mener loin [38]. Ensuite, il affirme l'applicabilité de la disposition dans le cas d'une exécution 'éparpillée' et fournit un critère de désignation des juridictions compétentes dans un tel cas, basé sur le lieu d'exécution principale de l'obligation caractéristique. Mais à ce stade, ces enseignements “ne préjugent pas de la réponse à apporter en cas de pluralité de lieux de livraison dans plusieurs Etats membres” (pt. 16), ni du sort des contrats de services exécutés en plusieurs lieux. Dans les arrêts postérieurs, la Cour a néanmoins prolongé les enseignements de l'arrêt Color Drack pour ces deux questions.

    B. Contrat 'complexe'
    1. Affaire 'Redher'

    L'affaire Rehder porte sur un contrat que nous appelons 'complexe' par analogie avec les délits complexes, dont les éléments constitutifs sont simultanément et de manière indivisible localisés dans plusieurs pays. L'affaire concerne un contrat de transport aérien de passagers. En l'espèce, une personne physique domiciliée en Allemagne avait réservé auprès d'Air Baltic, dont le siège social se situe en Lettonie, un vol de Munich à Vilnius. Le vol ayant été annulé par la compagnie aérienne 30 minutes avant le décollage, le passager est arrivé à destination avec plus de 6 heures de retard (pts. 19 et 20). Suite à ces événements, M. Rehder a réclamé à la compagnie aérienne une indemnité forfaitaire sur le fondement du Règlement européen n° 261/2004 [39] devant les juridictions munichoises en se fondant sur deuxième tiret de l'article 5.1., b). Or, dans le cadre d'un contrat de transport aérien, on peut se demander si l'aéroport de départ est le seul et unique “lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis”. La Cour considère que les motivations évoquées dans l'arrêt Color Drack demeurent pertinentes dans le cas d'un contrat de fourniture de services, y compris lorsque celui-ci implique une pluralité de lieux de fourniture du service (pts. 36 et 37) [40]. Elle prolonge donc les enseignements de l'arrêt Color Drack tant sur le plan de l'applicabilité du point b) que sur le plan de son fonctionnement en cas de lieu d'exécution multiples.

    La Cour de justice conçoit apparemment l'espèce comme une hypothèse de plurilocalisation nécessitant a priori la détermination du lieu de fourniture principale du service (pt. 38). Elle note que par rapport à l'ensemble des prestations correspondant à l'exécution du contrat de transport aérien, seuls les lieux de départ et d'arrivée, tels que fixés dans le contrat de transport, présentent le lien étroit pertinent exigé par la disposition. Elle introduit ensuite une nuance par rapport à l'arrêt Color Drack. En effet, à la différence de la livraison multiple de marchandises en différents lieux, qui constituent des 'opérations distinctes', le contrat de transport aérien s'exécute de 'manière indivisible et unitaire' au lieu de départ et d'arrivée de l'avion (pt. 42). De sorte qu'entre ces deux lieux, aucun critère économique ne permet d'en isoler un qui serait principal par rapport à l'autre. Les lieux de départ et d'arrivée doivent donc être considérés tous deux comme 'les lieux de fourniture principale' (pt. 43) et le demandeur peut choisir d'assigner la compagnie aérienne en l'un de ces deux endroits.

    2. Enseignements de l'arrêt 'Redher'

    Le raisonnement dans l'affaire Redher, même s'il se réclame de l'affaire Color Drack, est peut-être plus nuancé qu'il n'y paraît.

    a) Identification de l'obligation caractéristique des contrats de services

    Comme dans l'affaire Color Drack, dans laquelle la Cour insistait sur la nécessité de localiser, en vertu du point b) de l'article 5.1. l'obligation caractéristique du contrat, dans l'affaire Redher, la Cour isole parmi l'ensemble des activités du transporteur, les activités qui sont liées au transport de passagers proprement dit, à l'exception des mesures logistiques, préparatoires et commerciales qui ne sont pas retenues comme pertinentes [41]. Ainsi, la Cour identifie-t-elle parmi l'ensemble des activités du transporteur nécessaires à l'exécution du contrat de transport, certaines activités, exécutées au moment du transport et constitutives du transport proprement dit, qui formeraient le coeur, ou l'obligation caractéristique, du contrat [42]. Cette démarche est importante car elle constitue la première étape d'un long processus: celui de l'identification de l'obligation caractéristique des contrats de services, nécessaire à la mise en oeuvre de l'article 5.1., b), 2ème tiret. En effet, les catégories juridiques utilisées dans les deux tirets de l'article 5.1., b) ne sont pas équipollentes. Le contrat de vente de marchandises est une catégorie juridique proprement dite, dont l'obligation caractéristique est clairement identifiée par l'article 5.1., b). A l'inverse, le contrat de fourniture de services constitue une métacatégorie, regroupant plusieurs sous-catégories (contrat de transport aérien de passagers, contrat d'agent commercial, etc.). Ainsi, le 2ème tiret de l'article 5.1., b) peut non seulement recouvrir des contrats de nature extrêmement variée, mais également des contrats supposant l'exécution d'une série de 'services' de nature différente. Les termes du 2ème tiret de l'article 5.1., b) ne sont donc pas auto-suffisants, puisque pour une métacatégorie contractuelle, ils localisent une obligation caractéristique aussi floue que la catégorie à laquelle ils se rapportent: le lieu de fourniture du service. Ainsi, la Cour devra pour chaque type de contrat de services identifier, puis, localiser, une obligation caractéristique. C'est ce que confirme l'arrêt Wood Floor analysé au point C.

    b) Contrats complexes et ubiquité: localisation de l'obligation caractéristique

    Comme la Cour le souligne, la nature des contrats envisagés dans les affaires Color Drack et Redher n'est pas identique (pt. 42 de l'arrêt Redher). Il s'agit d'un contrat de vente de marchandises dans le premier cas et d'un contrat de services dans le second. Mais surtout, l'hypothèse de plurilocalisation n'est pas identique: dans le premier cas, celui de l'affaire Color Drack, les diverses livraisons constituaient des 'opérations distinctes' qui pouvaient se concevoir indépendamment les unes des autres; alors que dans le second cas, celui de l'affaire Redher, est en cause une seule opération d'exécution du contrat qui en raison de sa nature même se localise en deux endroits.

    A l'image de sa jurisprudence portant sur la détermination de la juridiction compétente pour les délits complexes [43], la Cour applique en définitive la théorie de l'ubiquité à une situation dont les éléments constitutifs et indivisibles sont répartis dans plusieurs pays. Ces éléments étant d'une importance égale et tous deux indispensables à l'existence de la situation (un contrat de transport ne se conçoit pas sans un lieu de départ et d'arrivée), la Cour les retient de manière égale comme concrétisation du facteur de désignation de la juridiction compétente [44]. Ce type de situation diffère donc nettement d'un contrat impliquant des prestations distinctes et séparables, comme, par exemple, le contrat d'agence commerciale, envisagé dans le point suivant.

    C. Contrat exécuté dans plusieurs Etats membres

    L'arrêt Wood Floor, pour les contrats de prestation de services, constitue le pendant direct de l'arrêt Color Drack qui portait sur la vente de marchandises. Dans cette affaire concernant, pour rappel, un litige entourant la résiliation d'un contrat d'agence commerciale, entre un agent établi en Autriche et son commettant établi au Luxembourg, les parties s'opposaient sur la détermination du lieu d'exécution de la prestation: l'agent soutenait avoir exercé ses activités exclusivement au lieu de son siège en Autriche, alors que le commettant soulignait que plus des trois quarts du chiffre d'affaire de l'agent avaient été réalisés dans d'autres pays. Ce dernier soutenait que l'obligation de l'agent étant géographiquement illimitée, en application de la jurisprudence Besix [45], l'article 5.1. n'était pas applicable [46].

    Sans même répondre à l'argument portant sur l'arrêt Besix, la Cour confirme l'applicabilité de l'article 5.1., b) aux contrats de fourniture de services dont l'exécution “n'est pas effectuée dans un seul Etat membre” (pt. 25). Pour les raisons déjà énoncées dans l'arrêt Color Drack, la Cour considère qu'il convient d'identifier le lieu de la fourniture principale lorsque celle-ci peut se répartir sur le territoire de plusieurs Etats. Cet objectif la conduit à identifier l'obligation caractéristique du contrat d'agence commerciale et à localiser cette obligation de manière principale. L'opération est plus complexe s'agissant des contrats de services que s'agissant des contrats de vente de marchandises, pour lesquels l'obligation caractéristique est identifiée par l'article 5.1., b) (la livraison d'une marchandise) et pour lesquels un critère de nature économique est disponible (la livraison principale est fixée en fonction d'un critère économique, tel que précisé dans l'arrêt Color Drack).

    La Cour se fonde sur la directive 86/653 concernant les agents commerciaux indépendants pour identifier la prestation caractéristique: “dans un contrat d'agence commerciale, c'est l'agent commercial qui exécute la prestation caractéristique du contrat” (pts. 34 et 35). Il convient donc d'identifier le lieu où ce dernier a principalement fourni ses services (pt. 36). La Cour fournit alors une échelle de 'rattachements' subsidiaires:

      • ce lieu peut être fixé dans les termes du contrat (pt. 38): il convient alors de déterminer sur la base du contrat où l'agent devait principalement “effectuer son travail […] consistant notamment à préparer, à négocier et, le cas échéant, à conclure les opérations dont il est chargé”;
      • si les dispositions du contrat ne sont pas suffisamment précises, la Cour indique au juge de fond d'utiliser une méthode indiciaire (pt. 40): c'est le lieu où l'agent aura “effectivement déployé de manière prépondérante ses activités” qui sera retenu;
      • et si ces deux premiers critères sont inopérants, la Cour estime que l'action doit être introduite au lieu du domicile de l'agent, ce dernier lieu correspondant aux objectifs de prévisibilité et de proximité poursuivis par l'article 5.1., b) (pts. 41 et 42).

      On notera d'emblée qu'en introduisant les deux derniers critères, la Cour ajoute aux termes de la disposition. En effet, l'article 5.1., b) retient uniquement le lieu de fourniture du service fixé 'en vertu du contrat'. En outre, le dernier critère est évidemment propre au contrat d'agence commerciale, ce qui implique que pour d'autres contrats, la Cour soit éventuellement appelée à développer un critère subsidiaire lorsque le lieu de fourniture principal du service ne ressort clairement ni du contrat, ni des faits.

      D. Enseignements concernant les hypothèses de plurilocalisation

      De l'ensemble des affaires concernant la 'plurilocalisation' au sens large, différents enseignements peuvent être dégagés:

        • la Cour traite de manière identique les contrats de vente de marchandises et de services, les contrats exécutés en plusieurs endroits dans un même Etat membre ou sur le territoire de plusieurs Etats membres;
        • l'article 5.1., b) est applicable dans tous ces cas;
        • son application suppose l'identification du lieu d'exécution principale de l'obligation caractéristique du contrat. Pour les contrats de vente de marchandises, l'obligation caractéristique est énoncée par la disposition (à savoir, la livraison des marchandises) et peut être localisée de manière principale au moyen d'un critère économique. Pour les contrats de services, la Cour est engagée dans un processus interprétatif supposant l'identification au cas par cas de l'obligation caractéristique, voire sa localisation, si elle ne ressort pas clairement des termes du contrat [47];
        • lorsque l'obligation caractéristique est exécutée en raison de la nature même du contrat, de manière indivisible dans plusieurs Etats membres, ces différents lieux sont tous pertinents pour déterminer les juridictions compétentes.
        IV. Termes 'en vertu du contrat'

        La troisième question soulevée par la lecture de l'article 5.1., b) concerne l'interprétation des termes 'en vertu du contrat'. L'article 5.1., b) annonce en effet que le lieu de livraison de la marchandise ou de fourniture du service doit être fixé en vertu des termes contractuels. Dès l'introduction de l'article 5.1., b) dans le Règlement Bruxelles I, leur interprétation a donné lieu à d'importantes controverses. Certains auteurs, se fondant sur la lettre de l'article 5.1., b), considèrent que les termes 'en vertu du contrat' obligent le juge à désigner le lieu de la livraison des marchandises ou de la fourniture de services conformément au contenu de ce dernier [48]. Si le contrat ne prévoit rien, certains proposent de déterminer le lieu de la livraison ou de la fourniture en ayant recours au droit matériel applicable au contrat ou, selon d'autres, en se référant à l'économie générale du contrat [49]. Ou encore lorsque le contrat n'est pas clair, la juridiction compétente devrait être identifiée sur le fondement du point a) auquel renvoie le point c) [50]. D'autres auteurs estiment que c'est le lieu effectif de livraison ou de fourniture qui désigne alors la compétence des juridictions [51]. Concernant le critère de l'exécution effective, plusieurs auteurs distinguent les hypothèses dans lesquelles le contrat a été exécuté de celles dans lesquelles le contrat ne l'a pas été [52]. Si le contrat a été exécuté, les juridictions compétentes sont celles du lieu d'exécution effectif [53]. Si le contrat n'a pas été exécuté, les juridictions compétentes sont celles du lieu où les marchandises auraient dû être livrées ou celles du lieu où les services auraient dû être fournis conformément aux termes du contrat [54].

        Quatre arrêts récents, à l'occasion desquels la Cour a été interrogée sur la manière d'identifier le lieu de livraison des marchandises ou le lieu de fourniture de services au sens de l'article 5.1., b), ont permis de dégager progressivement la portée à donner aux termes 'en vertu du contrat' [55]. Cette interprétation a été donnée, d'une part, dans le respect des principes de proximité, de prévisibilité et, d'autre part, dans l'optique de concentrer les litiges. De ces arrêts ressortent en définitive trois grands enseignements: les termes du contrat priment (1), tous les termes du contrat - mais uniquement les termes du contrat - doivent être pris en considération (2). Si rien ne ressort du contrat, il convient d'appliquer une règle subsidiaire dégagée par la Cour (3).

        A. Premier enseignement: primauté des termes du contrat

        C'est dans l'arrêt Rehder que la Cour s'exprime pour la première fois sur l'interprétation à donner aux termes 'en vertu du contrat' en indiquant que le lieu de la fourniture de services doit être déterminé conformément à ceux-ci [56]. Les arrêts Car Trimet Wood Floor, évoqués plus haut, ainsi que l'arrêt Electrosteel, commenté plus longuement au point suivant, furent l'occasion pour la Cour de confirmer cette jurisprudence [57].

        Dans l'arrêt Car Trim, la Cour a également évoqué le rapport entre les termes 'sauf convention contraire' et les termes 'en vertu du contrat' en partant de l'idée que l'article 5 laisse une place à l'autonomie de la volonté des parties qui se traduit de deux manières [58]. D'une part, les termes 'sauf convention contraire' repris au début de l'article 5.1., b) permettent aux parties de “s'entendre sur le lieu d'exécution de l'obligation aux fins de l'application de cette disposition” (pt. 46 de l'arrêt Car Trim[59]. En d'autres termes, elles peuvent désigner un lieu d'exécution de l'obligation, autre que celui de la livraison de marchandises ou de la fourniture de services [60]. Mais ces termes, repris dans un obiter dictum, n'indiquent pas de quelle obligation traite la Cour: s'agit-il de l'obligation litigieuse dont les parties pourraient fixer le lieu d'exécution en vertu du point a) et à propos de laquelle le contentieux échapperait alors au point b)? Ou s'agit-il de l'obligation caractéristique du contrat, visée au point b), que les parties pourraient localiser en un lieu fictif? A vrai dire, l'obiter dictum de la Cour relatif aux 'conventions contraires' ne clarifie aucunement le sens de cette expression [61].

        D'autre part, les termes 'en vertu du contrat' imposent au juge de prendre en compte le lieu de livraison ou de fourniture retenu dans le contrat par les parties. Les termes du contrat ont donc priorité sur les faits.

        L'analyse de ce premier enseignement appelle trois observations. D'abord, la Cour a, dans tous ses arrêts, justifié son interprétation de l'article 5.1., b) à la lumière des principes de proximité et de prévisibilité. Si la détermination du lieu de fourniture principale conformément aux termes du contrat a pour avantage d'assurer une grande prévisibilité, il faut observer que le principe de proximité n'est respecté que dans l'hypothèse où la marchandise a effectivement été livrée ou le service a effectivement été fourni au lieu indiqué par le contrat [62]. Ensuite, la Cour tranche ici l'une des ambiguïtés de l'article 5.1., b) dont les termes se réfèrent à la volonté des parties alors que son objectif est de déterminer le lieu d'exécution des obligations sur la base de critères purement factuels [63]. Finalement, l'articulation entre la jurisprudence de la Cour et l'article 23 peut poser problème. Le fait qu'il faille prendre en compte les termes du contrat pour déterminer le lieu de livraison ou de fourniture permet aux parties de fixer ce lieu, peut-être même de manière fictive, dans une clause contractuelle, ce qui reviendrait à contourner les dispositions de l'article 23. Nous reviendrons sur ces deux dernières observations [64].

        B. Deuxième enseignement: le lieu doit être déterminé en fonction de tous les termes du contrat mais uniquement au regard des termes du contrat

        Il ressort des arrêts Car Trim et Electrosteel que tous les termes du contrat doivent être pris en compte pour déterminer le lieu de livraison ou de fourniture, à l'exclusion d'autres éléments. Dans l'arrêt Car Trim, la Cour exclut en effet le recours aux règles de droit international privé nationales ou au droit matériel applicable au contrat en vertu de celles-ci pour déterminer le lieu de livraison ou de fourniture [65]. Si aucune clause ne fixe explicitement le lieu de livraison, il convient donc par priorité de s'interroger sur l'interprétation du contrat et de son économie générale, et non, de se tourner vers le droit applicable.

        La Cour a ainsi été saisie d'une question relative à l'interprétation du contrat dans l'affaire Electrosteel.

        En l'espèce, un contrat de vente de marchandises avait été conclu entre une société italienne (Edil Centra) et une société française (Electrosteel). Suite à l'inexécution du contrat, Edil Centra a saisi les juridictions italiennes, désignées, selon elle, dans une clause du contrat formulée comme suit: 'Resa: Franco nostra sede' [66]. Cette clause correspondait, selon la société italienne, à l'Incoterm 'EXW' et devait être considérée comme désignant le lieu de livraison des marchandises [67]. La question s'est posée de savoir si “des clauses commerciales internationales, comme les Incoterms, dont l'interprétation suppose le recours aux règles de la Chambre de commerce internationale, satisfont à l'exigence de certitude que l'arrêt Car Trim impose pour la détermination du lieu de livraison sur la base du contrat” [68]? Serait-il cohérent, dans la mesure où l'arrêt Car Trim interdit le recours au droit matériel applicable, d'admettre une clause renvoyant aux Incoterms? La Cour admet, sans grande hésitation, le renvoi aux Incoterms pour localiser l'obligation de livraison de la marchandise [69]. Elle considère en effet que ces usages, qui jouissent d'une reconnaissance et d'une utilisation pratique particulièrement élevée, permettent d'identifier de manière claire le lieu de livraison des marchandises [70]. Elle justifie l'admission de ce renvoi en faisant, pour la première fois, un détour par l'article 23 du Règlement. En vertu de cette disposition, les parties peuvent conclure une convention attributive de juridiction notamment

        “sous une forme qui est conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ou, dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée” [71].

        Selon la Cour, si les usages commerciaux sont admis par l'article 23, il n'y a pas lieu de considérer qu'ils ne le soient pas dans le contexte de l'article 5 [72]. La Cour poursuit en disant que

        “les usages, notamment s'ils sont assemblés, précisés et publiés par les organisations professionnelles reconnues et sont largement suivis dans la pratique par les opérateurs économiques, jouent un rôle important dans la réglementation non étatique du commerce international. Ils facilitent les tâches de ces derniers dans la rédaction du contrat, car, par l'utilisation de termes brefs et simples, ils peuvent déterminer une large partie de leurs relations commerciales. Les Incoterms élaborés par la Chambre de commerce internationale, qui définissent et codifient le contenu de certains termes et de certaines clauses utilisés couramment dans le commerce international, ont une reconnaissance et une utilisation pratique particulièrement élevée” [73].

        Dès lors, pour déterminer le lieu de livraison en vertu du contrat, il y a lieu de prendre en compte l'ensemble des termes et des clauses contenus dans ce dernier, en ce compris les usages commerciaux, tels que les Incoterms, pour autant qu'ils soient de nature à permettre d'identifier, de manière claire, le lieu de livraison, sans qu'il ne doive être recouru au droit matériel applicable [74].

        L'exclusion par la Cour du recours au droit matériel applicable au contrat correspond clairement à l'objectif de la disposition. Elle renforce le jeu de l'autonomie de la volonté en matière contractuelle pour la détermination de la juridiction compétente et trace un parallèle évident entre l'article 5.1. et l'article 23. A cet égard, on peut d'ailleurs se demander si la jurisprudence de la Cour consiste à aligner progressivement les conditions de l'article 5.1., b) sur celles de l'article 23 ou au contraire, à autoriser les parties à désigner la juridiction compétente sur le fondement de l'article 5.1., b) sans se soumettre aux exigences de forme de l'article 23 [75].

        Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, il est certain que les parties doivent prêter une attention toute particulière à la rédaction des clauses contractuelles relatives au lieu de livraison des marchandises ou à tout terme permettant de localiser la fourniture du service. Elles ont d'ailleurs intérêt à rédiger une telle clause puisque à défaut d'une localisation claire ou implicite de l'obligation caractéristique dans le contrat lui-même, la Cour déduit, des termes de l'article 5.1., b), la nécessité d'élaborer de manière autonome des critères subsidiaires.

        C. Troisième enseignement: le recours à une règle subsidiaire si aucun lieu ne ressort du contrat

        La Cour a élaboré, pour les hypothèses dans lesquelles le contrat ne permet pas de déterminer un lieu de livraison ou de fourniture, des critères de 'rattachement' subsidiaires [76].

        Concernant la vente de marchandises, la Cour a identifié dans l'arrêt Car Trim “le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être matériellement remises à l'acheteur à la destination finale de celles-ci” (pt. 60 de l'arrêt Car Trim). Malheureusement, ce critère élaboré par la Cour évoque deux lieux qui peuvent être distincts: le lieu de remise à l'acheteur et le lieu de destination finale des marchandises. A ce stade, l'on ne sait à quel 'sous-critère' donner priorité. Comme la Cour le souligne, l'opération fondamentale d'un contrat de vente ne s'achève de manière complète qu'au moment 'de l'arrivée' des marchandises 'à leur destination finale' (pt. 61 de l'arrêt), ce qui pourrait faire pencher la balance en faveur du critère de la destination finale [77].

        Concernant la prestation de services, comme nous l'avons déjà montré dans le cadre de l'analyse de l'arrêt Wood Floor, il faut, en cas de silence du contrat, tout d'abord avoir égard au lieu d'exécution effective, dans la mesure où ce dernier ne contrevient pas à la volonté des parties [78]. Si aucun lieu d'exécution effective ne peut être dégagé, parce que la fourniture n'a pas été effectuée, la Cour a choisi, dans l'arrêt Wood Floor, de s'écarter du prescrit de l'article 5.1., b) et de désigner comme compétentes les juridictions de l'Etat du domicile de l'agent. Aucune certitude n'existe à ce stade quant à la généralisation du recours au critère du domicile du prestataire de services au-delà du contrat d'agence. Néanmoins, la Cour justifie le choix de ce lieu d'une part, sur la base du principe de prévisibilité car ce lieu peut être identifié avec certitude et, d'autre part, sur la base du principe de proximité car les probabilités sont grandes que la majorité des prestations de l'agent soit exécutée dans l'état de son domicile [79]. Or les motivations de prévisibilité et de proximité sous-tendent de manière générale l'interprétation de l'article 5.1., b). Toutefois, certains motifs s'opposent à la généralisation du critère du domicile du prestataire de services. Premièrement, le critère du domicile du prestataire ne découle pas des termes de l'article 5.1., b). Il a en outre pour conséquence de priver l'autre partie au contrat d'un for supplémentaire, lorsque le prestataire de services est défendeur à l'action. Dans ce cas, en application de l'article 5.1., b) comme de l'article 2, le demandeur n'aura d'autre choix que de saisir les tribunaux de l'état du domicile du défendeur [80]. Cette solution correspond-elle à la genèse, aux objectifs et au système du Règlement dès lors qu'elle prive le demandeur d'un choix [81]? Il est par ailleurs étonnant que la Cour ait mis à l'écart, dans l'interprétation de l'article 5, ses réticences au regard du forum actoris, alors que ni le texte, ni ses objectifs ne prescrivaient le choix d'un tel critère de désignation de la juridiction compétente [82].

        V. Enjeux du processus interprétatif

        L'introduction d'un point b) dans l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I a sans doute apporté une simplification pratique dans la désignation des juridictions compétentes en matière contractuelle. Mais les sections précédentes montrent que ce nouveau point soulève d'épineuses questions d'interprétation dont la nature n'est pas sans rappeler les questions soulevées par la formulation originelle de l'article 5.1.: la définition des situations visées et l'identification du lieu d'exécution de l'obligation, litigieuse dans la formulation originelle, caractéristique dans la nouvelle partie de la disposition, continuent à poser problème. Outre une présentation générale, les réponses fournies par la Cour appellent un bref commentaire relatif aux évolutions dont elles témoignent. Il semble en effet que les récents arrêts, tout en évoquant la nécessité d'une continuité interprétative, prennent le contre-pied de la jurisprudence antérieure et optent pour une définition matérielle des notions de droit privé (A). Ce faisant, la Cour participe au processus de création du droit privé européen. En outre, ces arrêts témoignent d'une difficulté caractéristique du développement de l'ordre juridique européen: le maintien de la cohérence des développements jurisprudentiels s'avère souvent délicat dans des matières techniques et dans un ordre juridique en construction (B).

        A. Apport au futur droit privé européen
        1. Fin de l'ère 'Tessili'

        Si les problèmes soumis à la Cour dans les dernières années sont semblables à ceux dont elle a eu à connaître dans les premières années d'application de l'article 5.1. de la Convention de Bruxelles, la Cour adopte aujourd'hui une attitude fondamentalement différente, fondée sur l'évolution de la rédaction de la disposition.

        On se souvient de la réponse prudente fournie par la Cour dans l'arrêt Tessili alors qu'il lui était demandé de localiser le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande:

        “…eu égard aux divergences qui subsistent entre les législations nationales en matière de contrats et compte tenu de l'absence, à ce stade de l'évolution juridique, de toute unification du droit matériel applicable, il n'apparaît pas possible de donner des indications plus amples sur l'interprétation de la référence faite par l'article 5.1. au 'lieu d'exécution' des obligations contractuelles” [83].

        L'enjeu était simple: il revenait à la Cour soit d'établir une règle (concrète ou abstraite) relative à la localisation de toutes les obligations pouvant fonder la saisine d'une juridiction au sens de l'article 5.1. (c'est-à-dire toute obligation découlant de tout type de contrat, puisque toute obligation peut un jour devenir litigieuse), soit de remettre la localisation de l'obligation litigieuse à charge du juge de fond et du droit national applicable. Ce faisant, elle renonçait à l'uniformité d'interprétation de l'article 5.1. La première solution semblait parfaitement irréaliste car elle aurait imposé à la Cour l'élaboration d'un nombre substantiel de règles de droit matériel uniforme dans le domaine du droit privé. En somme, la Cour aurait, en s'engageant sur cette voie, entamé la rédaction d'une portion importante d'un 'Code civil européen'… C'est donc la seconde voie qui a été privilégiée, avec les inconvénients que l'on connait.

        Aujourd'hui confrontée à la nécessité d'interpréter les notions de 'contrat de vente', de 'contrat de fourniture de services', ou de localiser la livraison de marchandises ou d'une fourniture de services au sens de l'article 5.1., b), la Cour s'engage résolument sur la voie opposée, celle de l'élaboration de règles de droit privé.

        Concernant la définition des contrats visés, dans les arrêts Car Trim et Falco, la Cour n'évoque même pas le point de savoir si une définition autonome est nécessaire ou si la question doit être soumise au droit national [84]. L'arrêt Car Trim est remarquable à cet égard puisqu'il introduit en droit européen une règle de délimitation entre la vente de marchandises et la fourniture de services dans l'hypothèse des marchandises à produire, pouvant être résumée comme suit: les contrats portant sur la fourniture d'une marchandise à produire sont a priori des contrats de vente de marchandises, sous réserve de la fourniture par l'acheteur de la totalité ou majorité des matériaux et des conditions de responsabilité du vendeur [85].

        La tendance à la production de règles de droit privé concerne également la localisation des obligations de livraison de marchandises et de fourniture du service. La Cour produit cette fois, non plus des règles matérielles parfaitement identiques à celles que l'on trouve dans le Code civil, mais des règles localisatrices. Ce type de règles est caractéristique du droit international privé, mais elles peuvent également intéresser le droit privé matériel lorsque par exemple, elles permettent de localiser le lieu de livraison dans un contrat de vente. C'est le cas, par exemple, de la définition du lieu de livraison des marchandises en l'absence de disposition contractuelle fournie dans l'arrêt Car Trim. Comme nous venons de l'évoquer, la Cour estime que la livraison des marchandises est localisée au lieu de remise matérielle de celles-ci à l'acheteur à leur destination finale. L'arrêt Wood Floor, nous l'avons vu, apporte également des règles localisatrices subsidiaires en cas de silence des parties. Comme le confesse honnêtement l'avocat général Trstenjak, cette solution “s'écarte des termes et de l'objectif” de l'article 5.1., b) qui se réfère à la localisation prévue dans le contrat et signifie le “remplacement du critère de fait par un critère abstrait” [86]. La lecture de l'article 5.1. du Règlement laisse en effet entendre qu'à défaut de stipulation contractuelle relative au lieu de fourniture de services (ou de livraison des marchandises), le point a) est applicable.

        Ainsi la Cour prend aujourd'hui l'attitude exactement opposée à celle adoptée dans l'affaire Tessili [87]. Loin de craindre le terrain glissant de la disparité des conceptions de droit privé et de droit international privé, la Cour propose des solutions uniformes pour faciliter la mise en oeuvre du Règlement Bruxelles I.

        2. Interprétation autonome et développement du droit privé

        Plusieurs facteurs expliquent ce changement dans l'optique interprétative.

        Le premier facteur, étonnamment, n'est pas évoqué par la Cour. La transformation de la Convention de Bruxelles en règlement européen emporte nécessairement un processus d'interprétation autonome, comme pour tout acte de droit dérivé [88]. Le silence de la Cour sur ce point peut signifier soit qu'il s'agit d'une évidence pour la Cour, soit que toutes les conséquences de la transformation de la convention en règlement n'ont pas encore été mesurées [89].

        La raison fondamentale évoquée explicitement par la Cour réside dans la 'genèse' du point b) de l'article 5.1. évoquée clairement par la Cour:

        “… le législateur communautaire a souhaité, pour les contrats de vente, rompre explicitement avec la solution antérieure selon laquelle le lieu d'exécution était déterminé, pour chacune des obligations litigieuses, en vertu du droit international privé de la juridiction saisie du litige” [90].

        Ceci pousse la Cour à “exclure le recours aux règles de droit international privé de l'Etat membre du for, ainsi qu'au droit matériel qui, en vertu de celui-ci, serait applicable” [91]. Les critères du lieu de livraison pour les marchandises et du lieu d'exécution pour les services constituent des critères autonomes appelant, selon la Cour, une interprétation directe de sa part, indépendante des règles matérielles applicables. Une telle interprétation implique l'identification par la Cour du lieu d'exécution principale de l'obligation caractéristique du contrat.

        Ensuite, en s'engageant sur la voie d'une interprétation passant par la création de règles de droit privé dans le cadre du point b) de l'article 5.1., la Cour ne s'expose pas au risque encouru lors de la rédaction de l'arrêt Tessili. Autrement dit, le nombre de règles de droit privé qu'il conviendra d'élaborer lors de l'interprétation du point b) de l'article 5.1. semble a priori restreint puisque seuls deux types de contrat sont évoqués et que pour chacun de ces contrats, une seule obligation - à savoir, l'obligation caractéristique - est en cause. En outre, cette obligation est directement localisée par la disposition elle-même de sorte qu'il suffit d'interpréter le critère de localisation défini par le législateur et non de trancher d'importantes questions de droit privé (comme celle de savoir si les dettes sont quérables ou portables) qui auraient pu être soulevées sur la base du point a) de l'article 5.1.

        Cela étant, le nombre de questions préjudicielles portées jusqu'à présent devant la Cour concernant l'article 5.1., b) suffit à démontrer que l'interprétation de cette disposition constituera un processus de longue haleine. Concernant la définition des contrats visés aux deux tirets du point b), en refusant d'aligner d'emblée celle-ci sur la définition déjà élaborée en droit primaire pour les mêmes notions, la Cour s'expose à devoir déterminer dans un nombre important de situations si le contrat porte sur une vente de marchandises ou la fourniture d'un service [92]. Concernant la localisation de l'obligation de fourniture du service, l'arrêt Wood Floor montre que la Cour risque de devoir identifier, contrat de services par contrat de services, l'obligation caractéristique du contrat et ensuite, le lieu de la fourniture principale du service lorsque celle-ci ne ressort clairement ni du contrat, ni des faits [93].

        En outre, certains critères nouvellement établis par la Cour appellent eux-mêmes une interprétation. Il en est ainsi du critère de “la remise matérielle à l'acheteur à la destination finale” de la marchandise, proposé dans l'arrêt Car Trim comme critère subsidiaire lorsque le lieu de livraison ne peut être déterminé sur la base des dispositions du contrat [94]. Ce critère est sévèrement critiqué par l'avocat général Kokott dans ses conclusions relatives à l'arrêt Electrosteel [95], qui, prévoyant les futures questions préjudicielles relatives, entre autres, aux cas de divergence entre le lieu de remise matérielle de la marchandise et le lieu de destination finale, propose de se concentrer sur la remise matérielle de la marchandise à l'acheteur [96].

        Si le changement d'optique interprétative correspond à l'objectif du point b) de l'article 5.1., et à la nature d'un règlement communautaire, il conduit inévitablement la Cour à développer des règles de droit privé nouvelles dans l'ordre juridique communautaire, soit des règles de droit matériel similaires à celle d'un Code civil, soit des règles localisatrices. Il convient de prendre la mesure du phénomène, car ces dispositions participeront à l'élaboration d'un futur (et potentiel) droit privé européen. Ainsi, la définition du contrat de vente et la localisation des obligations de livraison semblent déjà partiellement élaborées par la jurisprudence analysée dans cette contribution. Une attention toute particulière doit donc être réservée à la cohérence de ces développements au sein du 'système Bruxelles I' et au sein du 'système' européen.

        B. Maintien de la cohérence systémique

        La question de la cohérence affecte tant le développement de l'acquis interprétatif relatif au Règlement Bruxelles I (1), que le développement de l'ordre juridique européen (2).

        1. Cohérence interne du Règlement Bruxelles I

        En termes de cohérence interne du Règlement Bruxelles I, la rédaction ambiguë de l'article 5.1., b) constitue un facteur évident de complication tant au niveau de l'interprétation des différents points de l'article 5.1. qu'au niveau de ses rapports avec les autres dispositions du Règlement.

        a) Cohérence de l'article 5.1.

        La cohérence interne de l'article 5.1. paraît difficile à construire.

        Alors que cette disposition entend se concentrer sur le lieu de livraison ou d'exécution déterminé en vertu des dispositions du contrat, c'est-à-dire de la volonté des parties, la Commission, dans le rapport explicatif accompagnant la proposition de Règlement Bruxelles I, souligne qu'il s'agit d'une “désignation pragmatique du lieu d'exécution, reposant sur un critère purement factuel” [97]. D'importantes différences peuvent séparer la réalité des faits de la volonté des parties. La Cour a donc dû établir une hiérarchie entre ces deux éléments, en faisant primer la volonté des parties et en traitant les faits comme un critère subsidiaire [98]. Ce faisant, avec le consentement du rédacteur de la disposition, elle ajoute au texte de l'article 5.1., b) et étend le domaine d'application du point b) de l'article 5.1. au détriment du point a) de la même disposition.

        La définition des sphères respectives du point a) et du point b) de l'article 5.1. donne d'ailleurs lieu à d'autres ambiguïtés. Dans l'arrêt Falco, l'un des arguments invoqués à l'appui d'une exclusion du contrat de cession de droit d'auteur de la catégorie des contrats de services est la nécessité de préserver une sphère d'application utile pour le point a) de l'article 5.1. (dont relèvent, pour rappel, tous les contrats exclus du point b)) [99]. A l'inverse, tous les arrêts postérieurs ont pour effet d'étendre la portée utile du point b) au détriment du point a): cette opération s'effectue en appliquant l'article 5.1., b) en cas de plurilocalisation des obligations de fourniture et de livraison dans plusieurs Etats membres [100] ou encore en développant des critères subsidiaires lorsque la volonté des parties ne permet pas de désigner le lieu de livraison ou de fourniture [101].

        b) Cohérence dans l'interaction des dispositions du Règlement Bruxelles I

        L'article 5.1., b) donne la possibilité aux parties de prévoir des 'conventions contraires', dont l'objet ne ressort pas clairement du texte de la disposition. Selon la Cour, il s'agirait d'une “convention afin de s'entendre sur le lieu d'exécution de l'obligation aux fins de l'application de la disposition” [102]. S'il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives de cet obiter dictum, il laisse entendre, comme le relève l'avocat général Kokott, que les parties pourraient fixer un lieu d'exécution de l'obligation caractéristique sans lien avec le lieu réel de livraison ou de fourniture du service prévu par ailleurs par les parties [103] et que ce lieu servirait à la désignation de la juridiction compétente en matière contractuelle. Si une telle interprétation devait être retenue, ce qui n'est pas certain à ce stade [104], elle s'opposerait à la jurisprudence MSG qui établit la distinction entre les situations relevant de l'article 23 et celles relevant de l'article 5.1. du Règlement Bruxelles I (à l'époque de la Convention de Bruxelles) [105]. Ce dernier arrêt indique que l'accord désignant un lieu d'exécution d'une obligation contractuelle ne correspondant pas à la réalité contractuelle relève de l'article 23 (17 à l'époque de la Convention de Bruxelles) et doit remplir les conditions établies par cette disposition pour servir utilement la désignation des juridictions compétentes. Or l'interprétation précitée de l'article 5.1., b) conduit à penser que les parties pourraient désormais contourner les exigences de l'article 23 du Règlement Bruxelles I, sur le fondement de la disposition relative à la matière contractuelle. Les relations entre l'article 23 et l'article 5.1., b) demanderont donc à être clarifiées dans le sens d'une répartition claire des fonctions de chacune des dispositions. Par ailleurs, l'effet utile de la jurisprudence MSG devrait être préservé.

        Dans une certaine mesure, le récent arrêt Electrosteel annonce peut-être la solution du problème de cohérence entre les articles 23 et 5.1., b) du Règlement Bruxelles I en évoquant la possibilité d'un alignement des conditions formelles relatives à la désignation du lieu d'exécution de l'obligation caractéristique au sens de l'article 5.1., b) sur celles qui président à la rédaction d'une clause de juridiction. Dans cet arrêt, la Cour tire argument de la référence faite aux usages dans l'article 23 concernant la forme admissible pour les clauses d'élection de for, pour établir que l'interprétation d'autres dispositions du règlement (ici, le point b) de l'article 5.1.) peut conduire à la prise en considération de tels usages. On voit mal en effet ce qui empêcherait de prendre en considération des Incoterms auxquels les parties se sont explicitement référées pour interpréter leur volonté quant au lieu de livraison des marchandises. Mais pour parvenir à ce résultat, la Cour ne se contente pas d'indiquer qu'un contrat doit être interprété au regard de toutes ses clauses expresses. Elle prend soin de souligner qu'une telle référence répond aux conditions de l'article 23 et tire de ce fait, la légitimité de la référence aux Incoterms dans le cadre de l'interprétation de l'article 5.1., b). La Cour irait-elle vers un alignement du régime de ces deux dispositions? Voire, vers une définition progressive et autosuffisante de conditions, proches des conditions de l'article 23, pour la détermination par les parties du lieu de livraison des marchandises et de fourniture des services au sens de l'article 5.1., b) [106]?

        2. Cohérence de l'ordre juridique européen

        Les questions de cohérence se prolongent sur le terrain des rapports entretenus entre le Règlement Bruxelles I et les autres sources de droit européen, terrain emblématique du point de vue du développement de l'ordre juridique européen.

        a) Droit primaire et dérivé en général

        La place du droit primaire et dérivé dans l'interprétation du Règlement Bruxelles I et de son article 5.1., b) en particulier n'est pas encore totalement claire. Dans l'arrêt Falco, la Cour refuse d'interpréter la notion de contrat de fourniture de services évoquée dans le Règlement Bruxelles I à la lumière de l'interprétation réservée à la notion de prestation de services au sens de l'article 57 TFUE (à l'époque art. 50 TCE). Ce refus s'explique par des raisons structurelles évoquées plus haut, tenant au rôle résiduel occupé par cette notion en droit primaire, non comparable à celui de la règle de compétence de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I [107]. Cette interprétation engendre la coexistence dans le même ordre juridique de deux définitions de la notion de prestation ou fourniture de services [108]. L'adoption d'une définition propre au Règlement Bruxelles I de la notion de fourniture de services est d'autant plus étonnante qu'il était demandé à la Cour d'interpréter une règle de droit dérivé (l'art. 5.1., b) du Règlement Bruxelles I) reproduisant la distinction marchandises/services, fondatrice en droit primaire [109]. L'arrêt Falco conduit naturellement à s'interroger sur le sort qui sera réservé à la notion de marchandises lors de l'interprétation future de l'article 5.1., b), 1er tiret et sur l'influence du droit primaire à cet égard. D'autres arrêts contiennent des références directes au droit dérivé (et non primaire): en particulier, les arrêts Wood Floor et Car Trim s'inspirent respectivement des termes de la directive 86/653 relative aux agents commerciaux indépendants et de la directive 1999/44 sur certains aspects de la vente et des garanties de biens de consommation [110]. Mais dans l'un des deux cas, la source de droit dérivé est citée à titre indicatif aux côtés d'autres instruments normatifs externes à l'Union européenne [111]. L'influence des normes de droit primaire et dérivé sur l'interprétation des termes du Règlement Bruxelles I et de son article 5.1. en particulier doit donc être appréciée au cas par cas, ce qui ne simplifie pas la tâche des juridictions nationales. La pertinence des actes de droit dérivé dépend certes des spécificités de la question préjudicielle. Il est plus étrange que le droit primaire ne s'impose pas de manière systématique dans une perspective de développement cohérent de l'ordre juridique européen.

        b) Système de droit international privé européen

        Une analyse systémique conduit encore à s'interroger sur les liens entretenus entre l'article 5.1., b) et le Règlement Rome I concernant la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles. Etonnement, aucun arrêt rendu jusqu'à présent dans le cadre de l'interprétation de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I ne se fonde sur les dispositions ou la genèse du Règlement Rome I, en vigueur depuis juillet 2008 [112]. Pourtant, l'exigence d'une interprétation cohérente des Règlements Bruxelles I, Rome I et Rome II a été explicitement formulée par le législateur [113].

        L'avocat général Trstenjak dans ses conclusions présentées dans le cadre de l'affaire Falco, évoque clairement l'influence qu'exercera l'interprétation donnée à la notion de prestation de services au sens du Règlement Bruxelles I pour la mise en oeuvre du Règlement Rome I en matière de licence de droit de propriété intellectuelle [114]. Tirant de la genèse du Règlement Rome I, une exclusion des contrats de licence de la catégorie des contrats de services, elle propose à la Cour d'adopter une attitude similaire dans l'interprétation du Règlement Bruxelles I [115]. La Cour atteint ce résultat mais sans le lier au contenu ou à la genèse du Règlement Rome I.

        La référence au Règlement Rome I aurait pourtant pu influencer la décision de la Cour dans l'affaire Redher par exemple. L'article 5.2. du Règlement Rome I conduit à l'application de la loi de résidence habituelle du passager, dans la mesure où le lieu de départ ou d'arrivée se situe dans ce pays. L'optique prise dans le Règlement Rome I est donc plus proche d'une règle de protection de la partie faible (raisonnée, puisque l'application de la loi de la résidence habituelle du consommateur est soumise à la réunion d'un second critère de rattachement) que d'une localisation objective comme celle élaborée par la Cour dans l'arrêt Redher. L'arrêt Wood Floor parvient à un résultat compatible avec le Règlement Rome I, même s'il ne contient aucune référence explicite à ce dernier [116].

        Cela étant, la Cour est, à d'autres occasions, attentive à l'influence que peut exercer le Règlement Rome I sur ses décisions concernant le Règlement Bruxelles I. Ainsi, dans l'arrêt Pammer-Alpenhof, concernant la protection des consommateurs, la Cour interprète l'article 15.3. du Règlement Bruxelles I à la lumière de l'article 6.4., b) du Règlement Rome I [117]. Les références croisées entre les Règlements Bruxelles I, Rome I et Rome II sont appelées à se multiplier, non seulement parce qu'elles correspondent à la volonté législative, mais aussi parce que la Cour s'est engagée, dans l'interprétation de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I, dans un processus d'élaboration de règles localisatrices de la prestation caractéristique dont la nature est proche de celle des règles de rattachement contenues dans les Règlements Rome I et Rome II [118].

        VI. Conclusion

        En guise de conclusion, deux points nous semblent devoir être épinglés.

        Premièrement, la rédaction de l'article 5.1., b) est déjà dépassée. En effet, pour saisir la portée de cette disposition, il est indispensable de se référer aux arrêts de la Cour rendus dans les dernières années. En six arrêts, et en s'engageant dans un processus d'interprétation autonome, la Cour a profondément développé le sens de cette disposition.

        Ensuite, l'intérêt du processus engagé dépasse le seul article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I. Le développement de l'acquis jurisprudentiel relatif au Règlement Bruxelles I constitue l'embryon d'un droit privé européen, comprenant non seulement le droit international privé européen, mais également le droit matériel des contrats. De sorte que les arrêts rendus dans le cadre du Règlement Bruxelles I (et des autres règlements de droit international privé européens) doivent non seulement pouvoir s'intégrer harmonieusement dans la construction existante, mais aussi fonder utilement la construction future. Autant dire que la question de la cohérence constitue la pierre angulaire de l'équilibre de cette construction.

        [1] Professeur à l'Université Catholique de Louvain (Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen), titulaire de la chaire de droit européen de l'UCLouvain, chercheur qualifié honoraire du FNRS. L'auteur peut être contacté à l'adresse suivante: stephanie.francq@uclouvain.be.
        [2] Aspirant FNRS à l'Université Catholique de Louvain (Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen), avocat au barreau de Santa Cruz de Tenerife (Espagne), chercheur en sciences juridiques pour la Fondation 'Caja Madrid' (2010-2011). L'auteur peut être contacté à l'adresse suivante: eduardo.alvarez@uclouvain.be.
        [3] Assistante à l'Université Catholique de Louvain (Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen). L'auteur peut être contacté à l'adresse suivante: marie.dechamps@uclouvain.be.
        [4] Règlement (CE) 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 12, 16 janvier 2001, p. 1.
        [5] H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe: règlement 44/2001, conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007) (4ème éd.), Paris, LGDJ, 2010, pp. 160 et s.
        [6] A cet égard, voy. notamment V. Heuzé, “De quelques infirmités congénitales du droit uniforme: l'exemple de l'article 5.1. de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968”, RCDIP 2000, pp. 595 et s.
        [7] CJCE 6 octobre 1976, aff. 14-76, De Bloos, Rec. 1976, p. 1497, pt. 11. Parmi les arrêts fondamentaux, on notera encore l'arrêt Handte dans lequel la Cour trace la limite entre les matières contractuelles et extracontractuelles au moyen du critère de l'obligation librement assumée: CJCE 17 juin 1992, C-26/91, Handte, Rec. 1992, p. I-3990, pt. 15.
        [8] CJCE 6 octobre 1976, aff. 12/76, Tessili, Rec. 1976, p. 1473, pts. 13 à 15 [ci-après 'arrêt Tessili'].
        [9] V. Heuzé, o.c., (supra note 6), pp. 595 et s.; G.A.L. Droz et H. Gaudemet-Tallon, “La transformation de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 en règlement du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale”, RCDIP 2001, p. 634 renvoyant notamment à G.A.L. Droz, “Delendum est forum contractus? Vingt ans après les arrêts De Bloos et Tessili interprétant l'article 5.1. de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968”, D. 1997, chron., p. 351. Voy. également M.-L. Niboyet, “La révision de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 par le règlement du 22 décembre 2000”, Gaz.Pal. 2001, n° 163, p. 12 regrettant que l'art. 5.1. n'ait pas été supprimé lors de la révision et de la transformation du règlement européen.
        [10] G.A.L. Droz et H. Gaudemet-Tallon, o.c., (supra note 9), p. 634.
        [11] Dans son premier arrêt interprétatif relatif à l'art. 5.1., b), la Cour a ainsi précisé que le critère du lieu de livraison “a vocation à s'appliquer à toutes les demandes fondées sur un même contrat de vente de marchandises et pas seulement à celles fondées sur l'obligation de livraison elle-même” (CJCE 3 mai 2007, C-386/05, Color Drack, Rec. 2007, p. I-3699 [ci-après 'arrêt Color Drack'], pt. 26).
        [12] Dans l'arrêt Color Drack, o.c., (supra note 11), la Cour précise encore que le point b) de l'art. 5.1. “vise à […] désigner directement le for compétent sans renvoyer aux règles internes des Etats membres” (pt. 30).
        [13] CJCE 3 mai 2007, Color Drack, o.c., (supra note 11); CJCE 23 avril 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, Rec. 2009, p. I-3327 [ci-après 'arrêt Falco']; CJCE 9 juillet 2009, C-204/08, Peter Rehder, non encore publié au Recueil [ci-après 'arrêt Rehder']; CJCE 25 février 2010, C-381/08, Car Trim, non encore publié au Recueil [ci-après 'arrêt Car Trim']; CJCE 11 mars 2010, C-19/09, Wood Floor, non encore publié au Recueil [ci-après 'arrêt Wood Floor']; CJCE 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel Europe, non encore publié au Recueil [ci-après 'arrêt Electrosteel'].
        [14] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 30: “Le libellé de l'article 5.1., sous b) du règlement ne contient ni une définition des deux catégories de contrat ni des éléments de différenciation de ces deux catégories [...]. Pour plus de détails sur cette affaire, voy. e.a. la note publiée dans cette revue par K. Szychowska, “Actualité. Cour de justice de l'Union européenne 25 février 2010 et 11 mars 2010”, RDC-TBH 2010, pp. 446 et s.; A. Mittman, “Difficultés d'une interprétation autonome de l'article 5.1., b) du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000”, Gaz.Pal., 119/2010, p. 6.
        [15] Pour plus de détails sur cette affaire, voy. e.a. dans cette revue: J. De Meyer, “Artikel 5.1. Brussel I-Verordening: het arrest Falco Privatstiftung en andere recente rechtspraak”, RDC-TBH 2010, p. 852; K. Szychowska, “Actualité. Cour de justice de l'Union européenne 10 février 2009”, RDC-TBH 2009, p. 735.
        [16] La Cour évoque les observations des gouvernements allemand, italien et du Royaume-Uni (pt. 29), l'avocat général se réfère au sens usuel de la notion, ainsi qu'à la doctrine (conclusions présentées par l'avocat général Trstenjak le 27 janvier 2009, dans l'affaire C-533/07, Rec. 2009, p. I-3327, pt. 57).
        [17] Conclusions présentées par l'avocat général Trstenjak, o.c., (supra note 16), pts. 23 à 26.
        [18] Arrêt Falco, o.c., (supra note 13), pt. 40. L'arrêt mentionne d'une façon similaire le concept de prestation de services dans le cadre des directives UE en matière de TVA.
        [19] A. Mittmann, o.c., (supra note 14), p. 6.
        [20] G. Cavalier, “La notion de contrat de fourniture de services au sens de Bruxelles I. A propos de l'arrêt Falco du 23 avril 2009 rendu par la CJCE”, Revue Lamy droit des affaires, 39/2009, p. 60.
        [21] Voy. infra V.
        [22] La question n'était d'ailleurs pas controversée devant les juridictions de fond (pts. 15 et 16 des conclusions présentées par l'avocat général Trstenjak le 12 janvier 2010, dans l'affaire C-19/09, non encore publiée au Recueil).
        [23] Arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 10. Pour de plus amples détails, voy. K. Szychowska, o.c., (supra note 14), p. 446; J. De Meyer, o.c., (supra note 15), p. 852.
        [24] D. Porcheron, “La fin de la dispersion du contentieux en matière de contrat d'agence commerciale”, Revue Lamy droit des affaires, 51/2010, pp. 72 et 73.
        [25] En ce qui concerne le droit français et le droit allemand, voy. P. Berlioz, “La notion de fourniture de services au sens de l'article 5.1., b) du Règlement 'Bruxelles I'”, RCDIP 2008, p. 676, qui mentionne deux arrêts de la Cour de cassation française des 23 janvier 2007 et 5 mars 2008 et un arrêt de l'OLG de Saarbrück du 27 octobre 2006, allant dans ce sens.
        [26] M.W. Hesselink, J.W. Rutgers, O.B. Diaz, M. Scotton et M. Veldmann, Commercial agency, franchise and distribution contracts, Sellier European Law Publishers, 2006, p. 101: “According to Chity-Reynolds, it is more likely that under the law of England, franchise and distribution contracts will be classified as contracts for purchase for resale and the rules concerning those contracts apply accordingly (Chity-Reynolds no. 31-003)”.
        [27] Même si ce seul critère était retenu, la qualification de certains contrats demeurerait incertaine. Voy. par exemple M.-L. Niboyet, o.c., (supra note 9), p. 13 citant un arrêt de la Cour de cassation qui a refusé de qualifier de prestation de service la délivrance d'une somme d'argent prêtée (Cass. comm. 9 mars 1999, D. 2000, p. 768). En ce sens également: J. De Meyer, o.c., (supra note 15), p. 859.
        [28] Certains auteurs ont suggéré qu'en raison de la nature 'mixte' ou 'hybride' du contrat en cause, la Cour aurait pu choisir de s'aligner sur la méthode utilisée dans le cadre de l'arrêt Falco et qualifier le contrat conclu par les parties de contrat sui generis relevant de la lettre a) de l'art. 5.1. Voy. A. Mittmann, o.c., (supra note 14) et T. Azzi, “De quelques difficultés d'application de l'article 5.1., b) du Règlement Bruxelles I en matière de contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire”, Rec. Dalloz 2010, p. 1837.
        [29] Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, JO L 171, 7 juillet 1999, p. 12; convention des Nations Unies, signée à Vienne le 11 avril 1980, sur les contrats de vente internationale de marchandises; convention des Nations Unies, signée à New York le 14 juin 1974, sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises. Voy. arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pts. 34 à 38.
        [30] T. Azzi, o.c., (supra note 28).
        [31] E. Treppoz, “Le contrat de fourniture de services et le droit international privé européen”, Revue des contrats, 4/2009, p. 976.
        [32] Pour de plus amples développements sur ce point, voy. infra V.A.
        [33] A. Mittmann, o.c., (supra note 14).
        [34] M.-L. Niboyet, o.c., (supra note 9).
        [35] Arrêt Color Drack, o.c., (supra note 11).
        [36] Conclusions présentées par l'avocat général Bot le 15 février 2007, dans l'affaire C-386/05, Rec. 2007, p. I-3699.
        [37] Cet arrêt soulève évidemment la question de savoir si les critères économiques se traduisent en termes de quantité de marchandises ou d'importance financière de la transaction.
        [38] Voy. infra V et supra II.
        [39] Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, JO L 46, 17 février 2004, p. 1.
        [40] Elle cite explicitement les objectifs de prévisibilité, proximité et concentration de tous les contentieux relatifs à un contrat devant une juridiction unique (pt. 37).
        [41] Comp. les pts. 40 et 39 de l'arrêt Redher, o.c., (supra note 13), énonçant que les mesures logistiques et préparatoires ne sont pas des services dont “la fourniture serait liée au contenu proprement dit du contrat”. A ce titre, le lieu du siège ou du principal établissement du transporteur, pas plus que le lieu de conclusion du contrat ou de délivrance du billet ne sont pertinents au regard du point b) de l'art. 5.1. du Règlement Bruxelles I.
        [42] Une première lecture de l'arrêt pourrait pourtant laisser croire que la Cour n'identifie pas une obligation caractéristique du contrat de transport. Comp. arrêt Color Drack, o.c., (supra note 11), pt. 39 et arrêt Rehder, o.c., (supra note 13), pt. 40. Dans ce dernier, la Cour énonce l'ensemble des obligations découlant d'un contrat de transport aérien de passagers sans établir de hiérarchie entre elles. On notera toutefois que toutes ces obligations sont liées au moment du transport proprement dit. Pour plus de détails sur l'arrêt Rehder, voy. e.a. dans cette revue F. Stevens, “Actualité. Europees Hof van Justitie 9 juli 2009”, RDC-TBH 2009, p. 977; K. Szychowska, “Actualité. Cour de justice de l'Union européenne 10 février 2009”, o.c., (supra note 15), p. 735; P. Delebecque, “Arrêt Rehder: la détermination du juge compétent en cas d'indemnisation de passagers de transports aériens dans l'Union européenne”, European Journal of Consumer Law 2010, p. 346.
        [43] CJCE 30 novembre 1976, aff. 21-76, Bier, Rec. 1976, p. 1735 (affaire dite 'Mines de potasse'): “Dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l'expression 'lieu où le fait dommageable s'est produit', dans l'article 5.3. de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judicaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage.”
        [44] A ce propos, J. De Meyer, o.c., (supra note 15), p. 855 soulève une question intéressante en soulignant que “met dat argument lijkt het Hof de mogelijkheid open te willen houden om in de toekomst een afwijkende stelling te ontwikkelen voor de gevallen waarin goederen of diensten hoofdzakelijk moeten worden geleverd of verstrekt in meer dan twee EU-lidstaten”.
        [45] CJCE 19 février 2002, C-256/00, Besix, Rec. 2002, p. I-01699.
        [46] Arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 12.
        [47] Voy. infra IV.C.
        [48] Voy. notamment J.-P. Beraudo, “Le règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale”, Clunet 2001, p. 1044; A. Nuyts, “La communautarisation de la Convention de Bruxelles. Le règlement 44/2001 sur la compétence judiciaire et l'effet des décisions en matière civile et commerciale”, JT 2001, p. 916. Ce dernier auteur souligne que les termes 'en vertu du contrat' doivent notamment être compris comme “venant limiter la désignation du lieu d'exécution de manière purement factuelle”. En effet, il considère qu'une partie “pourrait être tentée de livrer les marchandises ou de fournir les services en un lieu différent de celui prévu par le contrat en vue de créer unilatéralement une compétence juridictionnelle dans le for de son choix”.
        [49] Voy. notamment J.-P. Beraudo, o.c., (supra note 48), p. 1044; M.-C. Pitton, “L'article 5.1., b) dans la jurisprudence franco-britannique, ou le droit comparé au secours des compétences spéciales du règlement (CEE) n° 44/2001”, Revue trimestrielle LexisNexis Jurisclasseur-JDI 2009, p. 861. Les juridictions anglaises ont une compréhension particulière des termes 'en vertu du contrat'. Selon elles, la détermination du lieu de livraison doit se faire en vertu du contrat et ce dernier doit être interprété selon le droit matériel applicable au contrat. Dans l'arrêt Scottish&Newcastle International Ltd. / Othon Ghalanos Ltd (2007, 2 Lloyd's Rep., pp. 341 et s.), la Court of Appeal a indiqué que la détermination de la localisation du lieu de livraison de marchandise “implique nécessairement une considération de la loi applicable”. “La loi applicable pourrait être prise en considération comme un datum permettant d'éclairer sur la signification du concept 'lieu d'exécution'”. N. Watté, A. Nuyts et H. Boularbah, “Le Règlement Bruxelles I sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale”, JTDE 2002, p. 165; A. Huet, note, Clunet 2001, p. 1129.
        [50] Voy. notamment V. Heuzé, o.c., (supra note 6), p. 624 et P. Vlas, “Herziening EEX: van verdrag naar verordening”, WPNR 2000, pp. 749-750.
        [51] Voy. notamment H. Muir Watt, note sous cour d'appel d'Orléans du 17 février 2000, RCDIP 2000, p. 480; A. Huet, o.c., (supra note 49), p. 1126.
        [52] N. Watté, A. Nuyts et H. Boularbah, o.c., (supra note 49), p. 164.
        [53] Ibid., p. 164; G.A.L. Droz et H. Gaudemet-Tallon, o.c., (supra note 9), p. 635, n° 40.
        [54] N. Watté, A. Nuyts et H. Boularbah, o.c., (supra note 49), p. 164; A. Nuyts, o.c., (supra note 48), p. 916.
        [55] Il s'agit des arrêts Rehder, Car Trim, Wood Floor et Electrosteel, o.c., (supra notes 11 et 13). Ces arrêts ont déjà été partiellement présentés dans les sections précédentes. Nous ne reviendrons donc pas sur les faits de celles-ci, à l'exception de l'affaire Electrosteel.
        [56] Arrêt Rehder, o.c., (supra note 13), pt. 45 et Z. Tang, “Aviation jurisdiction and protection of passengers”, European Journal of Consumer Law 2011, p. 353: elle permet tant au demandeur qu'au défendeur d'identifier facilement, dès la conclusion du contrat, les juridictions qui pourront potentiellement être saisies.
        [57] Dans l'arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), où il était question d'une pluralité de lieux de fourniture de services, la Cour a répété que les juridictions compétentes sont celles du lieu de la fourniture principale et que ce lieu devait être déterminé conformément aux dispositions du contrat (pts. 21 à 29). Dans l'arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13) s'est posée la question de savoir si, dans l'hypothèse d'une vente à distance, le lieu de livraison était celui de la remise matérielle de la marchandise à l'acheteur ou celui de la remise de la marchandise au premier transporteur (pts. 26 et 60). Pour y répondre, la Cour a repris son enseignement en vertu duquel, le lieu de livraison était celui indiqué par le contrat. Dans l'arrêt Electrosteel, o.c., (supra note 13), la Cour a rappelé le principe selon lequel le lieu de livraison visé par l'art. 5.1., b) est celui désigné par le contrat (pts. 16 et 17).
        [58] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 46.
        [59] Ibid., pt. 46.
        [60] Voy. notamment en ce sens M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, Paris, Economica, 2002, n° 230.
        [61] Voy. les conclusions présentées par l'avocat général Kokott le 3 mars 2011, dans l'affaire C-87/10, non encore publiée au Recueil, pts. 35 à 37.
        [62] En ce sens notamment E. Treppoz, o.c., (supra note 31), p. 976.
        [63] Exposé des motifs de la proposition de règlement (CE) du Conseil présentée le 14 juillet 1999, COM(1999) 348. Voy. infra V.B.
        [64] Voy. infra V.B.
        [65] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 53; conclusions présentées par l'avocat général Mazak le 24 septembre 2009, dans l'affaire C-381/08, non encore publiée au Recueil, pt. 34: “L'objectif du principe de prévisibilité est de renforcer la protection juridique des personnes établies dans la Communauté européenne, en permettant à la fois au demandeur d'identifier facilement la juridiction qu'il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait”. Comp. Cass. (Belgique) 5 décembre 2008, AR C.07.0175.N, Pas. 2008, I, p. 2854, RW 2008-09, p. 408 qui casse un arrêt de la cour d'appel dans lequel les juges “ont déterminé le lieu de livraison en vertu de la convention du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises et qui, partant, n'ont pas appliqué le critère de rattachement déterminé de manière autonome par le règlement”.
        [66] Cette clause est traduite en français comme suit: 'Remise: départ de notre siège'.
        [67] Incoterms EXW: “A4 Delivery: The seller must place the goods at the disposal of the buyer at the named place of delivery, not loaded on any collecting vehicle, on the date or within the period agreed or, if no such time is agreed, at the usual time for delivery of such goods. If no specific point has been agreed within the named place, and if there are several points available, the seller may select the point at the place of delivery which best suits his purpose. B4 Taking delivery: The buyer must take delivery of the goods when they have been delivered in accordance with A4 […].
        [68] Conclusions présentées par l'avocat général Kokott, o.c., (supra note 61), pt. 30. En l'espèce, une des clauses du contrat correspondait à l'Incoterm 'EXW' qui lui désignait un lieu de livraison.
        [69] Elle suit ainsi les conclusions présentées par l'avocat général Kokott, o.c., (supra note 61), pts. 32, 38 et 40 et s. renvoyant à l'arrêt de l'Oberlandesgericht Karlsruhe 28 mars 2006, IPRspr 2006, pp. 242 à 250 et à S. Leible, EuZW 2010, p. 3030: dans ses conclusions, l'avocat général, se référant à la doctrine et à la jurisprudence, a considéré que, dans la mesure où les clauses Incoterms ont un contenu objectivement défini et clair et que leur signification concrète peut être aisément recherchée en consultant des précis de réglementations facilement accessibles, il n'y a pas lieu de considérer qu'elles s'apparentent à un renvoi au droit matériel applicable.
        [70] Arrêt Electrosteel, o.c., (supra note 13), pts. 21 et 22.
        [71] Ibid., pt. 19.
        [72] Ibid., pt. 20.
        [73] Ibid., pt. 21.
        [74] Ibid., pt. 22.
        [75] Comp. J.-S. Quéguiner, “La vente, les objectifs et le système du Règlement Bruxelles I”, Revue Lamy droit des affaires, 51/2010, p. 71 (estimant que la jurisprudence permet aux parties de faire tout ce qu'autorise l'art. 23, sans imposer les formalités et les garanties de cette disposition).
        [76] A. Nuyts et H. Boularbah, “Droit international privé européen”, JDE 2010, p. 308.
        [77] Voy. les conclusions présentées par l'avocat général Kokott, o.c., (supra note 61), pt. 57 plaidant pour une reformulation du critère centrée sur la remise à l'acheteur.
        [78] Dans l'arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), les juridictions compétentes sont celles du lieu où l'agent a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat, à condition que la fourniture des services audit lieu ne soit pas contraire à la volonté des parties telle qu'elle ressort des dispositions du contrat (pt. 40). Dans les arrêts Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 59 et Electrosteel, o.c., (supra note 13), pt. 26: si aucun lieu de livraison ne ressort de l'intention des parties, le lieu de livraison est celui dans lequel les marchandises ont été ou auraient dû être matériellement remises à l'acheteur.
        [79] Arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 42.
        [80] A. Nuyts et H. Boularbah, o.c., (supra note 76), p. 308.
        [81] Dans l'arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), elle justifie en effet le choix de ce critère sur la base de la genèse, des objectifs et du système du règlement (pt. 60). En ce sens A. Mittmann, o.c., (supra note 14), p. 6.
        [82] D. Porcheron, o.c., (supra note 24), p. 74.
        [83] Arrêt Tessili, o.c., (supra note 8), pt. 14.
        [84] Comp. pt. 10 de l'arrêt Tessili, o.c., (supra note 8): “que se pose dès lors la question de savoir si ces expressions et notions doivent être considérées comme autonomes, et donc communes à l'ensemble des Etats membres, ou comme renvoyant aux règles matérielles du droit applicable, dans chaque espèce, en vertu des règles de conflit du juge premier saisi”.
        [85] Voy. arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pts. 34, 40 et 42. Cette définition est plus précise que celle prévue par l'art. 1er, par. 4 de la directive 1999/44 citée dans l'arrêt (pt. 35).
        [86] Conclusions présentées par l'avocat général Trstenjak, o.c., (supra note 16), pt. 93.
        [87] Voy. toutefois, supra II.B., dans l'arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13): en distinguant le contrat de services et de marchandises, entre autre, au moyen du critère de l'étendue de la responsabilité du vendeur, la Cour réintroduit implicitement la méthode Tessili.
        [88] Voy. e.a. CJCE 6 février 2003, C-245/00, SENA, Rec. 2003, p. I-1251, pt. 23: “La Cour a déjà jugé qu'il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause.”
        [89] Voy. infra V.B.
        [90] Arrêt Color Drack, o.c., (supra note 11), pt. 39. Voy. également les conclusions de l'avocat général Bot, o.c., (supra note 36), pt. 91: “En retenant comme critère de compétence un critère autonome, le législateur communautaire abandonne le système complexe de détermination du lieu d'exécution du contrat, dégagé dans la jurisprudence Tessili.”
        [91] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 53. Voy. également le pt. 52 de cet arrêt citant les explications de la Commission relatives à l'art. 5.1., b) lors de la rédaction du projet de règlement.
        [92] Arrêt Falco, o.c., (supra note 13), pts. 34 à 36.
        [93] M.-L. Niboyet, o.c., (supra, note 9), p. 13.
        [94] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 60.
        [95] Conclusions présentées par l'avocat général Kokott, o.c., (supra note 61), pts. 50 à 57. Comme l'annonçait M.-L. Niboyet (o.c., (supra, note 9), p. 13), “l'on ne pourra échapper à la nécessité de définir contrat par contrat l'obligation caractéristique - ou du moins principale - et son lieu d'exécution”.
        [96] Ibid., pts. 56 et 57. Ce critère engendrerait visiblement d'autres questions interprétatives: voy. T. Azzi, o.c., (supra note 28), p. 1837, évoquant les discordances entre le critère de remise matérielle à l'acheteur et celui de la remise au premier transporteur retenu par la CVIM.
        [97] COM(1999) 348 final, commentaire de l'art. 5, p. 14. C'est nous qui soulignons.
        [98] Arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 41.
        [99] Arrêt Falco, o.c., (supra note 13), pt. 43.
        [100] Arrêt Redher, o.c., (supra note 13), pt. 47 et arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 29.
        [101] Arrêts Wood Floor, o.c., (supra note 13), pts. 41 et 42 et Car Trim, o.c., (supra note 13), pts. 58 à 60.
        [102] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 46.
        [103] Conclusions présentées par l'avocat général Kokott, o.c., (supra note 61), pt. 35.
        [104] L'arrêt Car Trim, nous l'avons dit, ne tranche pas cette question mais évoque cette possibilité de manière ambiguë dans un obiter dictum (pt. 46 de l'arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13)).
        [105] CJCE 20 février 1997, C-106/95, MSG, Rec. 1997, p. I-911.
        [106] Dans le cadre de l'art. 23 (correspondant à l'art. 17 de la Convention de Bruxelles), les conditions entourant la rédaction des clauses d'élection de for ont été progressivement établies par la Cour, puis reprises dans le texte et constituent désormais un régime autosuffisant (CJCE 24 juin 1981, aff. 150/80, Elefanten Schuh, Rec. 1981, p. 1671). Les conclusions tirées à la section V.A. semblent indiquer que l'art. 5.1., b) pourrait évoluer dans le même sens.
        [107] Voy. supra II.A.
        [108] La pluralité de sens pour une même notion est admise dans l'ordre juridique européen, même si elle devrait, dans toute la mesure possible, être évitée ou limitée au cas où cette pluralité est indispensable (par exemple lorsqu'une directive ne porte pas sur l'ensemble d'un champ juridique donné). Ce phénomène de pluralité de sens affecte par exemple la notion de 'travailleur' (CJCE 12 mai 1998, C-85/96, Martínez Sala, Rec. 1998, p. I-2691, pt. 31; CJCE 31 janvier 2004, C-256/01, Debra Allongby, Rec. 2004, p. I-873, pt. 63).
        [109] On notera en outre que la nécessité de préserver l'effet utile du point a) de l'art. 5.1. ne convainc guère puisque cette disposition, même si une définition large de la notion de service avait été retenue, est toujours applicable à l'hypothèse de livraison de marchandises et de prestation de services hors Union européenne (non visés par le point b), ainsi qu'aux contrats relatifs à des mouvements de capitaux (exclus de la notion de prestation de services en droit primaire).
        [110] Arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 35 et arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pt. 35. Voy. également CJCE 7 décembre 2010, C-585/08 et C-144/09, Pammer-Hôtel Alpenhof, non encore publié au Recueil [ci-après 'arrêt Pammer-Alpenhof'] interprétant la notion de “contrats de transport [...] qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement” au sens de l'art. 15.3. du Règlement Bruxelles I, au regard de la directive 90/314 sur le voyage à forfait, tenant compte du fait que le Règlement Rome I relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles renvoie à cette directive.
        [111] Arrêt Car Trim, o.c., (supra note 13), pts. 36 et 37 se référant à la CVIM et à la Convention des Nations Unies sur la prescription en matière de vente internationale.
        [112] Règlement Rome I, art. 29. Il n'est toutefois applicable qu'aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009. La doctrine a, à cet égard, une longueur d'avance sur la Cour. Voy. notamment à ce propos la qualification des contrats: T. Azzi, o.c., (supra note 28) et E. Treppoz, o.c., (supra note 31).
        [113] Considérant 7 du Règlement Rome I et du règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (règlement (CE) 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, JO L 199, 31 juillet 2007, p. 40 (ci-après 'Règlement Rome II')).
        [114] Conclusions présentées par l'avocat général Trstenjak, o.c., (supra note 16), pt. 67.
        [115] Ibid., pt. 69. Dans la proposition de la Commission, le contrat de licence était régi par une disposition spécifique, distincte de celle portant sur les contrats de services et abandonnée pour des raisons politiques.
        [116] L'art. 4, f) du Règlement Rome I désigne pour les contrats de distribution la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle, critère de localisation proche de (et souvent identique à) celui du domicile de l'agent auquel la Cour propose de se référer pour la compétence judiciaire (arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 42).
        [117] Dans l'arrêt Pammer-Alpenhof, o.c., (supra note 110), la Cour devait interpréter la notion de contrat de transport “qui pour un prix forfaitaire, [combine] voyage et hébergement” au sens de l'art. 15.3. du Règlement Bruxelles I. Au pt. 43 de cet arrêt, elle indique qu'il y a lieu “d'interpréter ledit article 15, paragraphe 3, en tenant compte de la disposition correspondante figurant dans le règlement n° 593/2008 et de se référer à la notion de voyage à forfait auquel ce dernier règlement renvoie”. Or le Règlement Rome I incorpore la définition de la notion de voyage à forfait élaborée par la directive 90/314. C'est donc la définition proposée par la directive qui est retenue pour le Règlement Bruxelles I, via la référence au Règlement Rome I.
        [118] La Cour adopte d'ailleurs dans ses arrêts interprétatifs du Règlement Bruxelles I, un vocabulaire similaire à celui qui est généralement utilisé en matière de conflit de lois. Voy. arrêt Redher, o.c., (supra note 13), pt. 44 par exemple: “Chacun de ces deux lieux présente un lien suffisant de proximité avec les éléments matériels du litige et partant, assure le rattachement étroit, voulu […] et arrêt Wood Floor, o.c., (supra note 13), pt. 33 […] le lieu qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et la juridiction compétente” et pt. 34 “la prestation qui caractérise le contrat”.