Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/09/2010, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 76-81

Cour d'appel de Bruxelles 30 septembre 2010

BANQUE NATIONALE
Droit d'émission des billets de banque - Egalité des actionnaires - Position particulière de l'Etat souverain
Conformément aux lois applicables, à l'expiration du droit d'émission de la Banque Nationale de Belgique, un cinquième du fonds de réserve est acquis par priorité à l'Etat. Les quatre cinquièmes restants sont répartis entre tous les actionnaires. Même après l'introduction de l'euro, la Banque Nationale de Belgique a gardé son droit d'émission de billets de banque. La demande de répartition des fonds de réserve de la Banque Nationale de Belgique est donc rejetée.
Les réserves d'or et de change de l'Etat belge ne sont pas vraiment la propriété de l'organisme (la Banque Nationale de Belgique) qui les gère. Ils appartiennent à l'Etat. Les actionnaires de la Banque Nationale de Belgique ne peuvent donc faire valoir un droit direct ou indirect sur ces actifs. L'Etat souverain doit être clairement distingué de l'Etat comme actionnaire. Cela explique que les plus-values réalisées par la Banque Nationale de Belgique sur ses réserves de change ont pu été transférées à l'Etat belge non en sa qualité d'actionnaire de la Banque Nationale de Belgique agissant dans le cadre du fonctionnement organique de celle-ci, mais en vertu de ses prérogatives de puissance publique exercées dans le cadre de lois votées par le Parlement.
NATIONALE BANK
Emissierecht bankbiljetten - Gelijkheid aandeelhouders - Bijzondere positie soevereine Staat
Overeenkomstig de toepasselijke wetgeving moet de Nationale Bank van België 4/5 van haar reservefonds onder de aandeelhouders verdelen en 1/5 aan de Staat toebedelen wanneer zij haar emissierecht voor bankbiljetten zou verliezen. Ook na de invoering van de euro heeft de Nationale Bank van België evenwel het emissierecht van bankbiljetten behouden. De eis tot verdeling van het reservefonds van de Nationale Bank wordt bijgevolg afgewezen.
De goud- en wisselreserves van de Belgische Staat zijn niet de eigendom van het organisme, dat hen beheert, nl. de Nationale Bank van België. Zij zijn eigendom van de Staat. Aandeelhouders van de Nationale Bank van België kunnen er bijgevolg nooit direct of indirect aanspraak op maken. De soevereine Staat moet onderscheiden worden van de Staat als aandeelhouder, wat verklaart dat de Nationale Bank van België, steunend op wetten, de meerwaarden op de verkoop van goud kon overdragen aan de Staat als soeverein.

Deminor International SCRL, G.J. et consorts / Banque Nationale de Belgique SA

Siég.: H. Mackelbert, M.-F. Carlier et M. Moris (conseillers)
Pl.: Mes R. Wtterwulghe, P. Ronsse et P. Van Ommeslaghe, J. Meyers, I. Hennen
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 2 février 2006 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Deminor et consorts sont actionnaires de la Banque Nationale de Belgique, dénommée ci-après 'la Banque'.

Le 18 février 2004, le Conseil de régence approuve les comptes de la Banque pour l'exercice 2003.

Ceux-ci contiennent une reprise de provision de 417,3 millions d'euros pour pertes de change futures. Cette opération est motivée comme suit:

Les réserves officielles de change de l'Etat belge sont détenues et gérées par la Banque. En vertu de la convention du 8 juillet 1998 conclue entre l'Etat et la Banque, l'Etat laisse les plus-values réalisées sur monnaies étrangères à la disposition de la Banque, à charge pour celle-ci de les inscrire dans une provision destinée à couvrir d'éventuelles pertes de change futures.

Cette provision s'ajoute aux différences de réévaluation positives sur monnaies étrangères pour former un fonds de sécurité permettant de faire face à d'éventuelles pertes de change réalisées ou exprimées et non réalisées.

(...)

Un montant de 182,3 millions d'euros a été repris en vue de la couverture des pertes de change sur dollars.

En raison de la diminution substantielle de la position nette en monnaies étrangères, le Conseil de régence a en outre décidé, sur la base des modèles d'évaluation des risques utilisés à la Banque, d'adapter la provision à partir de l'exercice comptable 2003, à la meilleure estimation actuelle du risque de change à couvrir. Cette adaptation a pour but d'éviter de constituer des provisions excédentaires et donc d'assurer à cette provision sa véritable destination. En conformité avec ce qui précède, il a été décidé de reprendre, pour l'exercice comptable 2003, un montant de 235 millions d'euros.

Par ailleurs, pour le calcul de la part revenant à l'Etat en vertu de l'article 29 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque, dite 'loi organique' [article abrogé depuis par la loi du 3 avril 2009], il a été tenu compte, en tant que produit des opérations de gestion financière, du montant de 235 millions d'euros repris de la provision pour pertes de change futures.

Par courrier du 14 avril 2004, Deminor conteste la régularité de cette opération. Elle estime que les résultats des différences de change ne tombent pas dans la catégorie des produits financiers nets dont il est question à l'article 29 de la loi organique. Elle considère que cette reprise de provision est un bénéfice taxé qui ne peut être distribué qu'aux actionnaires de la Banque sur la base du principe d'égalité de traitement de ceux-ci.

2. Par exploit du 28 juin 2004, Deminor et consorts font citer la Banque devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

Ils demandent au tribunal de dire pour droit que l'attribution intégrale à l'Etat de la somme de 235 millions d'euros correspondante à une reprise de 'provision pour pertes de change futures' a été réalisée en violation de la loi, des statuts et des règles à la base du contrat de société et d'annuler la décision du Conseil de régence de la Banque ayant approuvé cette attribution irrégulière. Ils demandent également de leur donner acte qu'ils se réservent tous droits quant à la mise en cause de la responsabilité du gouverneur, des membres du comité de direction ainsi que des membres du Conseil de régence en raison de la violation des statuts de la Banque.

Plusieurs autres actionnaires interviennent volontairement à la cause, par requête déposée le 7 décembre 2005.

Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce de Bruxelles dit la demande non fondée.

3. Deminor et consorts interjettent appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions, ils demandent à la cour de:

Dire pour droit que la décision du Conseil de régence de la BNB du 18 février 2004 a été prise en violation de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la BNB ainsi qu'en violation des statuts de la Banque Nationale de Belgique;

Dire pour droit que la décision du 18 février 2004 du Conseil de régence de la BNB a été prise en violation de l'intérêt social, du principe d'égalité de traitement entre actionnaires et du principe d'exécution de bonne foi du contrat de société;

Dire pour droit que l'attribution intégrale à l'Etat de la somme de 235 millions d'euros correspondant à une reprise de la 'provision pour pertes de change futures' a été réalisée en violation du traité instituant la Communauté européenne, de la loi, des statuts et des principes et règles de droit applicables aux sociétés commerciales;

Annuler la décision du Conseil de régence de la Banque ayant approuvé cette décision d'attribution irrégulière;

[Leur] donner acte qu'ils se réservent tous droits quant à la mise en cause de la responsabilité du gouverneur, des membres du comité de direction ainsi que des membres du Conseil de régence de la Banque en raison de la violation des statuts de la Banque;

A titre subsidiaire, condamner - avant dire droit - la BNB à collaborer à la charge de la preuve et, sur base des articles 871 et 877 du Code judiciaire, à produire notamment les documents internes (préalables à la décision litigieuse) utiles et pertinents qui permettent d'établir les raisons de l'opération litigieuse et de détailler les méthodes de calculs usités.

IV. Discussion

4. La Banque détient et gère les réserves officielles de change de l'Etat belge. Selon les termes de l'article 9bis de la loi organique, ces avoirs constituent un patrimoine affecté aux missions d'intérêt général confiées à la Banque en tant que banque centrale de la Belgique. Certaines de ces réserves sont détenues par la Banque pour le compte de l'Etat dans le cadre de l'exécution d'accords de coopération monétaire internationale liant la Belgique ou dans le cadre d'accords ou opérations de coopération internationale auxquels la Banque participe avec l'approbation du Conseil des ministres. Ces réserves sont couvertes par la garantie de l'Etat en vertu de l'article 9 de la loi organique. Il s'agit notamment de créances sur le Fonds monétaire international enregistrées au poste 2.1 de l'actif du bilan de la Banque. Les gains et pertes de change réalisés sur les opérations effectuées dans ce cadre ainsi que les pertes latentes sur les positions nettes en droits de tirage spéciaux (DTS) sont dès lors attribués directement à l'Etat, via le poste VII.3 du compte de résultats, sans être pris en compte dans le bénéfice à affecter de la Banque.

Les autres réserves de change relèvent de la gestion autonome de la Banque qui assume le risque de change afférent à ces réserves. Seuls les résultats de change afférents à ce dernier type de réserves font l'objet du présent litige.

Pour se prémunir contre le risque de pertes de change sur ces réserves, la Banque a, depuis l'exercice social 1998, conformément à une convention conclue le 8 juillet 1998 avec l'Etat belge, constitué une 'provision pour pertes de change futures' (poste 11.1 au passif du bilan), alimentée par les gains de change réalisés sur les mêmes actifs. En revanche, toutes les pertes de change que la Banque reprend dans son compte de résultat, conformément aux règles du Système européen des banques centrales en la matière, sont compensées entièrement par une reprise sur cette provision, avant détermination de son résultat à affecter. Le résultat final de la Banque est partagé avec l'Etat selon la règle dite 'des 3%', contenue à l'article 29 de la loi organique.

Cet article est libellé comme suit:

Sont attribués à l'Etat, les produits financiers nets qui excèdent 3% de la différence entre le montant moyen, calculé sur une base annuelle, des actifs rentables et des passifs rémunérés de la Banque. Au sens de la présente disposition, on entend par produits financiers nets:

1. la part du revenu monétaire attribuée à la Banque en application de l'article 32.5 des statuts du SEBC;

2. la part du bénéfice net de la BCE attribuée à la Banque en vertu de l'article 33.1 des statuts du SEBC;

3. les produits des actifs rentables de la Banque et de ses opérations de gestion financière, diminués des charges financières afférentes aux passifs rémunérés et aux opérations de gestion financière, non liés aux éléments d'actif et de passif formant la base de calcul des produits visés aux 1° et 2° ci-dessus.

Si le montant des actifs productifs nets ne reflète pas la part de la Banque dans la base monétaire du Système, c'est-à-dire la somme des billets en circulation et des engagements résultant des dépôts constitués par les établissements de crédit, ce montant sera adapté à due concurrence pour l'application du présent article.

La présente disposition ne s'applique pas aux effets et aux titres acquis en représentation du capital, des réserves et des comptes d'amortissement dont le produit est à la libre disposition de la Banque.

Les modalités d'application des dispositions contenues au présent article sont fixées par des conventions à conclure entre l'Etat et la Banque. Ces conventions sont publiées au Moniteur belge.

L'objet du litige porte sur la qualification à donner aux gains de change réalisés par la Banque jusque et y compris l'exercice 2003, portés d'abord en provision pour risques de change futurs puis extournés en 2003, pour partie, à concurrence de 235 millions d'euros: peuvent-ils être qualifiés de produits financiers nets ou, plus précisément, de produits des actifs rentables de la Banque et de ses opérations de gestion financière, afin d'être compris dans l'assiette de calcul de la part du bénéfice qui revient à l'Etat, non pas en sa qualité d'actionnaire, mais d'Etat souverain qui a concédé à la Banque le droit d'émission des billets de banque?

1. Sur le but poursuivi

5. Deminor et consorts soutiennent que la reprise de provision n'avait pour seul objectif que de neutraliser l'effet négatif pour l'Etat de la prise en charge des pertes subies par la Banque sur les avoirs FMI à l'issue de l'exercice 2003.

Elle en veut pour preuve que dans son projet de budget pour 2004, l'Etat avait prévu de recevoir des recettes de la Banque à concurrence de 4 millions d'euros. Or, il est apparu que la perte de change à supporter par l'Etat était de 239,9 millions d'euros. Pour combler la différence, il fallait attribuer à l'Etat une recette extraordinaire de 235 millions d'euros à prélever sur la reprise de provision pour risques de change futurs.

6. Cette affirmation ne repose sur aucune pièce probante.

Ce n'est pas 235 millions d'euros qui ont été transférés à l'Etat, dans le cadre de la règle des 3% [par facilité, cette expression est employée à la fois pour identifier ce qui revient à l'Etat et sa manière de le calculer], mais 347,16 millions d'euros (cf. point VII.1 du compte de résultats). De plus, la perte sur les DTS fut de 240,5 millions d'euros et il apparaît du budget de l'Etat de l'année suivante que les quatre millions escomptés par lui n'ont pas été versés, portant ainsi le manque à gagner de l'Etat au niveau budgétaire à 244,5 millions d'euros et pas 239 millions d'euros comme affirmé par Deminor et consorts. Il n'existe donc aucune concordance troublante au niveau des chiffres, de nature à accréditer la thèse d'un détournement de pouvoirs du Conseil de régence.

La reprise sur la provision fut de 417,3 millions d'euros dont 182,3 millions d'euros ont été affectés pour absorber des pertes de change. Les 235 millions d'euros supplémentaires résultent d'une appréciation faite par la Banque de son risque véritable sur pertes de change futures et de la constatation que la provision qui avait été constituée était beaucoup trop élevée, notamment en raison de la diminution de sa position en monnaies étrangères et plus particulièrement de la baisse de la position en dollars de 1,9 milliard d'euros. Les années suivantes, la Banque a poursuivi sa politique de réduction de la provision, sans rencontrer la réprobation de Deminor et consorts.

7. Dès lors que les accusations graves de Deminor et consorts ne reposent sur aucun commencement de preuve et qu'il n'existe aucune présomption que le Conseil de régence aurait suivi des instructions de l'Etat de participer à une réduction de son déficit budgétaire, il n'y a pas lieu d'ordonner une production de documents - sollicitée au demeurant pour la première fois en degré appel - et plus particulièrement la démonstration mathématique du chiffre de 235 millions d'euros par la méthode de calcul Value-at-risk qui contient des informations sensibles, couvertes par la protection du secret des affaires de la Banque.

2. Sur l'application de l'article 29 de la loi organique

8. L'article 29 de la loi organique dispose clairement qu'on entend par produits financiers les produits des actifs rentables de la Banque et de ses opérations de gestion financière.

Un actif en devise est un actif rentable de la Banque et une plus-value de change est un produit financier qui résulte des opérations de gestion financière de la Banque.

En effet, les orientations de la Banque centrale européenne du 10 novembre 2006, concernant le cadre juridique des procédures comptables et d'information financière dans le Système européen des banques centrales, prévoient dans le compte de résultat publié par une banque centrale (JOCE 11 décembre 2006, L 348/1) un poste 2 intitulé 'Résultat net sur opérations financières, moins-values latentes et provisions pour risques' qui est constitué par les sous-comptes suivants:

- 2.1: résultats réalisés sur opérations financières;

- 2.2: moins-values latentes sur actifs financiers et positions de change;

- 2.3: dotations/reprise des provisions pour risque de change et risque de prix;

d'où il s'ensuit qu'une plus-value de change doit être comprise dans les résultats sur opérations financières.

Au demeurant, même si la Banque n'est pas soumise au droit comptable commun, il y a lieu, à défaut d'indications contraires précises, inexistantes en l'espèce, de donner aux mots leur acception courante. Or, en comptabilité, et quelle que soit l'entreprise en cause, une moins-value de change s'enregistre toujours dans les charges financières alors que les plus-values le sont dans les produits financiers, la différence constituant le résultat financier.

Soutenir, comme le font Deminor et consorts, qu'une plus-value de change n'est pas un produit financier heurte le bon sens commun.

Les termes contenus dans la loi étant clairs et sans ambiguïté, il n'y a pas lieu de procéder à leur interprétation.

Dès lors que les 235 millions d'euros en cause sont des produits financiers issus des opérations de gestion financière de la Banque, ils doivent entrer en ligne de compte pour le calcul de la part de l'Etat souverain, au moyen de la règle des 3%. Il importe peu que ces gains de change aient d'abord été affectés à une provision pour pertes de change futures et ensuite extournés puisque, tant les gains de change que les reprises de provision, entrent en ligne de compte, au regard du droit comptable des banques centrales, pour le calcul du résultat net sur opérations financières.

9. Par ailleurs, il convient d'observer que:

a. ce n'est pas parce que l'Etat ne garantit pas les pertes de change sur les devises autonomes de la Banque que les gains de change sur ces mêmes devises ne peuvent pas entrer en ligne de compte dans le cadre de la règle des 3%; la loi est muette sur ce point et il n'y a pas lieu de lui faire dire ce qu'elle ne dit pas;

b. il est inexact de soutenir que l'Etat se verrait ainsi attribuer tous les gains de change de la Banque; c'est oublier qu'il y a lieu d'en déduire les passifs rémunérés de la Banque et de lui réserver, en cas de solde positif, jusqu'à 3% de la différence; les gains de change ne constituent donc qu'un des éléments de calcul de la part revenant à l'Etat, lequel n'est d'ailleurs pas assuré d'en percevoir même ne fusse qu'une partie;

c. le fait que les gains de change soient considérés sur le plan comptable comme des avoirs de la Banque n'implique pas qu'ils ne puissent pas entrer en ligne de compte pour calculer la part de l'Etat dans le bénéfice de la Banque; toute la philosophie de l'article 29 de la loi organique consiste au contraire à rétrocéder à l'Etat une partie de certains produits et revenus de la Banque;

d. rien dans la loi organique ni dans la convention du 8 juillet 1998 n'interdit à la Banque de procéder à une reprise de la provision pour pertes de change futures lorsqu'elle constate qu'elle excède manifestement le risque encouru; la constitution d'une telle provision n'a pas pour effet de transformer les sommes qui y sont inscrites en réserve indisponible permanente ou de les faire entrer définitivement dans le patrimoine de la Banque; au demeurant les orientations du 10 novembre 2006 précisent clairement que les provisions pour risques et charges futurs ne peuvent pas être utilisées pour ajuster la valeur de l'actif;

e. il est erroné et contraire au texte clair de la loi de prétendre que l'article 29 ne vise que les produits nets liés aux taux d'intérêt; certes, tel était le cas au XIXème siècle lors de la constitution de la Banque, toutefois son statut a été profondément modifié en 1998, à l'occasion de son entrée dans le Système européen des banques centrales, ce qui a nécessité la promulgation de la loi du 22 février 1998 qui ne parle plus que de produits financiers en général; de même, rien dans la loi ne permet d'affirmer que seuls les gains de change sur les avoirs FMI peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer la part de l'Etat: ceux-ci sont entièrement affectés à l'Etat, alors que les gains de change sur les devises autonomes doivent subir la règle des 3%;

f. l'article 29 a une portée générale, en ce qu'il fait entrer en ligne de compte pour la règle des 3% tous les produits des actifs rentables de la banque et de ses opérations de gestion financière, sans aucune exception, sauf ceux stipulés expressément, à savoir, notamment, les produits des placements statutaires (effets et titres acquis en représentation du capital, réserves et comptes d'amortissement, dont le produit reste à la libre disposition de la Banque), les gains afférents aux réserves visées à l'article 9 de la loi, les plus-values réalisées sur or, ainsi que d'autres produits attribués intégralement à l'Etat en vertu de dispositions particulières; si le législateur avait voulu écarter du champ d'application de l'article 29 les gains et pertes de change, il aurait dû prévoir une dérogation expresse, ce qu'il n'a pas fait; cette disposition ne peut donc être interprétée comme les excluant; inversement, il n'est nullement exigé que les produits financiers soumis à la règle des 3% soient générés par des actifs qui constituent la contrepartie de l'émission des billets de banque; ce sont donc bien tous les produits financiers, sauf exceptions spécifiques, qui doivent être pris en considération;

g. aucune déduction ne peut être tirée du fait que, dans le compte de résultats, les différences de change font l'objet d'une rubrique séparée de celle des produits des actifs rentables nets; cette présentation est la conséquence du schéma proposé dans les orientations du 10 novembre 2006 de la BCE; cette distinction n'implique pas que les plus-values de change ne puissent pas entrer en ligne de compte pour calculer la part revenant à l'Etat; de plus, il n'est nullement requis qu'il faille inscrire dans la rubrique 'Résultats des différences de change' la part revenant à l'Etat, puisque cette charge fait l'objet d'un poste séparé (VII.1) dont la méthode de calcul tient compte d'autres éléments que les seules différences de change;

h. si la provision pour pertes de change futures a subi l'impôt des sociétés, c'est parce que la loi fiscale n'a pas prévu son immunisation; il ne s'en déduit cependant pas que les revenus affectés à cette provision changent de qualification: ils ne deviennent en effet pas, de ce seul fait, des fonds propres de la Banque; de plus, ainsi que l'explique la Banque au point 102 de ses conclusions, l'effet fiscal de la reprise de provision reste neutre sur le plan du partage de ce produit financier entre la Banque et l'Etat.

Pour le surplus, eu égard aux termes clairs contenus dans la loi du 22 février 1998, il est sans utilité de rencontrer plus avant les nombreux autres arguments et considérations spéculatives développés par Deminor et consorts, notamment sur l'évolution de la législation relative à la Banque depuis le 5 mai 1850, pour tenter de faire admettre que le législateur de 1998 était animé de l'intention de donner aux termes produits financiers une définition restrictive, autre que celle qui résulte du droit comptable des banques centrales et du sens commun. En tout cas, ils ne peuvent amener la cour à un dispositif différent.

En ce qu'elle s'appuie sur une violation de l'article 29 de la loi organique de la Banque, la demande n'est pas fondée.

L'appel sur ce point ne l'est pas non plus.

3. Sur la violation de l'intérêt social et du principe d'égalité des actionnaires

10. L'attribution à l'Etat des produits financiers nets qui excèdent 3% des actifs rentables nets lui est faite non pas en sa qualité d'actionnaire mais d'Etat souverain, concédant le droit d'émission des billets de banque.

De plus, elle résulte de l'application d'une loi qui s'impose à la Banque et qui n'a pas été décidée par l'un de ses actionnaires. Les montants qui sont attribués à l'Etat sont également déterminés par la loi et ne peuvent être assimilés à des dividendes ou à un partage de l'avoir social.

Il s'en déduit que toutes les considérations de Deminor et consorts sur l'existence d'un contrat de société entre eux et l'Etat belge, l'exécution de bonne foi des conventions ou la rupture du principe d'égalité des actionnaires sont irrelevantes.

11. Quant à la décision prise par le Conseil de régence d'effectuer une reprise de provision, il n'appartient pas à la cour de se substituer au pouvoir d'appréciation des dirigeants de la Banque. Elle ne peut qu'exercer un contrôle marginal.

Or, Deminor et consorts - qui en cette matière ont la charge de la preuve - ne démontrent pas que cette décision était manifestement déraisonnable. Ils ne se sont d'ailleurs pas opposés aux reprises de provision qui ont été effectuées au cours des exercices ultérieurs. Ils ne démontrent pas non plus que la Banque aurait augmenté ses risques de change en devises à cette occasion.

Par ailleurs, ainsi que cela a été rappelé plus haut, il ne résulte d'aucun élément probant que le Conseil de régence aurait sacrifié les intérêts de la Banque et de ses actionnaires pour participer à la résorption du déficit budgétaire de l'Etat.

12. Dès lors qu'il n'est pas démontré que la part légale de l'Etat souverain dans certains produits de la Banque serait soit indue soit disproportionnée, il ne peut être soutenu que son attribution serait inéquitable au motif que l'Etat est également actionnaire de la Banque.

En ce que la demande s'appuie sur une violation de l'intérêt social de la Banque et du principe d'équité, elle n'est pas fondée.

L'appel sur ce point ne l'est pas non plus.

4. Sur la violation du droit européen

13. Deminor et consorts soutiennent que l'attribution à l'Etat de sa part dans certains produits financiers de la Banque violerait le droit européen qui institue l'indépendance de la Banque (art. 108 du traité CE) et interdit le financement monétaire par les BCN (art. 101 du traité CE).

14. L'article 108 du traité CE (actuellement art. 130 du TFUE) interdit aux BCN d'accepter des instructions des gouvernements des Etats membres, lesquels s'engagent à ne pas chercher à influencer les membres des organes des BCN dans l'accomplissement de leurs missions.

Il ne résulte d'aucun élément que la décision du Conseil de régence ne serait pas fondée sur une appréciation raisonnable et indépendante du risque de pertes de change futures et sur la constatation que la provision qui avait été constituée était beaucoup trop élevée, notamment en raison de la diminution de sa position en monnaies étrangères. Il n'est pas établi non plus que le Conseil de régence aurait reçu quelque instruction du gouvernement pour opérer une reprise de provision et, partant, augmenter la part des produits financiers revenant à l'Etat.

De plus, le partage intervenu entre la Banque et l'Etat n'est que le résultat de l'application de la loi et pas d'une décision unilatérale de l'Etat ou de l'un de ses représentants au Conseil de régence.

15. L'article 101 du traité CE (actuellement art. 123 du TFUE) interdit aux BCN d'accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux autorités publiques ou d'acquérir des instruments de leur dette.

Cette disposition est étrangère au cas d'espèce puisque l'attribution à l'Etat de sa quote-part dans certains produits financiers de la Banque résulte de la simple application de la loi organique de la Banque.

Il ne peut s'agir, en l'espèce, d'un financement au sens du traité ni du rétablissement d'un compte courant au profit de l'Etat.

16. En ce qu'elle s'appuie sur une violation du droit européen, la demande n'est pas fondée et l'appel sur ce point ne l'est pas non plus.

(…)

V. Dispositif

Pour ces motifs, LA COUR,

1. Dit l'appel non fondé et en déboute Deminor et consorts.

(…)


Note / Noot

Zie noot Anne Vandoolaeghe hierboven p. 69.