Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/09/2010, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 63-69

Cour d'appel de Bruxelles 30 septembre 2010

BANQUE NATIONALE
Droit d'émission des billets de banque - Egalité des actionnaires - Position particulière de l'Etat souverain
Conformément aux lois applicables, à l'expiration du droit d'émission de la Banque Nationale de Belgique, un cinquième du fonds de réserve est acquis par priorité à l'Etat. Les quatre cinquièmes restants sont répartis entre tous les actionnaires. Même après l'introduction de l'euro, la Banque Nationale de Belgique a gardé son droit d'émission de billets de banque. La demande de répartition des fonds de réserve de la Banque Nationale de Belgique est donc rejetée.
Les réserves d'or et de change de l'Etat belge ne sont pas vraiment la propriété de l'organisme (la Banque Nationale de Belgique) qui les gère. Ils appartiennent à l'Etat. Les actionnaires de la Banque Nationale de Belgique ne peuvent donc faire valoir un droit direct ou indirect sur ces actifs. L'Etat souverain doit être clairement distingué de l'Etat comme actionnaire. Cela explique que les plus-values réalisées par la Banque Nationale de Belgique sur ses réserves de change ont pu été transférées à l'Etat belge non en sa qualité d'actionnaire de la Banque Nationale de Belgique agissant dans le cadre du fonctionnement organique de celle-ci, mais en vertu de ses prérogatives de puissance publique exercées dans le cadre de lois votées par le Parlement.
NATIONALE BANK
Emissierecht bankbiljetten - Gelijkheid aandeelhouders - Bijzondere positie soevereine Staat
Overeenkomstig de toepasselijke wetgeving moet de Nationale Bank van België 4/5 van haar reservefonds onder de aandeelhouders verdelen en 1/5 aan de Staat toebedelen wanneer zij haar emissierecht voor bankbiljetten zou verliezen. Ook na de invoering van de euro heeft de Nationale Bank van België het emissierecht van bankbiljetten behouden. De eis tot verdeling van het reservefonds van de Nationale Bank van België wordt bijgevolg afgewezen.
De goud- en wisselreserves van de Belgische Staat zijn niet de eigendom van het organisme dat hen beheert, namelijk de Nationale Bank van België. Zij zijn eigendom van de Staat. Aandeelhouders van de Nationale Bank van België kunnen er bijgevolg nooit direct of indirect aanspraak op maken. De soevereine Staat moet onderscheiden worden van de Staat als aandeelhouder, wat verklaart dat de Nationale Bank van België, steunend op wetten, de meerwaarden op de verkoop van goud kon overdragen aan de Staat als soeverein.

Deminor International SCRL, M.P. et consorts / Banque Nationale de Belgique SA et Etat belge, ministre des Finances

Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et M. Moris (conseillers)
Pl.: Mes R. Wtterwulghe, P. Ronsse et P. Van Ommeslaghe, J. Meyers, I. Hennen, X. Dieux, D. Willermain
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 27 octobre 2005 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Deminor et consorts sont actionnaires de la BNB.

Par exploit du 2 juillet 2002, ils la font citer devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

Ils exposent que la BNB a perdu son droit d'émission des billets de banque au profit de la Banque centrale européenne (en abrégé, ci-après la BCE), instituée par le traité CE.

Se fondant sur l'article 31 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la BNB, tel que repris à l'article 46 de ses statuts, qui dispose qu'“à l'expiration du droit d'émission de la Banque, un cinquième de fonds de réserve est acquis par priorité à l'Etat. Les quatre cinquièmes restants sont répartis entre tous les actionnaires”, ils demandent au tribunal d'ordonner à la BNB de liquider son fonds de réserve dans les 24 heures de la signification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 3.000 EUR à verser à chacun d'eux et de condamner la BNB au paiement d'intérêts compensatoires au taux légal depuis la perte du droit d'émission puis des intérêts judiciaires au taux légal jusqu'à parfait paiement.

2. Par exploit du 17 septembre 2003, Deminor et consorts font citer l'Etat belge en intervention forcée.

Ils exposent qu'au courant des dernières années, la BNB a vendu un nombre important de ses actifs en or et en devises et qu'à cette occasion la BNB a réalisé d'importantes plus-values. Aux termes de l'article 30 de la loi organique de la BNB, ces plus-values sont inscrites à un compte spécial de réserves indisponibles. Ils constatent que ces plus-values ont été transférées en plusieurs opérations à l'Etat belge, suite à des interventions du législateur et du gouvernement dans le cadre de pouvoirs spéciaux, sans qu'ils aient été amenés à se prononcer sur ces transferts. Ils soutiennent que ces transferts sont intervenus fautivement et demandent au tribunal de condamner l'Etat belge à rembourser à la BNB tous les montants indûment perçus, afin qu'ils soient réintégrés dans le patrimoine de cette dernière ou, subsidiairement, que l'Etat belge les indemnise du préjudice qu'ils ont subi et qu'ils évaluent à 1 EUR par action de la BNB.

D'autres actionnaires de la BNB se joignent à cette cause et interviennent volontairement, par requête déposée le 20 septembre 2005.

3. Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce de Bruxelles déboute Deminor et consorts de leurs demandes.

4. Deminor et consorts interjettent appel de cette décision. Aux termes de leurs dernières conclusions, ils demandent à la cour de:

A l'encontre de la SA Banque Nationale de Belgique

Dire la demande recevable et fondée;

Dire pour droit que le droit d'émission de la SA Banque Nationale de Belgique est expiré, à tout le moins depuis le 1er janvier 1999, date du début de la troisième phase de l'UEM;

Constater la violation par la SA Banque Nationale de Belgique de l'article 31, 2ème alinéa de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la BNB et la violation de l'article 46, 2ème alinéa des statuts de la Banque Nationale de Belgique;

Ordonner à la SA Banque nationale de Belgique de liquider le fonds de réserve de la Banque, selon le prescrit de l'article 31, 2ème alinéa de la loi du 22 février 1998 (et de l'art. 46, 2ème al. des statuts de la Banque), dans les 24 heures de la signification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 3.000 EUR à verser à chacun des demandeurs par jour de retard à compter de la signification;

Dire pour droit que le fonds de réserve au sens de l'article 46 des statuts équivaut à la différence entre l'actif net réel de la SA Banque Nationale de Belgique et la valeur nominale du capital social;

Dire pour droit que le fonds de réserve porte sur l'ensemble des actifs de la Banque, y compris l'or et les devises;

[Leur] donner acte qu'ils se réservent le droit de demander la désignation d'un expert en vue de calculer les plus-values latentes sur les éléments d'actif de la SA Banque Nationale de Belgique qui ne seraient pas comptabilisés à leur valeur réelle;

Faire application de l'article 877 du Code judiciaire et ordonner à la [BNB] de produire toute convention ou échange de courriers ou simples écrits relatifs à un accord entre la SA Banque Nationale de Belgique et l'Etat belge à propos de l'attribution à ce dernier des plus-values sur devises réalisées par la SA Banque Nationale de Belgique;

[Leur] donner acte qu'ils se réservent tous droits quant aux transferts réalisés par la SA Banque Nationale de Belgique en faveur de l'Etat;

[Leur] donner acte qu'ils se réservent tout droit à propos des transactions immobilières ayant affecté le patrimoine de la SA Banque Nationale de Belgique;

Condamner la SA Banque Nationale de Belgique au paiement d'intérêts moratoires au taux légal sur les sommes dues depuis le 26 juin 2002, date de la mise en demeure écrite, puis des intérêts judiciaires au taux légal jusqu'au parfait paiement;

[Leur] donner acte qu'ils se réservent tous droits quant à l'application de l'article 528 du Code des sociétés et, notamment, le droit d'assigner le gouverneur, les membres du comité de direction ainsi que les membres du Conseil de régence de la SA Banque Nationale de Belgique en raison de la violation des statuts de la SA Banque Nationale de Belgique;

Condamner la SA Banque Nationale de Belgique aux entiers dépens des deux instances, en ce compris l'indemnité de procédure.

A l'encontre de l'Etat belge

Déclarer la décision à intervenir sur la question de la distribution du fonds de réserve opposable à son égard;

Dire les demandes recevables et fondées à son encontre;

Dire pour droit que les transferts litigieux ont été réalisés et mis en oeuvre en violation des principes issus des articles 101 et 108 du traité sur l'Union européenne, en violation du droit de la propriété garanti par la Constitution et la convention européenne des droits de l'homme, en violation des statuts, de l'intérêt social et du principe d'égalité entre actionnaires ainsi que du principe d'exécution de bonne foi du contrat de société et qu'il y a lieu de réintégrer les actifs transférés dans les comptes de la banque;

Condamner l'Etat belge à rembourser à la BNB l'ensemble de ces sommes à réintégrer, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal à dater de chacun des transferts jusqu'à la date de la citation, puis des intérêts judiciaires au taux légal jusqu'au jour du parfait remboursement;

A défaut de réalisation d'une telle réparation en nature, condamner l'Etat belge à [les] indemniser pour le dommage subi restant à évaluer et à verser à chaque actionnaire - à titre provisionnel - 1 EUR par action BNB qu'il détient, sommes à augmenter des intérêts compensatoires à dater des transferts;

Condamner l'Etat belge aux entiers dépens des deux instances, en ce compris l'indemnité de procédure.

IV. Discussion
1. Sur la demande dirigée contre la BNB
a. Sur la liquidation du fonds de réserve

5. L'article 31 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique dispose que:

Le fonds de réserve est destiné:

1. à réparer les pertes sur le capital social;

2. à suppléer aux bénéfices annuels jusqu'à concurrence d'un dividende de six pour cent du capital.

A l'expiration du droit d'émission de la Banque, un cinquième du fonds de réserve est acquis par priorité à l'Etat. Les quatre cinquièmes restants sont répartis entre tous les actionnaires.

Cet article a été interprété par l'article 141, § 9 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers

(...) en ce sens que le droit d'émission dont il y est question comprend celui que la Banque peut exercer en vertu de l'article 106, 1. du traité instituant la Communauté européenne;

lequel (devenu l'art. 128 du TFUE) dispose que:

La BCE est seule habilitée à autoriser l'émission de billets de banque dans la Communauté. La BCE et les banques centrales nationales peuvent émettre de tels billets. Les billets de banque émis par la BCE et les banques centrales nationales sont les seuls à avoir cours légal dans la Communauté.

6. Il résulte de ces dispositions très claires que le droit d'émission des billets de banque est partagé entre la BCE et les banques centrales nationales (en abrégé les BCN).

Amenée à statuer sur la constitutionnalité de la loi interprétative du 2 août 2002, à la requête de Deminor et consorts, la Cour d'arbitrage (actuellement Cour constitutionnelle) a notamment dit pour droit:

B.8.5. Lors de l'élaboration de la loi attaquée du 2 août 2002, le législateur a jugé qu'une mention expresse du droit d'émission de la BNB était nécessaire afin de combattre les mouvements spéculatifs visant les actions de la BNB sur les marchés financiers (Doc.parl. Sénat 2001-02, n° 2-1241/2, pp. 13-15).

Le législateur a justifié comme suit l'insertion de la disposition attaquée:

“Le § 9 est une disposition interprétative de l'article 31, 2ème alinéa de la loi organique qui vise à confirmer que le droit d'émission de la Banque dont il y est question comprend celui qu'elle peut exercer au sein du SEBC aux termes de l'article 106, 1. du traité instituant la Communauté européenne et de l'article 16 du protocole précité. Cette interprétation est conforme à la conclusion à laquelle est arrivée la Commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat lors des travaux parlementaires relatifs à la loi organique.” (Doc.parl. Chambre 2001-02, DOC 50 1842/003, p. 14).

La conclusion de la Commission sénatoriale à laquelle il est fait référence est la position défendue lors de l'adoption de la loi du 22 février 1998 qui a confirmé le droit d'émission de la BNB dans le cadre du SEBC (Doc.parl. Sénat 1997-98, n° 1-707/3, p. 14).

B.8.6. Dans son avis CON/2002/18 du 9 juillet 2002 relatif au projet de loi qui a conduit à la disposition attaquée, la BCE déclare:

“L'article 141, paragraphe 9, du projet de loi donne une interprétation d'une disposition concernant le droit de la BNB d'émettre des billets. La BCE rappelle qu'en vertu de l'article 106, paragraphe 1, du traité et de l'article 16 des statuts, la BCE et les BCN peuvent émettre des billets en euros. Le droit primaire communautaire a donc prévu un système constitué d'une pluralité d'émetteurs de billets en euros, qui a été confirmé par l'article 2 de la décision BCE/2001/15 du 6 décembre 2001 relative à l'émission des billets en euros. Celui-ci prévoit que 'la BCE et les BCN émettent les billets en euro'. L'interprétation de l'article 31, 2ème alinéa de la loi organique, qui est une confirmation explicite du droit d'émission de la BNB, est totalement conforme à ces dispositions de droit communautaire. Cette confirmation explicite est accueillie favorablement par la BCE étant donné qu'elle renforce la sécurité juridique.”

B.8.7.1. Il ressort de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la disposition attaquée ne restaure donc pas le droit d'émission de la BNB avec effet rétroactif. Elle confirme seulement l'existence de ce droit d'émission au sein du SEBC, tel qu'il est établi par le droit primaire européen, tel qu'il a été confirmé à plusieurs reprises par les autorités monétaires européennes et tel qu'il était déjà compris dans la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique.

confirmant ainsi le maintien du droit d'émission de la BNB aux côtés de celui de la BCE.

7. Les travaux préparatoires de la loi du 22 février 1998 ne laissent aucun doute sur le maintien du droit d'émission de la BNB.

On peut lire dans le rapport de la Commission des Finances à l'occasion de l'audition du professeur J.-V. Louis, ce qui suit (Doc.parl. Sénat 1997-98, n° 1-707/3):

Un commissaire renvoie au texte de l'article 19 de l'avant-projet qui est rédigé comme suit: “Sur habilitation de la BCE, ...” La BNB conserverait-elle son droit d'émission au cas où on ne lui accorderait plus l'habilitation en question? Qu'adviendrait-il si la BCE décidait à l'avenir d'émettre elle-même tous les billets?

M. Louis répète qu'en tant que composante du SEBC, la BNB aura toujours un droit d'émission. Dans le cadre de la répartition des revenus du système, les billets feront partie d'une manière ou d'une autre du passif du bilan des banques centrales nationales. Les banques centrales nationales auront des missions concrètes en matière de circulation des billets de banque. La BNB reste une banque centrale avec tous les attributs qui lui sont propres. Il y aura cependant une sorte de centralisation du droit d'émission et de la répartition des revenus.

L'avis de M. W. Duisenberg, à l'époque président de l'Institut monétaire européen, a également été sollicité (annexe 1 du rapport de la Commission, Doc.parl. Sénat 1997-98, n° 1-707/3, p. 42) lequel a, en substance, déclaré:

La disposition en question est l'article 6 de l'actuelle loi organique de la BNB et l'article 14 des statuts de la Banque, selon laquelle: “A l'expiration du droit d'émission de la Banque, un cinquième du fonds de réserve est acquis par priorité à l'Etat. Les quatre cinquièmes restants sont répartis entre tous les actionnaires.” L'IME a été consulté à propos du projet de loi organique de la BNB (CON/96/10) qui reproduit cette disposition à l'article 31. Vous avez demandé notre opinion quant aux effets, sur ce projet de disposition, de l'application de l'article 105, a) [devenu 106] du traité et de l'article 16 du statut du SEBC concernant l'émission de billets dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire.

Vous savez que le projet de législation communautaire concernant l'introduction de l'euro (résolution du Conseil européen du 7 juillet 1997, JOCE C 236 du 2 août 1997) prévoit la poursuite de la situation actuelle quant à l'émission de billets par les banques centrales pendant la période transitoire. Le fait que la BNB conserve son droit d'émission durant cette période ne prête donc pas à controverse bien que l'article 105, a) [devenu 106] du traité s'applique, ce qui signifie que l'émission de billets de banque par les banques centrales est soumise à l'autorisation de la BCE.

Après l'expiration de la période de transition, l'article 105, a) [devenu 106] du traité et l'article 16 des statuts du SEBC maintiennent le droit d'émission des banques centrales nationales sous le contrôle de la BCE, tandis que la BCE peut également émettre des billets de banque. Selon le traité, le cours légal est réservé aux billets de banque émis par les banques centrales nationales et la BCE. De plus, l'article 32, paragraphes 2 et 4 des statuts du SEBC sur l'allocation du revenu monétaire des banques centrales nationales, prévoit la continuation de l'émission de billets de banque par les banques centrales nationales et la répartition des bénéfices qui en découlent aux banques centrales nationales selon une clé préétablie. Si l'on constate des pertes au niveau de la BCE, l'article 33, 2 des statuts du SEBC prévoit une compensation de ces pertes par du revenu monétaire suivant la même clé.

Par conséquent, le droit d'émission de la Banque ne cessera pas en phase III. Plutôt, il sera partagé entre la BCE et les banques centrales nationales de la zone Euro et sera exercé conformément aux règles établies par le conseil des gouverneurs de la BCE dont les gouverneurs respectifs sont membres. Le fait que le design des billets euro comportera les initiales de la BCE n'empêche pas l'identification de la banque centrale nationale émettrice par le biais d'un signe spécifique dans le numéro de série de chaque billet.

8. Les dispositions ainsi rappelées sont claires et ne nécessitent aucune question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

Dès lors que la BNB n'a pas perdu son droit d'émission et que la demande s'appuie sur la considération en fait contraire, il y a lieu de la dire non fondée.

(…)

b. Sur le transfert à l'Etat belge des plus-values sur les ventes d'or

10. Deminor et consorts ne formulent aucune demande à l'encontre de la BNB.

Ils se bornent à solliciter qu'il leur soit donné acte qu'ils se réservent tous droits quant aux transferts réalisés par la BNB en faveur de l'Etat belge et aux transactions immobilières ayant affecté le patrimoine de l'Etat belge. Ils sollicitent également la production de toute convention ou échange de courriers relatifs à un accord entre la BNB et l'Etat belge à propos de l'attribution à ce dernier des plus-values sur devises réalisées par la BNB.

En requérant qu'il lui soit donné acte d'une réserve, le demandeur sollicite que le juge lui accorde la constatation qu'il se ménage, pour l'avenir, la faculté d'exercer une action (de Leval, Eléments de procédure civile, Larcier, 2005, p. 36, n° 18, C). L'acte d'une réserve contient uniquement une constatation, et non une décision quant à la reconnaissance d'un droit au bénéfice d'une partie et à charge d'une autre partie. Il ne constitue pas une demande (Cass. 27 janvier 2000, Pas. 2000, I, p. 218).

Acter une réserve n'est pas utile si l'action projetée est dépourvue de tout fondement.

La cour statuera sur ce point après avoir examiné la demande dirigée contre l'Etat belge.

11. (…)

2. Sur la demande dirigée contre l'Etat belge
a. En ce qu'elle est liée à la demande dirigée contre la BNB

12. Comme l'a pertinemment rappelé le premier juge, si la demande en remboursement des plus-values réalisées sur les ventes d'or a pour finalité d'augmenter le fonds de réserve de la BNB afin que celui-ci soit ensuite distribué aux actionnaires, elle devient sans objet dès lors que la demande principale dirigée contre la BNB est dite non fondée.

b. En ce qu'elle serait indépendante

13. Deminor et consorts soutiennent que la question de la régularité des transferts des plus-values présente un intérêt pour eux, indépendamment de la question de la perte ou non du droit d'émission et de la répartition du fonds de réserve, dans la mesure où, en leur qualité d'actionnaires de la BNB, ils ont un droit à demander l'invalidation de toutes atteintes irrégulières et illégitimes à l'avoir social de la société et la réintégration de ces plus-values dans le patrimoine de la BNB et, à défaut de ce faire, la condamnation de l'Etat belge à les indemniser pour avoir appauvri indûment le patrimoine de la BNB dont ils sont actionnaires.

A. Description des opérations en cause

14. Deminor et consorts exposent qu'au cours des années précédant et accompagnant les différentes phases du passage à l'euro, la BNB a vendu un nombre important de ses actifs en or. A l'occasion de ces ventes, la BNB a réalisé d'importantes plus-values.

Ces plus-values ont été entièrement transférées à l'Etat belge. Ils soutiennent que ces transferts ont été imposés à la BNB, sans intervention de son assemblée générale, en violation des règles du traité CE imposant l'indépendance des banques centrales nationales ainsi que l'interdiction du financement par celles-ci de la politique budgétaire des Etats membres. Ils estiment qu'un montant d'environ 8,3 milliards d'euros a ainsi été transféré à l'Etat belge au cours d'une période de quelques années.

15. L'article 30 de la loi organique de la BNB dispose que:

Les plus-values réalisées par la Banque à l'occasion d'opérations d'arbitrage d'actifs en or contre d'autres éléments de réserves externes sont inscrites à un compte spécial de réserve indisponible. Elles sont immunisées de tout impôt.

[...]

Le revenu net des actifs formant la contrepartie des plus-values visées au 1er alinéa, est attribué à l'Etat.

Les éléments de réserves externes, acquis à la suite des opérations visées au 1er alinéa, sont couverts par la garantie de l'Etat, prévue à l'article 9, 2ème alinéa de la présente loi.

Les modalités d'application des dispositions prévues aux alinéas précédents sont réglées par des conventions à conclure entre l'Etat et la Banque. Ces conventions sont publiées au Moniteur belge.

L'article 105 du traité CE (devenu 127 du TFUE) dispose par ailleurs que la mission du Service européen des banques centrales (SEBC) et, partant des BCN, est, notamment, de détenir et de gérer les réserves officielles de change des Etats membres.

L'article 9bis de la loi organique de la BNB prévoit que:

Dans le cadre fixé par l'article 105, 2. du traité instituant la Communauté européenne et les articles 30 et 31 du protocole sur les statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne, la Banque détient et gère les réserves officielles de change de l'Etat belge. Ces avoirs constituent un patrimoine affecté aux missions et opérations relevant du présent chapitre et aux autres missions d'intérêt public confiées par l'Etat à la Banque. La Banque inscrit ces avoirs et les produits et charges y afférents dans ses comptes selon les règles visées à l'article 33.

Il n'est donc pas contestable que la BNB ne détient ni ne gère les réserves d'or de l'Etat belge pour son propre compte mais bien pour celui de la collectivité. En effet, les réserves de change présentent des traits particuliers par rapport aux autres actifs financiers. Ils ne sont pas vraiment la propriété des unités qui les gèrent. Ils sont la propriété de la nation qui est représentée en comptabilité nationale par les administrations publiques (Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique, éd. 2002, p. 104).

Il s'en déduit qu'en leur qualité d'actionnaires de la BNB, Deminor et consorts ne peuvent faire valoir aucun droit direct ou indirect sur les réserves d'or et les plus-values éventuellement constatées sur les ventes d'or.

16. En principe, ce n'est pas parce que le législateur a prévu l'indisponibilité des plus-values sur or que ce même législateur ne peut pas prévoir des dérogations en ordonnant le transfert à l'Etat belge de ces plus-values puisqu'il détenait ces réserves d'or pour son compte.

Les transferts mis en cause ont été opérés sur la base des dispositions légales et réglementaires suivantes:

- l'arrêté royal de pouvoirs spéciaux du 18 octobre 1996 (MB 15 novembre 1996, p. 29.049) qui prévoit que “Par dérogation à l'article 20bis, 1er alinéa, 1ère phrase de la loi du 24 août 1939 relative à la Banque Nationale de Belgique, le montant existant au 1er juillet 1996 de la plus-value réalisée à l'occasion des arbitrages d'actifs en or contre d'autres éléments de réserves externes, comptabilisée dans un compte spécial de réserve au bilan de la Banque Nationale de Belgique est versé à l'Etat”; il s'agit de 5.851,19 millions d'euros de plus-values réalisées sur les avoirs en or au 1er juillet 1996, affectés “à la constitution de provisions en vue de la mise en oeuvre de la garantie de l'Etat liée à l'exécution par la Banque Nationale de Belgique des accords de paiement conclus avec des états étrangers”, “à la prise en charge par l'Etat de la moins-value constatée sur les actifs externes de la Banque à la suite de l'ajustement monétaire de 1972” et “pour le solde, au remboursement d'une partie de la dette publique en devises”;

- la loi du 18 décembre 1998, publiée au Moniteur belge du 31 décembre 1998 (p. 42.110) et entrée en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge, soit le 31 décembre 1998 qui prévoit que: “Par dérogation à l'article 20bis, 1er alinéa, 1ère phrase de la loi du 24 août 1939 relative à la Banque Nationale de Belgique, le montant existant au 1er avril 1998 de la plus-value réalisée à l'occasion d'arbitrages d'actifs en or contre d'autres éléments de réserves externes et qui est comptabilisée dans un compte spécial de réserve au bilan de la Banque Nationale de Belgique, est versé à l'Etat”; ces versements correspondent à 2.291,87 millions d'euros de plus-values existantes au 1er avril 1998, affectés “au remboursement d'une partie de la dette publique en devises”;

- la loi du 10 décembre 2001 ('loi concernant le passage définitif à l'euro') qui a été publiée au Moniteur belge du 20 décembre 2001 (p. 44.202) prévoit que: “Par dérogation à l'article 30, 1er alinéa, 1ère phrase de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, la plus-value de 177.114.565,58 EUR réalisée à l'occasion de la cession d'actifs en or à la Banque centrale européenne est versée à l'Etat, qui affecte ce montant au financement du Fonds de vieillissement.”

Ces plus-values ont donc été transférées à l'Etat belge, non en sa qualité d'actionnaire de la BNB, mais en vertu de ses prérogatives de puissance publique exercées dans le cadre de lois votées par le Parlement.

Même si ces dispositions n'ont pas été attaquées en son temps devant la Cour d'arbitrage, il convient néanmoins de vérifier si elles ne sont pas entachées de nullité, comme Deminor et consorts le soutiennent.

B. Sur la violation du droit européen

17. Deminor et consorts soutiennent que les transferts litigieux violent le droit européen qui institue l'indépendance de la BNB (art. 108 du traité CE) et interdit le financement monétaire par les BCN (art. 101 du traité CE).

18. L'article 108 du traité CE (actuellement 130 du TFUE) interdit aux BCN d'accepter des instructions des gouvernements des Etats membres, lesquels s'engagent à ne pas chercher à influencer les membres des organes des BCN dans l'accomplissement de leurs missions.

Les lois qui ont ordonné les transferts litigieux n'avaient ni pour objet ni pour effet de donner des instructions à la BNB. Les plus-values ont été affectées par l'Etat belge à des fins de politique monétaire et de change ou d'autres missions d'intérêt public, comme le financement du Fonds de vieillissement.

Ces lois n'interféraient nullement avec l'exercice des pouvoirs conférés à la BNB par le traité CE et n'ont eu aucune incidence sur son autonomie financière. En tout cas, cela n'est pas démontré. Au demeurant, elles n'ont fait l'objet d'aucune remarque de l'Institut monétaire européen et de la BCE.

19. L'article 101 du traité CE (actuellement 123 du TFUE) interdit aux BCN d'accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux autorités publiques ou d'acquérir des instruments de leur dette.

Cette disposition est étrangère au cas d'espèce puisque les transferts visaient à verser à l'Etat belge les plus-values sur vente d'or que la BNB détenait pour son compte, afin de les affecter à des missions d'intérêt public. Il ne s'agit donc pas d'un crédit ni d'une acquisition d'un titre de la dette publique.

Dans deux avis, l'IME et la BCE ont confirmé la régularité de ces transferts au regard du droit européen (avis de l'IME du 15 mai 1998, CON/98/22, et avis de la BCE du 26 juin 2001, CON/2001/15).

20. Les transferts en cause ne sont pas contraires au droit européen.

C. Sur l'expropriation des actionnaires

21. Ainsi que cela a été rappelé plus haut, les avoirs en or de la BNB et, partant, les plus-values réalisées sur les ventes d'or ne font pas partie de son avoir social au sens de l'article 4 de ses statuts. Les actionnaires n'ont donc aucune espérance légitime de pouvoir s'approprier un jour les réserves de change de l'Etat belge.

Ne pouvant faire valoir un droit direct ou indirect sur ces actifs, les actionnaires de la BNB ne peuvent soutenir qu'ils seraient victimes d'une expropriation lorsque ces plus-values sont transférées à l'Etat belge.

Au demeurant, lors de l'assemblée générale du 19 décembre 1988, insérant un article 37bis dans les statuts de la Banque, il a été précisé par le président de l'assemblée que:

La conservation de la plus-value réalisée sur or, comme partie intégrante des réserves externes du pays, n'implique pas que la Banque, et, en cas de liquidation, ses actionnaires, puissent en être considérés comme les ayants droit économiques.

Le droit de propriété de la Banque sur ces actifs en or peut en effet être considéré comme de nature fiduciaire et doit être exercé conformément aux intérêts économiques du pays.

En cas de liquidation de la Banque, le solde du compte de réserve relatif aux plus-values sur or revient à l'Etat, à moins que le législateur ne lui attribue une autre affectation.

22. Le moyen tiré de la violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé.

D. Sur la violation des statuts et du contrat de société

23. Ainsi que cela a été rappelé plus haut, les plus-values réalisées par la BNB sur ses réserves de change ont été transférées à l'Etat belge non en sa qualité d'actionnaire de la BNB agissant dans le cadre du fonctionnement organique de celle-ci, mais en vertu de ses prérogatives de puissance publique exercées dans le cadre de lois votées par le Parlement.

C'est également au nom de l'Etat souverain et pas sur instruction de l'actionnaire prépondérant de la BNB qu'ont été promulguées les lois autorisant les transferts litigieux.

Toutes les considérations de Deminor et consorts sur l'existence d'un contrat de société entre eux et l'Etat belge ou sur l'exécution de bonne foi des conventions sont dès lors irrelevantes.

24. Le moyen tiré d'une violation du contrat de société et des statuts de la BNB n'est pas fondé.

E. Sur la faute quasi-délictuelle commise par l'Etat belge

25. (…)