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Actualité : Cour de justice de l'Union européenne, 22/11/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 101-102

Cour de justice de l'Union européenne 22 novembre 2011

Aff.: n° C-323/09
MARQUE - MARQUE COMMUNAUTAIRE
Etendue de la protection - Publicité sur Internet - Fonctions de la marque - Protection contre le risque de confusion - Marque renommée


MERK - GEMEENSCHAPSMERK
Beschermingsomvang gemeenschapsmerk - Reclame op Internet - Functie van het merk - Verwarringsgevaar - Bekend merk


Dans un arrêt rendu le 22 septembre 2011, la Cour de justice a été une nouvelle fois amenée à se prononcer sur l'étendue de la protection d'une marque contre l'usage de celle-ci sur Internet et plus précisément dans le cadre du système de référencement 'Adwords' exploité par Google.

En l'espèce, la société Interflora, qui exploite un réseau mondial de livraison de fleurs, reprochait à la société Marks & Spencer, qui développe une activité commerciale concurrente au Royaume-Uni, d'avoir notamment enregistré le terme 'Interflora' en tant que mot-clé dans le cadre du service Adwords exploité par Google. Ainsi, lorsque l'internaute entrait le mot 'Interflora' comme terme de recherche dans le moteur de recherche de Google, une annonce de la société Marks & Spencer apparaissait.

La société Interflora s'opposa à l'usage de sa marque communautaire devant les juridictions britanniques. Saisie sur question préjudicielle par la High Court of Justice (England & Wales), la Cour de justice se prononce sur plusieurs aspects de l'usage non consenti, par un concurrent, dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de mots-clés identiques à une marque.

Dans son arrêt, la Cour rappelle tout d'abord que “le titulaire de la marque est habilité à interdire ledit usage seulement si celui-ci est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque”. Si, selon la Cour, la fonction principale de la marque est la 'fonction d'origine', d'autres fonctions peuvent lui être attribuées, “telles que celles consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité”. A notre connaissance, il s'agit de la première fois que la Cour de justice fait ainsi référence à une telle fonction d'investissement. Cette fonction, selon la Cour, doit être distinguée de la fonction publicitaire car l'usage de la marque en vue d'acquérir ou de conserver une réputation susceptible d'attirer les consommateurs ne peut être limité à l'usage dans la publicité.

La Cour ajoute que si “la marque est toujours censée remplir sa fonction d'origine”, “elle n'assure ses autres fonctions que dans la mesure où son titulaire l'exploite en ce sens, notamment à des fins de publicité ou d'investissement”.

La Cour examine dès lors si, dans le cadre d'une annonce 'Google Adwords', l'utilisation par un concurrent d'une marque d'autrui comme mot-clé porte atteinte aux différentes fonctions de la marque.

Selon la Cour, il y a atteinte à la fonction d'origine de la marque “lorsque l'annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers”. Il y aura ainsi atteinte à cette fonction d'origine si l'usage de la marque Interflora par Marks & Spencer risque de faire croire erronément aux internautes que le service de livraison de fleurs proposé par Marks & Spencer fait partie du réseau commercial d'Interflora. Cet enseignement est conforme à l'arrêt Google et Google France rendu précédemment par la Cour de justice.

Dans le prolongement de ce même arrêt, la Cour considère également que le simple fait de contraindre le titulaire d'une marque à des efforts accrus pour assurer la visibilité de la marque ne suffit pas à démontrer une atteinte à la fonction publicitaire de la marque.

Il y aura, enfin, atteinte à la fonction d'investissement lorsque l'usage de la marque protégée par un concurrent “gêne de manière substantielle l'emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs”. En outre, “dans une situation où la marque bénéficie déjà d'une telle réputation, il est porté atteinte à la fonction d'investissement lorsque l'usage par le tiers (…) affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci”. de manière assez similaire à ce qu'elle décide concernant l'atteinte à la fonction de publicité, la Cour décide, concernant la fonction d'investissement, que l'usage d'une marque par un concurrent ne peut être interdit “si cet usage a pour seule conséquence d'obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs”.

La Cour de justice se prononce ensuite sur l'étendue de la protection d'une marque renommée, dans le cadre d'un litige de ce type, contre le préjudice porté au caractère distinctif de la marque (dilution) et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme).

Pour la Cour, l'usage d'une marque renommée porte effectivement préjudice au caractère distinctif de cette marque “lorsqu'il contribue à la dénaturation de ladite marque en terme générique”. Toutefois, dans le cadre d'un système de référencement sur Internet, la capacité distinctive de la marque ne sera pas réduite, selon la Cour, dès lors qu'il n'y a pas d'atteinte à la fonction d'origine de la marque, c'est-à-dire lorsque l'internaute comprend “que les produits ou les services offerts proviennent non pas du titulaire de la marque renommée mais, au contraire, d'un concurrent de celui-ci”.

Dans un second temps, la Cour décide que l'utilisation par un concurrent d'une marque renommée comme mot-clé dans le cadre d'un service de référencement sur Internet serait parasitaire seulement si les produits en cause sont 'des imitations' des produits du titulaire de la marque. La Cour conclut en indiquant que “le titulaire d'une marque renommée n'est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots-clés correspondant à cette marque et proposant, sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de ladite marque, sans causer une dilution ou un ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque renommée, une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci”.