Article

Cour de cassation, 30/06/2011, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 894-896

Cour de cassation 30 juin 2011

CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Réorganisation judiciaire par accord collectif - Statut de la créance du fisc
Aux termes de l'article 172, 2ème alinéa de la Constitution, nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi.Article 7 de la loi sur la continuité des entreprises, selon lequel cette loi pas pour objet de modifier des lois antérieures ni d'y apporter une dérogation sauf lorsqu'une modification ou une dérogation résulte d'un texte exprès de cette loi, n'impose pas que la loi précise expressément à quelles lois elle entend déroger.Il suit des articles 2 et 49 précités que les créances d'impôt sont, au sens de la loi, des créances sursitaires ordinaires auxquelles un plan de réorganisation peut imposer des abattements.
CONTINUITEIT VAN ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Gerechtelijke reorganisatie door collectief akkoord - Statuut schuldvordering fiscus
Luidens artikel 172, tweede lid van de Grondwet, kan geen vrijstelling of vermindering van belasting worden ingevoerd dan door een wet.Artikel 7 van de Wet betreffende de continuïteit van de ondernemingen, volgens hetwelk deze wet niet tot strekking heeft oudere wetten te wijzigen of hierop uitzonderingen aan te brengen tenzij wanneer een wijziging of een uitzondering voortvloeit uit een uitdrukkelijke tekst van de wet, vereist niet dat uitdrukkelijk zou worden vermeld van welke wetten wordt afgeweken.Uit de artikelen 2 en 49 van de Wet betreffende de continuïteit van de ondernemingen volgt dat fiscale vorderingen gewone schuldvorderingen in de opschorting zijn, waarvan het reorganisatieplan kan voorzien in verminderingen.

Etat belge / Target Lighting SA

Siég.: P. Mathieu (président de section), D. Batselé, Ch. Matray, S. Velu et M. Regout (conseillers)
MP: A. Henkes (avocat général)
Pl.: Mes Fr. T'Kint et P.A. Foriers
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 mars 2010 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 30 mai 2011, l'avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.

A l'audience du 30 juin 2011, le conseiller Christine Matray a fait rapport et l'avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- article 172 de la Constitution;

- articles 7 et 55 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt homologue le plan de réorganisation de la défenderesse, approuvé par les créanciers sursitaires à l'audience du tribunal de commerce de Bruxelles du 21 octobre 2009, par application de l'article 55 de la loi du 31 janvier 2009.

Ce plan, aux termes de l'arrêt, prévoit la réduction de la créance du demandeur.

L'arrêt justifie comme suit le rejet du moyen de défense du demandeur suivant lequel tout plan de réorganisation judiciaire qui contiendrait une réduction en capital d'une créance fiscale serait contraire à l'article 172 de la Constitution et à l'article 7 de la loi:

“Le plan prévoit de traiter les créances du fisc et de l'ONSS comme des créances sursitaires ordinaires et de leur appliquer, comme aux autres, des réductions et un étalement des paiements.

L'article 2 de la loi dispose qu'il faut entendre par créances sursitaires ordinaires celles qui ne sont pas extraordinaires.

Sont extraordinaires les créances sursitaires garanties par un privilège spécial ou une hypothèque et les créances des créanciers-propriétaires.

Il se déduit de cette disposition légale très claire que les créances du fisc et de l'ONSS ne sont pas des créances extraordinaires.

Les travaux préparatoires démontrent en outre la volonté du législateur de traiter le fisc comme l'ONSS comme des créanciers sursitaires ordinaires. En effet, le texte actuel de l'article 2 résulte d'un amendement déposé à la Chambre par le ministre de la Justice, le 10 juin 2008, justifié comme suit (Doc.parl. Chambre, n° 52, 0160/002, p. 45):

'Les créances de l'administration des impôts, de la sécurité sociale et des créanciers privilégiés généraux en général constituent des créances sursitaires ordinaires.

La modification des droits du fisc par rapport à la loi relative au concordat judiciaire a pour objectif d'assurer, dans le cadre des procédures visant au redressement de l'entreprise, et bien entendu sans préjudice des sûretés et privilèges institués par la loi hypothécaire ou par des lois particulières, le traitement égal de tous les créanciers, qu'ils soient publics ou privés, et de faire en sorte que chacun de ces derniers apporte sa juste part au redressement de l'entreprise dans l'intérêt général.'

La doctrine est également sans équivoque à cet égard (…).

Le fait d'avoir proposé des réductions pour les créances du fisc et de l'ONSS n'est donc pas contraire à l'ordre public.

Vainement, l'Etat belge et l'ONSS persistent-ils à soutenir, comme ils l'ont fait devant les juridictions d'instance (...), que la loi du 31 janvier 2009 violerait l'article 172 de la Constitution.

Comme le rappelle avec pertinence le tribunal de commerce de Nivelles, les dispositions incriminées de la loi ont un statut légal dans la mesure où la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises constitue une loi au sens de la Constitution. Le principe de l'exception ou de la modération d'impôt instauré par la nouvelle loi a donc un statut légal vu qu'il est établi par une loi. Toute modification ou dérogation ne doit pas nécessairement être expresse ou explicite: elle peut résulter de la loi qui emporte clairement modification ou dérogation. Il ressort sans équivoque de la conjonction des articles 49 et 50 de la loi que celle-ci prévoit la possibilité d'un abattement de nature fiscale. La loi ne considère en effet plus le fisc comme un créancier privilégié pour l'application de l'article 50 de la loi, mais bien comme un créancier sursitaire ordinaire. Celui-ci ne jouit donc plus, en vertu de la loi nouvelle, du régime de faveur qui lui était, de manière expresse, reconnu par la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire.

Il en résulte donc qu'un plan qui prévoit une réduction du montant de l'impôt ne viole ni l'article 172 de la Constitution ni l'ordre public.

Au demeurant, en matière d'excusabilité où les créances du fisc peuvent également faire l'objet d'une remise de dette, laquelle est même totale, la Cour d'arbitrage a dit pour droit, dans son arrêt 132/2000 du 13 décembre 2000, que l'article 172 de la Constitution n'interdit pas d'attacher dans la loi même la conséquence d'une remise de dette fiscale à une déclaration d'excusabilité dont cette loi prévoit qu'elle peut être prononcée par le tribunal ordonnant la clôture de la faillite. Le législateur peut donc attacher un effet de réduction ou d'exemption d'impôt à une décision judiciaire motivée et fondée sur des critères objectifs. De même dans son arrêt 113/2002 du 16 juin 2002, interrogée sur la conformité de l'article 82 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites aux articles 10 et 11 de la Constitution et au principe d'égalité des Belges devant la loi et devant l'impôt, la Cour d'arbitrage a répondu qu'il n'existait aucune inconstitutionnalité, en tant que cette disposition implique une différence de traitement entre les créanciers d'un failli excusé et les créanciers d'un failli non excusé. Elle a confirmé sa jurisprudence dans les arrêts 78/2004 du 12 mai 2004 et 6/2005 du 12 janvier 2005, relatifs au paiement d'un précompte immobilier et de l'impôt des personnes physiques.

Ce qui est valable en matière d'excusabilité l'est également pour la réorganisation judiciaire dès lors qu'il est tout aussi proportionnel et objectif de mettre le fisc sur le même pied que les créanciers ordinaires en vue de favoriser la continuité d'une entreprise gravement menacée et faire en sorte que chacun de ces derniers apporte sa juste part au redressement de l'entreprise dans l'intérêt général.”

En substance, l'arrêt attaqué décide ainsi que:

1° il se déduit de l'article 2 de la loi relative à la continuité des entreprises que les créances du fisc et de l'ONSS ne constituent pas des créances sursitaires extraordinaires;

2° de la volonté du législateur de ranger le fisc et l'ONSS parmi les créanciers sursitaires ordinaires se déduit implicitement cette autre volonté du législateur de déroger à l'article 172 de la Constitution dès lors que, suivant l'article 49 de la loi, la réduction en capital constitue l'une des mesures que peut prévoir le plan à l'égard des créanciers sursitaires ordinaires.

Griefs

Si le demandeur ne conteste pas que, au regard de la loi du 31 janvier 2009, le fisc doive être considéré comme un créancier sursitaire ordinaire en ce qui concerne les créances fiscales non garanties par une inscription hypothécaire et dont le fait générateur est antérieur au jugement prononçant l'ouverture de la procédure et qu'il ait perdu son statut de créancier préférentiel dans le cadre de la loi sur le concordat judiciaire, il considère que, la loi étant muette à cet égard, il ne peut se déduire de sa qualité de créancier sursitaire ordinaire aucune dérogation à l'article 172 de la Constitution.

En effet, l'abattement en capital n'est que l'une des mesures visées par l'article 49 de la loi relative à la continuité des entreprises et n'est ni systématique ni obligatoire. A défaut de dérogation expresse dans le texte de la loi à l'article 172 de la Constitution, il doit être conclu qu'en dépit de la qualité de créancier sursitaire ordinaire du fisc, l'une des mesures prévues audit article 49, l'abattement en capital, ne lui est pas applicable.

Aucune des dispositions de la loi du 31 janvier 2009 ne permet de déroger à l'article 172 de la Constitution en vertu duquel: “II ne peut être établi de privilège en matière d'impôt. Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi” et que, par conséquent, la perte de son statut de créancier préférentiel ne saurait justifier un plan de réorganisation rendant possible la réduction des créances fiscales.

C'est également à tort que l'arrêt attaqué a décidé que: “Toute modification ou dérogation ne doit pas nécessairement être expresse ou explicite: elle peut résulter de la loi qui emporte clairement modification ou dérogation.”

L'article 7 de la loi relative à la continuité des entreprises précise en effet: “Sauf lorsqu'une modification ou une dérogation résulte d'un texte exprès de la loi, celle-ci n'a pas pour objet de modifier des lois antérieures ni d'apporter une dérogation.”

Cette disposition est rédigée en termes généraux et non équivoques.

Elle est de plus intégrée dans le titre 1er de la loi, intitulé 'Dispositions générales'.

Il ne saurait être question d'en limiter le champ d'application à quelques lois particulières.

L'article 7 de la loi relative à la continuité des entreprises ne comporte en lui-même aucune ambiguïté en indiquant que la loi n'a pour objet de modifier des lois antérieures ou d'y déroger qu'en vertu d'un texte exprès de celle-ci.

La loi sur la continuité des entreprises n'a donc pu déroger expressément à une disposition, l'article 172 de la Constitution, dont il n'est fait mention ni dans le texte même de la loi ni dans ses travaux préparatoires.

L'arrêt attaqué a, par conséquent, violé l'article 7 de la loi relative à la continuité des entreprises.

En homologuant le plan, il a aussi violé l'article 172 de la Constitution, disposition d'ordre public, et, par ce biais, l'article 55 de la loi relative à la continuité des entreprises, lequel stipule que “l'homologation ne peut être refusée qu'en cas d'inobservation des formalités requises par la présente loi ou pour violation de l'ordre public”.

III. La décision de la Cour

Aux termes de l'article 172, 2ème alinéa de la Constitution, nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi.

Conformément à l'article 2 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises, il y a lieu notamment de distinguer entre les créanciers sursitaires ordinaires et les créanciers sursitaires extraordinaires, ceux-ci étant titulaires d'une créance sursitaire garantie par un privilège spécial ou une hypothèque ou étant créanciers-propriétaires.

L'article 7 de la même loi dispose que sauf lorsqu'une modification ou une dérogation résulte d'un texte exprès de cette loi, celle-ci n'a pas pour objet de modifier des lois antérieures ni d'y apporter une dérogation.

Cet article n'impose pas que la loi précise expressément à quelles lois elle entend déroger.

L'article 49 de cette loi prévoit que le plan de réorganisation judiciaire indique les délais de paiement et les abattements de créances sursitaires en capital et intérêts proposés.

Ainsi que les travaux préparatoires l'indiquent, il suit des articles 2 et 49 précités que les créances d'impôt sont, au sens de la loi, des créances sursitaires ordinaires auxquelles un plan de réorganisation peut imposer des abattements.

L'arrêt considère que “toute modification ou dérogation ne doit pas nécessairement être expresse ou explicite: elle peut résulter du texte de la loi qui emporte clairement modification ou dérogation” et, par référence aux travaux préparatoires de la loi précitée, qu'il s'agit d'une “modification des droits du fisc par rapport à la loi relative au concordat judiciaire” qui “a pour objectif d'assurer, dans le cadre des procédures visant au redressement de l'entreprise, et bien entendu sans préjudice aux sûretés et privilèges institués par la loi hypothécaire ou par des lois particulières, le traitement égal de tous les créanciers, qu'ils soient publics ou privés, et de faire en sorte que chacun de ces derniers apporte sa juste part au redressement de l'entreprise dans l'intérêt général”.

En homologuant sur la base de ces considérations le plan de réorganisation imposant au demandeur des abattements d'impôt, l'arrêt attaqué ne viole aucune des dispositions visées au moyen.

Le moyen ne peut être accueilli.

Le rejet du pourvoi prive d'intérêt les demandes en déclaration d'arrêt commun.

Par ces motifs,

LA COUR

Rejette le pourvoi et les demandes en déclaration d'arrêt commun;

Condamne le demandeur aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 5.706,08 EUR envers la partie demanderesse, à la somme de 261,27 EUR envers la partie défenderesse et à la somme de 149,61 EUR envers la onzième partie appelée en déclaration d'arrêt commun.

(…)