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Inventaire des actifs de faillite et valorisation par le curateur, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 847-852

Inventaire des actifs de faillite et valorisation par le curateur

Jean-Philippe Lebeau [1]
RESUME
L'audit des tribunaux de commerce réalisé par le Conseil supérieur de la Justice a mis en évidence la disparité des pratiques au sein de ces juridictions, dans la manière dont les curateurs s'acquittent de leur mission de valorisation des actifs de faillite. Pour remédier à cette situation, le Conseil supérieur recommande qu'en application de l'article 43 de la loi sur les faillites, des directives précises soient données aux curateurs pour que dès l'inventaire, ceux-ci procèdent à une évaluation chiffrée des actifs.
Cette position est classique en doctrine et pourtant elle suscite deux problèmes.
Sur un plan pratique, les tribunaux peinent à assurer la mise en oeuvre d'un tel prescrit, en raison de l'irréalisme du postulat selon lequel le curateur serait en mesure d'évaluer les actifs à peine les avoir identifiés.
Sur le plan légal, il est douteux que l'article 43 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites fournisse un fondement approprié à une supposée obligation de valoriser les actifs en concomitance avec l'inventaire.
S'il va de soi que les actifs de faillite doivent être évalués, cette obligation trouve aujourd'hui son bien-fondé, non dans l'article 43 L.Faill. relatif à l'inventaire mais plutôt dans l'article 54, 2ème alinéa L.Faill. qui prescrit au curateur de procéder “à la vérification et à la rectification du bilan”.
Il reste alors à déterminer dans quel délai le curateur sera tenu de mener à bien l'estimation des actifs. La réponse se situe à l'article 60, 1er alinéa L.Faill. qui impose aux curateurs, dans les deux mois de leur entrée en fonctions, de remettre au juge-commissaire un mémoire ou compte sommaire de l'état apparent de la faillite; en effet, les renseignements fournis dans le mémoire par le curateur doivent porter entre autres sur l'ampleur de l'actif et du passif, ce qui implique d'avoir procédé préalablement à l'évaluation actualisée des actifs.
Cette interprétation des dispositions légales concernées tend à l'efficience: elle permet aux différents acteurs de la faillite et stakeholders de se référer à une norme raisonnable car n'imputant pas au curateur des devoirs difficiles à respecter dans la pratique, et compréhensible parce qu'elle met en place une progression chronologique évidente dans les obligations dont le curateur ne peut s'exonérer: celle qui lui impose de faire inventaire dès l'entame de la faillite et celle qui lui prescrit, dans les deux mois de son entrée en fonction, d'estimer les biens du failli et d'établir un état comptable.
SAMENVATTING
De door de Hoge Raad voor de Justitie uitgevoerde doorlichting van de rechtbanken van koophandel heeft de aandacht gevestigd op de uiteenlopende praktijken binnen die rechtbanken met betrekking tot de wijze waarop de curators hun taak vervullen wat de schatting van de activa van het faillissement betreft. Om hieraan te verhelpen, beveelt de Hoge Raad aan dat er bij toepassing van artikel 43 van de faillissementswet ('Faill.W.'), aan de curators precieze richtlijnen zouden worden gegeven opdat de curators, onmiddellijk bij het opstellen van de boedelbeschrijving, tot een becijferde schatting van de activa zouden overgaan.
In de rechtsleer is die stelling klassiek en toch is zij in een dubbel opzicht problematisch.
Op praktisch vlak, hebben de rechtbanken het moeilijk om een coherente uitvoering van zo een verplichting te regelen, gelet op het onrealistische postulaat dat de curator de mogelijkheid zou hebben om activa te schatten waarvan hij nog maar pas de lijst heeft opgesteld.
Op wettelijk vlak kan eraan worden getwijfeld dat artikel 43 van de faillissementswet ('Faill.W.') als grond zou kunnen worden ingeroepen voor een vermeende verplichting om de activa te schatten op het ogenblik van het opstellen van de boedelbeschrijving.
Hoewel het voor zich spreekt dat de activa van het faillissement het voorwerp van een schatting moeten uitmaken, vindt die verplichting vandaag haar grondslag niet in artikel 43 Faill.W., betreffende de boedelbeschrijving, maar eerder in artikel 54, 2de lid Faill.W., dat aan de curator de verplichting oplegt om “over [te gaan] tot verificatie en verbetering van de balans”.
Er moet dan alleen nog worden bepaald binnen welke termijn de curator met de schatting van de activa zal moeten rond zijn. Het antwoord bevindt zich in artikel 60, 1ste lid Faill.W., dat aan de curators de verplichting oplegt om, binnen twee maanden na hun ambtsaanvaarding, aan de rechter-commissaris een memorie of kort verslag te overhandigen betreffende de vermoedelijke toestand van het faillissement; de door de curator in de memorie verstrekte inlichtingen moeten immers onder meer op de omvang van de activa et de passiva slaan, hetgeen veronderstelt dat eerst is overgegaan tot de geactualiseerde schatting van de activa.
Die interpretatie strekt tot efficiëntie: zij maakt het voor de verschillende actoren van het faillissement en voor de stakeholders mogelijk om zich naar een redelijke norm te gedragen, nu die norm de curator geen verplichtingen oplegt die in de praktijk moeilijk kunnen worden nageleefd, en zij begrijpelijk is vermits zij een evidente chronologische progressie organiseert binnen de verplichtingen waaraan de curator zich niet kan onttrekken: de verplichting om onmiddellijk bij het begin van het faillissement een boedelbeschrijving op te stellen en de verplichting om, binnen de twee maanden na zijn ambtsaanvaarding, de goederen van de gefailleerde te schatten en een boekhoudkundige staat op te stellen.

1.Les opérations de faillite débutent classiquement avec l'application de l'article 43 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ('L.Faill.'), selon lequel [d]ès leur entrée en fonctions, les curateurs procèdent, sans désemparer et sous la surveillance du juge-commissaire, à l'inventaire des biens du failli…”.

Dans son audit récent des tribunaux de commerce [2], le Conseil supérieur de la Justice ('CSJ') fonde certaines de ses recommandations sur l'obligation qui s'imposerait au curateur d'estimer les actifs dès les premiers jours de la faillite, dans le cadre de l'inventaire prévu par cette disposition.

Le CSJ assigne en effet comme objectif aux tribunaux de commerce de [s]'assurer que l'inventaire reprenne l'identification précise ainsi que l'évaluation de chaque bien séparément [3], ce qui permettra “aux créanciers de mettre en évidence toute dissimulation d'actifs ainsi que la vente d'objets à des prix artificiellement modiques” [4].

Le CSJ préconise dès lors que les directives adoptées par les présidents de juridictions commerciales en concertation avec les juges-commissaires et les curateurs, prévoient 'une évaluation chiffrée' de l'inventaire, “avec des points de comparaison pour les biens immobiliers” [5], et plus loin qu'il ne soit fait appel à des tiers auxiliaires que lorsque l'inventaire nécessite un travail de spécialiste, “essentiellement pour la description et l'évaluation” [6].

Rien d'anormal dans cette position: le CSJ est en bonne compagnie puisqu'il se réfère à l'enseignement unanime et intemporel de la doctrine.

Pourtant, dans le cadre de cet audit, les échanges entre présidents de tribunaux de commerce et représentants du Conseil supérieur de la Justice ont montré que, s'agissant du contenu exact des opérations d'inventaire, l'interprétation de la loi était loin d'être constante au sein des juridictions consulaires.

Or, en cette matière d'aspect essentiellement pratique, il est peu probable que la jurisprudence soit amenée à jouer le rôle de clarification qui est d'habitude le sien: une insuffisance constatée de facto dans la réalisation des opérations d'inventaire exercera le cas échéant des répercussions sur la désignation d'un curateur, rarement sur l'issue d'un procès, et il est plus douteux encore qu'une juridiction ait à se prononcer sur la question de principe du contenu exact de l'inventaire.

Dès lors, nous tenterons de vérifier pourquoi, alors que les juridictions commerciales tendent à l'unification de leurs pratiques [7], le problème de la valorisation de l'inventaire reste aussi diversement abordé dans les différents arrondissements, pour ensuite proposer une réponse cohérente aux deux questions qui interpellent les praticiens:

    • l'inventaire de faillite inclut-il une obligation concomitante de valorisation des actifs?
    • dans la négative, à quel moment le curateur est-il tenu de faire face à cette obligation?

    La solution qui est proposée nuance la position adoptée jusqu'ici par la doctrine, puisqu'elle part du principe que la loi ne contraint pas le curateur à évaluer les actifs dès l'entame de la faillite, dans le sillage immédiat de la description des biens du failli. Nous en expliquons ci-dessous les raisons [8].

    2.L'article 43 L.Faill. qui régit l'obligation d'inventaire du curateur est en fin de compte assez laconique:

    “Dès leur entrée en fonctions, les curateurs procèdent, sans désemparer et sous la surveillance du juge-commissaire, à l'inventaire des biens du failli, lequel est présent ou dûment appelé. Le juge-commissaire signe l'inventaire. L'inventaire signé est déposé au greffe du tribunal pour être joint au dossier de la faillite.

    L'inventaire décrit séparément chacun des biens prévus à l'article 16, 2ème alinéa [9].

    Les curateurs peuvent, avec l'autorisation du juge-commissaire, se faire aider, sous leur responsabilité, pour la rédaction de l'inventaire comme pour l'estimation des objets, pour la conservation des actifs et pour leur réalisation, par qui ils jugent convenable. (...)” [10].

    De ce libellé, la plupart des auteurs qui commentent la loi du 8 août 1997 sur les faillites concluent que la valorisation des biens du failli par le curateur a lieu dans le cadre de l'inventaire, c'est-à-dire en tout début de faillite [11].

    C'était déjà le cas sous l'ancienne loi du 18 avril 1851 [12] mais avec plus d'arguments; l'article 488 du Code de commerce prévoyait en effet que:

    “Dans les trois jours de leur entrée en fonctions, les curateurs (...) procèdent à l'inventaire des biens du failli (...)

    Les curateurs pourront avec l'autorisation du juge-commissaire se faire aider pour sa rédaction comme pour l'estimation des objets par qui ils jugeront convenable.”

    Un examen attentif du texte montre que l'ancien article 488 C.comm. était tout entier consacré à l'inventaire, en sorte que - légitimement - l'estimation des objets pouvait être considérée comme incluse dans l'obligation mise à charge du curateur de réaliser inventaire, même si elle n'était évoquée que de manière incidente par le biais de l'aide éventuelle apportée au curateur par un tiers auxiliaire.

    Or, tel n'est plus le cas de l'article 43 L.Faill., dont on s'apercevra que, par un glissement de rédaction du texte, il présente maintenant un caractère hybride: cette disposition qui remplace l'ancien article 488 C.comm. a toujours trait à l'inventaire, mais au surplus elle énumère en son 3ème alinéa chacune des circonstances qui justifie la demande du curateur de recourir à un tiers auxiliaire, à savoir la rédaction de l'inventaire, l'estimation des objets mais aussi la conservation des actifs et leur réalisation, diligences qui sortent absolument du cadre des opérations d'inventaire.

    En d'autres termes, le texte qui règle l'intervention de tiers spécialisés, de portée particulière dans l'ancien article 488 C.comm. puisqu'il traitait uniquement de l'inventaire, a acquis une portée générale dans l'article 43 L.Faill. dès lors qu'il définit maintenant l'ensemble du cadre de cette intervention. Aussi, c'est avec justesse que, dans son Manuel, I. Verougstraete identifie sous le titre “L'inventaire et la collaboration d'experts” [13], l'examen consacré à l'article 43 L.Faill.

    Il ressort de cette analyse que le libellé actuel de l'article 43 ne permet plus d'affirmer, ainsi qu'il en était de l'ancien article 488 C.comm., qu'en évoquant les possibilités de recours à un tiers spécialisé, le législateur de 1997 aurait entendu imposer au curateur de valoriser les actifs de faillite dès la rédaction de l'inventaire.

    3.Au demeurant, les praticiens conçoivent bien la difficulté pour le curateur de procéder à une évaluation crédible des actifs dès le début des opérations de faillite: comment imaginer en effet que descendant aux premières heures de la faillite [14] dans une entreprise qu'il ne connaît pas, confronté à un domaine d'activité où il ne justifie en règle d'aucune spécialisation et à des données comptables qu'il découvre, à supposer qu'elles existent, le curateur soit en mesure - 'au débotté' - de procéder à une estimation des actifs suffisamment précise et objective pour que les valeurs retenues puissent, le cas échéant, lui être opposées s'il vendait certains actifs à des prix inférieurs à l'estimation initiale, faite par hypothèse dans la précipitation et sous l'influence du failli.

    Face à l'irréalisme de ce postulat, on comprend que les curateurs soient réticents à envisager sérieusement toute tâche de valorisation immédiate des actifs, et que les tribunaux de commerce traitent prudemment de l'existence d'une telle obligation - ou des modalités de sa mise en oeuvre - dans les directives qu'ils émettent.

    C'est sans doute la raison pour laquelle la matière reste marquée par des pratiques fluctuantes et mal assurées, dont se fait l'écho l'audit du CSJ sur la base des informations recueillies dans les tribunaux [15]. Selon l'enquête du CSJ, certains tribunaux ne disposent d'aucune directive particulière en la matière, d'autres attendent du curateur que l'inventaire comprenne une évaluation chiffrée, d'autres encore ne font dans leurs directives aucune référence à une obligation de valoriser, tandis qu'une dernière juridiction indique que 'dans la mesure du possible', il doit être veillé à l'évaluation, même sommaire, des biens inventoriés...

    A ce stade, on peut dire que l'imprécision confine à l'indécision face à une norme ressentie comme peu adaptée.

    4.S'il n'est pas en soi négatif que la loi sur les faillites soit, dans certaines de ses dispositions, d'une précision relative - car un léger flou peut, dans cette matière complexe, favoriser une certaine adaptabilité - trop d'incertitude dans l'application de la norme conduit à des pratiques atomisées entre arrondissements - ou aux contours mal définis -, sources d'insécurité pour les acteurs de la faillite ou autres stakeholders, car personne ne sait au juste à quelles obligations les curateurs doivent faire face ni corrélativement à quel contrôle les autorités judiciaires sont tenues de procéder.

    5.Essayons dès lors de suivre un fil rouge crédible, dans l'obligation incontestable mise par la loi à charge du curateur de décrire puis d'évaluer les actifs du failli.

    L'article 43 L.Faill. indique que le curateur est tenu de procéder 'sans désemparer' à l'inventaire des biens du failli. Cette disposition ne définit pas en termes généraux le contenu de l'obligation d'inventaire mais elle se montre plus précise lorsqu'elle traite, en particulier, de l'inventaire des biens visés à l'article 1408 du Code judiciaire, c'est-à-dire les biens dont le failli conserve la disposition malgré le dessaisissement qu'opère le jugement déclaratif de faillite.

    Le 2ème alinéa de l'article 43 L.Faill. dispose en effet que “l'inventaire décrit séparément chacun (de ces biens). Il en résulte que l'objet de l'inventaire est de décrire scrupuleusement tous les actifs du failli; l'on relèvera dans le même sens que le texte néerlandais de la loi utilise le terme 'beschrijving' plutôt que 'inventaris' [16].

    Cette description aussi précise que possible porte sur chacun des actifs mobiliers et immobiliers, ce qui inclut:

      • tous les biens mobiliers dépendant de la faillite (matériel, véhicules, équipements, marchandises et matières premières, effets mobiliers), en ce compris chacun des biens qui sont laissés à la disposition du failli ainsi que les biens susceptibles de faire l'objet d'une revendication de la part d'un tiers;
      • les biens immeubles;
      • les avoirs du failli en banque;
      • l'encaisse;
      • les créances (commerciales et autres);
      • une liste des documents comptables, sociaux ainsi que les registres légaux (des parts, du personnel, etc.) remis au curateur par le failli (ceci afin d'éviter que le failli ne prétende les avoir remis au curateur, alors que celui-ci soutient qu'ils étaient inexistants);
      • les titres de propriété, contrats de toutes sortes, archives, etc.

      Il est à souligner que le curateur ne pourrait identifier au document d'inventaire que ce qu'il découvre lors de ses investigations; ce qu'il ne voit pas mais lui est relaté par le failli, il le porte à l'inventaire pour mémoire, et sous réserve de vérification.

      6.A ce stade des diligences du curateur, nous renvoyons à ce qui a été exposé plus haut: la seule obligation que lui impose la loi était de décrire les biens du failli; dès lors qu'il s'en est acquitté, le curateur a répondu au prescrit de l'article 43 L.Faill.

      Il n'est pas douteux pourtant que le mandataire de justice soit ensuite tenu de produire une estimation des biens du failli; en effet, l'article 54, 2ème alinéa L.Faill. lui fait obligation de procéder “à la vérification et à la rectification du bilan”: c'est dans ce cadre qu'il lui appartiendra de fournir une telle estimation.

      L'on rappellera que, lors de l'aveu, le failli doit notamment, en application de l'article 10 L.Faill., joindre le bilan de ses affaires [17]. Lorsque celui-ci n'a pas été déposé par le failli [18] ou n'est pas disponible, l'article 54 de la même loi requiert que le curateur le dresse à l'aide des livres et écritures du failli et des renseignements qu'il pourra se procurer, et qu'il le dépose au dossier de la faillite. La loi prévoit que le curateur peut, même sans y être autorisé par le juge-commissaire, s'adjoindre le concours d'un expert-comptable pour la confection du bilan. Il faut pour cela que l'actif soit suffisant pour couvrir les frais. C'est dans cette perspective que le tribunal peut, sur requête du curateur, condamner solidairement les administrateurs et gérants de la personne morale faillie au paiement des frais de confection du bilan.

      L'ampleur du travail de confection et de vérification du bilan est fonction de l'ampleur de la faillite et de ses circonstances. Il ne s'agit en réalité de rien d'autre que d'établir l'actif et le passif, l'actif coïncidant à la valeur de liquidation des biens repris à l'inventaire, et le passif étant déterminé sur base des livres et écritures du failli ainsi que des déclarations de créance. Le bilan ne s'assimile donc pas à l'établissement de l'ensemble des comptes et annexes au sens de la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité des entreprises [19].

      Ce type de compte actif-passif doit être dressé aussi bien dans le cas d'une faillite de société que d'un commerçant personne physique.

      Il ressort de ces considérations que dans la très grande majorité des cas, le curateur sera tenu pour se conformer à l'article 54 L.Faill. de dresser lui-même - ou de faire dresser sous son autorité - le bilan ou l'état comptable témoignant de la situation de patrimoine du failli, puisque le failli n'aura que rarement été en mesure de fournir un état actif-passif de sa situation, établi en discontinuité [20].

      C'est donc bien lorsqu'il établira ou rectifiera le bilan du failli, et non pas au moment de l'inventaire, que le curateur fera face à son obligation d'estimation des biens du failli, estimation qui s'avère alors indispensable à l'établissement des comptes tel qu'imposé par la loi.

      7.L'article 49 L.Faill. qui traite de la vente des “actifs sujets à dépérissement prochain, à dépréciation imminente ou dont le coût de conservation serait trop élevé compte tenu des actifs de la faillite” ne crée pas de problème spécifique dans le cadre d'une estimation différée des biens du failli. Suivant cette disposition, les biens concernés peuvent être réalisés immédiatement et sans contrainte particulière, sur la seule autorisation du juge-commissaire.

      Or, la valeur que le curateur attribue aux actifs vendus en urgence sur pied de l'article 49 correspond toujours dans son estimation à ce qu'il a pu obtenir de l'acheteur, que l'estimation ait été établie en même temps que l'inventaire ou plus tard lors de la confection du bilan; il n'est pas imaginable en effet que le curateur soit amené à retenir la valeur théorique du bien, telle que mentionnée par exemple dans le bilan avant faillite, alors que dans la très grande majorité des cas, l'obligation de vendre rapidement aura conduit à une nette dépréciation de sa valeur [21].

      8.Par contre, la décision du curateur de poursuivre les activités après faillite impose une approche particulière puisqu'en général elle aura pour conséquence de consommer tout ou partie des stocks du failli ou d'affecter la valeur de certains biens. En cette hypothèse, il appartiendra au curateur, en même temps qu'il rédige l'inventaire, d'estimer l'ensemble des biens susceptibles d'être vendus ou affectés dans leur valeur au cours des opérations de poursuite d'activités.

      9.Sur le timing des opérations de vérification et de rectification du bilan, l'article 54 précité ne fournit pas d'autre précision que celle-ci: les curateurs y procèdent 'immédiatement'. Pour donner à la loi une interprétation crédible, il faut admettre que ce terme n'impose pas au curateur de fournir au pied levé un bilan en discontinuité mais plus logiquement qu'il l'incite à débuter au plus tôt les opérations visant à établir ce bilan.

      Ces opérations ne pourraient cependant traîner en longueur à la convenance du curateur car il est un délai qui ne peut être dépassé, celui fixé à l'article 60, 1er alinéa L.Faill. qui traite du dépôt du mémoire de faillite dans les termes suivants:

      “En toute faillite, les curateurs, dans les deux mois de leur entrée en fonctions, sont tenus de remettre au juge-commissaire un mémoire ou compte sommaire de l'état apparent de la faillite, de ses principales causes et circonstances, et des caractères qu'elle paraît avoir.

      Le juge-commissaire transmet immédiatement le mémoire avec ses observations au procureur du Roi. S'il ne lui a pas été remis dans le délai prescrit, il en prévient le procureur du Roi, et l'informe des causes du retard indiquées par le curateur.”

      Les renseignements fournis dans le mémoire par le curateur portent entre autres sur l'ampleur de l'actif et du passif [22]. Il est dès lors logique de conclure que le bilan vérifié et rectifié par le curateur en conformité à l'article 54 L.Faill. devra avoir été dressé au plus tard dans le délai de deux mois imparti pour le dépôt du mémoire, et corrélativement que le curateur sera tenu de produire, au plus tard dans le même laps de temps, l'estimation chiffrée des biens du failli.

      10.Cette interprétation des dispositions légales concernées tend à l'efficience: elle permet aux différents acteurs de la faillite et stakeholders de se référer à une norme raisonnable, car n'imputant pas au curateur des obligations difficiles à respecter en pratique, et compréhensible, parce qu'elle met en place une progression chronologique évidente dans les obligations dont le curateur ne peut s'exonérer: celle qui lui impose de faire inventaire dès l'entame de la faillite et celle qui lui prescrit, dans les deux mois au plus tard de son entrée en fonctions, d'estimer les biens du failli et d'établir un état comptable.

      La valorisation des actifs de faillite est en réalité une notion fonctionnelle: il faut se poser la question de son utilité. Le législateur n'a pas eu pour objectif de contraindre le curateur à estimer les actifs sans objet précis, mais il est parti de l'idée que l'inventaire des biens du failli devait nécessairement être suivi d'une évaluation pour décider de la procédure qui sera appliquée - clôture sommaire (art. 73 L.Faill.) ou procédure par liquidation (art. 75 et s. L.Faill.) -, et pour fournir à tous une base objective d'appréciation sur la manière dont les actifs ont été réalisés.

      Excepté l'hypothèse d'une poursuite d'activité, ces deux objectifs seront atteints plus adéquatement, car de manière moins expéditive, si - dans les conditions exposées ci-dessus - le curateur dispose pour estimer les actifs, du délai maximum de deux mois qui lui est imparti pour déposer au juge-commissaire le mémoire de faillite.

      [1] Président du tribunal de commerce de Charleroi.
      [2] Conseil supérieur de la Justice, Audit des tribunaux de commerce. Rapport approuvé par la Commission d'avis et d'enquête réunie le 16 décembre 2010, pp. 53-54.
      [3] Ibid., p. 53. C'est nous qui soulignons.
      [4] Ibid., p. 54. Les auteurs du rapport font ici référence au Vade-mecum du juge consulaire, p. 155 [Union des juges consulaires de Belgique, 1987].
      [5] Ibid., p. 63, Recommandation n° 37: “La description correcte et complète de chaque bien faisant partie de la masse se relève cruciale dans le cadre de la faillite. L'inventaire permettra en effet de déterminer l'actif de la faillite. Afin que les informations reprises dans ce dernier soient contrôlables et exploitables, il serait utile que les présidents des tribunaux de commerce, en concertation avec les juges-commissaires et les curateurs, adoptent un certain nombre de directives (ex: une évaluation chiffrée avec des points de comparaison pour les biens immobiliers, la liste des documents comptables, un éventuel inventaire photographique, la numérotation des actifs corporels et incorporels importants…), ou établissent un modèle type d'inventaire reprenant tous les postes d'actifs de manière telle que le curateur soit tenu d'y faire référence, ne fût-ce que pour indiquer leur absence. Le Conseil supérieur de la Justice insiste également sur la présence du juge-commissaire lors de son établissement.”
      [6] Ibid., p. 63, Recommandation n° 38: “De manière à éviter que la masse ne doive supporter d'autres charges que celles absolument nécessaires, le recours à des tiers pour l'établissement de l'inventaire ne peut avoir lieu que lorsque leur intervention présente une plus-value pour la masse. Il devrait ainsi être précisé, au sein de tous les arrondissements, que le recours à des tiers pour l'établissement de l'inventaire ne se justifie que pour autant que les biens à identifier exigent un travail considérable ou nécessitent un travail de spécialiste (essentiellement pour la description et l'évaluation).”
      [7] A travers une concertation permanente menée dans la “Conferentie van de Nederlandstalige voorzitters van de rechtbanken van koophandel” et dans la “Conférence des présidents de tribunaux de commerce francophones”.
      [8] Cette position a été adoptée par la “Conférence des présidents de tribunaux de commerce francophones” dans le 'Vade-mecum de la faillite' qu'elle diffuse à l'attention des acteurs de la faillite depuis septembre 2011.
      [9] Il s'agit des biens déclarés insaisissables par la loi.
      [10] Nous soulignons.
      [11] Voy. I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, Kluwer, 2010, pp. 467 et s.; B. Vander Meulen et D. Vercruysse, Praktische gids voor faillissementscuratoren, Kluwer, 2007, deel 1, p. 21, n° 55 (de manière plus incidente); F. T'Kint et W. Derijcke, La faillite, Tiré à part du Rép.not., Bruxelles, Larcier, 2006, n° 382, p. 295; D. Scheers, “Procedureaspecten inzake faillissement” dans Gerechtelijk akkoord en faillissement, Kluwer, 2005, II. F. 20., p. 22; M. Vanmeenen in Faillissementswet 1997, art. 41-45-11, Kluwer, 26 janvier 2004, p. 313; B. Mailleux et A. Moens, “Verwijze en deontologie van de curator” dans Curatoren en vereffenaars: actuele ontwikkelingen, Intersentia, p. 417; A. Zenner, Dépistage, faillites et concordats, Larcier, 1998, n° 788. D'autres n'abordent pas la question de la valorisation: E. Van Camp et I. Mertens, Faillissementswet anno 2008, Kluwer, 2008, pp. 175 à 178.
      [12] A. Cloquet, Les Novelles. Droit commercial, T. IV, Les concordats et la faillite, 3ème éd., 1985, n° 2226, p. 650: “Les biens inventoriés devront être estimés.”; voy. également Pand., vo Failli, faillite, n° 1515: “L'inventaire doit (...) décrire avec estimation pour les objets qui le comportent, les objets mobiliers marchandises, argent, titres, valeurs, papiers, et enfin les registres de commerce.”
      [13] I. Verougstraete, o.c., p. 467.
      [14] Voy. I. Verougstraete, o.c., p. 467, n° 3.4.1.13: [L]'inventaire sera dressé lors de la descente de faillite ou dans les jours suivants, si l'actif est tel que l'inventaire ne peut se faire en une seule opération”.
      [15] Conseil supérieur de la Justice, Audit des tribunaux de commerce. Rapport approuvé par la Commission d'avis et d'enquête réunie le 16 décembre 2010, p. 54.
      [16] “Vanaf hun ambtsaanvaarding maken de curators onverwijld en onder toezicht van de rechter-commissaris de beschrijving op van de goederen van de gefailleerde (…).”
      [17] Le terme de 'bilan' est ici générique et signifie pour le commerçant personne physique un 'état comptable'.
      [18] Il peut en effet s'agir d'une faillite sur citation.
      [19] Voy. I. Verougstraete, qui confirme cette analyse dans la dernière édition du Manuel, o.c., pp. 496 et 497, n° 3.4.2.47.
      [20] Sauf à réserver l'hypothèse du transfert d'une entreprise en activité dans le cadre de l'art. 75, § 4 L.Faill. où les actifs sont par définition réalisés en going concern.
      [21] Nous pensons que la problématique des actifs sujets à dépréciation se focalise bien plus sur la prudence à observer par le juge-commissaire avant d'autoriser la vente de biens sur pied de l'art. 49 L.Faill. La tentation peut en effet être grande pour le curateur d'user de cette possibilité de manière extensive, en raison de l'absence de toute contrainte dans la réalisation du bien. La prudence est plus encore de mise si l'acheteur qui s'est rapidement identifié au curateur est lié d'une manière ou d'une autre au failli ou à l'un des organes de la personne morale faillie.
      [22] I. Verougstraete, mêmes réf., n° 3.4.4.6, p. 508.