Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 02/09/2009, R.D.C.-T.B.H., 2011/8, p. 822-828

Tribunal de commerce de Bruxelles 2 septembre 2009

LOUAGE
Baux biens immeubles - Droits et obligations du bailleur - Centre commercial - Taux d'occupation - Garantie des vices cachés
Une galerie commerciale partiellement vide d'occupants perd une bonne part de son attractivité, et l'on peut considérer qu'à partir d'un certain taux d'occupation de la galerie, la chose louée (à savoir un emplacement dans une galerie commerciale) est affectée d'un vice. Dès lors le bailleur a manqué à son obligation d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, d'en faire jouir paisiblement le preneur et de le garantir des vices ou défauts de la chose louée. Le locataire est fondé à obtenir la réparation d'un préjudice qu'il a subi à la suite de la désertification de la galerie.
HUUR
Huur onroerende goederen - Rechten en verplichtingen verhuurder - Winkelcentrum - Bezettingsgraad - Vrijwaring voor verborgen gebreken
Een winkelgalerij die gedeeltelijk leeg staat verliest een groot deel van haar aantrekkingskracht en men kan beschouwen dat vanaf een zekere graad van onderbezetting in de galerij, het gehuurde goed (zijnde een ruimte in het winkelcentrum) is behept met een gebrek. De verhuurder is dan tekortgekomen aan zijn verplichting om het goed te onderhouden zodanig dat het kan worden aangewend voor het bestemde gebruik, om het rustige genot ervan te verschaffen en om te vrijwaren voor verborgen gebreken. De huurder heeft recht op een vergoeding van de schade die hij heeft geleden ten gevolge van de teloorgang van de galerij.

SA A.I. / Me A.d'I., q.q. faillite SPRL M.B.

Siég.: F. Jacques de Dixmude (juge), M. Gustot (juge consulaire) et M. Seys (juge consulaire suppléant)
Pl.: Mes A.-P. Dumont et Ph. Bourgois et O. Margaux loco L. Hillen

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- le jugement dont appel, prononcé contradictoirement entre parties le 23 juin 2006 par le juge de paix d'Uccle;

- la requête d'appel, déposée le 15 novembre 2006;

- le jugement du 7 décembre 2007 du tribunal de première instance de Bruxelles, renvoyant la cause devant notre tribunal;

- les conclusions et les dossiers déposés par les parties;

- les conclusions de reprise d'instance déposées par le curateur à la faillite de la SPRL M.B. le 30 avril 2009.

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries aux audiences publiques des 17 septembre 2008 et 6 mai 2009, la cause ayant été prise en délibéré à cette dernière audience.

1. Contexte du litige et objet des demandes originaires

Le premier juge a fait un exposé circonstancié et complet des faits de la cause et des demandes originaires;

Le tribunal se réfère à cet exposé qu'il tient pour ici reproduit;

Il faut ajouter que la SPRL M.B. a été déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 16 février 2009, et que l'intimé q.q. a déclaré par conclusions déposées le 30 avril 2009 reprendre l'instance;

L'intimé q.q. a par ailleurs résilié le bail litigieux par courrier du 3 mars 2009.

2. Jugement dont appel et objet des appels

Le jugement dont appel a tout d'abord constaté la connexité entre les deux causes originaires et les a jointes;

Il a ensuite déclaré la demande de révision de loyer recevable mais non fondée;

Il a dit la demande d'indemnisation formée par l'intimée recevable et fondée et a dit pour droit que l'appelante était redevable envers l'intimée à titre d'indemnité pour troubles de jouissance d'une somme équivalente à 25% du montant du loyer depuis le 1er octobre 2003 jusqu'au 26 octobre 2005 à tout le moins, date à laquelle l'intimée avait provisoirement limité sa demande;

Il a ordonné la réouverture des débats avant de statuer sur la demande en paiement de sommes;

Il a d'autre part déclarée nulle et de nul effet la clause contenue à l'article 13, A, 14 du contrat de bail;

Il a sursis à statuer sur la demande reconventionnelle en paiement d'arriérés de loyer de l'appelante, dans l'attente de la réouverture des débats;

La réouverture des débats n'a pas eu lieu, l'appelante ayant entre-temps interjeté appel;

L'appelante demande la mise à néant du jugement entrepris en ce qu'il a:

- prononcé la jonction des causes pour connexité;

- dit que l'appelante devait sa garantie des vices cachés à raison d'un taux d'occupation de la galerie insuffisant en sorte que le loyer dû par l'intimée devait être réduit de 25%; et

- annulé l'article 13, A, 14 du bail.

En conséquence, elle demande qu'il soit dit pour droit que les demandes originaires ne devaient pas être jointes;

Elle demande de dire que les lieux loués ne sont affectés d'aucun vice et en conséquence, de dire la demande en dommages et intérêts de l'intimée non fondée;

Elle demande de dire la demande en annulation de l'article 13, A, 14 du contrat de bail non fondée;

Elle demande enfin de confirmer pour le surplus le jugement dont appel et de condamner l'intimée aux dépens des deux instances;

En conclusions, elle réitère la demande reconventionnelle en paiement d'arriérés de loyers qu'elle avait formée devant le premier juge, mais n'a pas repris cette demande en termes de dispositif; cette demande est toutefois régulièrement soumise au tribunal (Cass. 30 septembre 1996, Pas. 1996, I, p. 876);

L'intimée a formé un appel incident par conclusions;

Elle demande de constater que du fait de circonstances nouvelles, la valeur locative normale de l'immeuble loué est inférieure d'au moins 15% au loyer stipulé dans le bail;

Elle demande en conséquence de dire pour droit que le loyer de l'immeuble donné en location par l'appelante et actuellement par la partie appelée à la cause en degré d'appel, est révisé à la baisse à 3.131,62 EUR par trimestre, sans préjudice de l'indexation ultérieure;

Elle demande également de désigner un expert avec la mission de fixer la valeur locative actuelle du bien loué, selon la mission reprise au dispositif de ses conclusions;

L'intimée demande encore qu'il soit ordonné avant dire droit à l'appelante de produire dans le cadre de l'expertise les baux en vigueur de chaque commerce de la galerie ainsi que le montant actuel du loyer effectivement payé par chaque commerçant;

Elle demande subsidiairement qu'une descente sur les lieux soit préalablement ordonnée;

L'intimée forme également un appel incident limité sur l'action originaire en responsabilité contractuelle;

Elle demande que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a déclaré l'action recevable et fondée et en ce qu'il a déclaré nul l'article 13, A, 14 du bail;

Elle demande que l'appelante soit condamnée à produire les baux en vigueur de chaque commerce de la galerie ainsi que le montant actuel du loyer effectivement payé par chaque commerçant, et à défaut pour l'appelante de ce faire, qu'il soit ordonné aux autres occupants de la galerie de produire leurs baux ainsi que le montant de leur loyer conformément à l'article 878 du Code judiciaire;

L'intimée demande encore que l'appelante soit condamnée à lui verser l'équivalent d'un montant de 50% du loyer en cours par mois, en réparation du préjudice causé depuis le 1er octobre 2003 et ce, jusqu'à ce que le taux d'occupation de la galerie atteigne 90%;

Elle demande la condamnation de la partie appelée en appel, intervenante volontaire originaire, pour la période postérieure au 26 octobre 2005 au paiement des mêmes dommages et intérêts à due concurrence et prorata temporis aux côtés de l'appelante et ce, jusqu'à ce que le taux d'occupation de la galerie atteigne 90%;

A titre subsidiaire, l'intimée fait valoir que si le tribunal devait considérer l'extension de la demande originaire comme irrecevable, sinon non fondée à l'encontre de la partie appelée en appel, intervenante volontaire originaire qui est venue aux droits et obligations de l'appelante, il conviendrait de renvoyer la cause au premier juge afin qu'il soit statué en prosécution de cause dès lors qu'elle avait limité provisoirement sa demande au 26 octobre 2005;

Elle demande enfin la condamnation de l'appelante aux dépens des deux instances;

La partie appelée à comparaître en appel, intervenante volontaire originaire, conclut tout d'abord à l'irrecevabilité des appels;

Elle conclut également à leur non-fondement;

A titre subsidiaire, pour le cas où une expertise serait ordonnée, elle propose une autre mission d'expertise que celle libellée par l'intimée;

Elle forme pour le surplus un appel incident tendant à entendre déclarer que les causes ne devaient pas être jointes;

Elle demande en outre de déclarer que les lieux loués ne sont affectés d'aucun vice et en conséquence, de dire que la demande en dommages et intérêts de l'intimée est non fondée;

Elle demande pour le surplus la confirmation du jugement dont appel;

La partie appelée à comparaître en appel, intervenante volontaire originaire, demande la condamnation de l'intimée à lui payer à titre d'arriérés de loyers la somme de 37.795,79 EUR, à majorer des intérêts au taux conventionnel de 10% l'an et de la clause pénale de 10%, sous réserve de l'indemnité contractuelle pour défaillance du preneur à faire valoir conformément à l'article 21 du contrat de bail;

Elle demande enfin la condamnation de l'intimée aux dépens des deux instances.

3. En droit
3.1. Quant à la jonction des deux demandes originaires

L'appelante et la partie appelée à comparaître en appel reprochent au premier juge d'avoir joint les deux causes pour connexité;

Elles soutiennent qu'il n'y avait aucun intérêt à juger ces deux demandes ensemble, en sorte que l'article 30 du Code judiciaire aurait été violé;

Le tribunal ne partage pas cette thèse; outre de nombreux liens existant entre les deux demandes, il suffit de constater que la diminution (contestée) du taux d'occupation de la galerie est intimement liée tant à la demande de réduction de loyer, qu'à la demande de dommages et intérêts; un traitement séparé des deux causes aurait pu faire craindre un risque de solutions inconciliables; c'est dès lors à bon droit que le premier juge a joint les deux demandes.

3.2. Quant à la recevabilité des appels

La SA I.F.J. conclut à l'irrecevabilité des appels tant principal qu'incident;

S'agissant de l'appel principal, cette partie demande de le déclarer irrecevable en ce qu'il a été formé contre elle, à défaut de lien d'instance;

Il convient de relever que l'appel principal n'a pas été formé contre la SA I.F.J.; la requête d'appel précise en effet l'identité des parties appelante et intimée, puis précise, en point 3: “Autre partie à appeler à la cause”, et désigne sous ce titre la SA I.F.J.; ce procédé est conforme à l'article 1053 du Code judiciaire, lequel dispose: “Lorsque le litige est indivisible, l'appel doit être dirigé contre toutes les parties dont l'intérêt est opposé à celui de l'appelant.

Ce dernier doit, en outre, dans les délais ordinaires de l'appel et au plus tard avant la clôture des débats, mettre en cause les autres parties non appelantes ni déjà intimées ou appelées.

En cas d'inobservation des règles énoncées au présent article, l'appel ne sera pas admis. (...)” (souligné par le tribunal);

A peine d'irrecevabilité de son appel, l'appelante devait mettre la SA I.F.J. à la cause en appel, alors même qu'elle n'a formé aucune demande contre elle; il n'y a pas lieu de déclarer l'appel principal irrecevable;

La SA I.F.J. soutient d'autre part que la demande nouvelle de l'intimée à son égard serait également irrecevable;

Elle fait tout d'abord valoir qu'elle serait contraire à l'article 1042 du Code judiciaire en ce qu'elle n'aurait pas été portée devant le premier juge;

L'article précité dispose que “Pour autant qu'il n'y soit pas dérogé par les dispositions du présent livre, les règles relatives à l'instance sont applicables aux voies de recours.”;

Il ressort de la jurisprudence que la SA I.F.J. invoque à l'appui de cet argument qu'elle critique le fait que la demande nouvelle formée par l'intimée ne répondrait pas au prescrit de l'article 807 du Code judiciaire, applicable en appel en vertu de l'article 1042 du Code judiciaire;

Selon la Cour de cassation: “Même en degré d'appel, la seule condition à l'application de l'article 807 du Code judiciaire est que l'extension ou la modification de la demande soit fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation; il n'est pas requis que l'extension ou la modification de la demande à l'égard de la partie contre laquelle la demande a été dirigée ait été portée devant le premier juge ou soit implicitement incluse dans l'objet de la demande originaire” (Cass. 29 novembre 2002, Pas. 2002, I, p. 2297);

En l'espèce, la demande formée contre la SA I.F.J. est la même que celle qui était formée contre l'appelante en première instance; elle est bien fondée sur un fait invoqué dans la citation, à savoir le manquement aux obligations contractuelles du bailleur;

La SA I.F.J. soutient ensuite que l'appel incident de l'intimée violerait l'article 1054 du Code judiciaire en ce qu'il serait formé contre une partie dont l'intimée n'a pas été l'adversaire en première instance; cet élément de fait n'est pas établi; au contraire, l'intimée et la SA I.F.J. ont bien été adversaires en première instance, cette dernière ayant, aux termes de son acte d'intervention volontaire, demandé la condamnation de l'intimée aux dépens;

La SA I.F.J. soutient enfin que l'appel incident serait irrecevable car il serait dirigé contre une partie qui n'aurait pas été à la cause en première instance;

Cette défense manque également en fait, dès lors que par son acte d'intervention volontaire, la SA I.F.J. s'est constituée partie à la cause en première instance et a formulé une demande de condamnation contre l'intimée comme rappelé ci-dessus, même si l'intimée quant à elle a déclaré devant le premier juge limiter provisoirement sa demande en ne formant pas de demande contre la SA I.F.J.;

Les appels sont recevables.

3.3. Quant au fond
3.3.A. L'appel principal

L'appelante reproche au premier juge d'avoir retenu à sa charge l'engagement de sa responsabilité en ce qu'elle aurait, en violation des articles 1719 et suivants du Code civil, manqué à son obligation d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, d'en faire jouir paisiblement le preneur et de le garantir des vices ou défauts de la chose louée;

Elle critique la décision du premier juge en ce qu'il a considéré qu'une galerie vide de ses occupants perd une bonne part de son attractivité, et que l'on peut considérer qu'à partir d'un certain taux d'inoccupation de la galerie, la chose louée (à savoir un emplacement dans une galerie commerçante) est affectée d'un vice;

Elle reproche également au premier juge d'avoir estimé qu'en l'espèce, l'emplacement donné en location à l'intimée était affecté d'un vice, dès lors que le taux d'occupation de la galerie était inférieure à 75% de sa capacité;

Tout d'abord, l'appelante fait valoir que la garantie n'est pas due lorsque le vice est apparent; elle plaide que le taux d'occupation de la galerie n'a pas connu l'évolution retenue par le premier juge, mais qu'au contraire, ce taux était moindre au jour de la signature du bail qu'au jour de l'introduction de la demande;

L'appelante critique la façon dont le premier juge a évalué le taux d'occupation de la galerie; selon l'appelante, il fallait prendre en considération l'ensemble de la superficie de la galerie, en ce compris les sous-sols et la salle de squash s'y trouvant, ainsi que les locaux mis gratuitement à la disposition d'artistes à des fins d'exposition, et la comparer avec la superficie occupée, ce qui selon elle conduirait à un taux d'occupation qui n'aurait pas diminué entre le moment de la conclusion du bail (taux de 83,95%), et l'année 2005 (taux de 88,38%);

En première instance comme en appel, l'intimée a contesté et conteste cette évaluation;

Le premier juge s'est écarté de la présentation du taux d'occupation faite par l'appelante; il a jugé que ne pouvaient être pris en considération ni les magasins situés à l'extérieur de la galerie, ni les caves et réserves, ni la salle de squash; il a également écarté les locaux occupés non par des commerces mais par des artistes à des fins d'exposition;

A la suite d'une vue des lieux opérée le 8 mars 2006, le juge de paix a relevé que sur 20 emplacements commerciaux disponibles dans la galerie litigieuse, 8 étaient inoccupés, soit un taux d'occupation de la galerie de 60%, et qu'en 2004, sur la base d'un constat d'huissier, ce chiffre était de 9 locaux inoccupés, soit une occupation de 55%;

Le premier juge a justifié le choix de fonder son évaluation du taux d'occupation sur le nombre de locaux occupés, plutôt que sur la superficie, en considérant que la perte d'attractivité de la galerie était en bonne partie liée au nombre de locaux inoccupés et à la répercussion négative de cette inoccupation sur la répartition équilibrée des commerces recherchée par l'appelante;

L'appelante critique cette approche en faisant valoir qu'il serait évident qu'un magasin de grande taille aurait un pouvoir d'attractivité plus grand qu'un local de petite superficie; elle ne démontre toutefois pas cette affirmation;

Il ressort du plan de la galerie annexé au procès-verbal de vue des lieux que les tailles des vitrines ou 'façades' des différents locaux formant la galerie sont fort semblables, même si certains locaux ont un dégagement à l'arrière plus vaste que d'autres; il n'est pas indifférent de relever l'article 13, A, 1), a) du bail, lequel dispose: “Un centre commercial constitue une entité dont la réussite commerciale est essentiellement liée à une répartition équilibrée des divers commerces qui y seront représentés.”;

Certes, cet article vise avant toute chose à garantir que le preneur respectera la nature de son activité commerciale afin d'assurer la diversité des commerces dans la galerie; il n'en demeure pas moins que cet article illustre la nécessaire complémentarité devant exister afin de garantir le succès d'une galerie commerciale, et que comme l'a relevé le premier juge, “une telle répartition équilibrée suppose évidemment que les différents emplacements commerciaux constituant la galerie soient occupés autant que possible...”;

Il ressort des constatations faites par le premier juge et que le tribunal fait siennes que la galerie litigieuse a connu une baisse importante de son taux d'occupation, alors même que dans ce type de galerie, les commerces exploités sont tributaires les uns des autres, quant à leur fréquentation par la clientèle;

C'est dès lors à bon droit que le premier juge a pu considérer que l'emplacement donné en location à l'intimée était affecté d'un vice dès lors que l'occupation de la galerie était inférieure à un seuil jugé acceptable de 75%, et qu'en conséquence, l'intimée était fondée à obtenir la réparation du préjudice qu'elle a subi à la suite de la désertification de la galerie, réparation que le premier juge a fixée à l'équivalent de 25% du loyer;

L'appelante reproche d'autre part au premier juge d'avoir annulé la clause 13, A, 14 du bail prévoyant une obligation d'affiliation à l'association des commerçants de la galerie; elle réitère ses arguments développés en première instance, selon lesquels les dispositions du contrat de bail avaient été adaptées en fonction de négociations entre parties et qu'en outre, l'intimée était libre à tout moment de quitter l'ASBL objet de cette clause;

Il reste toutefois que par sa formulation, en ce qu'elle entraîne l'engagement du commerçant de s'affilier et de rester membre de l'ASBL, cette clause viole le principe de la liberté d'association prévu à l'article 20 de la Constitution; c'est dès lors pour de justes motifs que le premier juge prononcé son annulation.

3.3.B. La demande nouvelle de l'appelante en degré d'appel

Aux nos 59 et suivants de ses conclusions d'appel après renvoi devant le tribunal de commerce, l'appelante réitère la demande de paiement des arriérés de loyer formée devant le premier juge, mais sur laquelle ce dernier avait sursis à statuer dans l'attente de la réouverture des débats;

L'intimée est redevable à l'appelante de la somme de 3 x 1.342,12 EUR = 4.026,36 EUR pour les loyers du 1er octobre 2003 au 30 juin 2004;

Dès lors qu'il sera fait droit ci-après à la demande de réduction de loyer formée par l'intimée, celle-ci reste redevable envers l'appelante de la somme de 3 x 206,87 EUR = 620,66 EUR pour les arriérés de loyer du 1er juillet 2004 au 31 mars 2005;

Au total, l'intimée doit à l'appelante à titre d'arriérés de loyers la somme de 4.647,02 EUR.

3.3.C. L'appel incident de l'intimée

L'intimée a formé un appel incident quant à la fixation par le premier juge de la réparation due eu égard au vice affectant le bien loué à l'équivalent de 25% du loyer; elle fait valoir que son dommage aurait dû être fixé à 50% du loyer en cours, faisant valoir que le taux minimal d'occupation à garantir par l'appelante devrait être fixé à 90% et que l'occupation de la galerie aurait encore diminué au fil des années;

A juste titre, le premier juge a relevé qu'il était impossible d'effectuer une évaluation in concreto du dommage subi par l'intimée, notamment parce que les chiffres de fréquentation de la galerie ne sont pas connus, mais également parce qu'il est difficile d'estimer l'impact du phénomène de désertification de la galerie sur le résultat de l'entreprise qui s'en plaint; ce dernier élément paraît particulièrement pertinent en l'espèce; en particulier, l'intimée ne démontre pas que la chute du taux d'occupation de la galerie de 2003 à 2006 et encore après 2006, chute contestée par l'appelante, serait en rapport proportionnel direct avec le dommage qu'elle a subi;

Le tribunal estime que c'est à juste titre que le premier juge a fixé à 25% du montant du loyer l'indemnité due à l'intimée en réparation du vice affectant le bien loué;

L'intimée formule d'autre part un appel incident tendant à voir réformer le jugement dont appel en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande en révision de loyer qu'elle avait introduite;

Elle fait valoir que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, elle a démontré l'existence en l'espèce de circonstances nouvelles entraînant une diminution de la valeur locative du bien d'au moins 15% du loyer qu'elle payait le jour où la demande fut introduite, le tout en application de l'article 6 de la loi relative aux baux commerciaux;

A juste titre, le premier juge a constaté que la demande de révision avait été introduite dans les délais et les formes prévus par la loi;

Il a ensuite relevé que l'intimée invoquait essentiellement deux circonstances, à savoir:

- le mouvement général de baisse des loyers dans la galerie et la désertification de cette dernière, couplé à une baisse significative de standing;

- le mouvement général des affaires entraînant une baisse des loyers dans la galerie.

S'agissant de la première circonstance, le jugement dont appel a constaté qu'il était “évident qu'un problème se pose au niveau de l'occupation des emplacements commerciaux situés dans la galerie du F.J. et que ce problème dépasse le simple phénomène naturel de rotation des commerçants évoqué par la SA A.I.”;

Il a toutefois poursuivi en ces termes: “Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'une situation a priori temporaire, normalement appelée à disparaître”;

Constatant que le phénomène de désertification de la galerie ne présentait pas un caractère définitif ou suffisamment durable, le premier juge a refusé de le retenir pour fonder la demande de révision du loyer;

Dans ses conclusions d'appel, l'intimée expose que le constat réalisé par le premier juge le 8 mars 2006, aux termes duquel il était établi que 8 locaux sur 20 étaient inoccupés, est resté d'actualité et s'est même aggravé par la suite, dès lors que plusieurs autres commerçants ont quitté la galerie ou sont tombés en faillite;

Elle indique que F.O. a fait faillite en avril 2007, que le snack L.G. a quitté la galerie en mai 2007 et que le local occupé par L.d.M. a été libéré en janvier 2008;

L'appelante ne conteste pas ces faits, mais elle soutient qu'ils ne peuvent être pris en considération pour fonder la demande, dès lors qu'ils sont postérieurs à l'introduction de la demande;

Les circonstances nouvelles invoquées à l'appui d'une demande de diminution de loyer doivent être vérifiées au jour du dépôt de la requête; en l'espèce, c'était le cas puisque l'intimée faisait état d'un phénomène de désertification constaté par huissier dès 2004 et confirmé par la vue des lieux réalisée par le premier juge en 2006;

Toutefois, afin de pouvoir être prises en compte, il est de jurisprudence que ces circonstances nouvelles doivent être suffisamment durables et en l'espèce, le premier juge a estimé que le phénomène de désertification ne présentait pas ce caractère durable; c'est à bon droit que pour établir l'élément de durabilité repoussé par le premier juge, l'intimée s'est attachée à démontrer que le phénomène dénoncé avait perduré en 2007 et 2008;

L'intimée a démontré que le phénomène de désertification de la galerie litigieuse était une circonstance nouvelle et suffisamment durable pour justifier la révision de loyer demandée par elle;

En vertu de l'article 6 de la loi relative aux baux commerciaux, il faut encore que la modification de la valeur locative du bien loué soit de plus de 15% par rapport au loyer fixé dans le bail;

L'intimée dépose à son dossier un courrier dont il ressort que l'appelante aurait accordé à un autre locataire une diminution de l'ordre de 16% de son loyer pendant un an entre 2003 et 2004; il est établi que le seuil légal de 15% avait bien été dépassé en l'espèce;

L'intimée réclame une diminution de loyer de 30%; le pourcentage de 30% n'est pas justifié par l'intimée; le tribunal relève qu'eu égard à l'écoulement du temps, il est très difficile de procéder à une évaluation concrète de la valeur du loyer au jour de la demande; il est à craindre que ni une mesure d'expertise, ni une vue des lieux ne permette d'établir cette valeur; de même, la production des baux des autres commerçants de la galerie ne permettrait pas d'évaluer le loyer dû à l'époque par l'intimée, d'autres éléments d'appréciation devant également entrer en ligne de compte;

Dans ces conditions, le tribunal opte pour une évaluation ex aequo et bono; eu égard au fait que l'intimée obtient déjà le paiement à charge de l'appelante d'une indemnité équivalente à 25% du montant du loyer à dater du 1er octobre 2003 jusqu'au jour où le bien a été cédé, il convient de limiter la diminution de loyer accordée à l'intimée à 15% du loyer, et ce à dater du 1er juillet 2004; le loyer ayant été porté, par l'effet de l'indexation, à la somme de 4.473,73 EUR par trimestre, il sera fixé à la somme trimestrielle de 3.802,67 EUR.

3.3.D. La demande nouvelle de l'intimée en degré d'appel

L'intimée a formé une demande nouvelle en degré d'appel envers la partie appelée à comparaître en appel;

Elle expose qu'en première instance, elle avait limité sa demande envers la seule appelante, ne connaissant pas encore les intentions à son égard de son nouveau bailleur;

Actuellement, elle demande que la SA I.F.J. soit condamnée à lui payer le même dédommagement que celui que lui doit l'appelante en réparation du dommage qu'elle a subi du fait du vice dont était affecté la galerie litigieuse, et ce, à dater du 26 octobre 2005, date d'acquisition par elle de la galerie;

Le vice de la galerie étant établi, il convient de faire droit à cette demande;

La SA I.F.J. sera donc condamnée à indemniser l'intimée à concurrence de 25% du loyer mensuel à dater du 26 octobre 2005 jusqu'à la résiliation du bail par le curateur le 3 mars 2009.

3.3.E. La demande nouvelle de la SA I.F.J. en degré d'appel

La SA I.F.J. a introduit une demande nouvelle en degré d'appel contre l'intimée; cette demande est recevable, dès lors que les parties étaient, ainsi que cela l'a été démontré, adversaires en première instance;

Elle postule à ce titre le paiement des arriérés de loyers, lesquels ne sont pas contestés en leur principe, l'intimée repoussant toutefois la demande de paiement d'intérêts de retard et d'une clause pénale;

Dans la mesure où l'intimée est demeurée en défaut de payer le loyer dû, elle est redevable des accessoires prévus au contrat de bail; les intérêts au taux de 10% et la clause pénale de 10% doivent être comptabilisés; toutefois, dès lors que le trouble de jouissance est reconnu à dater du 1er octobre 2003, et que la diminution de loyer est accordée à dater du 1er juillet 2004, soit avant même l'achat du bien par la SA I.F.J., les intérêts ne seront dus que sur le solde de loyer éventuellement dû et non payé par l'intimée;

L'intimée est redevable à la SA I.F.J. de la somme de:

- 1.267,56 EUR x 37 mois (février 2006 à janvier 2009) = 46.899,72 EUR;

- janvier 2006: 350 EUR;

- février 2009: 958,80 EUR;

Total: 48.208,52 EUR, sous déduction des paiements intervenus: - 21.091,41 EUR;

Total dû: 27.117,11 EUR.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL, vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement et en degré d'appel,

Reçoit les appels,

Dit l'appel principal non fondé et en déboute l'appelante,

Dit l'appel incident formé par l'intimée fondé dans la mesure ci-après précisée et en conséquence,

Met à néant le jugement dont appel en ce qu'il a dit la demande en révision du loyer recevable mais non fondée;

Et faisant droit à nouveau,

Constate que du fait de circonstances nouvelles, la valeur locative normale de l'immeuble loué était inférieure au 1er juillet 2004 d'au moins 15% au loyer stipulé au bail et en conséquence,

Dit pour droit que le loyer de l'immeuble objet du contrat de bail entre parties est révisé à la baisse à la somme de 3.802,67 EUR par trimestre ou 1.267,56 EUR par mois à compter du 1er juillet 2004, sans préjudice de l'indexation ultérieure;

Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a dit pour droit que l'appelante est redevable envers l'intimée d'une somme équivalente à 25% du montant du loyer depuis le 1er octobre 2003 jusqu'au 26 octobre 2005;

Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré nulle et de nul effet la clause contenue à l'article 13, A, 14 du contrat de bail;

Et évoquant la cause en vertu de l'effet dévolutif de l'appel prévu à l'article 1068 du Code judiciaire,

Reçoit les demandes incidentes et nouvelles formées par les parties et y fait droit comme suit:

Dit la demande incidente en paiement des arriérés de loyer formée par l'appelante au n° 62 de ses conclusions d'appel après renvoi devant le tribunal de commerce fondée et condamne en conséquence l'intimée à payer à l'appelante la somme de 4.647,02 EUR;

Dit la demande nouvelle de l'intimée fondée et condamne la SA I.F.J. à payer à l'intimée une somme équivalente à 25% du montant du loyer depuis le 26 octobre 2005 jusqu'au 6 mars 2009;

Dit la demande nouvelle de la SA I.F.J. fondée et condamne l'intimée à lui payer la somme de 27.117,11 EUR;

Dit pour droit que les éventuels intérêts de retard au taux de 10% l'an et la clause pénale de 10% ne seront dus que sur le solde dû par l'intimée à la SA I.F.J. après déduction du montant mensuel de 25% du loyer qui lui est dû par I.F.J. en réparation du dommage découlant du vice du bien loué;

Ordonne la compensation judiciaire entre les condamnations;

Eu égard aux qualités respectives des parties et à la teneur du présent jugement, dit que chaque partie supportera ses propres dépens;

Déboute les parties des surplus de leurs appels et demandes.

(…)