Article

Cour de cassation, 30/04/2010, R.D.C.-T.B.H., 2011/8, p. 800-805

Cour de cassation 30 avril 2010

INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession exclusive de vente - Loi du 27 juillet 1961 - Champ d'application - Contrat de concession - Droit pour le concessionnaire de vendre en son nom et pour son compte - Pas de nécessité que le concessionnaire supporte l'ensemble des risques économiques liés à son activité
La condition selon laquelle le concessionnaire doit, au sens de la loi du 27 juillet 1961, vendre les produits en son nom et pour son propre compte est remplie si le distributeur supporte certains risques liés à la distribution des produits. Il n'est donc pas nécessaire qu'il supporte tous les risques de son activité.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Wet van 27 juli 1961 - Toepassingsgebied - Concessieovereenkomst - Recht van de concessiehouder om in eigen naam en voor eigen rekening te verkopen - Geen noodzaak dat de concessiehouder het geheel van economische risico's draagt dat verbonden is aan zijn activiteit
De voorwaarde volgens dewelke de concessiehouder zijn producten in eigen naam en voor eigen rekening moet verkopen, in de zin van de wet van 27 juli 1961, wordt vervuld wanneer de verdeler bepaalde risico's draagt die verbonden zijn aan de verdeling van zijn producten. Het is dus niet noodzakelijk dat hij alle risico's draagt van zijn activiteit.

Pietercil Delby's / Barilla Alimentaire

Siég.: Ch. Storck et P. Mathieu (présidents de section), D. Batselé, M. Regout et M. Delange (conseillers)
M.P.: Ph. de Koster (avocat général)
Pl.: Mes P. Lefebvre et P.-A. Foriers

(…)

II. Le moyen de cassation

(…)

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt rejette en l'espèce l'application de la loi du 27 juillet 1961 et, partant, déclare la demande d'indemnités sur la base de la loi et l'appel incident de la demanderesse non fondés par les motifs suivants:

“5. (La demanderesse) fonde ses diverses demandes sur les articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.

6. Pour que cette loi soit d'application, il faut que la relation contractuelle nouée entre les parties puisse s'analyser en un contrat de concession de vente, tel qu'il est précisé à l'article 1er, § 2 de ladite loi.

La concession de vente s'y définit comme 'toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre en leur nom et pour leur propre compte des produits qu'il fabrique ou distribue' (art. 1er, § 2 de la loi de 1961).

7. Les relations entre les parties n'ont pas fait l'objet d'une convention écrite.

La convention de concession ne doit toutefois pas nécessairement être consignée dans un écrit. Elle peut être verbale.

Dans cette hypothèse, c'est à celui qui se prévaut de la qualité de concessionnaire exclusif qu'il appartient d'en rapporter la preuve par tous moyens de droit, et notamment par la manière dont les parties se sont comportées dans le passé.

8. (La défenderesse) ne conteste pas avoir été liée à (la demanderesse) par un contrat de distribution et lui avoir conféré l'exclusivité dans le secteur qu'elle prospectait, à savoir celui de la grande distribution.

Le motif pour lequel elle conteste l'application de la loi de 1961 en l'espèce réside dans le fait que (la demanderesse) n'assumait pas tous les risques économiques liés à la distribution des produits (de la défenderesse) et des produits Wasa, en sorte qu'elle ne vendait pas pour son propre compte selon la prescription légale.

9. 'Lorsque l'intermédiaire agit pour son propre compte, sa situation est celle d'un commerçant qui retire directement tous les profits de son activité et en assume tous les risques (risques liés à la propriété des marchandises, à leur distribution, etc.)' (L. du Jardin, Le droit belge de la distribution commerciale, Larcier, 1992, p. 37, n° 46).

'A la différence du commissionnaire et de l'agent autonome, le concessionnaire achète pour son propre compte les produits qu'il va distribuer, en sorte qu'il assume les risques d'une mévente ou d'une baisse de prix' (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, T. IV, p. 53, n° 68).

'Le concessionnaire présente (...) des avantages par rapport au représentant: (...) il achète au producteur pour revendre. Généralement tenu par un quota, il assume donc tous les risques de la distribution et permet au concédant une production régulière' (G. Bricmont et R. Gijsels, Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 1962, 22).

'C'est la réalité économique et juridique qui doit être examinée pour apprécier si oui ou non le revendeur vend en son nom et pour son propre compte' (J.-P. Fierens et P. Kileste, “La loi du 27 juillet relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée”, JT 1987, 693).

Il n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi, lorsque, notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prix de vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risque de mévente (Bruxelles 21 décembre 2000, RDC 2002, 107).

10. En l'espèce, comme l'expose le premier juge, le contexte particulier dans lequel se sont développées les relations commerciales entre les parties a eu une influence sur la détermination des modalités financières de leur collaboration.

D'une part, l'on se trouve dans le secteur de la grande distribution qui se caractérise, notamment, par le fait que l'acheteur occupe une position de force par rapport au fournisseur - contrairement au schéma de distribution classique - fournisseur qui se voit imposer des conditions commerciales particulièrement lourdes, à défaut d'acceptation desquelles le produit qu'il distribue n'est pas vendu par les grandes surfaces.

D'autre part, (la défenderesse) vendait ses produits à (la demanderesse) à un prix non négociable, souhaitant conserver une homogénéité de ses prix entre tous ses distributeurs, qu'il s'agisse d'entreprises indépendantes - comme (la demanderesse) - ou de filiales et ce, pour limiter les risques d'exportations et d'importations parallèles.

Il est constant que ces contraintes quant à la fixation du prix d'achat en amont et de revente en aval plaçaient (la demanderesse) dans l'impossibilité de dégager un bénéfice. Sa marge brute, telle qu'elle résulte classiquement de la différence entre le prix de vente des produits et le prix d'achat, était négative.

Les parties se sont dès lors accordées pour que la rémunération de (la demanderesse) soit fixée par rapport à un taux de rentabilité à négocier d'année en année.

Depuis 1999, ce taux était fixé à 11,30% du montant brut théorique des ventes (ou Gross Sale Value - G.S.V.). Il est expliqué que le montant obtenu en appliquant ce taux au chiffre d'affaires brut théorique était le D.B.C. ('Direct Brand Contribution') ou la contribution directe de (la défenderesse) dans la rémunération de (la demanderesse).

Concrètement, (la défenderesse) procédait à des versements mensuels correspondant à 23,64% du chiffre d'affaires net théorique; elle faisait des régularisations périodiques et prenait en charge certains frais spécifiques. L'ensemble de ces opérations permettait d'atteindre une rémunération pour (la demanderesse) égale à 11,30% du chiffre d'affaires brut théorique.

11. A tort, le premier juge est parti du postulat émis par (la demanderesse) que le mécanisme comptable et financier mis en place par les parties aboutit à un résultat identique à celui qui aurait été obtenu si (la défenderesse) avait fixé son prix de vente à (la demanderesse) à un montant inférieur.

D'une part, il ne résulte d'aucune pièce que (la défenderesse) ait jamais eu la volonté de diminuer ses prix; ce faisant, elle aurait créé des distorsions entre ses différents distributeurs, ce qu'elle voulait précisément éviter.

D'autre part, ce postulat contesté par (la défenderesse) ne repose sur aucune pièce probante.

La situation à examiner n'est pas celle qui eût pu exister dans des conditions économiques différentes mais bien celle qui a effectivement existé entre les parties.

A cet égard, si le D.B.C. ne constitue pas une marge garantie en valeur absolue, il n'en demeure pas moins qu'il visait à octroyer à (la demanderesse) une rémunération sous la forme d'un pourcentage fixe de 11,30% sur chaque vente réalisée à son intermédiaire; ainsi, sur chaque produit vendu, (la demanderesse) était assurée de percevoir 11,30% calculés sur le G.S.V. ou prix officiel du produit, compte non tenu des éventuelles remises ou ristournes octroyées.

Quel que soit le prix facturé à la clientèle, même si les ristournes et promotions accordées par (la demanderesse) aux clients s'inscrivaient dans le cadre d'une enveloppe globale discutée par les parties, (la demanderesse) était certaine de percevoir 11,30% calculés sur le G.S.V.; en d'autres termes, à un prix de vente théorique égal (ou G.S.V.), plus le prix effectivement facturé au client était bas, plus le montant de la compensation à verser par (la défenderesse) était important, pour que le bénéfice dégagé par (la demanderesse) reste fixe en pourcentage.

(La demanderesse) ne supportait donc pas le risque d'une baisse des prix de revente à sa cliente.

Par ailleurs, si, comme le relève (la demanderesse), il lui appartenait de réaliser un certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais, cette situation n'est pas l'apanage du concessionnaire; tant l'agent commercial que le commissionnaire doivent également supporter leurs frais propres (cf. G. Bricmont et R. Gijsels, Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 1962, 21).

Même si (la demanderesse) achetait pour revendre, finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients - en principe seulement, car, en l'espèce, s'agissant de la grande distribution, ce risque était pratiquement nul -, elle avait toutefois la certitude de récupérer auprès de (la défenderesse) l'équivalent de sa marge brute sous la forme du D.B.C.

II convient enfin de ne pas perdre de vue que, de l'aveu même de (la demanderesse), sans ce mécanisme de soutien de (la demanderesse) par (la défenderesse), la mise en place d'une concession de vente exclusive n'était pas viable d'un point de vue économique.

Il s'en déduit que le 'bénéfice' que retirait (la demanderesse) de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la relation commerciale atypique nouée par les parties ne répond pas à la notion de concession de vente au sens de la loi du 27 juillet 1961.

Partant, la résiliation de cette relation n'est pas soumise à la loi de 1961 et (la demanderesse) doit être déboutée de sa demande.”

Griefs

(…)

Troisième branche

En son article 1er, § 2, la loi du 27 juillet 1961 énumère une série de caractéristiques qui doivent être présentes pour qu'il soit question de concession au sens de cette loi, soit (i) l'achat et la revente par le concessionnaire en son nom et pour son compte et (ii) la réservation par le concédant au concessionnaire de ce droit de revendre ses produits.

Dès que ces conditions légales sont présentes dans un cas d'espèce, elles ne laissent d'autre choix au juge que d'appliquer la loi, nonobstant l'existence d'une marge bénéficiaire qui n'était pas égale à la différence entre le prix d'achat et le prix de revente mais qui, de l'accord des parties, était forfaitaire.

La loi est, en effet, protectrice des intérêts du concessionnaire et, partant, de nature impérative. L'article 6 de la loi l'énonce explicitement.

L'insertion d'un élément étranger à la concession, telle qu'elle est définie par la loi, ne peut avoir pour résultat d'éluder la loi à laquelle les parties ne peuvent pas déroger: ainsi le fait de stipuler une marge, tel le système du D.B.C. convenu en l'espèce, dans un contrat de concession qui, pour le surplus, tombe dans le champ d'application de la loi, ne suffit point à en éviter l'application.

Les tribunaux ont ainsi l'obligation de qualifier des conventions, soumises à leur appréciation, conformément aux dispositions impératives applicables et, si nécessaire, de rectifier la qualification des parties lorsqu'elles ont choisi une qualification qui soustrait leur convention à certains effets d'une disposition légale impérative ultérieurement invoquée par la partie dont la loi tend précisément à protéger les intérêts.

Au surplus, lorsque de la qualification dépend l'application d'une loi impérative, l'article 1156 du Code civil, qui consacre la prééminence de la volonté réelle, doit être combiné avec l'article 1134 du Code civil, qui subordonne l'autonomie des volontés à la légalité des conventions. Le juge a, dans cette hypothèse, un pouvoir de (dis)qualification étendu car il peut, le cas échéant, porter atteinte à la volonté des cocontractants. Pour donner à l'acte sa qualification correcte, le juge ne recherche pas ce que les parties ont voulu, mais ce qu'elles ont fait.

Or, les juges d'appel ont constaté que la demanderesse s'était vu réserver la vente des produits de la défenderesse qu'elle achetait en amont en vue de les revendre en aval, qu'elle finançait l'achat de son stock et qu'elle supportait le risque d'insolvabilité de ses clients.

En effet, après avoir constaté que “(la défenderesse) ne conteste pas avoir été liée à (la demanderesse) par un contrat de distribution et lui avoir conféré 1'exclusivité dans le secteur qu'elle prospectait, à savoir celui de la grande distribution”, c'est-à-dire que la défenderesse avait réservé la vente de ses produits à la demanderesse, l'arrêt poursuit en constatant que la demanderesse achetait les produits de la défenderesse en vue de les revendre à sa propre clientèle en supportant le risque d'insolvabilité de ses clients et en finançant son stock:

“Même si (la demanderesse) achetait pour revendre, finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients - en principe seulement, car, en l'espèce, s'agissant de la grande distribution, ce risque était pratiquement nul -, elle avait toutefois la certitude de récupérer auprès de (la défenderesse) l'équivalent de sa marge brute sous la forme du D.B.C.”

Ce faisant, les juges d'appel ont constaté que les conditions de l'article 1er de la loi étaient présentes dans le cas d'espèce.

En outre, l'arrêt retient comme élément contre l'existence d'une concession, au sens de la loi, la circonstance que la demanderesse tirerait son bénéfice de quelque chose qui s'apparenterait plus à une commission:

“Il convient enfin de ne pas perdre de vue que, de l'aveu même de (la demanderesse), sans ce mécanisme de soutien de (la demanderesse) par (la défenderesse), la mise en place d'une concession de vente exclusive n'était pas viable d'un point de vue économique.

Il s'en déduit que le 'bénéfice' que retirait (la demanderesse) de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat.”

Le critère utilisé par l'arrêt, à savoir que le profit du concessionnaire ne pourrait consister que dans la différence entre les prix de vente et d'achat, est critiquable: en effet, la loi n'exige nullement que la rémunération du concessionnaire consiste en une marge bénéficiaire qui soit la différence entre le prix d'achat et le prix de revente.

Pour autant que les éléments de la définition légale de la concession soient présents, la manière dont les parties ont déterminé la rémunération du concessionnaire, que ce soit de façon forfaitaire ou non, n'affecte aucunement la circonstance que la loi, par ailleurs de nature impérative, est applicable.

En concluant qu'il “résulte de l'ensemble de ces éléments que la relation commerciale atypique nouée par les parties ne répond pas à la notion de concession de vente au sens de la loi du 27 juillet 1961”, alors qu'il ressort de ses constatations que les éléments constitutifs d'un contrat de concession visé par l'article 1er de la loi, à savoir (i) l'achat et la revente par le concessionnaire en son nom et pour son compte et (ii) la réservation par le concédant au concessionnaire de ce droit de revendre ses produits, sont bel et bien présents en l'espèce, l'arrêt viole, partant, l'article 1er de la loi.

En considérant, en outre, qu'il ne peut être question d'un contrat de concession visé par la loi que si la rémunération du concessionnaire est constituée de la marge bénéficiaire qui résulte de la différence entre le prix d'achat et le prix de revente, l'arrêt ajoute une condition à la définition légale de l'article 1er de la loi et viole, partant, cet article.

En concluant à l'absence d'un contrat de concession au sens de l'article 1er de la loi, alors qu'il ressort des éléments de fait retenus par l'arrêt que la qualification du contrat conclu en l'espèce en concession de vente visée par la loi s'imposait en vertu du caractère impératif des articles 1er et 6 de la loi et en s'appuyant sur le mode de rémunération convenu par les parties pour rejeter la qualification de concession de vente, alors que la loi ne fait pas du mode de rémunération du concessionnaire un élément de la définition légale de la concession, l'arrêt viole, partant, les articles 1er et 6 de la loi ainsi que les articles 1134 et 1156 du Code civil.

(…)

III. La décision de la Cour
Quant à la troisième branche

En vertu de l'article 1er, § 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, est une concession de vente, au sens de cette loi, toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue.

Après avoir constaté que la défenderesse avait concédé à la demanderesse l'exclusivité de la distribution de ses produits dans le secteur de la grande distribution, sur le territoire de la Belgique et, pour partie de ces produits, sur celui du grand-duché de Luxembourg, l'arrêt considère que, la rémunération octroyée à la demanderesse consistant en un pourcentage fixe de 11,30% sur chaque vente réalisée à son intermédiaire, elle “ne supportait donc pas le risque d'une baisse des prix de revente à sa clientèle”, que s'il “lui appartenait de réaliser un certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais, cette situation n'est pas l'apanage du concessionnaire, tant l'agent commercial que le commissionnaire [devant] également supporter leurs frais propres”, qu'elle avait “la certitude de pouvoir récupérer auprès de [la défenderesse] l'équivalent de sa marge brute”, que, “de l'aveu même de [la demanderesse], sans ce mécanisme de soutien de [la demanderesse] par [la défenderesse], la mise en place d'une concession de vente exclusive n'était pas viable d'un point de vue économique” et que “le 'bénéfice' que retirait [la demanderesse] de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat”.

Sur la base de ces considérations, l'arrêt, qui relève par ailleurs que la demanderesse “achetait pour revendre” et qu'elle “finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients”, admettant ainsi, même s'il qualifie ce dernier risque de “pratiquement nul” s'agissant de la grande distribution, que la demanderesse supportait certains risques liés à la distribution des produits, n'a pu légalement considérer que la défenderesse n'avait pas réservé à la demanderesse le droit de vendre en son propre nom et pour son propre compte les produits qu'elle commercialisait et que les parties n'étaient pas liées par un contrat de concession de vente exclusive au sens de la loi précitée.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur les autres griefs

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

LA COUR

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel principal;

(…)

Conclusions de M. l'avocat général

M. l'avocat général délégué Ph. de Koster a dit en substance:

I. Les faits

1.La demanderesse distribue les produits de la défenderesse (essentiellement pâtes alimentaires et sauces) en Belgique. En 1990, cette distribution fut étendue au grand-duché de Luxembourg. Le marché belge pour les produits, objets de la distribution, est subdivisé en deux catégories: d'une part, la vente à la grande distribution, assumée par la demanderesse et, d'autre part, la vente aux magasins dits 'ethniques', soit les traiteurs spécialisés dans les produits italiens, assumée conjointement par la demanderesse et un grossiste. La relation contractuelle entre parties était régie par un contrat verbal.

2.Le 30 avril 2001, la défenderesse proposa à la demanderesse de mettre fin aux relations existantes et de leur sub­stituer un contrat de commission d'une durée de 4 ans. La défenderesse proposa également de payer à la demanderesse une indemnité forfaitaire de 20.000.000 FB pour la clientèle développée par la demanderesse dans le cadre des relations contractuelles antérieures. Les parties menèrent pendant plusieurs mois des pourparlers à ce sujet, qui n'aboutirent cependant pas à la conclusion d'un accord, en sorte que les relations se poursuivirent sous leur forme existante.

3.Par courrier du 25 septembre 2002, la défenderesse mit unilatéralement un terme aux relations contractuelles avec la demanderesse, moyennant l'octroi d'un préavis de 6 mois, venant à échéance le 31 mars 2003. La demanderesse contesta la durée du préavis octroyé et réclama des indemnités sur pied de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions exclusives de vente à durée indéterminée.

4.Le 18 avril 2003, la demanderesse cita la défenderesse devant le tribunal de commerce de Bruxelles en vue de l'entendre condamner au paiement à l'une et à l'autre de divers montants sur pied de la loi. Par jugement du 7 septembre 2004, le tribunal de commerce de Bruxelles déclara l'action largement fondée en ce qui concerne la demanderesse et, en conséquence, dit pour droit que la demanderesse a droit à une indemnité compensatoire de préavis complémentaire de 24 mois devant être calculée sur la moyenne des résultats des trois années précédant la fin de la concession, en déduisant du D.B.C. ('Direct Brand Contribution') les frais généraux compressibles de la demanderesse exposés en rapport avec la concession; désigna un expert avec pour mission de déterminer le bénéfice semi-brut; condamna la défenderesse à payer à la demanderesse une somme provisionnelle de 300.000 EUR à valoir sur l'indemnité compensatoire de préavis à majorer des intérêts moratoires au taux légal jusqu'au parfait paiement à compter du 10 octobre 2002 et condamna la défenderesse à payer à la demanderesse 716.888 EUR à titre d'indemnité pour plus-value de clientèle, à majorer des intérêts moratoires sur 500.000 EUR depuis le 10 octobre 2002 et sur 716.888 EUR depuis le 30 septembre 2003 jusqu'au parfait paiement.

5.La demanderesse fut déboutée de sa demande de paiement d'une indemnité sur base de l'article 3, 3° de la loi. La défenderesse releva appel de ce jugement et la demanderesse forma un appel incident. Par arrêt du 21 mars 2008, faisant droit aux conclusions de la défenderesse, la cour d'appel de Bruxelles réforma le jugement entrepris et, statuant à nouveau, dit la demande de la demanderesse non fondée et l'en débouta et mit les dépens des deux instances à sa charge.

II. Le moyen

6.La troisième branche du moyen unique me semble seule nécessiter un examen entraînant une cassation totale de l'arrêt attaqué. Cette branche reproche à l'arrêt attaqué d'avoir considéré que le fait de stipuler une marge, tel le système du D.B.C. (Direct Brand Contribution) convenu en l'espèce, dans un contrat de concession suffit pour éviter l'application de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. La question que pose le moyen en cette branche revient à déterminer si et dans quelle mesure un contrat de distribution exclusive dans lequel le distributeur ne supporte pas tous les risques liés à la distribution des produits constitue un contrat régi par les dispositions de la loi du 27 juillet 1961.

7.En vertu de l'article 1er, § 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, est une concession de vente, au sens de cette loi, toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue [1]. Dans ce premier arrêt important de votre Cour, il n'apparaît pas que le fait que le concessionnaire supporte entièrement ou partiellement les risques découlant de la concession soit un élément permettant de distinguer la concession de vente d'autres contrats.

8.Dans un arrêt plus récent du 22 décembre 2005 [2], votre Cour a considéré que “une concession de vente exclusive est une convention-cadre qui se distingue des conventions d'achat-vente successives qui sont conclues entre le concédant et le concessionnaire au cours de l'exécution de la concession et qui ne s'y identifie pas” cela n'empêche toutefois pas que l'obligation du concédant de fournir au concessionnaire les produits faisant l'objet de la concession résulte directement de cette convention et en constitue un élément essentiel en tant que corollaire du droit de vendre ces produits et implique pour le concessionnaire l'obligation équivalente de vendre ces produits afin de réaliser l'objectif de la concession; lorsque ceci implique que le concessionnaire constitue un stock, les droits et obligations qui en sont la conséquence résultent de la concession elle-même.

9.Pour la doctrine, le recours à la notion de convention-cadre vient préciser la notion de réservation au concessionnaire du droit de vendre les produits du fabricant supposant des relations continues et organisées dans l'intérêt des deux parties [3].

10.Reste que la démonstration de la réunion de ces deux éléments constitutifs est tributaire de l'analyse en fait d'éléments qui, pris isolément ou conjointement, permettent de conclure à l'existence ou non du contrat de concession de vente. La doctrine a procédé à un relevé exhaustif en la matière [4].

11.Ainsi, le fait que le concessionnaire assure la gestion du stock et qu'il supporte le risque économique des transactions, autrement dénommé risque de mévente qui existe même si le distributeur ne paie les produits qu'au moment où il les vend lui-même à son propre client, le fait qu'une politique de prix sur le territoire concédé soit organisée conjointement sont de nature à qualifier le contrat de concession de vente.

12.La doctrine et la jurisprudence de fond considèrent qu'assume le risque commercial le concessionnaire qui est propriétaire du stock et qui doit supporter les aléas des paiements des clients [5]. Par contre, le transfert du risque de mévente du concessionnaire vers le concédant peut être retenu pour une disqualification lorsqu'il s'accompagne par exemple de l'absence de financement du stock par le même concessionnaire [6]. Encore, aussi le fait que l'intégralité du stock non vendu était reprise par le concédant peut aboutir au fait que le concessionnaire ne supportait aucun risque de mévente, peut être de nature à démontrer l'absence de concession de vente exclusive.

13.Je pense donc, à la lumière de ces considérations que le fait que le concessionnaire agisse en son nom et pour son propre compte n'implique pas obligatoirement qu'il supporte nécessairement tous les risques.

14.Certes, une telle analyse relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Cependant, il convient qu'en cette matière comme l'a fait en matière de contrat de travail rien ne s'oppose à ce que votre Cour vérifie si, des faits qu'il constate, le juge du fond a pu légalement déduire l'existence d'un contrat de concession de vente. L'arrêt attaqué relève que la demanderesse “achetait pour revendre” et qu'elle “finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients” et “qu'il lui appartenait de réaliser un certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais”. L'arrêt attaqué ajoute ensuite qu'elle ne supportait pas le risque d'une baisse des prix de revente à sa clientèle compte tenu de la rémunération octroyée à la demanderesse consistant en un pourcentage fixe de 11,30% sur chaque vente réalisée à son intermédiaire.

15.Des premiers éléments relevés, il découle bien une organisation permanente de vente structurée en son nom et pour le compte de la demanderesse. En ne retenant que l'absence de risque de variation du prix de revient du matériel, sans tenir compte du caractère permanent et structuré des relations existantes entre les deux protagonistes - que l'arrêt attaqué relève au surplus et en se fondant exclusivement sur le transfert d'un risque commercial alors que l'ensemble des autres risques n'était pas lié par un contrat de concession de vente exclusive au sens de la loi du 27 juillet 1961.

16.Le moyen, en cette branche, me paraît dès lors fondé et justifier une cassation totale dispensant de l'examen des autres branches du moyen.

[1] Voy. Cass. 12 juin 1986, n° 638.
[2] Cass. 22 décembre 2005, RG C.04.0322.N, n° 689.
[3] Voy. P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée déterminée”, RDC 2009, pp. 191 et s.
[4] Voy. J-P. Fierens, A. Motte Haugaard, Th. Faelli et S. Griess, La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation des concessions de vente exclusive à durée déterminée. Chronique de jurisprudence (1997-2007), Larcier, 2007, pp. 14 et s.; P. Kileste, “La concession de vente” in Le droit de la distribution, CUP, n° 110, Anthémis, 2009, p. 17.
[5] M. Wagemans et C. Lévy, “Vente (Concession exclusive de)”, RPDB, compl., T. IX, n° 17, p. 911.
[6] V. o.c., p. 912.