Article

Cour de cassation, 27/01/2011, R.D.C.-T.B.H., 2011/6, p. 561-570

Cour de cassation 27 janvier 2011

OPERATIONS BANCAIRES
Compte en banque - Compte de tiers - Argent appartenant au client d'un avocat - Saisie par un tiers créancier de l'avocat
En l'absence d'une disposition légale spécifique, les fonds, quelle que soit leur provenance, qui sont déposés sur un compte de tiers ouvert en son nom dans les livres d'une banque par un avocat agissant pour son compte font partie de la créance de cet avocat contre la banque et ne se distinguent pas de l'ensemble de son patrimoine.
Les créanciers personnels de cet avocat peuvent, dès lors, saisir-arrêter entre les mains de la banque le solde créditeur de ce compte.
BANKVERRICHTINGEN
Bankrekening - Geld toebehorende aan een derde op een aparte rekening van de titularis advocaat geplaatst - Beslag door een schuldeiser van de advocaat
Bij gebrek aan specifieke wettelijke bepalingen, behoren de geldsommen die gestort worden op een derdenrekening die de advocaat in eigen naam en voor eigen rekening in de boeken van een bank opent, ongeacht hun oorsprong, tot de schuldvordering van die advocaat op de bank en dus tot het geheel van zijn vermogen.
De persoonlijke schuldeisers van die advocaat kunnen derhalve in handen van de bank derdenbeslag op het creditsaldo van die rekening leggen.

Etat belge / SA Fortis Banque

Siég.: Ch. Storck (président), D. Batselé, M. Regout, G. Steffens en M. Delange (conseillers)
MP: A. Henkes
Pl.: Mes Fr. T'Kint et P. Van Ommeslaghe
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 29 juin 2007 par le tribunal de première instance de Verviers, statuant en dernier ressort et comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 4 novembre 2005.

Le président Christian Storck a fait rapport.

L'avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 1101, 1102, 1119, 1121, 1123, 1126, 1127, 1130, 1134, 1137, 1165, 1166, 1167, 1236, 1241, 1271, 1382, 1383, 1892, 1893, 1895, 1902, 1903, 1904, 1915, 1918, 1919, 1921, 1922, 1927, 1928, 1932, 1984, 1987, 1988, 1989, 1991, 1992, 1993 et 2279 du Code civil;

- articles 7, 8 et 9 de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire;

- articles 1390, 1407, 1408, 1409, 1409bis, 1410, 1411, 1412, 1412bis, 1415, 1445, 1451, 1452, 1453, 1456, 1457, 1458, 1489, 1494, 1539 et 1540 du Code judiciaire;

- articles 164 et 165 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992;

- articles 34 et 34bis de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803) contenant organisation du notariat.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué déclare l'action du demandeur non fondée, l'en déboute et le condamne aux dépens, aux motifs que

“L'ensemble du patrimoine d'un débiteur constituant le gage commun de ses créanciers, 'en principe, toute somme versée à un compte est saisissable à charge du titulaire de celui-ci' [...]; toutefois, 'les fonds déposés par un titulaire sur un compte spécial affecté exclusivement à la réception de fonds provenant des clients sont détenus à titre précaire par le titulaire du compte et ne font pas partie de son patrimoine', en manière telle qu'ils ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt pratiquée par un créancier à charge du titulaire de ce compte spécial; [...] cette règle doit s'appliquer aux comptes professionnels d'avocats intitulés comptes Carpa; [...] en effet, tout avocat doit être titulaire d'un compte qu'il destine exclusivement aux opérations de maniement de fonds auxquelles l'exercice de son activité professionnelle le confronte; [...] [le] compte de tiers [...] doit être ouvert auprès d'une banque agréée par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, lequel ne peut jamais être débiteur, etc.; [...] le compte de tiers et le maniement de fonds de tiers par les avocats sont actuellement régis par un règlement de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone du 16 janvier 2006; [...] auparavant, au moment de la saisie litigieuse, des dispositions semblables étaient déjà d'application sur la base d'un règlement de l'Ordre national du 19 janvier 1989, obligatoire pour tous les avocats belges en vertu de l'article 501 du Code judiciaire; [...] il existait également un règlement de l'Ordre national des avocats du 10 janvier 1992, en vertu duquel, par exemple, lorsqu'un avocat qui détenait en lieu et place des fonds destinés à un tiers apprenait que le créancier de ce tiers avait fait pratiquer saisie-arrêt entre les mains de son client, il devait considérer les fonds qu'il détenait sur le compte Carpa comme frappés par la saisie-arrêt, inviter son client à inclure ceux-ci dans sa déclaration de tiers saisi et transmettre les fonds à qui de droit; [...] ainsi, en raison de ces spécificités et des observations ultérieures, il y a lieu de considérer que les comptes de tiers des avocats ne font pas partie du patrimoine de ceux-ci; [...] il est vrai qu'une partie de la doctrine et de la jurisprudence ne souscrit pas à cette position, invoquant notamment la notion de compte et le principe de la fongibilité des sommes qui y sont inscrites, ainsi que l'absence de dérogation légale au droit commun, différenciant ainsi la situation de l'avocat de celle du notaire, à qui une réglementation légale s'impose en la matière; [...] le tribunal considère qu'au compte Carpa de l'avocat peut être appliquée la théorie du compte de qualité; [...] selon cette théorie, un compte pour lequel il est expressément stipulé que le titulaire le détient en une qualité particulière demeure distinct du patrimoine du titulaire; [...] le solde créditeur des comptes de qualité demeure distinct du patrimoine des comptes et fait partie de celui des personnes auxquelles tout ou partie du solde doit en définitive revenir, ce solde fût-il composé de montants revenant à plusieurs personnes tierces par rapport au titulaire; [...] cette solution est notamment fondée sur l'idée que la dénomination du compte et la qualité particulière de son titulaire suffisent à rendre opposable aux tiers l'indivision que ces éléments opèrent dans le patrimoine du titulaire ainsi que sur l'opposabilité au tiers de la fiducie-gestion; [...] la théorie des comptes de qualité est particulièrement adaptée aux comptes de tiers des avocats dans la mesure où

- l'application des règles auxquelles ils sont soumis renforce la séparation entre les avoirs personnels et les fonds qu'ils détiennent pour les tiers;

- les tiers, et spécialement l'Etat, sont avertis de cette publicité; non seulement, ils savent que l'avocat doit avoir un compte de tiers mais, en outre, ce dernier reçoit une dénomination spécifique dont l'avocat a l'obligation d'user: [...] contrairement à ce qu'affirme [le demandeur], il n'est pas question de créer un privilège sans texte dès lors que l'avocat n'est pas propriétaire des sommes qui sont déposées sur ce compte de tiers.”

Griefs

Au contraire du système organisé par les articles 34 et 34bis de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803), dont la portée a été actualisée par la loi du 4 mai 1999 et qui imposent aux notaires de se dessaisir des sommes et titres reçus pour le compte de tiers (ils ne peuvent les conserver pendant plus d'un mois) et, à défaut de pouvoir les remettre à leurs destinataires dans ce délai, les contraignent à les individualiser sur des comptes spéciaux, dits rubriqués, ouverts par le notaire dans un établissement public ou privé agréé conformément aux dispositions arrêtées par le Roi, la loi ne prévoit aucune réglementation spéciale en ce qui concerne la détention par un avocat de fonds appartenant à des tiers ou destinés à des tiers et les comptes bancaires ouverts par les avocats en vue de recevoir de tels fonds, qui sont uniquement régis par la loi des cocontractants et sont donc soumis aux articles 1134 et suivants et, surtout, 1165 du Code civil.

Au contraire du notaire qui, en vertu du chapitre II de l'arrêté royal du 10 janvier 2002, et plus particulièrement de son article 2, ne peut librement assurer la gestion des fonds des tiers, l'avocat qui ouvre un compte, conformément aux règles déontologiques qui s'appliquent à lui et aux décisions et règlements, soit du conseil général de l'Ordre national, dans le régime antérieur à la disparition de celui-ci, soit de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, soit encore de l'Ordre du barreau des avocats auquel il appartient, conclut donc avec l'organisme bancaire qu'il choisit (et il importe peu que celui-ci doive être, en outre, 'agréé' par l'Ordre) un contrat d'ouverture de compte de dépôt de fonds à vue, contrat qui n'est pas, certes, une convention de dépôt au sens de l'article 1915 du Code civil, mais est, cependant, une convention entièrement soumise aux dispositions qui régissent la conclusion et l'exécution des obligations contractuelles et constitue, partant, un contrat de dépôt de fonds à vue que l'avocat conclut en son seul nom et pour son compte strictement personnel, l'avocat n'agissant, ni lors de l'ouverture du compte ni dans le cadre de sa gestion, en qualité de mandataire de ses clients ou des tiers qui lui versent des fonds ou auxquels certaines sommes transférées sur ce compte sont destinées, que ce soit à l'égard de l'organisme bancaire avec lequel il conclut le contrat de compte de dépôt de fonds ou des tiers.

Pour sa part, la banque, alors même que les articles 1915 et 1293, 2° du Code civil ne sont pas d'application, contracte néanmoins uniquement envers son cocontractant, l'avocat, qui procède à l'ouverture du compte et lui transmet les ordres de transfert de fonds, une obligation analogue à celle qui pèse sur le dépositaire.

Dès lors, dans le cadre de ce contrat qui comporte ouverture de crédit, quelle que soit sa qualification, seuls l'avocat et la banque sont des parties au sens de l'article 1101 du Code civil, ce contrat comportant des droits et des obligations dans le chef des deux parties, comme le dit l'article 1102 du même code.

S'il fait la loi des parties et s'impose à elles, selon l'article 1134 de ce code, à défaut de réglementation particulière, légale ou contractuelle, il ne peut contenir ni droit ni obligation au profit ou à charge des tiers, l'article 1119 précisant qu'“on ne peut, en général, s'engager, ni stipuler, en son nom propre, que pour soi-même”, l'article 1121 ne permettant de déroger à ce principe fondamental du droit des obligations contractuelles qu'en vertu d'une stipulation spéciale au profit d'un ou de plusieurs tiers, mais qui doit être la condition d'une stipulation que le contractant fait à son propre profit.

Le contrat d'ouverture de compte de dépôt à vue conclu par un avocat, fût-ce en raison des obligations éventuellement d'ordre public que lui imposent les règles de sa profession, en vue de recueillir les fonds versés par des clients ou des tiers et que l'avocat s'engage, envers ses clients, peu important que cette obligation soit sanctionnée par des règles professionnelles, à transmettre à leur destinataire final, a un objet certain, licite et déterminé, au sens des articles 1126, 1127 et 1130 du Code civil, oblige uniquement le titulaire du compte et la banque qui opèrent son ouverture et en assurent la gestion, dans le respect des articles 1134 et 1137 du Code civil, mais, sous réserve d'une stipulation expresse pour autrui, qui, en toute hypothèse, à défaut de disposition légale lui octroyant une portée plus étendue, ne saurait lier que les parties au contrat de compte de dépôt à vue, ne peut être opposé à un quelconque tiers, tel le fisc, en vertu de l'article 1165 du même code, qui spécifie que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et qu'elles ne nuisent point au tiers, et ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121.

Il s'en déduit que le compte de tiers ouvert par un avocat, sans doute en vue de respecter les obligations professionnelles qui s'imposent à lui, ce qui reste indifférent au regard de l'application des règles du droit commun des contrats et des droits des tiers, n'est pas insaisissable et ne saurait échapper à la règle générale, instaurée par les articles 7, 8 et 9 de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire, qui disposent, le premier, que “quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers, présents et à venir”, le deuxième, que “les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et que le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence”, ce que l'ouverture d'un compte dit de tiers, nonobstant les règlements applicables à la profession d'avocat, ne saurait créer, et le troisième, que “les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques”.

Les sommes d'argent, qui sont choses fongibles, détenues par un avocat, fussent-elles versées sur un compte spécial, même rubriqué, ouvert au nom et pour compte de cet avocat, s'intègrent, à défaut de réglementation dérogatoire les en excluant expressément, dans le patrimoine de cet avocat, titulaire du compte bancaire sur lequel elles sont inscrites et ce, en vertu, notamment, de l'article 2279 du Code civil, et font, dès lors, partie du gage commun des créanciers, sans aucune distinction, de cet avocat, les destinataires éventuels de ces fonds ne jouissant, à défaut de disposition légale spéciale, d'aucun droit de préférence, d'aucun privilège à leur égard et ne pouvant, s'il échet, qu'exercer à leur sujet, dans les conditions imposées par la loi, une éventuelle action en revendication, dès lors que ce compte ferait l'objet d'une saisie pratiquée par un autre créancier du titulaire du compte.

En effet, toutes les remises enregistrées par le compte, fût-il de tiers et proviendraient-elles de fonds appartenant à autrui, sont novées en articles de compte, perdent leur individualité, se confondent au sein du compte qui fait partie du patrimoine du titulaire et sont remplacées par un droit de créance sur le solde dont seul l'ayant compte, à savoir exclusivement la personne qui a ouvert le compte, est titulaire: il s'agit de l'avocat.

L'organisme financier, cocontractant du titulaire du compte, avocat, peu importe qu'il s'agisse d'un compte dit de tiers, les clauses et conditions de l'ouverture de ce compte n'étant opposables, que ce soit par ledit titulaire ou la banque, à aucun tiers, est, lorsque ce compte fait l'objet d'une saisie-arrêt, conservatoire ou exécution, impérativement tenu de respecter les dispositions du Code judiciaire qui l'obligent, d'une part, à notifier sa déclaration de tiers saisi, conformément aux articles 1445 et suivants du Code judiciaire et 1539 dudit code, ainsi que, d'autre part et surtout, “à ne pas se dessaisir des sommes et effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir être déclaré débiteur pur et simple des causes de la saisie, sans préjudice des dommages-intérêts envers la partie, s'il y a lieu” (art. 1540, 1er al. du Code judiciaire).

Si, en vertu du second alinéa de cette disposition, le tiers saisi voit son obligation 'fixée par sa déclaration', il ne résulte pas de cette disposition qu'il serait autorisé à libérer les fonds saisis-arrêtés, soit parce que le saisi contesterait la régularité ou même la légalité de la tierce saisie, soit, moins encore, parce que lui-même jugerait celle-ci illégale, irrégulière ou non fondée.

Au contraire, le tiers saisi, spécialement lorsqu'il s'agit d'un organisme bancaire, est légalement tenu de respecter la saisie-arrêt, fût-elle manifestement illégale, seul le juge des saisies pouvant être, préalablement, invité à se prononcer à propos de la légalité de cette saisie, notamment en vertu des articles 1407, 1415 et 1489 du Code judiciaire.

Les saisies en forme simplifiée, opérées en vertu des articles 164 et 165 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, revêtent les mêmes effets que les mesures conservatoires ou d'exécution pratiquées conformément aux dispositions du Code judiciaire.

Il s'ensuit que, par les motifs rappelés au moyen, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision que la défenderesse aurait versé à bon droit les fonds inscrits dans le compte de dépôt à vue dit compte de tiers au liquidateur du cabinet du titulaire dudit compte nonobstant les saisies opérées par le demandeur conformément aux articles 164 et 165 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus, méconnaît la force obligatoire du contrat sui generis de dépôt de fonds à vue intervenu entre la défenderesse et le titulaire du compte (violation des art. 1101, 1102 et 1134 du Code civil), les effets qu'il revêt entre les parties (violation des art. 1119, 1123, 1126, 1127, 1130, 1137, 1892, 1893, 1895, 1902, 1903, 1904, 1915, 1919, 1921, 1922, 1927, 1932, 1984 et 1988 à 1993, sauf l'art. 1990, du Code civil), la règle selon laquelle, sauf stipulation contraire, qui ne se présume pas, les parties à un contrat ne s'engagent et ne stipulent que pour elles-mêmes (violation des art. 1119 et 1121 du Code civil), ainsi que le principe de l'effet relatif des conventions (violation de l'art. 1165 du Code civil), confond illégalement le régime des comptes de tiers ouverts par les notaires en leur nom mais pour compte des destinataires des sommes et avoirs reçus par lesdits notaires dans l'exercice de leur ministère, régime réglementé expressément par la loi, et celui des comptes de tiers des avocats qui sont ouverts uniquement au nom et pour compte propre de ceux-ci [violation des articles 34 et 34bis de la loi du 24 ventôse an XI (16 mars 1803)], l'effet novatoire des remises et inscriptions sur le compte de dépôt à vue (violation de l'art. 1271 du Code civil), confère aux tiers qui ont versé des fonds sur le compte de dépôt à vue ouvert par le titulaire avocat, ou auxquels ces fonds sont destinés, des droits qu'ils ne possèdent pas (violation, notamment, des art. 1121, 1165, 1166, 1236, 1241 du Code civil), méconnaît le principe suivant lequel, sous réserve d'une éventuelle revendication émanant de ces tiers, les sommes inscrites sur le compte de dépôt de fonds à vue font partie du patrimoine du titulaire de ce compte et constituent aussi le gage commun des créanciers de celui-ci (violation des art. 7, 8 et 9 de la loi hypothécaire), ignore les effets légaux, notamment l'effet d'indisponibilité absolue et l'interdiction faite au tiers saisi de vider ses mains des fonds saisis en faveur de toute autre personne que le saisissant, sauf exercice des recours prévus par la loi intentés par le titulaire du compte ou les tiers (violation des dispositions du Code judiciaire visées au moyen, sauf l'art. 1540 dudit code, et des articles 164 et 165 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus) et écarte illégalement la responsabilité du tiers saisi qui, nonobstant la saisie, s'est dessaisi des sommes saisies-arrêtées sans autorisation judiciaire préalable (violation des art. 1382, 1383 du Code civil et 1540 du Code judiciaire).

III. La décision de la Cour

Le jugement attaqué constate que le compte sur lequel le demandeur, créancier de l'avocat H., a pratiqué la saisie-arrêt litigieuse a été ouvert auprès de la défenderesse par cet avocat et qu'il s'agit d'un compte de tiers dit Carpa qui sert exclusivement à recevoir des fonds destinés à des clients et à des tiers et qui reçoit une dénomination particulière dont le titulaire doit user.

En l'absence d'une disposition légale spécifique, les fonds, quelle que soit leur provenance, qui sont déposés sur un compte de tiers ouvert en son nom dans les livres d'une banque par un avocat agissant pour son compte font partie de la créance de cet avocat contre la banque et ne se distinguent pas de l'ensemble de son patrimoine.

Les créanciers personnels de cet avocat peuvent, dès lors, saisir-arrêter entre les mains de la banque le solde créditeur de ce compte.

En considérant que “les fonds déposés par un titulaire sur un compte spécial exclusivement affecté à la réception des fonds provenant des clients sont détenus à titre précaire par le titulaire du compte et ne font pas partie de son patrimoine”, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision que “le solde de [ce compte] ne peut faire l'objet de poursuites de la part [des] créanciers [du titulaire] et que la saisie pratiquée n'est pas valable”, en sorte que le demandeur “ne peut légitimement invoquer l'existence [de cette] saisie [...] pour justifier un grief adressé au tiers saisi”.

Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu'il statue sur la demande reconventionnelle de la défenderesse;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Huy.

(…)

Conclusions de Monsieur l'avocat général A. Henkes
I. Faits de la cause et antecedents de la procedure

1. Les faits de la cause et les antécédents de la procédure, tels qu'ils résultent des pièces versées au dossier, peuvent être résumés comme suit.

M. Paul Huskin, à cette époque avocat au Barreau de Liège, était redevable envers le fisc d'impôts pour un total de 718.532 FB.

Ne parvenant pas à obtenir paiement de cette dette d'impôts, le demandeur a notifié à la défenderesse par lettre recommandée du 23 août 1996, conformément à l'article 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus (1992), une saisie-arrêt simplifiée sur tous les comptes ouverts auprès d'elle par M. Huskin, et plus particulièrement sur le compte n° 210-0708461-74.

En réponse, la défenderesse a adressé le 9 septembre 1996 une déclaration de tiers saisi dont il résulte qu'elle s'opposait à l'exécution de la notification fiscale, de sorte que le Receveur a fait procéder le même mois à la signification d'une saisi-arrêt exécution. Ensuite de quoi la défenderesse renvoya une seconde déclaration de tiers saisi.

Me Huskin ayant disparu sans laisser d'adresse, l'Ordre des Avocats du Barreau de Liège a désigné Me Adrien Absil en qualité de liquidateur du cabinet de M. Huskin. A sa demande, la défenderesse lui a versé les fonds qui y étaient déposés pour que celui-ci les transmette 'aux parties préjudiciées', nonobstant la saisie-arrêt notifiée par le demandeur.

Par citation du 3 août 2000, le demandeur a assigné la défenderesse devant le juge des saisies du tribunal de première instance de Liège, en se fondant sur l'article 1540 du Code judiciaire, réclamant sa condamnation à lui payer la somme de 25.852 FB, à augmenter des intérêts légaux depuis le 27 septembre 1996, date de l'indisponibilité des fonds, outre les intérêts judiciaires, les frais et les dépens.

2. L'article 1540 du Code judiciaire dispose que dès la réception de l'acte contenant saisie-arrêt, le tiers saisi ne peut plus se dessaisir des sommes ou effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir être déclaré débiteur pur et simple des causes de la saisie sans préjudice des dommages-intérêts envers la partie s'il y a lieu. L'obligation du tiers saisi est fixée soit par sa déclaration, soit, si cette déclaration est contestée, par le juge compétent.

3. Par un jugement du 10 septembre 2001, le juge des saisies de Liège a rejeté la demande et a condamné le demandeur aux frais et aux dépens de l'instance aux motifs que les fonds détenus par un avocat “ne peuvent être saisis à charge de celui-ci mais uniquement à charge de leur propriétaire réel et entre les mains du détenteur”.

Ce jugement a été rendu en dernier ressort en raison des montants en jeu ne permettant pas d'interjeter appel.

Le demandeur a formé un pourvoi en cassation à l'encontre du jugement du 10 septembre 2001.

Par un arrêt du 4 novembre 2005 (C.04.0562.F), votre Cour a accueilli le premier moyen de cassation proposé par le demandeur, pris de la violation de l'article 6 du Code judiciaire, a cassé le jugement du 10 septembre 2001 et a renvoyé la cause devant le tribunal de première instance de Verviers.

Par un jugement du 29 juin 2007, statuant sur renvoi après cassation, le tribunal de première instance de Verviers a rejeté la demande et a condamné le demandeur aux faits et aux dépens de l'instance.

4. Le jugement attaqué rappelle l'objet de sa saisine comme suit: “[le demandeur] postule la condamnation de la défenderesse au paiement [d'une somme d'argent que le juge précise], estimant qu'en versant les fonds saisis au profit [du liquidateur du cabinet de l'avocat défaillant] au mépris de la saisie-arrêt exécution, la défenderesse a enfreint l'article 1540 du Code judiciaire et, conformément au prescrit de cette disposition, doit être déclarée débiteur pur et simple des causes de la saisie”.

Le juge saisi déclare l'action du demandeur non fondée, l'en déboute et le condamne aux dépens, aux motifs que:

“L'ensemble du patrimoine d'un débiteur constituant le gage commun de ses créanciers, 'en principe, toute somme versée à un compte est saisissable à charge du titulaire de celui-ci' [...]; toutefois, 'les fonds déposés par un titulaire sur un compte spécial affecté exclusivement à la réception de fonds provenant des clients sont détenus à titre précaire par le titulaire du compte et ne font pas partie de son patrimoine', en manière telle qu'ils ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt pratiquée par un créancier à charge du titulaire de ce compte spécial; [...] cette règle doit s'appliquer aux comptes professionnels d'avocats intitulés comptes Carpa; [...] en effet, tout avocat doit être titulaire d'un compte qu'il destine exclusivement aux opérations de maniement de fonds auxquelles l'exercice de son activité professionnelle le confronte; [...] [le] compte de tiers [...] doit être ouvert auprès d'une banque agréée par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, lequel ne peut jamais être débiteur, etc.; [...] le compte de tiers et le maniement de fonds de tiers par les avocats sont actuellement régis par un règlement de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone du 16 janvier 2006; [...] auparavant, au moment de la saisie litigieuse, des dispositions semblables étaient déjà d'application sur la base d'un règlement de l'Ordre national du 19 janvier 1989, obligatoire pour tous les avocats belges en vertu de l'article 501 du Code judiciaire; [...] il existait également un règlement de l'Ordre national des avocats du 10 janvier 1992, en vertu duquel, par exemple, lorsqu'un avocat qui détenait en lieu et place des fonds destinés à un tiers apprenait que le créancier de ce tiers avait fait pratiquer saisie-arrêt entre les mains de son client, il devait considérer les fonds qu'il détenait sur le compte Carpa comme frappés par la saisie-arrêt, inviter son client à inclure ceux-ci dans sa déclaration de tiers saisi et transmettre les fonds à qui de droit; [...] ainsi, en raison de ces spécificités et des observations ultérieures, il y a lieu de considérer que les comptes de tiers des avocats ne font pas partie du patrimoine de ceux-ci; [...] il est vrai qu'une partie de la doctrine et de la jurisprudence ne souscrit pas à cette position, invoquant notamment la notion de compte et le principe de la fongibilité des sommes qui y sont inscrites, ainsi que l'absence de dérogation légale au droit commun, différenciant ainsi la situation de l'avocat de celle du notaire, à qui une réglementation légale s'impose en la matière; [...] le tribunal considère qu'au compte Carpa de l'avocat peut être appliqué la théorie du compte de qualité (je souligne); [...] selon cette théorie, un compte pour lequel il est expressément stipulé que le titulaire le détient en une qualité particulière demeure distinct du patrimoine du titulaire; [...] le solde créditeur des comptes de qualité demeure distinct du patrimoine des comptes et fait partie de celui des personnes auxquelles tout ou partie du solde doit en définitive revenir, ce solde fût-il composé de montants revenant à plusieurs personnes tierces par rapport au titulaire; [...] cette solution est notamment fondée sur l'idée que la dénomination du compte et la qualité particulière de son titulaire suffisent à rendre opposable aux tiers l'indivision que ces éléments opèrent dans le patrimoine du titulaire ainsi que sur l'opposabilité au tiers de la fiducie-gestion; [...] la théorie des comptes de qualité est particulièrement adaptée aux comptes de tiers des avocats dans la mesure où:

- l'application des règles auxquelles ils sont soumis renforce la séparation entre les avoirs personnels et les fonds qu'ils détiennent pour les tiers;

- les tiers, et spécialement l'Etat, sont avertis de cette publicité; non seulement, ils savent que l'avocat doit avoir un compte de tiers mais, en outre, ce dernier reçoit une dénomination spécifique dont l'avocat à l'obligation d'user: [...] contrairement à ce qu'affirme [le demandeur], il n'est pas question de créer un privilège sans texte dès lors que l'avocat n'est pas propriétaire des sommes qui sont déposées sur ce compte de tiers”.

Et, partant, le jugement décide que [1] “[...] restant séparé du patrimoine du titulaire du compte tiers, le solde de celui-ci ne peut faire l'objet de poursuites de la part de ses créanciers et que la saisie pratiquée n'est pas valuable”; [2] “[...] de même, l'Etat belge ne peut légitimement invoquer l'existence d'une saisie non valable pour justifier un grief adressé au tiers saisi”.

5. Ainsi, en résumé, le jugement attaqué décide de débouter le demandeur de sa réclamation à l'encontre de la défenderesse de lui payer le solde du compte saisi entre ses mains et dont elle s'est libérée illégalement entre d'autres mains, faite sur la base de l'article 1540 du Code judiciaire, aux motifs [1] que la saisie-arrêt du demandeur est illégale [2] et que pour cette raison sa réclamation à l'encontre de la défenderesse n'est pas fondée.

II. Moyen
A) Exposé

6. Le moyen est pris de la violation des

- articles 1101, 1102, 1119, 1121, 1123, 1126, 1127, 1130, 1134, 1137, 1165, 1166, 1167, 1236, 1241, 1271, 1382, 1383, 1892, 1893, 1895, 1902, 1903, 1904, 1915, 1918, 1919, 1921, 1922, 1927, 1928, 1932, 1984, 1987, 1988, 1989, 1991, 1992, 1993 et 2279 du Code civil;

- articles 7, 8 et 9 de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire;

- articles 1390, 1407, 1408, 1409, 1409bis, 1410, 1411, 1412, 1412bis, 1415, 1445, 1451, 1452, 1453, 1456, 1457, 1458, 1489, 1494, 1539 et 1540 du Code judiciaire;

- articles 164 et 165 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur le revenu 1992;

- articles 34 et 34bis de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803) contenant organisation du notariat.

7. Le moyen fait valoir:

“Au contraire du système organisé par les articles 34 et 34bis de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803), dont la portée a été actualisée par la loi du 4 mai 1999 et qui imposent aux notaires de se dessaisir des sommes et titres reçus pour le compte de tiers (ils ne peuvent les conserver pendant plus d'un mois) et, à défaut de pouvoir les remettre à leurs destinataires dans ce délai, les contraignent à les individualiser sur des comptes spéciaux, dits rubriqués, ouverts par le notaire dans un établissement public ou privé agréé conformément aux dispositions arrêtées par le Roi, la loi ne prévoit aucune réglementation spéciale en ce qui concerne la détention par un avocat de fonds appartenant à des tiers ou destinés à des tiers et les comptes bancaires ouverts par les avocats en vue de recevoir de tels fonds, qui sont uniquement régis par la loi des cocontractants et sont donc soumis aux articles 1134 et suivants et, surtout, 1165 du Code civil.

Au contraire du notaire qui, en vertu du chapitre II de l'arrêté royal du 10 janvier 2002, et plus particulièrement de son article 2, ne peut librement assurer la gestion des fonds des tiers, l'avocat qui ouvre un compte, conformément aux règles déontologiques qui s'appliquent à lui et aux décisions et règlements, soit du conseil général de l'Ordre national, dans le régime antérieur à la disparition de celui-ci, soit de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, soit encore de l'Ordre du barreau des avocats auquel il appartient, conclut donc avec l'organisme bancaire qu'il choisit (et il importe peu que celui-ci doive être, en outre, 'agréé' par l'Ordre) un contrat d'ouverture de compte de dépôt de fonds à vue, contrat qui n'est pas, certes, une convention de dépôt au sens de l'article 1915 du Code civil, mais est, cependant, une convention entièrement soumise aux dispositions qui régissent la conclusion et l'exécution des obligations contractuelles et constitue, partant, un contrat de dépôt de fonds à vue que l'avocat conclut pour son seul nom et pour son compte strictement personnel, l'avocat n'agissant, ni lors de l'ouverture du compte ni dans le cadre de sa gestion, en qualité de mandataire de ses clients ou des tiers qui lui versent des fonds ou auxquels certaines sommes transférées sur ce compte sont destinées, que ce soit à l'égard de l'organisme bancaire avec lequel il conclut le contrat de compte de dépôt de fonds ou des tiers.

Pour sa part, la banque, alors même que les articles 1915 et 1293, 2°, du Code civil ne sont pas d'application, contracte néanmoins uniquement envers son cocontractant, l'avocat, qui procède à l'ouverture du compte et lui transmet les ordres de transfert de fonds, une obligation analogue à celle qui pèse sur le dépositaire.

Dès lors, dans le cadre de ce contrat qui comporte ouverture de crédit, quelle que soit sa qualification, seuls l'avocat et la banque sont des parties au sens de l'article 1101 du Code civil, ce contrat comportant des droits et des obligations dans le chef des deux parties, comme le dit l'article 1102 du même code.

S'il fait la loi des parties et s'impose à elles, selon l'article 1134 de ce code, à défaut de réglementation particulière, légale ou contractuelle, il ne peut contenir ni droit ni obligation au profit ou à charge des tiers, l'article 1119 précisant qu'“on ne peut, en général, s'engager, ni stipuler, en son nom propre, que pour soi-même”, l'article 1121 ne permettant de déroger à ce principe fondamental du droit des obligations contractuelles qu'en vertu d'une stipulation spéciale au profit d'un ou de plusieurs tiers, mais qui doit être la condition d'une stipulation que le contractant fait à son propre profit.

Le contrat d'ouverture de compte de dépôt à vue conclu par un avocat, fût-ce en raison des obligations éventuellement d'ordre public que lui imposent les règles de sa profession, en vue de recueillir les fonds versés par des clients ou des tiers et que l'avocat s'engage, envers ses clients, peu important que cette obligation soit sanctionnée par des règles professionnelles, à transmettre à leur destinataire final, a un objet certain, licite et déterminé, au sens des articles 1126, 1127 et 1130 du Code civil, oblige uniquement le titulaire du compte et la banque qui opèrent son ouverture et en assurent la gestion, dans le respect des articles 1134 et 1137 du Code civil, mais, sous réserve d'une stipulation expresse pour autrui, qui, en toute hypothèse, à défaut de disposition légale lui octroyant une portée plus étendue, ne saurait lier que les parties au contrat de compte de dépôt à vue, ne peut être opposé à un quelconque tiers, tel le fisc, en vertu de l'article 1165 du même code, qui spécifie que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et qu'elles ne nuisent point au tiers, et ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121.

Il s'en déduit que le compte de tiers ouvert par un avocat, sans doute en vue de respecter les obligations professionnelles qui s'imposent à lui, ce qui reste indifférent au regard de l'application des règles du droit commun des contrats et des droits des tiers, n'est pas insaisissable et ne saurait échapper à la règle générale, instaurée par les articles 7, 8 et 9 de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire, qui disposent, le premier, que “quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers, présents et à venire”, le deuxième, que “les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et que le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de preference”, ce que l'ouverture d'un compte dit de tiers, nonobstant les règlements applicables à la profession d'avocat, ne saurait créer, et le troisième, que “les cause légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques”.

Les sommes d'argent, qui sont choses fongibles, détenues par un avocat, fussent-elles versées sur un compte spécial, même rubriqué, ouvert au nom et pour compte de cet avocat, s'intègrent, à défaut de réglementation dérogatoire les en excluant expressément, dans le patrimoine de cet avocat, titulaire du compte bancaire sur lequel elles sont inscrites et ce, en vertu, notamment, de l'article 2279 du Code civil, et font, dès lors, partie du gage commun des créanciers, sans aucune distinction, de cet avocat, les destinataires éventuels de ces fonds ne jouissant, à défaut de disposition légale spéciale, d'aucun droit de préférence, d'aucun privilège à leur égard et ne pouvant, s'il échet, qu'exercer à leur sujet, dans les conditions imposées par la loi, une éventuelle action en revendication, dès lors que ce compte ferait l'objet d'une saisie pratiquée par un autre créancier du titulaire du compte.

En effet, toutes les remises enregistrées par le compte, fût-il de tiers et proviendraient-elles de fonds appartenant à autrui, sont novées en articles de compte, perdent leur individualité, se confondant au sein du compte qui fait partie du patrimoine du titulaire et sont remplacées par un droit de créance sur le solde dont seul l'ayant compte, savoir exclusivement la personne qui a ouvert le compte, est titulaire: il s'agit de l'avocat.

L'organisme financier, cocontractant du titulaire du compte, avocat, peu important qu'il s'agisse d'un compte dit de tiers, les clauses et conditions de l'ouverture de ce compte n'étant opposables, que ce soit par ledit titulaire ou la banque, à aucun tiers, est, lorsque ce compte fait l'objet d'une saisie-arrêt, conservatoire ou exécution, impérativement tenu de respecter les dispositions du Code judiciaire qui l'obligent, d'une part, à notifier sa déclaration de tiers saisi, conformément aux articles 1445 et suivants du Code judiciaire et 1539 dudit code, ainsi que, d'autre part et surtout, “à ne pas se dessaisir des sommes et effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir être déclaré débiteur pur et simple des causes de la saisie, sans préjudice des dommages-intérêts envers la partie, s'il y a lieu” (article 1540, alinéa 1er, du Code judiciaire).

Si, en vertu du second alinéa de cette disposition, le tiers saisi voit son obligation 'fixée par sa déclaration', il ne résulte pas de cette disposition qu'il serait autorisé à libérer les fonds saisis-arrêtés, soit parce que le saisi contesterait la régularité ou même la légalité de la tierce saisie, soit, moins encore, parce que lui-même jugerait celle-ci illégale, irrégulière ou non fondée.

Au contraire, le tiers saisi, spécialement lorsqu'il s'agit d'un organisme bancaire, est légalement tenu de respecter la saisie-arrêt, fût-elle manifestement illégale, seul le juge des saisies pouvant être, préalablement, invité à se prononcer à propos de la légalité de cette saisie, notamment en vertu des articles 1407, 1415 et 1489 du Code judiciaire.

Les saisies en forme simplifiée, opérées en vertu des articles 164 et 165 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, revêtent les mêmes effets que les mesures conservatoires ou d'exécutions pratiquées conformément aux dispositions du Code judiciaire”.

Il s'ensuit que, par les motifs reproduits ci-avant, le moyen soutient que le jugement attaqué:

(a) “ne justifie pas légalement sa décision que la défenderesse aurait versé à bon droit les fonds inscrit dans le compte de dépôt à vue dit compte de tiers au liquidateur du cabinet du titulaire dudit compte nonobstant les saisies opérées par le demandeur conformément aux articles 164 et 165 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenues;

(b) méconnaît la force obligatoire du contrat sui generis de dépôt de fonds à vue intervenu entre la défenderesse et le titulaire du compte (violation des art. 1101, 1102 et 1134 du Code civil), les effets qu'il revêt entre les parties (violation des art. 1119, 1123, 1126, 1127, 1130, 1137, 1892, 1893, 1895, 1902, 1903, 1904, 1915, 1919, 1921, 1922, 1927, 1932, 1984 et 1988 à 1993, sauf l'art. 1990, du Code civil), la règle selon laquelle, sauf stipulation contraire, qui ne se présume pas, les parties à un contrat ne s'engagent et ne stipulent que pour elles-mêmes (violation des art. 1119 et 1121 du Code civil), ainsi que le principe de l'effet relatif des conventions (violation de l'art. 1165 du Code civil);

(c) confond illégalement le régime des comptes de tiers ouverts par les notaires en leur nom mais pour compte des destinataires des sommes et avoirs reçus par lesdits notaires dans l'exercice de leur ministère, régime réglementé expressément par la loi, et celui des comptes de tiers des avocats qui sont ouverts uniquement au nom et pour compte propre de ceux-ci [violation des articles 34 et 34bis de la loi du 24 ventôse an XI (16 mars 1803)], l'effet novatoire des remises et inscriptions sur le compte de dépôt à vue (violation de l'art. 1271 du Code civil), confère aux tiers qui ont versé des fonds sur le compte de dépôt à vue ouvert par le titulaire avocat, ou auxquels ces fonds sont destinés, des droits qu'ils ne possèdent pas (violation, notamment, des art. 1121, 1165, 1166, 1236, 1241 du Code civil);

(d) méconnaît le principe suivant lequel, sous réserve d'une éventuelle revendication émanant de ces tiers, les sommes inscrites sur le compte de dépôt de fonds à vue font partie du patrimoine du titulaire de ce compte et constituent aussi le gage commun des créanciers de celui-ci (violation des art. 7, 8 et 9 de la loi hypothécaire);

(e) ignore les effets légaux, notamment l'effet d'indisponibilité absolue et l'interdiction faite au tiers saisi de vider ses mains des fonds saisis en faveur de toute autre personne que le saisissant, sauf exercice des recours prévus par la loi intentés par le titulaire du compte ou les tiers (violation des dispositions du Code judiciaire visées au moyen, sauf l'art. 1540 dudit code, et des art. 164 et 165 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus);

(f) et écarte illégalement la responsabilité du tiers saisi qui, nonobstant la saisie, s'est dessaisi des sommes saisies-arrêtées sans autorisation judiciaire préalable (violation des art. 1382, 1383 du Code civil et 1540 du Code judiciaire)”.

B) Discussion

8. Le moyen, quoique non divisé en branches, présente deux griefs, qui critiquent la double décision du jugement attaqué suivant lequel (1) la saisie-arrêt exécution pratiquée par le demandeur est illégale et (2) la libération par la défenderesse des fonds saisis-arrêtés est légale (parce que le demandeur ne peut la critiquer sur la base d'une saisie-arrêt exécution illégale).

[1] D'une part, le moyen conteste la considération du juge que le compte Carpa est un compte de qualité dont le solde ne fait pas partie du patrimoine de l'avocat mais relève du patrimoine de ses clients et que, pour ce, décide que la saisie-arrêt exécution est illégale [violations invoquées (b), (c) et (d) reproduites ci-dessus].

Ainsi, le moyen invoque la violation:

- des articles 34 et 34bis de la loi de Ventôse (le jugement confondant le compte Carpa avec les comptes rubriqués des notaires qui eux, en vertu de ces dispositions légales, ne sont effectivement pas saisissables par les créanciers du notaire);

- de l'article 1271 du Code civil (le jugement méconnaissant l'effet novatoire de l'inscription en compte);

- des articles 1165, 1166 du Code civil (le jugement déduisant l'extra-patrimonialité de la convention conclue entre la banque et l'avocat, convention à laquelle les tiers créanciers ne sont pas parties);

- des articles 1121, 1236, 1241 du Code civil (le jugement octroyant aux clients de l'avocat des droits sur le compte qu'ils ne possèdent en réalité pas);

- des articles 7, 8 et 9 de la loi hypothécaire, le jugement violant le principe de la sujétion uniforme des biens du débiteur.

[2] D'autre part, le moyen conteste la décision du juge que, la saisie étant illégale, le créancier ne peut légitimement l'invoquer pour justifier un grief adressé au tiers saisi [violations invoquées (a), (e) et (f)].

Ainsi, le moyen invoque la violation:

- des dispositions du Code judiciaire qui attachent un effet d'indisponibilité à la saisie-arrêt;

- des articles 1382 et 1383 du Code civil ainsi de l'article 1540 du Code judiciaire, qui permettent de rendre le tiers-saisi responsable des causes de la saisie lorsqu'il a méconnu l'indisponibilité.

9. Accueillir le premier grief entraîne la cassation des deux décisions, dès lors que le juge motive la seconde (rejet de l'action originaire en paiement sur la base de l'article 1054 C. jud.) par la première (illégalité de la saisie-arrêt exécution).

Par contre, ne pas accueillir le premier grief n'entraîne pas nécessairement la validité de la décision attaquée de rejet de l'action originaire en paiement, dès lors que le second grief soutient que le bien-fondé de l'action originaire du demandeur ne dépend pas de la validité de la saisie-arrêt mais de la violation par la défenderesse d'une obligation qui lui est propre, ce que le juge méconnaît, de sorte que la décision de rejet n'est pas légalement justifiée.

10. Le second grief, qui s'attaque à la décision rejetant la demande en paiement dirigée à l'encontre de la défenderesse, repose sur les considérations du demandeur que “L'organisme financier, cocontractant du titulaire du compte, avocat, peu important qu'il s'agisse d'un compte dit de tiers, les clauses et conditions de l'ouverture de ce compte n'étant opposables, que ce soit par ledit titulaire ou la banque, à aucun tiers, est, lorsque ce compte fait l'objet d'une saisie-arrêt, conservatoire ou exécution, impérativement tenu de respecter les dispositions du Code judiciaire qui l'obligent, d'une part, à notifier sa déclaration de tiers saisi, conformément aux articles 1445 et suivants du Code judiciaire et 1539 dudit code, ainsi que, d'autre part et surtout, 'à ne pas se dessaisir des sommes et effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir être déclaré débiteur pur et simple des causes de la saisie, sans préjudice des dommages-intérêts envers la partie, s'il y a lieu' (art. 1540, alinéa 1er, du Code judiciaire).

Si, en vertu du second alinéa de cette disposition, le tiers saisi voit son obligation 'fixée par sa déclaration', il ne résulte pas de cette disposition qu'il serait autorisé à libérer les fonds saisis-arrêtés, soit parce que le saisi contesterait la régularité ou même la légalité de la tierce saisie, soit, moins encore, parce que lui-même jugerait celle-ci illégale, irrégulière ou non fondée.

Au contraire, le tiers saisi, spécialement lorsqu'il s'agit d'un organisme bancaire, est légalement tenu de respecter la saisie-arrêt, fût-elle manifestement illégale, seul le juge des saisies pouvant être, préalablement, invité à se prononcer à propos de la légalité de cette saisie, notamment en vertu des articles 1407, 1415 et 1489 du Code judiciaire”.

11. Cette demande en paiement dirigée contre la défenderesse est l'objet de la demande portée devant le premier juge ou encore, selon feu le très regretté Doyen A. Fettweis, la prétention de celui qui introduit la demande, ce qu'il souhaite voir decider (A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Liège, 1985, n° 54, p. 58. Avec le sens des formules percutantes qu'on lui connaît, M. le professeur Georges de Leval souligne que “ce que la partie demande n'est pas la reconnaissance éthérée d'un droit, mais un avantage hors de sa qualification juridique” (Etant entendu que la qualification juridique (avec les effets qui s'y attachent) peut aussi être un résultat recherché par la demande, étant ainsi donc aussi son objet). Pour M. le professeur émérite Van Compernolle, l'objet appartient au domaine du fait (“L'office du juge et le fondement du litige”, RCJB 1982, n° 9)) (La Cour de cassation de France a aujourd'hui adopté ce qu'il est convenu d'appeler 'la conception factuelle de l'objet', soit donc celui-ci dépouillé de sa qualification en droit). Avec le sens des formules percutantes qu'on lui connaît, M. le professeur Georges de Leval souligne que “ce que la partie demande n'est pas la reconnaissance éthérée d'un droit, mais un avantage hors de sa qualification juridique”.

En l'occurrence, ce que le demandeur souhaite, c'est de voir aboutir son action fondée sur l'article 1540 du Code judiciaire. Le juge critiqué l'en a débouté pour une raison - l'illégalité de la saisie-arrêt exécution - qui, selon le demandeur, indépendamment de sa pertinence intrinsèque (qu'il conteste également), ne justifie pas légalement la non-application de l'article 1540 du Code judiciaire.

12. Je suggère d'accueillir ce grief et, pour cette raison, de casser la décision de rejet de l'action en paiement dirigée par le demandeur contre la défenderesse.

Il importe peu que le compte Carpa de l'avocat soit ou non un compte de qualité: dans tous les cas, l'organisme bancaire était tenu de respecter l'indisponibilité qui s'attache à la saisie-arrêt et de remettre les fonds à l'huissier.

Lorsqu'une saisie-arrêt est pratiquée sur le solde d'un tel compte par un créancier du titulaire, la doctrine considère que la banque doit agir comme elle le fait lorsqu'il s'agit d'un compte ordinaire, si ce n'est qu'elle doit indiquer dans sa déclaration de tiers saisi qu'il s'agit d'un compte ouvert en une qualité particulière. La banque ne connaît que le titulaire du compte et n'est pas précisément informée des relations existant entre celui-ci et ceux pour qui il agit. Il appartiendra dès lors à ces derniers de revendiquer, preuve à l'appui, le solde du compte (A.-M. Stranart, “La saisie-arrêt bancaire”, dans R.P.D.B., Compl., t.VIII, Bruxelles, Bruylant, p. 825, n° 59).

E. Dirix, qui est parmi les plus ardents défenseurs de la spécificité du compte dit de qualité, écrit que “en cas de saisie-arrêt du compte Carpa d'un avocat, la banque refusera la libération des soldes inscrits sur le compte, en raison du contrat conclu avec l'avocat” (E. Dirix, “La propriété fiduciaire, outil de gestion. Les comptes rubriqués et qualitatifs”, dans Le trust et la fiducie. Implications pratiques, Bruxelles, Bruylant, 1997, n° 14, p. 188.); le même et K. Broeckx, défendent l'orthodoxie dans le chef de l'organisme financier entre les mains duquel la saisie-arrêt exécution a été pratiquée, parce que, notamment, “verbintenisrechtelijk de bank enkel de rekeninghouder kent” (E. Dirix et K. Broeckx, Beslag, Story-Scientia, 2001, n° 714, p. 417: “Wanneer door schuldeisers van de houder van de rekening derdenbeslag wordt gelegd, zal de bank dit beslag behandelen als een beslag lastens de rekeninghouder. In haar verklaring zal zij echter aangeven dat het om een kwaliteitsrekening gaat. (...) Verder is het zo dat verbintenisrechtelijk de bank enkel de rekeninghouder kent”. J.-P. Buyle, “Les jardins secrets du compte bancaire professionnel de l'avocat”, dans Liber Amicorum L. Simont, Bruxelles, Bruylant, 2002, n° 18, p. 971).

Il peut être admis que, pour la doctrine concernée, du moins implicitement, la revendication doit prendre la forme d'une action en justice. En aucun cas il n'appartient au tiers-saisi de décider, de son propre chef, la libération des sommes saisies-arrêtées. C'est au juge, et à lui seul, d'apprécier la validité des preuves de propriété fournies, lorsque celles-ci sont contestées (On peut d'ailleurs tracer un parallèle avec l'hypothèse d'une saisie-arrêt portant sur des avoirs indivis, par exemple un compte-commun. Dans ce cas également, la banque est tenue de déclarer l'ensemble des sommes portées en compte, le co-titulaire du compte pouvant les faire échapper à la saisie par le biais d'une action en revendication. En ce sens, voyez A.-M. Stranart, “La saisie-arrêt bancaire”, dans R.P.D.B., Compl., t.VIII, Bruxelles, Bruylant, p. 823, n° 55).

13. En conséquence, sauf à constater qu'une décision de justice a fait droit à une action en revendication du destinataire final des sommes portées en compte, le juge des saisies, en se bornant à débouter le demandeur de son action en paiement fondée sur l'article 1560 du Code judiciaire au motif que la saisie-arrêt exécution a été pratiquée sur un compte dit de qualité, ne justifie pas légalement sa décision de ne pas condamner le tiers-saisi alors que ce dernier a méconnu l'effet d'indisponibilité qui s'attache à la saisie-arrêt en vertu de l'article 1540 du Code judiciaire.

14. Il n'y a pas lieu d'examiner le premier grief qui critique la légalité de la décision disant la saisie-arrêt exécution illicite, lequel ne saurait entraîner une cassation plus étendue.

III. Conclusion

15. Cassation du jugement attaqué, sauf en tant qu'il statue sur la demande reconventionnelle de la défenderesse.