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De l'investisseur mécontent et de la responsabilité alléguée de son conseiller, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 360-369

INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseil en placements - Contrat - Vice de consentement - Réticence dolosive - Charge de la preuve - Mention des objectifs du client (arrêté royal du 5 août 1991) - Responsabilité du banquier (non) - Obligation de moyen - Faute - Critère - Appréciation marginale
Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Le silence peut être constitutif de dol lorsqu'il a pour but d'induire l'autre partie en erreur sur la convention. Il appartient à la partie qui s'en prévaut de démontrer qu'en l'absence de ce silence, la convention n'aurait pas été conclue.
La notion d'objectifs du client n'est pas définie par la loi. Conformément aux règles d'interprétation de la loi, il faut donc s'en référer au sens courant. L'objectif du client consiste dans l'option en matière de risques qu'il est prêt à assumer. En sélectionnant l'option “portefeuille actions: comprenant jusqu'à 100% d'actions, c'est-à-dire à risque très élevé”, le contrat de conseil en placements définit bien les objectifs du client en matière de conseil, qui s'inscrivent dans le cadre de placements à risque très élevés par le choix exprimé du portefeuille actions.
Le conseil en placements est une obligation de moyen parce que cette activité est soumise aux aléas du marché financier. Le seul fait de la baisse substantielle d'un portefeuille composé pour la plus grande partie d'actions n'est pas en soi constitutif de faute. Pour engager la responsabilité du conseiller en placements, le client doit démontrer qu'il a commis une faute que n'aurait pas commise un conseiller professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. L'appréciation de la responsabilité du conseiller en placement par les cours et tribunaux est marginale.

FINANCIËLE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadvies - Overeenkomst - Gebrek in de toestemming - Bedrieglijk verzwijgen - Bewijslast - Vermelding van de doelstelling van de cliënt (koninklijk besluit van 5 augustus 1991) - Aansprakelijkheid van de bankier - Middelenverbintenis - Fout - Maatstaf - Marginale toetsing
Bedrog is een oorzaak van nietigheid van de overeenkomst, wanneer het evident is dat de kunstgrepen vanwege een partij van dien aard zijn dat de wederpartij zonder die kunstgrepen het contract niet zou hebben aangegaan. Het verzwijgen kan een bedrog uitmaken wanneer het tot doel heeft de wederpartij in dwaling te brengen met betrekking tot de overeenkomst. Het is aan de persoon die zich hierop beroept om te bewijzen dat de overeenkomst niet zou zijn gesloten indien de kwestieuze informatie niet was verzwegen.
Het begrip doelstelling van de cliënt wordt door de wet niet gedefinieerd. Overeenkomstig de interpretatieregels van de wet, moet men zich dus op de gangbare betekenis baseren. De doelstelling van de cliënt bestaat uit de keuze van de risico's die hij bereid is te nemen. Door te kiezen voor de optie “aandelenportefeuille: kan tot 100% aandelen omvatten, d.i. een heel groot risico”, omschrijft de overeenkomst tot beleggingsadvies goed de doelstelling van de cliënt inzake advies, die zich op het niveau van de beleggingen met heel groot risico bevindt als gevolg van de keuze die is uitgedrukt betreffende de aandelenportefeuille.
Het beleggingsadvies is een middelenverbintenis omdat deze activiteit onderworpen is aan de onzekerheid van de financiële markt. Een substantiële daling van een portefeuille die voor het merendeel uit aandelen bestaat maakt op zich geen fout uit. Om de beleggingsadviseur aansprakelijk te kunnen stellen, moet de cliënt aantonen dat die adviseur een fout heeft gemaakt die een normaal voorzichtige en redelijke professionele adviseur in dezelfde omstandigheden geplaatst niet zou hebben gemaakt. De toetsing van de aansprakelijkheid van de beleggingsadviseur door de hoven en rechtbanken is marginaal.
De l'investisseur mécontent et de la responsabilité alléguée de son conseiller
I. Introduction

L'arrêt prononcé le 26 mars 2009 par la 9ème chambre de la cour d'appel de Bruxelles est intéressant à plus d'un titre.

1.L'arrêt est intéressant, en premier lieu, en raison de l'argument soulevé à titre principal par l'appelant, lequel sollicitait l'annulation d'une convention de conseil en placements et de son avenant pour cause de réticence dolosive dans le chef du banquier.

Si la nullité de conventions de gestion de fortune ou de conseil en placements pour cause de vice de consentement est parfois invoquée devant les cours et tribunaux, rares sont les décisions publiées qui se sont réellement prononcées sur cette question. A dire vrai, nous n'en connaissons qu'une seule autre [1].

2.Ensuite, la cour d'appel de Bruxelles était invitée à se prononcer, à titre subsidiaire, sur la question de la validité formelle de la convention de conseil en placements au regard des dispositions de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, spécialement en ce qui concerne l'obligation découlant de son article 8, § 2, d'indiquer, dans la convention écrite entre parties, les objectifs du client en matière de conseil.

Ici encore, la nullité de conventions de gestion de fortune ou de conseil en placements est certes fréquemment invoquée en raison de manquements, allégués ou avérés, aux formalités imposées par l'arrêté royal précité, alors que la notion 'd'objectifs du client' en matière de conseil ou de gestion a, quant à elle, suscité fort peu d'intérêt, jusqu'à récemment.

3.Enfin, la responsabilité contractuelle du banquier, du chef de manquements commis dans le cadre de l'exécution de la convention de conseil en placements, a été soulevée par le demandeur à titre plus subsidiaire.

La décision ici commentée est l'occasion de faire le point sur ces trois questions.

Précisons encore qu'un pourvoi en cassation a été introduit à l'encontre de l'arrêt commenté et que ce dernier a été rendu sous l'empire de l'arrêté royal du 5 août 1991 [2].

II. Les faits

4.Les faits de la cause peuvent être résumés de la façon suivante.

Le 13 janvier 1999, l'appelant a conclu avec une banque un contrat de conseil en placements ayant notamment pour objet l'examen de la composition initiale de ses avoirs ainsi que l'élaboration et la proposition par la banque d'un programme général d'investissement.

Le contrat prévoit que la banque fournira des conseils d'investissement, suggérera les modifications qu'elle estime souhaitables et fera des propositions d'arbitrage, de sa propre initiative ou sur demande du client.

Ce dernier se réserve la libre disposition de ses titres. Il conserve donc le pouvoir d'acheter et de vendre et n'a aucunement l'obligation de suivre les conseils prodigués.

Parmi cinq orientations proposées par le contrat, son article 2 énonce que le client a choisi le “portefeuille actions: comprenant jusqu'à 100% d'actions, c'est-à-dire à risque très élevé”.

5.Dans le courant de l'année 1999, la valeur du portefeuille de l'appelant s'est accrue et ce dernier a félicité la banque par écrit pour la qualité de ses conseils.

L'année suivante, le portefeuille de l'appelant connaît une moins-value, laquelle s'est considérablement amplifiée en 2001.

Le 18 juin 2001, l'appelant reproche à la banque la stratégie d'investissement conseillée, consistant à maintenir les titres en portefeuille.

Plus tard, l'appelant fait encore grief à la banque d'avoir maintenu cette stratégie en 2002 malgré la perte importante de valeur des titres et reproche, en particulier, à la banque de lui avoir conseillé d'acquérir les titres d'une société américaine dans le secteur des télécommunications.

Par un courrier du 30 juillet 2002, la banque résilie unilatéralement la convention de conseil en placements au motif que la confiance réciproque est rompue.

6.L'appelant a finalement assigné la banque le 10 mars 2004 devant le tribunal de commerce de Bruxelles en invoquant, dans l'ordre:

    • la nullité de la convention du chef de réticence dolosive;
    • la nullité de la convention pour cause de manquements par la banque aux formalités imposées par l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements;
    • la réparation du préjudice, à évaluer à dires d'expert, qui lui a été causé par la banque à laquelle il reproche des manquements dans l'exécution du contrat, en l'occurrence le fait de ne pas avoir respecté ses objectifs de placements.

    La question de la qualification du contrat semble ne pas avoir été contestée.

    Le tribunal de commerce de Bruxelles ayant débouté le client, celui-ci a maintenu ses arguments en degré d'appel.

    III. Les questions soumises à la cour
    A. La nullité du contrat de conseil en placements pour vice de consentement - La réticence dolosive

    7.L'appelant reproche en premier lieu à la banque d'avoir commis une réticence dolosive au cours de la réunion qui a eu lieu entre parties le 30 novembre 1998 lors de la phase précontractuelle.

    Au cours de cette réunion, l'appelant soutient avoir fait part à la banque de ses objectifs de placements consistant à augmenter la valeur de son portefeuille et, à tout le moins, à la conserver au moyen d'une gestion dite 'active et dynamique' de ses avoirs.

    L'arrêt annoté nous apprend que cette gestion active et dynamique aurait, aux dires de l'appelant, impliqué d'une part, le recours à la technique du 'stock picking', à savoir le choix sélectif et temporaire de valeurs au travers d'un grand nombre d'opérations à intervalles fréquents destinés à permettre une réaction rapide à des modifications de cours et, d'autre part, le recours à des mesures conservatoires telles que la fixation d'un 'stop loss', de même que l'achat d'options en vue de couvrir les risques.

    Selon l'appelant, les conseillers en placements de la banque étaient en réalité tenus de suivre une politique de gestion conservatrice basée sur le long terme et définie par le comité d'investissement de la banque. Ils ne pouvaient donc pas, selon lui, pratiquer la gestion active et dynamique qu'il souhaitait.

    La réticence dolosive aurait dès lors consisté à lui avoir laissé croire que son conseiller en placements lui prodiguerait des conseils dans le cadre de la gestion souhaitée et à avoir tu le fait que ces conseils s'inscriraient dans le cadre d'une gestion conservatrice.

    L'appelant alléguait que s'il en avait préalablement été informé par la banque, il n'aurait pas contracté avec elle.

    8.La cour a débouté l'appelant sur ce point, confirmant ainsi la décision du premier juge.

    Pour ce faire, elle a spécialement constaté que l'appelant n'apportait pas la preuve du fait qu'il aurait clairement exprimé l'intention d'obtenir des conseils dans le cadre d'une gestion dite active et dynamique, faisant appel à des techniques particulières et que, par conséquent, il n'établissait pas non plus que la banque aurait sciemment gardé le silence afin de le tromper et d'emporter son consentement à conclure la convention.

    En premier lieu, se fondant sur la convention de conseil en placements, la cour a constaté que son article 10, lequel traite des éventuelles 'dispositions particulières', portait la mention 'néant'.

    Elle en a déduit que si l'appelant avait réellement exprimé, lors de la phase précontractuelle, ses desiderata quant au type de gestion exigé et aux techniques particulières souhaitées, ceux-ci auraient nécessairement été énoncés à l'article 10.

    Ensuite, après avoir procédé à l'analyse de la correspondance échangée entre parties lors de la phase d'exécution de la convention de conseils en placements, la cour en a conclu que l'appelant n'établit nullement que son exigence de recevoir des conseils dans le cadre d'une gestion active et dynamique serait entrée dans le champ contractuel au moment de la conclusion de la convention.

    A défaut de le démontrer, il devenait juridiquement impossible pour l'appelant d'établir une quelconque tromperie dans le chef de la banque.

    Sous réserve d'une exacte application par la cour des principes aux faits qui lui étaient soumis, ce que l'arrêt ne nous permet pas de vérifier, la décision ne nous paraît à première vue pas critiquable.

    9.Commençons par rappeler ce qui peut passer pour une évidence: le droit financier, en général, et les conventions de gestion de fortune ou de conseil en placements, en particulier, n'échappent pas à la théorie générale des vices du consentement consacrée par les articles 1109 et suivants du Code civil.

    C'est ainsi que se prononçant au sujet des petits artifices inoffensifs qui sont souvent tolérés dans les publicités commerciales et qui ne permettent en principe pas d'obtenir l'annulation du contrat pour cause de dol, Henri De Page écrivait déjà:

    “En matière d'émissions financières, il y a lieu toutefois de se montrer plus sévère, étant donné qu'on s'adresse au grand public, qui n'a d'ordinaire pas les moyens de vérifier les allégations des prospectus” [3].

    Il est donc possible, en théorie, pour le client d'une banque d'obtenir l'annulation d'une convention de gestion de fortune ou de conseil en placements pour cause de dol.

    Encore faut-il que ce client soit alors en mesure d'établir la réunion des conditions d'application de ce mécanisme.

    C'est en cela que réside toute la difficulté.

    10.La matière a déjà donné lieu à nombre d'études et de commentaires approfondis. Aussi nous contenterons-nous de rappeler les éléments essentiels susceptibles de s'appliquer au cas d'espèce.

    Aux termes de l'article 1116 du Code civil, “le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté”.

    Il est traditionnellement enseigné que le dol consiste en une discordance entre la volonté réelle et la volonté déclarée qui n'est pas spontanée mais qui est, à l'inverse, provoquée par des manoeuvres frauduleuses. Ce point est essentiel car il permet seul de faire la distinction entre l'erreur et le dol, ces deux vices répondant à des règles différentes. Le vice de consentement dont il est ici question implique donc que la victime du dol soit volontairement induite en erreur au moyen d'artifices et autres tromperies [4].

    Plusieurs conditions d'application sont exigées pour qu'une convention puisse être annulée du chef de dol.

    11.Le dol implique avant tout un élément matériel, à savoir l'existence de manoeuvres frauduleuses.

    Dans une acception positive, seule admise à l'origine, les manoeuvres consistent en autant d'artifices, tromperies, stratagèmes et autres machinations impliquant un comportement actif de la part de leur auteur [5].

    Par divers arrêts successifs, la Cour de cassation a cependant admis que la réticence d'une partie, son silence qualifié, puisse être constitutif de dol lorsqu'il porte sur un fait qui, s'il avait été connu de l'autre partie, l'aurait amenée à ne pas contracter ou à contracter à des conditions moins onéreuses [6].

    Le caractère dolosif de la manoeuvre répond ici à une acception négative et requiert de son auteur non plus une action mais une abstention coupable: se taire lorsqu'il existe une obligation de parler, que celle-ci résulte de la loi, de la situation professionnelle d'une des parties ou encore de l'obligation de loyauté et de bonne foi qui impose de répondre loyalement aux questions posées dans la phase précontractuelle [7].

    La réticence dolosive se situera dès lors souvent aux confins entre le devoir d'information qui peut peser sur une partie et l'obligation de renseignement qui peut peser sur l'autre [8].

    12.Outre la matérialité des manoeuvres, le caractère intentionnel de celles-ci est requis.

    L'intention de tromper, élément subjectif s'il en est, est une condition à part entière du dol [9].

    13.Enfin, les manoeuvres dolosives doivent aussi avoir été déterminantes du consentement de la victime du dol de telle sorte que sans celles-ci, elle n'aurait pas contracté ou ne l'aurait fait qu'à des conditions différentes [10].

    L'influence de ces manoeuvres sur l'altération du consentement de la victime permet de faire la distinction entre dol principal et dol incident [11].

    14.Une fois ces trois conditions réunies, il appartient encore à la victime du dol, demanderesse à l'action, d'en établir l'existence conformément aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire.

    L'article 1116, 2ème alinéa, du Code civil énonce que le dol ne se présume pas et qu'il doit être prouvé, cette disposition ayant pour but d'écarter la règle de l'ancien droit 'dolus ex re ipsa' en précisant que la preuve du dol ne peut résulter ou être déduite de l'acte lui-même mais qu'elle doit être rapportée de façon spécifique [12].

    Celui qui se prétend victime d'un dol doit donc prouver l'existence des manoeuvres ou de la réticence, le fait que celles-ci étaient destinées à emporter le consentement de la victime à contracter et le caractère déterminant de ces manoeuvres ou de cette réticence sur son consentement.

    Cette preuve pourra cependant être rapportée par toutes voies de droit, en ce compris par présomptions, ainsi que l'a confirmé la Cour de cassation [13]. Dans un arrêt récent, cette dernière a également rappelé que si le juge du fond constate en fait la réunion des conditions du dol, en ce compris l'intention de tromper, la Cour de cassation contrôle si des faits qu'il a relevés, le juge a pu légalement déduire l'exi­stence d'un dol ayant eu pour effet d'amener la victime à contracter [14].

    15.La tâche de l'appelant en l'espèce était donc ardue dans la mesure où, pour emporter l'annulation de la convention de conseil en placements, il aurait dû:

      • prouver le silence qualifié dans le chef de la banque, et donc établir qu'il avait bien exprimé son intention d'être conseillé dans le cadre d'une gestion dite 'active et dynamique' ayant recours aux mesures précitées;
      • prouver le caractère intentionnel de cette réticence;
      • et établir que sans celle-ci, il n'aurait pas contracté du tout.

      C'est au niveau de la première condition que l'argument de l'appelant a été rejeté (voy. supra, n° 8), la cour ayant consta­té qu'aucun élément ne permettait d'établir les allégations du client de la banque.

      Pour ce faire, la cour s'est fondée à la fois sur le seul document contractuel en sa possession, à savoir la convention de conseil en placements, ainsi que sur la correspondance échangée postérieurement à sa formation.

      En définitive, c'est à un problème probatoire que s'est heurté le client de la banque quant à son argument principal.

      Comme indiqué plus haut (voy. supra, n° 8), la décision de la cour nous paraît devoir être approuvée sur ce point.

      Il nous semble par contre devoir en aller autrement quant à la seconde question soumise à l'appréciation de la cour d'appel.

      B. La nullité de la convention pour cause de manquements par la banque aux formalités imposées par l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements

      16.A titre subsidiaire, l'appelant invoquait l'absence de validité formelle de la convention de conseil en placements au regard des dispositions de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, spécialement en ce qui concerne l'obligation découlant de son article 8, § 2, d'indiquer, dans la convention écrite entre parties, les objectifs du client en matière de conseil.

      L'appelant postulait en conséquence l'annulation de cette convention.

      A ce sujet, l'arrêt commenté nous apprend que selon l'appelant, “ses objectifs étaient d'être conseillé dans le cadre d'une gestion active et dynamique de son portefeuille”.

      L'appelant alléguait, d'une part, que le contrat de conseil en placements ne mentionnait pas ses objectifs réels et, d'autre part, qu'il n'en mentionnait même aucun, en violation de l'article 8, § 2, de l'arrêté royal précité.

      De façon plus incidente, il reprochait également à la banque de ne pas avoir adapté le contrat de conseil en placements à la suite de sa lettre du 18 juin 2001 dans laquelle il exprimait ses desiderata et invoquait ainsi un manquement à la circulaire BA/1/92 de la Commission bancaire et financière du 14 août 1992 relative à la gestion de fortune et au conseil en placements.

      17.La cour a ici également débouté l'appelant de cette demande en annulation en commençant par constater que l'article 1er du contrat de conseil en placements énonce que la banque “examinera la composition initiale” des avoirs en titres, en liquidités et en or “et proposera au client un programme général d'investissement en tenant compte des desiderata particuliers de celui-ci et des cinq orientations de base offertes, définies au point 2 ci-dessous” (c'est nous qui soulignons).

      Quant à l'article 2, il mentionnait les cinq orientations de base parmi lesquelles l'appelant a choisi le “portefeuille actions: comprenant jusqu'à 100% d'actions, c'est-à-dire à risque très élevé” et précisait également que “le client donne expressément instruction à la banque de lui fournir des conseils pour la gestion des avoirs soumis au présent contrat selon l'orientation du portefeuille actions”.

      La cour en a conclu que le contrat de conseil en placements mentionne bien 'les objectifs' de l'appelant en matière de conseil et que 'cet objectif' était même 'clairement exprimé' et consistait à “obtenir des conseils dans le cadre d'un portefeuille composé d'actions jusqu'à 100%, ce qui présente un risque très élevé”.

      Il en résulte, pour la cour d'appel, qu'en faisant le choix d'un portefeuille composé jusqu'à 100% d'actions, l'appelant “a défini un objectif de conseil dans le cadre de placements très risqués”.

      Afin de conforter sa décision, la cour a constaté, à l'instar de ce qu'elle avait fait lors de l'examen de l'argument tiré de la réticence dolosive, qu'à défaut pour l'appelant d'avoir exprimé des desiderata particuliers à l'article 10 de la convention, ainsi qu'il en avait la possibilité, celui-ci n'établit pas avoir exprimé son souhait d'être conseillé dans le cadre d'une gestion dite 'active et dynamique' et qu'il ne s'agit pas d'un objectif pouvant être invoqué a posteriori.

      Rencontrant ensuite l'argument tiré d'un défaut d'adaptation du contrat en cours d'exécution, la cour d'appel a analysé le courrier invoqué par l'appelant avant de conclure que celui-ci ne contenait pas de modification des objectifs du client en matière de conseil en placements au motif que l'appelant “n'exprime aucune modification des risques qu'il est prêt à assumer” mais se contentait de reprocher à la banque la stratégie adoptée face à la baisse du marché, à savoir l'absence de réaction rapide, de gestion dynamique et d'adoption de mesures conservatoires.

      En conséquence, la cour d'appel de Bruxelles a décidé qu'il n'y avait pas de violation de l'article 8, § 2, de l'arrêté royal précité et a dès lors débouté l'appelant de ce chef de demande subsidiaire.

      18.Les formalités imposées par l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements sont connues.

      En matière de conseil en placements, l'article 8, § 2, de l'arrêté royal, pendant de l'article 8, § 1er, relatif à la gestion de fortune, énonce que les sociétés de conseil en placements ne peuvent commencer à prester des services de conseil en placements à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite, laquelle doit contenir pas moins de six mentions différentes parmi lesquelles 'l'objet de la convention' et “les objectifs du client en matière de conseil conformément à l'article 19”.

      L'article 9 énonce quant à lui que les conventions visées aux articles 8, § 1er ou § 2, doivent en outre contenir quatre mentions supplémentaires.

      Enfin, selon l'article 19, “avant de conclure une convention de gestion de fortune ou de conseil en placements, les sociétés de gestion de fortune et les sociétés de conseil en placements doivent demander à leurs clients les informations utiles sur leur expérience en matière d'investissement, et leurs objectifs en ce qui concerne les services demandés”.

      L'on aperçoit ainsi dès le départ le lien existant, d'une part, entre l'article 19, qui impose aux conseillers en placements, préalablement à la conclusion de la convention, de se renseigner auprès de leurs clients sur leurs objectifs et, d'autre part, l'article 8, § 2, qui impose aux mêmes conseillers de mentionner ces objectifs dans la convention, l'article 8 renvoyant d'ailleurs expressément à l'article 19.

      19.Les notions 'd'objectifs en matière de conseil' (art. 8, § 2) ainsi que 'd'objectifs en matière de gestion' (art. 8, § 1er) n'ont pas été définies par le Roi.

      Alors qu'elle avait dans un premier temps suscité peu de commentaires, la question de savoir à partir de quel moment les objectifs du client sont ou ne sont pas valablement mentionnés dans la convention a été lentement mais largement débattue, donnant lieu à des décisions parfois en sens contraire.

      L'examen des décisions publiées ces dernières années, qui se sont prononcées sur cette question, est intéressant:

        • par un jugement du 2 septembre 2004, le tribunal de commerce de Bruxelles a décidé “qu'en sélectionnant l'option portefeuille 'actions', les parties ont clairement défini l'orientation de base de la gestion souhaitée et partant les objectifs poursuivis; que contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la mention 'actions' jointe au terme 'portefeuille' tend moins à indiquer les instruments de placement envisagés, qu'à qualifier le portefeuille choisi, au même titre que les termes 'défensif, neutre, agressif', qui qualifient d'autres orientations de base” [15];
        • pratiquement au même moment, le tribunal de première instance de Bruxelles a, par un jugement du 23 septembre 2004, décidé en sens contraire que la sélection dans un contrat de gestion de fortune de l'option portefeuille 'actions' ne suffit pas à définir les objectifs d'un investisseur: “Que, s'il peut être admis que les actions constituent, par nature, des instruments financiers qui sont davantage sujets aux fluctuations que les obligations, cette caractéristique ne suffit pas à définir les objectifs d'un investisseur qui souhaite un portefeuille exclusivement composé d'actions; Que les discussions actuelles entre les parties illustrent cette insuffisance” [16];
        • le 17 octobre 2005, le tribunal de commerce de Bruxelles a rendu le jugement qui a ensuite été soumis à la censure de la cour d'appel de Bruxelles et a donné lieu à l'arrêt ici commenté. Le tribunal avait décidé qu' “en sélectionnant l'option portefeuille 'action', le client a ainsi clairement défini l'orientation de base de la gestion souhaitée et partant les objectifs poursuivis”, confirmant ainsi sa jurisprudence antérieure [17];
        • par un jugement du 11 avril 2008, le tribunal de première instance de Bruxelles est, quant à lui, revenu sur sa jurisprudence antérieure, en décidant: “Que parmi les quatre propositions d'objectifs de gestion proposées par la défenderesse, ils [les demandeurs] ont retenu et choisi celles intitulées 'portefeuille neutre' et 'portefeuille agressif'; ... Que les demandeurs avaient également la possibilité de mentionner leurs desideratas; qu'ils ne l'ont pourtant pas fait; Qu'il peut en être déduit qu'ils n'avaient pas d'autres objectifs que ceux mentionnés dans les conventions” [18].

        Dans une remarquable note d'observations consacrée à cette dernière décision et parue dans la présente revue, Marc-David Weinberger nous paraît avoir très justement répondu à la question de savoir si la notion légale d'objectifs de gestion peut se réduire et se confondre avec la composition globale d'un portefeuille ou avec le degré de risque qu'un investisseur est disposé à prendre [19].

        Après avoir observé que la mention des objectifs de gestion, telle qu'exprimée à l'article 8, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 5 août 1991, est bien distincte d'autres mentions devant également figurer dans la convention, telles que l'objet de la convention (art. 8, § 1er, 1°), le type d'opérations autorisées (art. 8, § 1er, 3°) et le risque financier admis (art. 8, § 1er, 4°), l'auteur a démontré que “la composition globale d'un portefeuille ou l'orientation à donner à la gestion ne sont jamais, en elles-mêmes, les objectifs du client, mais seulement le moyen supposé de la réalisation de ces objectifs et, par extension, une première esquisse de la stratégie à mettre en oeuvre par le gérant” [20].

        Cette solution, que nous approuvons, peut être transposée mutatis mutandis à la notion voisine d'objectifs en matière de conseils énoncée par les articles 8, § 2 et 19 du même arrêté royal et dont nous avons vu qu'elle n'a pas davantage été définie par le Roi.

        20.En l'espèce, l'arrêt commenté vient renforcer les quelques décisions antérieures évoquées ci-avant et peut être soumis aux mêmes critiques.

        Qu'il s'agisse de gestion de portefeuille ou de conseil en investissement, un objectif de base nous semble, en définitive, être universellement partagé par tous les investisseurs: celui qui consiste à réaliser un gain.

        Nous n'avons en effet jamais rencontré d'investisseur désireux de réaliser une perte …

        Au-delà de cet objectif principal, des objectifs secondaires apparaissent qui ne seront plus nécessairement partagés par l'ensemble des investisseurs, que du contraire: certains rechercheront un rendement élevé et seront disposés à prendre des risques importants, quitte à perdre au final une partie de leur capital de départ, alors que d'autres souhaiteront réaliser des gains plus modestes mais attacheront de l'importance à conserver leur capital de départ.

        Certains investisseurs ont un horizon de placement lointain et/ou disposent d'un patrimoine conséquent, autorisant une prise de risque élevée par rapport au capital investi, là où d'autres ont un horizon de placement plus rapproché et disposent d'un patrimoine bien plus modeste, rendant la prudence obligatoire [21].

        L'on aperçoit immédiatement que les objectifs qui sont s­usceptibles d'animer les investisseurs en matière de conseil ou de gestion peuvent en définitive être multiples et variés.

        21.Les articles 8 et 19 de l'arrêt royal interdisent aux gestionnaires de fortune et aux conseillers en placements de commencer à prester des services et même de conclure une convention de gestion ou de conseil avant d'avoir, notamment, identifié les objectifs du client en ce qui concerne les services demandés [22].

        Ce travail d'identification des objectifs du client et leur mention dans la convention constituent, pour le gestionnaire ou le conseiller, une obligation de résultat, ceux-ci étant tenus d'établir une convention qui réponde au prescrit de l'arrêté royal du 5 août 1991. Au besoin, le professionnel peut également être amené à devoir aider le client à formuler des objectifs compréhensibles et, si ceux-ci s'avèrent contradictoires, à en informer le client et à l'aider à clarifier ceux qui sont prioritaires [23].

        En ce sens, la composition d'un portefeuille et le recours, par exemple, à une majorité d'actions, nous paraît plus constituer un moyen d'atteindre un objectif (dans notre exemple, celui de réaliser un gain relativement important) que de constituer une fin en soi.

        Il en résulte, selon nous, que la simple référence à un portefeuille composé principalement voire exclusivement d'actions ne permet et ne suffit pas à identifier les objectifs du client en matière de conseil ou de gestion.

        Il n'en irait autrement selon nous que si la convention précisait clairement qu'à tel objectif (par exemple la réalisation d'un gain tout en conservant à tout moment le capital de départ) correspond un type de gestion (défensive) et une composition globale du portefeuille (une majorité d'obligations par exemple).

        Tel ne semble pas avoir été le cas en l'espèce.

        22.Dès lors, lorsqu'elle décide, d'une part, qu'en choisissant le “portefeuille actions: comprenant jusqu'à 100% d'actions, c'est-à-dire à risque très élevé”, le contrat de conseil en placements mentionne bien 'les objectifs' de l'appelant en matière de conseil et, d'autre part, que 'cet objectif' était même 'clairement exprimé' et consistait à “obtenir des conseils dans le cadre d'un portefeuille composé d'actions jusqu'à 100%, ce qui présente un risque très élevé”, la cour nous paraît se livrer à une interprétation qui ne peut être suivie.

        En effet, décider que les objectifs d'un investisseur souhaitant recevoir des conseils en placements consisteraient précisément à recevoir des conseils dans le cadre d'un portefeuille composé d'actions, ce qui présente un risque très élevé, revient, de notre point de vue, à télescoper et, en quelque sorte à fusionner, les notions d'objectifs en matière de conseil, de composition de portefeuille et de risques.

        Cette confusion saute également aux yeux lorsque la cour écrit que “D.D. a, par le choix de la composition du portefeuille, défini un objectif de conseil dans le cadre de placements très risqués”.

        Il faut cependant constater que l'appelant lui-même a peut-être, d'une certaine façon, contribué à cette confusion dans la mesure où l'arrêt énonce que “D.D. soutient que ses objectifs étaient d'être conseillé dans le cadre d'une gestion active et dynamique de son portefeuille”.

        Il n'en reste pas moins que si tel devait être le cas, l'éventuelle confusion commise par l'appelant ne pourrait purger la convention du vice qui l'affectait, s'il devait se confirmer que l'une des mentions prévues par l'arrêté royal faisait défaut en l'espèce.

        23.En ce qui concerne l'argument invoqué plus incidemment par l'appelant selon lequel la banque n'aurait pas tenu compte de la modification de ses objectifs exprimée dans sa lettre du 18 juin 2001, le raisonnement de la cour ne nous semble, à nouveau, pas pouvoir être suivi sans réserve en ce que celle-ci décide que le courrier précité de l'appelant ne contenait pas de modification de ses objectifs en matière de conseil en placements “parce qu'il n'exprime aucune modification des risques qu'il est prêt à assumer”.

        Ce faisant, la cour semble indiquer que seule l'expression d'une modification des risques disposés à être assumés con­stituerait une modification des objectifs de placements alors que nous avons vu plus haut que la notion d'objectifs en matière de conseil ne peut se confondre ni se réduire à celle de composition du portefeuille ou de risques relatifs à l'investissement (voy. supra, nos 20 à 22).

        En revanche, la décision de la cour nous paraît devoir être approuvée en ce qu'elle décide que la lettre du 18 juin 2001 ne contenait pas de modification des objectifs du client mais contenait uniquement des griefs relatifs à la stratégie conseillée et à l'absence de gestion 'active et dynamique'.

        C. La responsabilité de la banque dans le cadre de l'exécution de la convention de conseil en placements

        24.Le troisième argument invoqué par l'appelant est plus classique en ce qu'il visait à mettre en cause la responsabilité de la banque en raison de fautes qui auraient été commises dans la phase d'exécution de la convention de conseil en placements.

        Plusieurs griefs étaient ainsi successivement dirigés contre la banque.

        (1) En premier lieu, l'appelant reprochait à la banque de ne pas avoir respecté ses desiderata dans le cadre des conseils donnés.

        Ainsi qu'il l'avait déjà soutenu devant le premier juge, l'appelant alléguait qu'il souhaitait être conseillé dans le cadre d'une gestion dite 'active et dynamique' consistant, d'une part, à réaliser un grand nombre d'opérations boursières et, d'autre part, à faire usage de mesures conservatoires telles que l'application d'un 'stop loss'.

        (2) Ensuite, l'appelant faisait grief à la banque de ne pas avoir respecté son souhait d'augmenter la part de liquidités présentes dans son portefeuille en fonction de l'état des marchés financiers.

        Il reprochait également à son conseiller en placements un manque de formation et de compétence.

        (3) Enfin, l'appelant alléguait que les conseils qui lui ont été prodigués n'étaient pas ceux d'un banquier normalement prudent et avisé, placé dans les mêmes circonstances, au motif, d'une part, que la banque n'aurait pas consacré le temps nécessaire à sa mission et, d'autre part, qu'elle lui aurait déconseillé de vendre certaines actions en portefeuille.

        En conséquence, l'appelant sollicitait la condamnation de la banque à lui payer la somme de 1 EUR à titre provisionnel et la désignation d'un expert en vue de l'évaluation du dommage.

        25.A nouveau, la cour a jugé non fondée la demande de l'appelant:

        (1) Sur le premier grief, pris de la violation des desiderata et objectifs de placement de l'appelant, la cour d'appel de Bruxelles ne pouvait logiquement se départir des constatations déjà effectuées par elle lors de l'examen des deux premiers arguments.

        Après avoir rappelé que les desiderata particuliers de l'appelant, consistant à être conseillé dans le cadre d'une gestion 'active et dynamique', ne figuraient pas dans la convention de conseil en placements et n'ont été émis pour la première fois que par la lettre du 18 juin 2001, la cour a décidé qu'avant l'envoi de cette lettre, l'appelant ne pouvait reprocher à la banque de ne pas avoir tenu compte de ses desiderata.

        Quant à la période postérieure à ladite lettre, la cour a décidé que pour engager la responsabilité de la banque, l'appelant devait démontrer que celle-ci avait commis une faute en prodiguant des conseils ne respectant pas les desiderata émis.

        Or, la cour a constaté que l'appelant n'a démontré ni la nature des conseils prodigués ni le fait que la banque lui aurait déconseillé telle ou telle opération alors que la charge de la preuve lui incombait, en sorte que l'appelant n'a pas établi l'existence d'une faute contractuelle dans le chef de la banque.

        (2) Quant au second groupe de griefs, après avoir constaté que l'appelant s'était réservé la libre disposition de son portefeuille et la liberté de suivre ou non les conseils prodigués - ce qui est logique dans le cadre d'une convention de conseil - la cour a constaté que la banque était tenue par le choix du client visant à recevoir des conseils dans le cadre d'un portefeuille composé presqu'exclusivement d'actions, la proportion d'actions devant être comprise entre 85% et 100% d'actions.

        La cour a estimé que ce faisant, l'appelant a lui-même exclu toute possibilité de plus ample diversification et ne pouvait donc pas reprocher à la banque de ne pas avoir augmenté la part de liquidités.

        En outre, la cour a constaté que l'appelant, qui disposait d'une certaine connaissance des marchés financiers ainsi que mentionné ci-dessous, n'a jamais souhaité modifier l'orientation choisie.

        A noter que la question de savoir si, au sein de la catégorie d'actions, le portefeuille faisait l'objet d'une diversification suffisante tant en ce qui concerne les secteurs de l'économique que les régions géographiques dans lesquels le portefeuille était investi ne semble pas avoir été mise en cause ni soumise à l'appréciation de la cour.

        Quant au grief tiré du manque de formation et de compétence de son conseiller en placements, la cour a constaté que l'appelant ne s'en était jamais plaint pendant le cours de l'exécution du contrat et, au contraire, l'avait même félicité pour la qualité des conseils prodigués durant cette période.

        (3) Venons-en enfin au grief relatif au fait que les conseils prodigués n'auraient pas été ceux d'un banquier normalement prudent et avisé, placé dans les mêmes circonstances.

        Après avoir rappelé la nature de l'obligation du conseiller en placements, le critère de la faute qui doit être démontrée par le client et le fait que la seule baisse de valeur d'un portefeuille ne constitue pas en soi une faute (voy. infra, n° 27), la cour a relevé:

          • que l'appelant n'était pas un profane dans le domaine de la spéculation boursière dès lors qu'il a suivi des cours organisés par l'Ecole de la Bourse de Bruxelles, qu'il se documente par des lectures spécialisées et qu'il procède à l'analyse graphique des cours des actions;
          • qu'il a reçu les rapports trimestriels de la banque sur l'évaluation de son portefeuille et qu'il disposait bien des connaissances lui permettant d'en comprendre la portée;
          • qu'il était in fine le seul à décider de la vente et de l'achat des titres dans la mesure où il n'était pas tenu de suivre les conseils prodigués alors que la banque était elle tenue par l'orientation de gestion choisie par l'appelant, à savoir le fait d'être conseillé en vue de gérer un portefeuille composé de 85% à 100% d'actions.

          La cour en a conclu que l'appelant ne démontrait pas que les conseils prodigués par la banque n'étaient pas ceux d'un banquier normalement prudent et diligent placé dans les mêmes conditions et, en particulier, que l'appelant n'a pas établi qu'en lui conseillant de garder certaines actions dans les circonstances de baisses importantes des marchés financiers à l'époque, la banque aurait commis une quelconque faute.

          En définitive, l'appelant s'est à nouveau trouvé confronté à des difficultés d'ordre probatoire ainsi qu'il l'avait déjà été lors de l'examen de la réticence dolosive alléguée.

          En l'absence de faute établie dans le chef de la banque, la cour a logiquement décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la mesure d'expertise postulée par l'appelant.

          26.A l'instar du raisonnement et de la décision adoptés par la cour d'appel de Bruxelles lors de l'examen du dol, la décision de la cour relative à la responsabilité du banquier dans la phase d'exécution du contrat s'inscrit dans la ligne d'une jurisprudence et d'une doctrine particulièrement bien établies en matière de responsabilité du conseiller en placements que la cour d'appel rappelle.

          En ce qui concerne, plus particulièrement, la nature des obligations qui pèsent sur le conseiller en placements, il est très largement admis que pour les conseils qu'il prodigue, le conseiller n'est tenu que par une obligation de moyen en raison du caractère par nature incertain et aléatoire des marchés financiers [24]. Il doit dès lors se comporter comme un professionnel normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances.

          La charge de la preuve d'un manquement à cette obligation de moyen repose sur le demandeur, étant entendu que cette preuve ne peut résulter de la seule perte de valeur d'un portefeuille [25].

          Les mêmes principes sont appliqués en matière de gestion de fortune [26].

          La cour d'appel décide conformément à ce qui a été dit:

          “Le conseil en placements est une obligation de moyen parce que cette activité est soumise aux aléas du marché financier. Le seul fait de la baisse substantielle d'un portefeuille composé pour la plus grande partie d'actions n'est pas en soi constitutif de faute. Pour engager la responsabilité du conseiller en placements, le client doit démontrer qu'il a commis une faute que n'aurait pas commise un conseiller professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances (B. Feron et B. Tavernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Larcier, 1997, p. 347).

          L'appréciation de la responsabilité du conseiller en placements par les cours et tribunaux est marginale (Bruxelles (9ème ch.) 26 septembre 2008, RG n° 2004/AR/2878)”.

          27.Enfin, c'est également à bon droit que la cour retient, dans le cadre de l'appréciation marginale qu'elle fait de la responsabilité éventuelle de la banque, la circonstance que l'appelant “n'est pas un profane dans le domaine de la spéculation boursière, dans la mesure où il a suivi des cours organisés par l'Ecole de la Bourse de Bruxelles, se documente par des lectures spécialisées et procède à l'analyse graphique du cours des actions”. Ce faisant, la cour a tenu compte du degré de connaissance et de spécialisation de l'appelant, réservant ainsi un traitement différencié à l'investisseur initié qu'il était, conformément à une jurisprudence majoritaire [27].

          Il est en effet généralement et habituellement admis, tant en doctrine qu'en jurisprudence, que la connaissance par le client des instruments et marchés financiers a pour conséquence de limiter, voire de supprimer l'obligation d'information qui pèse sur la banque en fonction du degré de connaissance et de spécialisation dont dispose le client [28]. Il a ainsi été jugé que la qualité de spéculateur averti s'applique “évidemment aux professionnels mais également aux 'spéculateurs d'habitude'. Un tel spéculateur est 'celui qui effectue un grand nombre d'opérations boursières notamment des achats et ventes d'actions ou d'obligations'…” [29]. La personnalité du client est donc également susceptible d'être prise en compte afin d'apprécier, comme en l'espèce, la bonne exécution de ses obligations par la banque pendant l'exécution de la convention [30].

          28.Ainsi que nous le précisions au début de la présente note, l'arrêt commenté fait actuellement l'objet d'un pourvoi en cassation.

          Selon les informations disponibles à ce stade, le pourvoi invoquerait notamment la violation par la cour d'appel de Bruxelles de l'article 1116 du Code civil et des articles 8, § 2 et 19 de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements.

          Il sera donc intéressant d'examiner la décision de la Cour suprême à intervenir.

          David Raes

          Avocat au barreau de Bruxelles

          Collaborateur scientifique auprès de l'Unité de droit économique du Centre de droit privé de l'ULB

          [1] Bruxelles 23 avril 2007, DAOR 2008, p. 164 et observations par D. Blommaert. En l'espèce, la cour d'appel de Bruxelles a été amenée à se prononcer sur un argument de dol principal, prenant la forme d'une réticence dolosive, soulevé par l'intimée sur pied de l'art. 1116 du Code civil. La cour a décidé que l'intimée n'apportait pas la preuve des manoeuvres dolosives.
          [2] Abrogé par l'article 104, 1°, de l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instru­ments financiers.
          [3] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. I, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, p. 66.
          [4] P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, T. I, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 247; P. Wéry, Droit des obligations, vol. I, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 22; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. IV, 4ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 124.
          [5] P. Wéry, o.c., p. 23.
          [6] Cass. 8 juin 1978, Pas. 1978, I, p. 1156; J.-P. Masson, “Les fourberies silencieuses” (note sous Cass. 8 juin 1978), RCJB 1979, p. 527; Cass. 16 septembre 1999, Pas. 1999, I, p. 1160, AJT 2000-01, p. 787, note W. De Bondt; Cass. 30 juin 2005, Pas. 2005, I, p. 1488.
          [7] P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 251.
          [8] Y. De Cordt, “La réticence dolosive et le devoir de loyauté dans le cadre des cessions d'actions” (note sous Liège 14 novembre 2006), RDC 2008, pp. 164 et s.; J.-Fr. Romain, “Paradoxe de l'indécidable et aporie constitutive de la bonne foi: du mensonge par omission au dol (contours et limites d'une forme de délit d'initié en droit civil)” in Droit des contrats, France, Belgique, T. II, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 69 et s.; P.-A. Foriers, “Dol par réticence dolosive et erreur inexcusable” in Liber Amicorum Michel Coipel, Kluwer, 2004, p. 315.
          [9] Cass. 21 mai 1953, Pas. 1953, I, p. 731; Cass. 30 juin 2005, Pas. 2005, I, p. 1488.
          [10] Cass. 24 mai 1974, Pas. 1974, I, p. 991; Cass. 23 septembre 1977, Pas. 1978, I, p. 100; Cass. 1er décembre 1997, Pas. 1997, I, p. 1315.
          [11] Bruxelles 14 mars 2008, RGDC 2009, p. 365, note B. Van Den Bergh.
          [12] P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 258; P. Wéry, o.c., p. 23; C. Jassogne, Traité pratique de droit commercial, T. I, Waterloo, Kluwer, p. 294.
          [13] Cass. 25 février 2000, Pas. 2000, I, p. 473.
          [14] Cass. 10 novembre 2008, Pas. 2008, I, p. 2526, JTT 2009, p. 19, concl. J.-F. Leclercq.
          [15] Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, RDC 2006, p. 119.
          [16] Civ. Bruxelles 23 septembre 2004, RDC 2006, p. 125, observations par M. Delierneux et J.-P. Buyle.
          [17] Comm. Bruxelles 17 octobre 2005, RG 2858/2004, D. / Fortis Banque, inédit, cité par M. Delierneux et J.-P. Buyle, RDC 2006, p. 129.
          [18] Civ. Bruxelles 11 avril 2008, RDC 2010, p. 160.
          [19] M.-D. Weinberger, “Réflexions sur la notion d'objectifs de gestion”, RDC 2010, p. 163; M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement, Kluwer, Waterloo, 2008, p. 82.
          [20] M.-D. Weinberger, “Réflexions sur la notion d'objectifs de gestion”, RDC 2010, p. 166.
          [21] P. Bourin, La gestion de portefeuille, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2009, p. 83.
          [22] J.-Fr. Romain, “La réforme financière de 1990. La gestion de fortune et le conseil en placements”, JT 1991, p. 631; J.-Fr. Romain, “La gestion de fortune et le conseil en placements: le praticien confronté au nouveau régime légal et réglementaire”, DAOR 1992, p. 16.
          [23] M.-D. Weinberger, “Réflexions sur la notion d'objectifs de gestion”, RDC 2010, p. 167.
          [24] Comm. Bruxelles 17 janvier 2006, RDC 2008, p. 87 et observations par F. Longfils; M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement, Kluwer, Waterloo, 2008, p. 137; F. Longfils, “La responsabilité des intermédiaires financiers” in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, 2006, p. 74; Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, RDC 2005, p. 187 et observations par M. Delierneux et J.-P. Buyle; D. Blommaert et O. Poelmans, “Chronique de jurisprudence en droit bancaire”, DAOR 2003, p. 123; B. Feron, “La gestion de fortune en droit belge” in Aspects juridiques de la gestion de fortune, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 106; B. Feron, “La responsabilité civile de l'intermédiaire financier en matière de gestion de fortune et de conseil en placement” in La responsabilité civile liée à l'information et au conseil, Bruxelles, Pub. Fac. Univ. Saint-Louis, 2000, p. 84; D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placements”, JT 1998, p. 396; B. Feron et B. Tavernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 350; J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, T. IV, 2ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 555.
          [25] Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, o.c., p. 193; D. Blommaert et O. Poelmans, o.c., p. 123; Bruxelles 12 octobre 2001, DCCR 2003, p. 49 et observations par F. Longfils, RDC 2002, p. 336, JLMB 2002, p. 1036; Comm. Bruxelles 2 avril 1999, RDC 2000, p. 743.
          [26] Bruxelles 3 septembre 2008, RDC 2010, p. 169 et observations par B. Caulier, “Responsabilité du gestionnaire de fortune et conflit d'intérêt”; Bruxelles 19 février 2008, RDC 2010, p. 148 et observations par R. Hardy, “Le gestionnaire de portefeuille est-il tenu de suivre les instructions du client?”, RABG 2009, p. 1070 et observations par S. Duerinckx, “Het foutcriterium bij overeenkomsten van vermogensbeheer in het licht van de bench­mark-verplichting”; F. Longfils, “La responsabilité des intermédiaires financiers” in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, 2006, p. 74; Gand 18 février 2004, RABG 2005, p. 297 et observations par D. Blommaert, “Het foutcriterium inzake overeenkomsten van vermogensbeheer”; Luxembourg 18 juin 2003, DAOR 2004, p. 75 et observations par O. Poelmans et A. Déom, “Quelques principes juridiques applicables aux gestionnaires de fortune”; Comm. Bruxelles 30 septembre 2004, Dr.banc.fin. 2005, p. 61; Comm. Gand 28 novembre 2000, Dr.banc.fin. 2001, p. 188 et observations par S. Dejonghe.
          [27] Par un arrêt du 23 mars 2006, la cour d'appel de Bruxelles avait déjà qualifié d'investisseur averti une personne ayant notamment participé à des concours et à des clubs d'investisseurs afin de parfaire sa connaissance des marchés: Bruxelles 23 mars 2006, RDC 2008, p. 80 et observations B. Caulier; Gand 18 février 2004, o.c., p. 297 et observations par D. Blommaert, “Het foutcriterium inzake overeenkomsten van vermogensbeheer”; D. Blommaert et O. Poelmans, o.c., p. 123; D. Roger et M. Salmon, o.c., pp. 396 et 399.
          [28] Pour les distinctions à opérer entre investisseur professionnel ou consommateur et investisseur initié ou profane ainsi que pour la jurisprudence à ce sujet: M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement, Kluwer, Waterloo, 2008, p. 123; F. Longfils, “La responsabilité des intermédiaires financiers” in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, 2006, p. 14.
          [29] O. Poelmans et A. Déome, o.c., p. 83; Luxembourg 11 juillet 2001, DAOR 2003, p. 18.
          [30] D. Roger et M. Salmon, o.c., pp. 396 et 399.