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Quel est le champ d'application de l'article 36, § 1er, 4° et 5° de la loi du 6 avril 1995?, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 335-337

OPERATIONS FINANCIERES
Obligation d'information de l'intermédiaire financier - Article 36, § 1er, 4° et 5°, de la loi du 6 avril 1995 - Dol - Erreur
L'article 36, § 1er, 4° et 5°, de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements requiert une relation contractuelle à base de conseil vis-à-vis du client, issue d'une convention de conseil en placements ou de gestion de fortune préalablement conclue.
La banque est tenue, au regard du droit commun, de fournir une information complète et honnête. La banque établit le respect de cette obligation par la reconnaissance du client, lors de la passation d'un ordre d'achat, que la banque a recueilli toute information utile concernant sa situation financière, son expérience en matière d'investissement ainsi que ses objectifs de placement et reconnaît avoir reçu de la banque l'information lui permettant de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause et déclare être conscient des risques liés à l'opération.
Le dol consiste en toute manoeuvre intentionnelle et malicieuse, émanant d'une partie au contrat, de telle nature que, si elle n'avait pas été commise, l'autre partie, la victime, n'aurait pas conclu la convention ou l'aurait conclue à des conditions différentes. Le dol comporte un élément matériel et un élément intentionnel dont la charge de la preuve incombe au demandeur.
L'erreur, vice de consentement, doit porter sur un élément ou une qualité de la chose ayant déterminé principalement la partie à contracter en sorte que si cette partie avait eu connaissance de son erreur, elle n'aurait pas conclu le contrat.

FINANCIELE VERRICHTINGEN
De informatieverplichting van de financiële tussenpersoon - Artikel 36, § 1, 4° en 5°, van de wet van 6 april 1995 - Bedrog - Dwaling
Artikel 36, § 1, 4° en 5°, van de wet van 6 april 1995 inzake de secundaire markten, het statuut van en het toezicht op de beleggingsondernemingen, de bemiddelaars en beleggingsadviseurs vereist een contractuele relatie op basis van adviesverstrekking aan de klant, die voortvloeit uit een eerder gesloten overeenkomst van beleggingsadvies of van vermogensbeheer.
De bank is er, op grond van het gemeen recht, toe gehouden om volledige en eerlijke informatie ter beschikking te stellen. De bank toont de inachtneming van deze verplichting aan door de erkenning van de klant, ten tijde van de plaatsing van een aankooporder, dat de bank alle nuttige informatie betreffende zijn financiële positie, zijn ervaring in beleggingen en zijn beleggingsobjectieven heeft ingewonnen, alsook dat hij van de bank de informatie heeft ontvangen, die hem toelaat een weloverwogen beslissing, met kennis van zaken te nemen en doordat hij verklaart zich bewust te zijn van de aan de verrichting verbonden risico's.
Het bedrog bestaat uit elke intentionele en bedrieglijke kunstgreep, aangewend door een contractpartij, die van die aard is dat, indien zij niet aangewend zou zijn, de andere partij, het slachtoffer, de overeenkomst niet zou hebben gesloten, of zou hebben gesloten onder andere voorwaarden. Het bedrog omvat een materieel element en een intentioneel element, waarvan de bewijslast rust op de eiser.
De dwaling, als wilsgebrek, dient te bestaan omtrent een element of een eigenschap van de zaak, die de contractpartij er hoofdzakelijk toe heeft aangezet om te contracteren, zodanig dat deze partij de overeenkomst niet zou hebben gesloten, indien zij kennis had gehad van de dwaling.
Quel est le champ d'application de l'article 36, § 1er, 4° et 5° de la loi du 6 avril 1995?

1.L'intérêt de l'arrêt reproduit ci-dessus réside dans l'interprétation à donner à l'article 36, § 1er, 4° et 5° de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements [1].

Cet article, qui est abrogé depuis le 1er novembre 2007 par l'entrée en vigueur des dispositions MiFID [2], obligeait les intermédiaires financiers à “recueillir d'une manière appropriée auprès du client qu'ils conseillent toute information utile concernant la situation financière de leur client, leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs de placement qui raisonnablement sont significatifs pour pouvoir réaliser au mieux leurs engagements vis-à-vis de leur client en ce qui concerne le service demandé” (art. 36, § 1er, 4°).

Une fois ces informations recueillies, les intermédiaires financiers étaient tenus de: “faire des démarches raisonnables pour fournir, dans un délai raisonnable, au client qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui lui permet de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause. Sur simple demande du client, ils seront prêts à lui faire rapport de manière complète et honnête de leurs engagements vis-à-vis du client. Ils ne pourront proposer ni encourager une quelconque mesure qui inciterait leur client à ne pas respecter ses obligations légales y compris vis-à-vis de l'Etat” (art. 36, § 1er, 5°).

Cette dernière disposition faisait peser sur l'intermédiaire financier un devoir d'information actif [3], l'obligeant à fournir des renseignements au sujet notamment des caractéristiques essentielles de l'opération que l'investisseur envisage de réaliser (type d'instruments financiers, devises, prix d'émission, taux d'intérêt, …), ainsi que des risques spécifiques liés au type d'opération envisagée et à l'identité de l'émetteur des instruments financiers auxquels se rapporte l'opération que le client envisage d'effectuer [4]. L'intermédiaire ne pouvait donc se satisfaire de la remise du prospectus, mais était obligé d'informer son client activement [5].

Selon le texte même de ces deux dispositions, les intermédiaires financiers étaient tenus par ces obligations uniquement à l'égard du client 'qu'ils conseillent[6], ce qui implique qu'ils n'y étaient pas tenus lors de la simple exécution d'un ordre de bourse.

2.La cour d'appel de Bruxelles s'est penchée dans l'arrêt reproduit ci-dessus sur le champ d'application à donner à ces deux dispositions légales à l'occasion d'un litige entre des clients qui avaient donné à la banque ING deux ordres d'achat portant sur des obligations convertibles. Les clients reprochaient à la banque de ne pas avoir attiré leur attention sur le fait que les titres acquis ne constituaient pas des obligations convertibles classiques, mais bien des obligations de type 'reverse convertible'.

Lorsqu'il s'agit d'une obligation convertible classique, le porteur a le choix, à l'échéance du terme, soit de demander le remboursement du titre en espèces, à concurrence de sa valeur nominale, soit de se faire remettre un certain nombre d'actions prédéterminées. En revanche, dans le cas d'une obligation de type 'reverse convertible', ce choix appartient à l'émetteur du titre (en l'espèce, la banque ING) qui peut dès lors décider soit de rembourser au porteur la valeur nominale du titre, soit de lui remettre un certain nombre d'actions prédéfinies (il s'agissait en l'espèce d'actions de la Deutsche Bank). En cas de repli du cours de l'action à laquelle est liée l'obligation 'reverse convertible', l'émetteur choisira la plupart du temps de se libérer en cédant des actions représentant un montant inférieur à la valeur nominale du titre.

C'est précisément ce qui s'est produit dans le cas d'espèce, les clients de la banque ING se sont vu remettre des actions de la Deutsche Bank auxquelles étaient liées des obligations 'reverse convertibles' dont la valeur, au moment de cette remise, était inférieure au montant de la valeur nominale des titres.

Les clients faisaient grief à la banque d'avoir manqué à son obligation d'information en ne les informant pas sur un élément essentiel du contrat, à savoir qu'il ne s'agissait pas d'obligations convertibles classiques, mais bien d'obligations de type 'reverse convertible'. Ils estimaient avoir été induits en erreur notamment par la mention 'montant protégé', sur le premier des deux ordres d'achat, laissant supposer que le capital était garanti et que l'émetteur s'engageait à l'échéance à rembourser au moins le montant investi.

Les clients avaient revendu les actions de la Deutsche Bank peu de temps après leur remise et réclamaient le paiement de la perte subie.

Ils entendaient mettre en cause la responsabilité précontractuelle de la banque et faisaient valoir qu'une faute extracontractuelle avait été commise par elle, celle-ci consistant dans la violation de l'article 36, § 1er, 4° et 5° précité.

3.La cour a considéré que la référence faite par l'article 36, § 1er, 4° et 5° au 'client conseillé' visait les clients ayant conclu une convention spécifique de conseil en placements ou de gestion de fortune, ce qui libère dès lors l'intermédiaire financier des obligations prescrites par l'article 36, § 1er, 4° et 5° [7] lorsqu'il fournit un conseil ponctuel non rémunéré.

Cette interprétation suscite deux observations.

D'une part, s'il n'est pas discutable que les obligations inscri­tes à l'article 36, § 1er, 4° et 5° supposent que le client soit 'conseillé' par l'intermédiaire, on n'aperçoit pas la raison pour laquelle la relation entre le client et l'intermédiaire devrait s'inscrire dans le cadre d'une convention de conseil en placements comme semble l'imposer la cour.

Le contrat de conseil en placements se distingue de l'avis ponctuel, donné gratuitement par un professionnel dans le cadre d'un placement [8]. Il suppose la conclusion d'un contrat assez formaliste qui était réglementé par l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements [9] et impliquait le paiement d'une rémunération.

En limitant la portée de l'article 36, § 1er, 4° et 5°, aux seuls clients qui avaient conclu une convention de conseil en placements et non à ceux bénéficiaires d'un conseil ponctuel non rémunéré, la cour donne à notre sens à cette disposition une interprétation qui revient à ajouter une condition non prévue légalement.

La doctrine et la jurisprudence majoritaires considèrent d'ailleurs que les dispositions de l'article 36, § 1er, 4° et 5° visent indistinctement les clients conseillés par l'intermédiaire financier, indépendamment de la conclusion ou non d'un contrat de conseil en placements [10].

Il reposera toutefois sur le client la charge d'établir la preuve qu'un conseil lui a été donné par l'intermédiaire, et non une simple information au sujet d'un produit financier.

Or, à ce sujet, “bien souvent, avant de débattre de la qualité d'un conseil en investissement, les parties s'opposent quant à la question même de savoir s'il y a eu conseil, l'une estimant n'avoir joué qu'un rôle de véhicule d'informations, tandis que l'autre, se fiant à la spécialisation de son interlocuteur, est encline à percevoir dans le message qui lui a été adressé une indication davantage péremptoire” [11].

En l'espèce, les demandeurs n'invoquaient toutefois pas qu'ils avaient été conseillés par la banque.

D'autre part, on comprend mal les raisons pour lesquelles l'application de l'article 36, § 1er, 4° et 5° supposerait la conclusion préalable d'un contrat de gestion de fortune. En effet, une fois conclu, un tel contrat implique, par définition, que le gestionnaire pose des actes de disposition et d'administration portant sur les avoirs en portefeuille de manière discrétionnaire, sans intervention du client [12]. Le client n'est d'ailleurs pas autorisé à s'immiscer dans la gestion du portefeuille [13].

En outre, sauf circonstance particulière, le gestionnaire ne fournit aucun conseil dans l'exécution du contrat et, s'il en fournit, le conseil ne portera pas sur des instruments financiers (acquisition, revente de titres, …), puisqu'il agit de manière discrétionnaire, sous sa seule responsabilité. Le contrat de gestion de fortune ne constitue dès lors pas à notre sens une relation 'à base de conseil' comme le retient la cour.

Roland Hardy

Avocat

Assistant à l'ULB

[1] Cet article a fait l'objet de nombreux commentaires. Voy. not. J.-P. Buyle et M. Delierneux, “Jurisprudence commentée en droit bancaire et financier”, RDC 1999, pp. 27 et 733; K. Byttebier, “Gedragsregelen bij financiële transacties: huidige praktijk en perspectieven” in Financiële regulering: op zoek naar nieuw evenwicht, Sessie II: Financiële transacties, Conférence de l'Université de Gand, 25 avril 2002; L. Cornelis et J. Peeters, “Beleggersbescherming tussen oud en nieuw”, DCCR 1996, pp. 31 à 45; L. Cornelis en J. Peeters, “Gedragsregels van bemiddelaars bij transacties in financiële instrumenten, getoetst aan het aansprakelijkheidsrecht” in X, Financieel recht tussen oud en nieuw, Antwerpen, Maklu, 1996, pp. 621 à 685; B. Feron, “La réforme de la bourse. Aperçu général de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, aux statuts des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et aux conseillers en placement”, RPS 1995, pp. 308 à 346; M. Fyon, “Les obligations déontologiques des intermédiaires financiers au regard des règlements de marché”, Rev.banque 1997, pp. 400 à 412 et 416; D. Tirez, “Artikel 36: naar een codificatie van de Belgische gedragregels” in X, Financieel recht tussen oud en nieuw, Antwerpen, Maklu, 1996, pp. 624 et s. J.-F. Tossens, “La responsabilité des intermédiaires financiers”, RDC 1997, pp. 331 à 333; J. Tyteca, “Secundaire markten, beleggingsondernemingen, bemiddelaars en beleggingsadviseurs. Een eerste bespreking van de wet van 6 april 1995”, TRV 1995, pp. 217 à 247; J. Tyteca, “Het nieuw financieel landschap”, CJ 1997, pp. 25 à 32; E. Wymeersch, “Les règles de conduite relatives aux opérations sur instruments financiers. L'article 36 de la loi du 6 avril 1995”, Rev.banque 1995, pp. 574 à 592.
[2] L'art. 36 de la loi du 6 avril 1995 a été abrogé par l'art. 33 de l'arrêté royal du 27 avril 2007 visant à transposer la directive européenne concernant les marchés d'instruments financiers.
[3] B. Feron, “La responsabilité civile de l'intermédiaire financier en matière de gestion de fortune et de conseil en placements” in La responsabilité civile liée à l'information et au conseil, Fac. Univ. St.-Louis, 2000, p. 76.
[4] M. Fyon, “Les obligations déontologiques”, Dr.banc.fin. 1998, p. 410.
[5] E. Wymeersch, “Les règles de conduite relatives aux opérations sur instruments financiers. L'article 36 de la loi du 6 avril 1995”, Rev.banque 1995, p. 586.
[6] L'art. 36, § 1er, de la loi du 6 avril 1995 a été adopté en vue de transposer la directive du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières. Or, s'agissant de l'obligation de s'informer sur la situation du client et de l'obligation d'informer adéquatement le client, la directive ne prévoit nullement de restriction aux seuls clients qui sont 'conseillés' (voy. art. 11, 1er al.). En limitant l'application de ces règles, le législateur n'a dès lors pas donné une mise en oeuvre adéquate de la directive: E. Wymeersch, “Les règles de conduite relatives aux opérations sur instruments financiers. L'article 36 de la loi du 6 avril 1995”, Rev.banque 1995, p. 584; B. Feron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Larcier, 1997, p. 363.
[7] En ce sens, J.-Fr. Romain, “L'obligation d'information et de conseil pesant, dans certains cas, sur les intermédiaires financiers” in Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, Larcier, 2006, p. 225.
[8] Bruxelles 12 octobre 2002, RDC 2002, p. 335.
[9] Cet arrêté royal a été abrogé par l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers.
[10] Comm. Bruxelles 2 avril 1999, RDC 2000, p. 743; Comm. Mons 22 février 2001, RDC 2003, p. 63 (solution implicite) et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux; Bruxelles 23 septembre 2010, inédit, RG 2006/AR/3249; M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement. Aspects contractuels et de responsabilités avant et après MiFID, Kluwer, 2008, p. 115, n° 163, qui considère que “la règle de la connaissance du client est limitée aux seuls clients qui sont conseillés par l'intermédiaire, ce qui exclut de l'obligation la simple exécution d'un ordre de bourse”; A. Van Oevelen, “De contractuele en buitencontractuele rechtsbescherming van de particuliere belegger in financiële instrumenten”, Dr.banc.fin. 2003, pp. 125 et 126; M. Grégoire et V. De Francquen, Bancassurfinance. Devoir d'information, Bruylant, 2005, p. 351; contra J.-Fr. Romain, L'obligation d'information et de conseil pesant, dans certains cas, sur les intermédiaires financiers, CUP, Larcier, 2006, p. 225: “Le conseil ponctuel donné par un intermédiaire financier, banque ou société de bourse et agent de change, à un client, échappe par conséquent à l'application du régime à l'origine de ces obligation (de l'article 36, § 1er, 4° et 5°) et ne se voit appliquer, en principe, que le droit commun des obligations à cet égard.”
[11] M.-D. Weinberger, “Conseil et recherche en investissements: carrefour à risque?” in MiFID. Questions spéciales, Larcier, 2010, p. 226.
[12] L'art. 46, 1°, 3., de la loi du 6 avril 1995 définissait le contrat de gestion de fortune comme “la gestion discrétionnaire et individualisée de portefeuilles d'investissements dans le cadre d'un mandat donné par les investisseurs lorsque ces portefeuilles comportent un ou plusieurs instruments financiers”.
[13] R. Hardy, “Le gestionnaire de fortune est-il tenu de suivre les instructions du client?” (obs. sous Bruxelles 19 février 2008), RDC 2010, p. 156 et les réf. citées.