Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 30/01/2009, R.D.C.-T.B.H., 2011/4, p. 315-317

Tribunal de première instance de Bruxelles 30 janvier 2009

ASSURANCE VIE
'Branche 23' - Intermédiaire d'assurances - Devoir d'information - Connaissances financières du client - Conditions générales - Devoir de conseil - Devoir de mise en garde - Absence de convention spécifique
En matière d'assurances vie 'Branche 23' (liées à des fonds d'investissement), l'intermédiaire d'assurances a un devoir d'information variant d'intensité selon que le client est ou non profane en matière financière.
En l'absence de convention spécifique, l'intermédiaire d'assurances n'a pas de devoir de conseil, ni celui d'attirer l'attention de son client sur l'évolution désastreuse de son placement.
LEVENSVERZEKERING
'Tak 23' - Verzekeringsbemiddelaar - Informatieplicht - Financiële kennis van de klant - Algemene voorwaarden - Adviesplicht - Verplichting tot verwittiging - Gebrek aan bijzondere overeenkomst
Met betrekking tot levensverzekeringen 'Tak 23' (verbonden aan investeringsfondsen) heeft de verzekeringsmakelaar een informatieplicht die varieert in intensiteit naargelang de klant al dan niet vreemd is aan financiële zaken.
Bij gebrek aan specifieke overeenkomst heeft de verzekeringsmakelaar noch een adviesplicht, noch de verplichting om de aandacht van de klant te vestigen op de rampzalige evolutie van zijn belegging.

K.M. et J.D. / SA Fortis Banque et SA Fortis Insurance Belgium

Siég.: I. Jacquemin (juge)
Pl.: Mes G. Bertholet loco Ch. Defraigne et M. Mairlot loco J.-P. Buyle

(…)

1. Objet des demandes

Les demandes mues par les demandeurs tendent, à titre principal, à entendre condamner les défenderesses solidairement, in solidum ou l'une à défaut de l'autre, à payer:

- au demandeur, 105.054,89 EUR, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2006;

- à la demanderesse, 48.558,49 EUR, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2006.

A titre subsidiaire, ils souhaitent être autorisés à prouver divers faits par toutes voies de droit, témoins et comparution personnelle des parties, et entendre désigner un expert judiciaire afin de déterminer le préjudice subi du fait de la sou­scription des contrats litigieux.

2. Les faits

Les faits utiles à la solution du litige peuvent être synthétisés comme suit:

- le 20 novembre 1998, la SA Fortis Banque a remis au demandeur une simulation relative à un 'Easy Future Plan', soit un produit d'assurance vie de type 'Branche 23', pour un capital de 2.000.000 FB répartis dans un portefeuille composé de 80% d'actions et de 20% d'obligations;

- le 27 novembre 1998, le demandeur a souscrit un contrat 'Easy Future Plan' pour un montant de 1.000.000 FB répartis dans un portefeuille identiquement composé; le demandeur a, à cette occasion, marqué son accord sur les conditions générales régissant le contrat; il a en outre demandé à la banque de procéder aux remboursements périodiques des primes, à partir du 1er mars 1999, à concurrence de 18.000 FB par trimestre;

- les 13 janvier 1999, 26 février 1999 et 27 décembre 1999, le demandeur a demandé à la banque de procéder aux remboursements périodiques des primes respectivement à concurrence de 36.000 FB, 54.000 FB et 135.000 FB par trimestre;

- il a en outre effectué des versements complémentaires de 1.000.000 FB, le 8 mars 1999, et de 4.500.000 FB, le 4 janvier 2000, lesquels ont été affectés au contrat litigieux;

- le 5 janvier 2000, la demanderesse a souscrit un contrat 'Easy Future Plan' pour un montant de 3.000.000 FB, répartis dans un portefeuille composé de 80% d'actions et de 20% d'obligations; elle a marqué son accord sur les conditions générales de l'Easy Fund Plan régissant le contrat;

- le 13 janvier 2000, le demandeur a souhaité que les remboursements périodiques des primes soient effectués, à partir du 1er mars 2000, à concurrence de 153.000 FB par trimestre; à la même date, la demanderesse a procédé à un versement complémentaire de 1.000.000 FB et a demandé que les remboursements périodiques des primes soient effectués à concurrence de 72.000 FB par trimestre;

- le demandeur a effectué des versements complémentaires de 1.000.000 FB, le 17 janvier 2000, et de 1.000.000 FB, le 1er février 2000, lesquels ont été affectés au contrat litigieux; il a encore sollicité que les remboursements périodiques des primes soient effectués à concurrence de 171.000 FB par trimestre;

- le 25 janvier 2001, le demandeur a procédé à un versement complémentaire de 1.500.000 FB et a souhaité que les remboursements périodiques des primes soient effectués à concurrence de 198.000 FB;

- le demandeur a reçu, chaque année, un relevé relatif à son investissement dans l''Easy Future Plan' détaillant le nombre d'unités détenues dans chaque fonds ainsi que leur valorisation, de même que des extraits de compte;

- la demanderesse a également reçu, le 26 juillet 2002, un état de son investissement;

- le 2 janvier 2004, le demandeur a souhaité que les remboursements périodiques des primes soient effectués à concurrence de 2.500 EUR par trimestre;

- le 7 juillet 1994, la demanderesse a également demandé que les remboursements périodiques de ses primes soient effectués à concurrence de 1.000 EUR par trimestre;

- au mois de mai 2006, le demandeur s'est plaint auprès de la banque de ce que son placement ne présentait pas de capital garanti;

- par un courrier du 31 mai 2006, la défenderesse a répondu en précisant que le contrat signé entre les parties, le 27 novembre 1998, prévoyait une répartition des fonds en 20% d'obligations et 80% d'actions, ce qui correspond à un profil plus agressif et donc susceptible de subir les variations du marché; elle n'entendait dès lors pas réserver une suite favorable à la demande d'indemnisation du demandeur;

- un échange de correspondances s'en est suivi entre les parties;

- le 2 novembre 2006, le demandeur a racheté le contrat d'assurance vie souscrit et une somme de 155.137,08 EUR lui a été versée;

- le 9 novembre 2006, un nouveau contrat d'assurance vie 'Free Invest Plan' a été conclu par le demandeur auprès de la SA Fortis Insurance Belgium pour un montant de 120.000 EUR;

- le Service de Médiation Banques-Crédit-Placement auquel le dossier avait été soumis, a conclu que le produit proposé par la banque était bien adapté au demandeur et que la banque n'avait pas commis de faute et n'était pas tenue du suivi de l'investissement dans la mesure où il n'y avait pas de contrat de gestion discrétionnaire ni de conseil en placements; il a en outre considéré que la plainte déposée par le demandeur était tardive;

- le 14 février 2007, la demanderesse a demandé à la banque que ses remboursements périodiques des primes soient effectués à concurrence de 800 EUR par trimestre.

3. Discussion
1. Quant à la recevabilité des demandes

Les défenderesses soutiennent que les demandes formées contre elles devraient être déclarées irrecevables en ce qu'elles ne sont pas connexes.

Selon l'article 701 du Code judiciaire, “diverses demandes entre deux ou plusieurs parties peuvent, si elles sont connexes, être introduites par le même acte”.

En vertu de l'article 30 dudit code, “des demandes en justice peuvent être traitées comme connexes lorsqu'elles sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et juger en même temps, afin d'éviter des solutions qui seraient susceptibles d'être inconciliables si les causes étaient jugées séparément”.

En l'espèce, il y a lieu de constater que la connexité des demandes n'est pas démontrée à suffisance de droit, s'agissant de personnes physiques différentes, de contrats qui ne sont pas similaires et de dommages distincts.

Dans ces conditions, la première demande formée dans l'acte introductif d'instance, soit celle du demandeur, sera déclarée recevable, tandis qu'il sera sursis à statuer en ce qui concerne celle introduite par la demanderesse jusqu'au paiement par cette dernière du droit d'inscription au rôle.

2. Quant au fondement de la demande mue par le demandeur

Le demandeur met en cause la responsabilité précontractuelle et contractuelle des défenderesses aux motifs qu'elles auraient manqué à leurs devoirs d'information, de conseil et de mise en garde.

1. Le devoir d'information

Il appartient au demandeur, qui entend engager la responsabilité des défenderesses, de prouver le manquement qu'il leur reproche; la circonstance que l'élément à démontrer soit un fait négatif n'inverse pas la charge de la preuve prévue à l'article 1315 du Code civil.

Le devoir d'information qui s'impose au banquier dans ses relations avec la clientèle, se définit comme la transmission d'une information dont le contenu est déterminé de manière objective; il s'agit de la transmission de données ou de faits qui doit permettre au client de comprendre le mécanisme d'un service et la portée pour, sur cette base, orienter et déterminer son choix.

Il varie d'intensité suivant que le client est ou non profane en matière d'information financière.

En l'espèce, il ressort des pièces déposées au dossier que le demandeur ne doit pas être considéré comme un profane en cette matière.

Il n'appartenait dès lors pas aux défenderesses d'attirer spécialement l'attention de ce dernier sur la portée et les conséquences des engagements souscrits.

En outre, il apparaît que le contrat signé par le demandeur, le 27 novembre 1998, ainsi que les conditions générales qu'il reconnaît avoir reçues, précisent expressément qu'il s'agit d'un contrat d'assurance vie lié à des fonds d'investissement.

Lesdites conditions générales indiquent notamment ce qu'il faut entendre par remboursements périodiques de primes et retraits, que le titulaire reçoit, au moins une fois par an, un relevé du nombre d'unités détenues dans chaque fonds ainsi que leur valorisation et prévoient expressément ce que visent les fonds d'investissement 'E.F.P. Bonds', soit un placement en obligations, et 'E.F.P. Equities', soit un placement en actions.

Il n'est dès lors pas démontré à suffisance de droit que les défenderesses auraient fourni au demandeur une information insuffisante.

De plus, ce dernier a eu, entre la remise de la simulation relative à l''Easy Future Plan' et la souscription du contrat, la possibilité d'interroger la banque s'il avait des doutes quant au produit dans lequel il souhaitait investir.

Enfin, il apparaît que le demandeur, sans émettre le moindre grief, a effectué, de 1999 à 2001, 6 versements complémentaires pour un montant total de 272.682,87 EUR; de 1999 à 2006, il a en outre reçu la situation annuelle de ses investissements.

Il résulte des considérations qui précèdent que la faute reprochée aux défenderesses n'est pas établie.

2. Le devoir de conseil

Le demandeur soutient que les défenderesses auraient manqué à leur devoir de conseil dans la mesure où il leur aurait exprimé clairement sa volonté et où elles lui auraient proposé un produit ne correspondant pas à ses attentes.

Il est cependant admis que le devoir de conseil d'une banque envers ses clients suppose l'existence d'une convention spécifique, telle que le conseil en placements, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

D'autre part, le demandeur ne démontre pas que l'article 36 de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement serait applicable au produit d'assurance souscrit.

Enfin, le conseil éventuellement donné par la banque au demandeur constitue un conseil ponctuel dont il n'est pas démontré qu'il ait été erroné.

Rien ne prouve en effet que la volonté initiale du demandeur était d'investir dans un produit de type défensif et non agressif.

Le manquement n'est dès lors pas établi.

3. Le devoir de mise en garde

Le demandeur reproche aux défenderesses de ne pas avoir attiré son attention sur le caractère désastreux de son placement.

En l'absence de contrat de conseil en placements ou de gestion de fortune, il appartenait pourtant au demandeur de s'enquérir de la situation de ses placements et de prendre les décisions qui s'imposaient pour veiller à la bonne tenue de ceux-ci.

Dans ces conditions, le grief formé n'est pas fondé.

Le demandeur sollicite, à titre subsidiaire, l'autorisation de prouver divers faits, par toutes voies de droit, témoins et comparution personnelle des parties.

Compte tenu de ce que les mesures d'instruction sollicitées ne sont pas pertinentes pour la solution du litige, il n'y a pas lieu d'y faire droit.

Il résulte en outre des éléments du dossier que le demandeur a marqué son accord sur un placement dans un contrat d'assurance vie sans garantie de capital et que les conditions générales lui ont été remises avant la conclusion du contrat.

La demande sera par conséquent déclarée recevable mais non fondée.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement;

Déclare la demande formée par le demandeur recevable mais non fondée; l'en déboute;

(…)