Article

Trop de répartiteurs tue les répartitions, R.D.C.-T.B.H., 2011/3, p. 243-250

INSOLVABILITE
Continuité des entreprises - Réorganisation judiciaire par transfert - Mandataire de justice - Répartition de prix de vente - Faillite
Le régime autonome et spécifique de distribution propre au transfert sous autorité de justice ne trouve sa justification que dans l'hypothèse où ce transfert n'est pas suivi d'une déclaration de faillite du débiteur ou plus généralement d'une nouvelle et plus large situation de concours. Sauf dans l'hypothèse où la distribution par contribution a été menée à son terme, la faillite subséquente au transfert absorbe donc le concours né de celui-ci. Dans cette mesure, le régime autonome de la procédure de réorganisation judiciaire doit s'effacer devant la faillite. L'huissier de justice désigné dans la procédure de transfert sous autorité de justice est tenu de remettre le solde du prix de cession des actifs au curateur.
INSOLVENTIE
Continuïteit van de ondernemingen - Overdracht onder gerechtelijk gezag - Gerechtsmandataris - Verdeling van de verkoopprijs - Faillissement
Het autonome en specifieke verdelingsmechanisme in het raam van een overdracht onder gerechtelijk gezag zal slechts uitwerking krijgen in het geval deze overdracht niet gevolgd wordt door een faillissement van de schuldenaar of meer algemeen door een nieuwe en ruimere vorm van samenloop. Behalve in de situatie waarin de gelden volledig verdeeld en toegewezen werden, zal het faillissement volgend op de overdracht deze eerste samenloop absorberen. In dat geval moet het eigen verdelingsmechanisme binnen de procedure van gerechtelijke reorganisatie wijken voor het faillissement. De gerechtsdeurwaarder die aangesteld werd in de procedure van overdracht onder gerechtelijk gezag is verplicht om het overschot van de verkoopprijs over te maken aan de curator.
Trop de répartiteurs tue les répartitions
Michèle Grégoire [1]
I. Position de la question

1.La question soulevée par l'affaire soumise au tribunal de commerce de Liège touche à l'articulation de trois fonctions attribuées aux intervenants successifs dans une procédure de réorganisation judiciaire par transfert, suivie d'une faillite; à savoir celles de mandataire de justice, d'huissier de justice (ou de notaire) et de curateur.

En synthèse, le jugement du 12 août 2010 (ci-après 'le jugement') estime que la mission du curateur de faillite rend caduque celle de l'huissier de justice désigné pour procéder à la distribution du prix obtenu pour le transfert des actifs mobiliers, après la décharge du mandataire en justice et la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire.

2.La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (ci après 'la loi') ne précise pas clairement la manière dont doit s'opérer le relais entre ces divers intervenants, de sorte que la solution ne peut découler que d'un raisonnement par analogie, d'une référence faite aux principes généraux et d'une analyse pragmatique de la ratio legis.

3.L'examen de cette question nous amènera à analyser les implications de la référence faite dans la loi aux articles 1627 et suivants ainsi que 1639 et suivants du Code judiciaire (sub II, A.). Ensuite, nous vérifierons quelles sont les implications de la qualification de 'mandataires substitués' pouvant être attribuée à l'huissier de justice et au notaire (sub II, B.). C'est à la lumière de ces principes que le jugement du 12 août 2010 pourra être brièvement commenté (sub III.).

II. Articulation des fonctions de mandataire de justice, d'huissier de justice (ou de notaire) et de curateur
A. Les implications de la référence faite aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire, ainsi que 1639 et suivants du Code judiciaire
§ 1. Etat des lieux législatif

4.Aux termes de l'article 65, 2ème et 3ème alinéas, de la loi, “Le prix des meubles est perçu par le mandataire de justice désigné par le tribunal et ensuite réparti conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire.

Le prix des immeubles est perçu et ensuite réparti par le mandataire de justice commis conformément aux articles 1639 du Code judiciaire.”

La référence ainsi faite aux procédures de distribution par contribution et d'ordre crée une ambiguïté, comme on l'apercevra ci-après.

5.Les articles 1627 à 1638 du Code judiciaire confient à l'huissier de justice le soin de (i) recueillir les déclarations et justificatifs des créances, (ii) consigner provisoirement les montants suffisants pour couvrir les créances-causes de saisies conservatoires, (iii) établir et adresser aux créanciers un projet de répartition, (iv) tenter le règlement amiable d'éventuels contredits et, en cas d'échec, déposer les documents relatifs aux contestations au greffe des saisies et les montants concernés à la Caisse des dépôts et consignations, (v) répartir les fonds en fonction du projet de répartition dans la mesure où il échappe aux contestations.

Dans le même esprit, les articles 1639 à 1654 du Code judiciaire attribuent au notaire le soin de (i) recueillir le prix du bien adjugé, (ii) recevoir les oppositions des créanciers demandant à participer à la saisie, (iii) dresser le procès-verbal de distribution et d'ordre, (iv) sommer les parties intéressées à en prendre connaissance, (v) tenter le règlement amiable d'éventuels contredits et, en cas d'échec, déposer au greffe des saisies une expédition du procès-verbal avec ses observations, (vi) établir le procès-verbal définitif de distribution et d'ordre et délivrer aux créanciers les bordereaux de collocation, (vii) remettre les certificats constatant les paiements et versements libératoires.

6.Les dispositions qui précèdent sont partiellement en contradiction avec l'article 65 2ème et 3ème alinéas, précités, puisqu'il y est prévu que c'est le mandataire de justice qui perçoit le prix de vente, ou même perçoit et répartit celui-ci, et non l'huissier ou le notaire. En outre, il existe également une incohérence avec l'article 64, § 1er, 4ème alinéa, de la loi qui n'évoque la désignation d'un huissier de justice que lorsque le projet de vente de meubles prévoit 'leur vente publique', mais ne précise rien pour l'hypothèse d'une vente de gré à gré.

Pour tenter de dépasser ces difficultés, il est vain de rechercher la volonté réelle du législateur. En effet, seul l'historique de l'élaboration un peu cahotique du texte semble pouvoir expliquer la prise en considération d'un amendement, dont les conséquences n'ont pas été analysées en profondeur [2].

§ 2. Propositions d'interprétation

7.Selon Zenner, la seule manière de réconcilier ces dispositions serait de considérer que le prix de vente des actifs est perçu par le mandataire de justice, mais réparti par un huissier de justice pour ce qui concerne les biens meubles, et qu'il est perçu et réparti par un notaire pour ce qui concerne les biens immeubles, l'un et l'autre agissant comme mandataires substitués [3].

8.Selon David, Renard et Renard, il reviendrait, au contraire, au mandataire de justice de percevoir le prix du transfert et de le répartir et de “jouer le rôle dévolu à l'huissier de justice et au notaire dans (les articles 1627 et 1639 et suivants du Code judiciaire)” [4], mais sans intervention de ces derniers.

9.Les deux solutions étant diamétralement opposées, est-il possible, pour dégager une solution pleinement satisfaisante, de s'inspirer du système mis en place dans le cadre de la faillite pour organiser les rapports entre le curateur, d'une part, et l'huissier de justice ou le notaire, d'autre part?

10.On se rappellera que l'article 75, § 4, de la loi sur les faillites dispose qu'“A la demande des curateurs, le tribunal peut dans le cadre de la liquidation de la faillite homologuer le transfert d'une entreprise en activité selon des modalités conventionnelles dont l'exécution peut être poursuivie par les curateurs ou après la clôture de la faillite par tout intéressé.”

Dans ce cas, comme d'ailleurs dans la vente au détail des actifs, il est procédé à la répartition conformément à l'article 77 de la loi sur les faillites, selon lequel “Le juge-commissaire ordonne, s'il y a lieu, une répartition entre les créanciers et en fixe la quotité. Tout paiement effectué sur ordre du juge-commissaire ou avec son autorisation entraîne décharge des curateurs.”

C'est donc le curateur qui perçoit et répartit le produit de réalisation des actifs [5]. Ce n'est que lorsque “la liquidation de la faillite est terminée”, précise l'article 79 de la loi sur les faillites, que “le failli et les créanciers sont convoqués par les curateurs, sur ordonnance du juge-commissaire, rendue au vu des comptes des curateurs. (…) Dans cette assemblée, le compte est débattu et arrêté (…) Le reliquat du compte fait l'objet de dernières répartitions. Lorsque le compte définitif présente un solde positif, celui-ci revient de droit au failli.” Ensuite, “après avoir tranché le cas échéant les contestations relatives au compte et redressé celui-ci s'il y a lieu”, sur le rapport du juge-commissaire, le tribunal ordonne la clôture de la faillite, en vertu de l'article 80 de la loi sur les faillites.

L'attribution à un seul intervenant (à savoir le curateur) de la responsabilité de vendre les actifs, d'en percevoir le prix de vente et de le répartir entre les créanciers présente l'avantage considérable de servir l'efficacité de la procédure et de maîtriser le volume des dettes de la masse.

11.Peut-on considérer, mutatis mutandis, que l'ensemble de ces tâches soit également confié au mandataire de justice dans un transfert sous autorité de justice au sens des articles 59 et suivants de la loi? Il eût été certes préférable que le législateur s'oriente vers une telle conception, mais dans sa rédaction actuelle, cette interprétation paraît expressément exclue en raison de la référence explicite au Code judiciaire, de sorte qu'à regret, la position adoptée par David, Renard et Renard ne peut jusqu'ores être approuvée.

En outre, selon l'article 67, 1er alinéa, de la loi, “Lorsque le mandataire de justice désigné estime que toutes les activités susceptibles d'être transférées l'ont été, et en tous cas avant la fin du sursis [6], il sollicite du tribunal par requête la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire, ou, s'il se justifie qu'elle soit poursuivie pour d'autres objectifs, la décharge de sa mission.”

La limitation de la durée de la mission du mandataire de justice à celle du sursis au maximum rend impraticable la thèse selon laquelle ce dernier devrait procéder lui-même aux répartitions, conformément aux articles 1627 et suivants et 1639 et suivants du Code judiciaire. L'application de ces dispositions légales, en particulier en ce qu'elles soumettent le traitement des contredits éventuels à la juridiction du juge des saisies, est incompatible avec le couperet assigné à la mission du mandataire de justice, lié à la fin du sursis.

Aussi longtemps que l'article 65, 2ème et 3ème alinéas, de la loi comporte un renvoi exprès au Code judiciaire, la réunion des trois étapes du transfert, emportant vente purgeante des actifs cédés, à savoir la vente elle-même, la perception du prix et la répartition entre les créanciers n'est pas réalisable par le seul mandataire de justice.

Or, l'interprétation à donner à un texte de loi ambigu doit tendre à lui reconnaître un effet utile. Une telle interprétation doit se concevoir, en effet, pour permettre la compréhension du texte “en vue de son application à une situation concrète. L'interprétation n'est juste qu'en tant qu'elle s'accorde à la situation qu'elle permet de régler” [7].

12.Il découle de ce qui précède que, dans l'état actuel des textes - et bien entendu en continuant de penser qu'une réécriture de la loi est indispensable notamment sur ce point -, la piste à privilégier, pour la raison qu'elle est la seule pouvant être concrètement respectée, est celle proposée par Zenner (voy. plus haut): l'huissier de justice et le notaire agissent comme mandataires substitués du mandataire de justice lors de l'exécution de la mission ou des missions qui leur sont confiées.

Mais cette analyse n'est que la première étape du raisonnement à mener pour cerner la manière dont le système mis en place par la loi pourrait fonctionner. Encore faut-il s'attacher à vérifier quel est le sort des montants perçus à l'occasion du transfert et non encore distribués lorsque, comme en l'espèce, la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire et la déclaration de faillite interviennent avant l'aboutissement de la distribution des deniers aux créanciers.

§ 3. L'analogie avec le sort des saisies-exécutions lors de la déclaration de faillite du débiteur saisi est-elle possible?

13.Aux termes de l'article 24 de la loi sur les faillites, “A partir (du jugement déclaratif), toute action mobilière ou immobilière, toute voie d'exécution sur les meubles ou immeubles, ne peut être suivie, intentée ou exercée que contre les curateurs (…).”

Selon l'article 25 de la loi sur les faillites, “Le jugement déclaratif de faillite arrête toute saisie faite à la requête des créanciers chirographaires et des créanciers bénéficiant d'un privilège général.

Si, antérieurement à ce jugement, le jour de la vente forcée des meubles ou immeubles saisis a déjà été fixé et publié par les affiches, cette vente a lieu pour le compte de la masse. Néanmoins, si l'intérêt de la masse l'exige, le juge-commissaire peut, sur la demande des curateurs, autoriser la remise ou l'abandon de la vente.”

14.Par application de ces dispositions, il est fait obligation à l'huissier de justice ou au notaire chargé de la réalisation forcée d'un bien appartenant à une personne déclarée en faillite entre la vente et la distribution du prix, de remettre les fonds au curateur de faillite pour qu'il procède à la répartition.

Un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2010 (C.08.0604.F/1) est, à cet égard, parfaitement clair; il décide que:

“En vertu de l'article 16, 1er alinéa, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le failli est, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite, dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens et tous paiements, opérations et actes faits par le failli depuis ce jour sont inopposables à la masse.

Aux termes de l'article 25, 1er alinéa, de la même loi, le jugement déclaratif de la faillite arrête toute saisie faite à la requête des créanciers chirographaires et des créanciers bénéficiant d'un privilège général.

Il suit de ces dispositions que le curateur à la faillite du débiteur saisi est en droit de se faire remettre par l'huissier de justice instrumentant les fonds saisis qui n'ont pas encore été distribués lors de la survenance de la faillite, soit toutes sommes non encore remises à ce moment aux créanciers bénéficiaires de la distribution. Le moyen, qui soutient que les deniers saisis ne doivent plus être remis au curateur lorsque, avant l'ouverture de la faillite, le projet de répartition de l'huissier de justice est devenu définitif par l'expiration du délai prévu à l'article 1629 du Code judiciaire pour former un contredit, manque en droit.”

En rejetant de la sorte la thèse proposée par le pourvoi, selon laquelle les fonds obtenus à la suite d'une saisie sortent du patrimoine du saisi au moment où le projet de répartition des fonds devient définitif et où l'huissier instrumentant a reçu les deniers avec mission de les répartir entre les différents créanciers conformément audit projet, la Cour de cassation exige, pour qu'un actif puisse être considéré comme ayant échappé à l'emprise du curateur que les sommes aient été véritablement remises aux créanciers bénéficiaires de la distribution.

15.S'agissant de la remise de fonds par virement bancaire, l'opération est censée être accomplie lorsque “la banque est obligée de verser au titulaire au compte (destinataire) les sommes qui résultent (du virement) au moment de la compensation entre les banques concernées” [8]. En cas de virement faisant intervenir deux banques (ce qui est le cas dans la très grande majorité des situations), c'est au moment où survient la compensation interbancaire que le titulaire du compte devient créancier, envers la banque, de la somme virée, celle-ci se trouvant alors dans son patrimoine [9].

Si la faillite du saisi intervient avant ce moment précis, l'arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2010 implique que le curateur puisse réclamer aux créanciers saisissants la restitution des montants, en vue d'une redistribution selon l'ordre des sûretés et privilèges, après déduction des dettes de la masse, selon le modèle d'imputation qu'entraîne l'utilité concrète qu'elles présentent pour chaque créancier.

16.Peut-on raisonner de la même manière pour régler le sort de sommes obtenues à la suite d'un transfert autorisé par justice non encore réparties au moment où, après clôture de la procédure de réorganisation judiciaire, la faillite du débiteur est prononcée?

En ce cas, les articles 16, 24 et 25 de la loi sur les faillites peuvent-ils entraîner que les fonds à répartir soient revendiqués par le curateur?

Autrement dit, la référence au Code judiciaire introduite dans la loi sur la réorganisation judiciaire suffit-elle à entraîner le respect de la jurisprudence de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2010?

17.Chacun s'accorde à penser que le transfert sous autorité de justice engendre un quasi-dessaisissement, dès lors que le mandataire de justice chargé d'organiser et de réaliser le transfert agit au nom et pour compte du débiteur, selon l'article 60 de la loi. En outre, en tant qu'il conduit à une vente purgeante, le transfert constitue un cas de concours [10]. En réalité, il s'agit d'une procédure que l'on a pu assimiler à une sorte de faillite, un substitut au concordat par abandon d'actif ou encore une liquidation forcée en going concern [11].

En principe, ce type de concours possède d'emblée une portée globalisante qui ne s'accommode guère d'une absorption par un concours subséquent. On se souviendra à ce sujet des profondes difficultés pratiques et insupportables contorsions conceptuelles qu'entraînait la faillite d'une société en liquidation, aujourd'hui heureusement évitées grâce au renforcement du contrôle judiciaire exercé sur le travail des liquidateurs mis en place par la loi du 2 juin 2006.

Il n'existe plus désormais de procédure de liquidation à laquelle doive succèder une faillite, le bon déroulement et la clôture de la première étant de nature à priver de toute pertinence ou utilité l'ouverture de la seconde.

Tel n'est cependant pas le cas des concours à assiettes limitées, comme les saisies-exécutions, qui, dans tous les cas de figure, sont attirées, en cours d'exécution, vers les saisies collectives plus amples, dans une perspective très légitime de rationalisation des opérations.

Pour ce qui concerne le transfert sous autorité de justice, la plus grande parenté de ce dernier avec la liquidation ou la faillite permet de privilégier la thèse de son autonomie opérationnelle et procédurale.

18.Il n'est toutefois pas exclu que le mandataire de justice décide de ne céder qu'une partie des actifs de l'entreprise. Cette décision n'est prise, en principe, que si le mandataire de justice arrive à la conclusion que les actifs délaissés hors du périmètre du transfert sont peu ou pas valorisables. Même partiel, un tel transfert est censé représenter néanmoins, en tant que tel, la voie de réalisation optimale pour tous les intéressés. Dans ce cas, la cohérence impose également, non pas l'absorption, mais le maintien du parallélisme des procédures, même s'il est vrai que le curateur désigné dans de telles circonstances se voit attribuer une mission bien peu gratifiante et à peu près dépourvue de sens pratique.

Deux concours distincts, sans intersection d'assiettes, se meuvent alors de manière différenciée, reliés cependant entre eux par les déclarations de créances provenant des mêmes créanciers ainsi que par le contrôle qu'exerce sur la liquidation des deux masses un seul tribunal de commerce. Ce type de situation se rencontre traditionnellement lorsque se déroulent de manière séparée une saisie-exécution immobilière et une saise-arrêt par exemple, les deux voies d'exécution accueillant la participation éventuelle de tous les créanciers, sous le contrôle du juge des saisies.

Aucune autre interprétation ne serait concevable ou même concrètement réalisable.

Si le régime de la faillite devait gouverner les effets du transfert après la vente des actifs et la décharge de la mission du mandataire de justice, de nouvelles dettes de la masse viendraient accroître celles engendrées par la procédure de réorganisation, en raison de la désignation d'un intervenant sans aucune plus-value opérationnelle ni, dès lors, aucun intérêt pour la masse. Ces dettes de la masse en deviendraient non imputables sur quelques montants à distribuer que ce soit, la clé de répartition étant précisément liée à l'intérêt concret et effectif que présente ce type de dettes pour les créanciers qui en supportent la charge.

19.Demeure la question de savoir par quel mécanisme juridique peut s'expliquer la mise à l'écart de l'application de l'article 16, 1er alinéa, de la loi sur les faillites, retenu par l'arrêt précité de la Cour de cassation du 23 avril 2010. Dans cette perspective, c'est ici encore la notion de mandat sub­stitué qui doit être utilisée.

B. Les implications de la qualification de mandataires substitués attribuée à l'huissier de justice et au notaire

20.Aux termes de l'article 1994 du Code civil,

“Le mandataire répond de celui qu'il s'est substitué dans la gestion (1°) quand il n'a pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu'un; (2°) quand ce pouvoir lui a été conféré sans désignation d'une personne, et que celle dont il a fait choix était notoirement incapable ou insolvable.

Dans tous les cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substitué.”

La substitution visée à l'article 1994 du Code civil précité implique que le substitué exécute en tout ou en partie la mission du mandataire originaire. Cette notion est-elle adaptée à la situation de l'huissier de justice ou du notaire? L'on sait qu'en dehors du transfert sous autorité de justice, l'huissier de justice qui effectue l'un des actes de son ministère à la requête d'un avocat exécute nécessairement une mission qui n'avait pu être confiée à celui-ci, de sorte qu'il ne peut s'agir d'un cas de substitution [12].

Toutefois, dans le cadre d'un transfert sous autorité de justice, la perception du prix de vente et sa répartition entre les créanciers sont bien, en principe, attribués par la loi au mandataire de justice. Les effets légaux de la substitution de mandat peuvent dès lors parfaitement se produire.

Il en découle qu'au regard des règles précitées régissant le contrat de mandat, le mandataire de justice ne répond pas des fautes éventuelles commises par celui qu'il s'est substitué, pour autant que la substitution ait été autorisée de manière expresse et que le choix du mandataire substitué, huissier de justice ou notaire, ne se soit pas porté sur un professionnel notoirement incapable ou insolvable [13].

Or, il convient d'admettre, dans le cadre d'un transfert sous autorité de justice, que la substitution est non seulement autorisée mais elle est véritablement rendue obligatoire par la loi elle-même.

Dès leur désignation, l'huissier de justice ou le notaire assurent dès lors en lieu et place du mandataire de justice la responsabilité des répartitions de sorte que rien ne peut s'opposer à ce que la clôture de la procédure soit prononcée et à ce que la décharge lui soit accordée avant l'échéance du sursis, sur la base de l'article 67 de la loi.

21.Quel est le sort des sommes perçues par ou remises à l'huissier de justice ou au notaire à la suite de la réalisation des actifs transférés?

La clôture de la procédure de transfert et la décharge accordée au mandataire de justice consécutives à la désignation de mandataires substitués confèrent nécessairement un caractère irrévocable au mandat de substitution.

Cette caractéristique permet d'écarter l'application de l'article 2003 du Code civil, qui dispose que “le mandat finit (…) par la déconfiture (ou la faillite) du mandant ou du mandataire”. Pareille dérogation découle, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, soit de l'objet du mandat soit du but que le mandant a en vue [14]. Le mandat de substitution conféré à l'huissier de justice ou au notaire ne s'éteint donc pas par la faillite du commerçant et ne pourrait être révoqué par le curateur.

22.En raison de la survivance du mandat de substitution irrévocable conféré à l'huissier de justice ou au notaire, les sommes se trouvant entre leurs mains échappent à l'effet d'indisponibilité engendré par le dessaisissement. Il convient de leur appliquer par analogie la jurisprudence de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2007, qui impose au curateur de respecter l'opposabilité des affectations conférées aux biens du débiteur avant le jugement déclaratif de faillite [15]. En conséquence, l'huissier de justice ou le notaire doivent procéder aux répartitions des deniers obtenus à la suite du transfert et n'en distribuer que le reliquat éventuel au curateur.

Une solution identique prévalait sous l'empire de la loi relative au concordat judiciaire, comme cela ressort d'un arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2005 [16]. Saisie d'un pourvoi faisant valoir notamment qu'en cas de faillite prononcée après l'échec d'une procédure concordataire, au cours de laquelle un transfert d'actifs notamment immobiliers avait été effectué par le commissaire au sursis, le curateur - à l'exclusion du notaire - devait être chargé de la répartition du produit de réalisation, la Cour de cassation rejette le moyen aux motifs que:

“(…) en vue d'assainir la situation financière de l'entreprise, le législateur offre la possibilité de transférer l'entreprise ou une partie de celle-ci; (…) le transfert doit contribuer au paiement des créanciers; (…) le prix de la reprise doit contribuer à satisfaire les créanciers; (…) le commissaire a l'obligation de veiller aux intérêts des créanciers et (…) le transfert est soumis à l'approbation du tribunal; (…) lorsque ces conditions sont remplies, le transfert ne peut être annulé par une faillite ultérieure; (…) il se déduit de la nature et de l'économie (des dispositions légales régissant le transfert) que les droits des créanciers sont censés être reportés sur le prix du transfert, que celui-ci a un effet d'apurement et que le notaire requis en matière immobilière agit conformément à l'article 1639 du Code judiciaire”.

C. Analyse du jugement du 12 août 2010 du tribunal de commerce de Liège
§ 1. Les faits et les antécédents de la procédure

23.Dans le cadre de la réorganisation judiciaire de trois sociétés appartenant à un même groupe, plusieurs jugements successifs ont été rendus par le tribunal de commerce de Liège. Trois jugements d'ouverture ont été d'abord rendus, désignant un seul mandataire de justice, chargé d'explorer les pistes possibles de transferts d'activités ou d'actifs, selon diverses versions. Une fois cette analyse de la situation terminée, les trois procédures furent jointes en une seule et le mandataire de justice fut autorisé à procéder à la vente. Il céda en conséquence les immeubles, d'une part, et les actifs mobiliers, d'autre part, pour un montant global de 1.230.000 EUR. A la suite de cette cession, le mandataire de justice sollicita et obtint la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire, ainsi que la désignation d'un huissier de justice chargé de procéder à la répartition du prix des meubles conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire. Le jugement rendu alors mit également fin au sursis accordé aux trois sociétés et déchargea le mandataire de justice et le juge délégué de leur mission.

Trois jours plus tard, le tribunal de commerce de Liège, prononçant la faillite de trois sociétés, désigna un curateur et un juge-commissaire.

Après les jugements déclaratifs, le mandataire de justice déchargé transféra les fonds à l'huissier de justice et non au curateur.

Ce dernier sollicita alors la condamnation de l'huissier de justice à lui remettre ces fonds, dans la mesure où ils n'avaient pas été distribués aux créanciers.

24.Par décision du 12 août 2010, le tribunal de commerce de Liège fit entièrement droit à ces demandes et décréta l'exécution provisoire de cette décision.

§ 2. La décision relative à la recevabilité de la demande

25.La détermination de la qualité et de l'intérêt à agir dépend des circonstances de fait et des moyens de droit invoqués à l'appui d'une demande, soumettant dans un premier temps au juge saisi la question de la recevabilité de la revendication, sans préjudice de celle du fondement, dans le cadre de laquelle le juge devra vérifier si ce qui était invoqué est bien démontré [17].

26.Examinant si le curateur présente la qualité nécessaire pour demander la remise des fonds litigieux, le jugement du 12 août 2010 estime que cela “ne souffre pas la moindre contestation”.

Même si cette position est plus péremptoire que véritablement motivée, la solution est exacte. La mission du curateur consiste pour l'essentiel à conserver le patrimoine du failli, le réaliser au mieux des intérêts de la masse, après l'avoir reconstitué si nécessaire, et, enfin, établir les comptes de liquidation et procéder aux répartitions [18]. Le curateur peut donc légitimement inviter le tribunal de commerce à se pencher sur la revendication qu'il exprime.

27.Dans le même ordre d'idées, le tribunal estime à bon droit que l'intérêt du curateur, défini comme “tout avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme” découle également de la portée de sa mission, étant donné que la distribution des devises est “de l'essence de sa fonction”.

28.Autre chose est de savoir si la désignation de l'huissier de justice pour procéder à la distribution des fonds pouvait faire obstacle à la demande du curateur.

Le jugement énonce que “l'absence de voie de recours à l'encontre de (ce) jugement est sans incidence quant à l'appréciation des conditions de recevabilité de la demande”.

Cette affirmation se justifie-t-elle?

En réalité, la désignation d'un huissier de justice ou d'un notaire dans le cadre d'un transfert est d'origine judiciaire.

Dès lors, aussi longtemps que les répartitions ne sont pas clôturées, il est permis de penser que, à supposer même que la faillite puisse absorber les effets de cette procédure (ce qui n'est pas la thèse à favoriser, selon vous), encore s'agirait-il d'une procédure en cours au sens de l'article 63bis de la loi sur les faillites.

Cette disposition légale n'impose la suspension que s'il existe une contestation possible des droits dont la procédure en cours recherche la consécration. Dans le cas contraire, le curateur, s'il l'estime utile au bon déroulement de sa mission, doit prendre l'initiative d'un recours pour modifier la décision de désignation judiciaire prononcée. S'il omet de le faire, cette désignation, en tant que chose définitivement jugée, s'impose à lui et au tribunal de commerce, sur la base de l'article 19, 1er alinéa, du Code judiciaire.

Il en va d'autant plus ainsi, selon vous, en l'espèce, que le tribunal de commerce avait antérieurement désigné formellement l'huissier de justice répartiteur, de sorte que, sur cette question, le tribunal avait épuisé sa saisine.

§ 3. La décision relative au fondement de la demande

29.Le jugement repose sur le postulat suivant lequel:

“Que l'huissier de justice ait été désigné par jugement pour procéder à la distribution du prix de cession des actifs ou d'une partie d'entre eux, est en soi sans incidence sur la mission de curateur et ne peut prévaloir sur celle-ci. En effet, quant à la mission de distribution par contribution qui échoit à l'huissier de justice, il n'y a pas de différence de nature selon que cette mission découle d'un jugement consécutif à un transfert d'entreprise ou, plus généralement, des dispositions du Code judiciaire en ce que celles-ci confient les missions d'exécution des décisions de justice aux huissiers de justice en ce compris la distribution par contribution.”

Il a été souligné plus haut que ce postulat est contestable dès lors que le transfert d'activités sous autorité de justice déploie un effet globalisant, même si, en définitive, le périmètre des cessions possibles peut varier et donner lieu à la distinction entre plusieurs ensembles de biens, objets de multiples contrats. Quelles qu'en soient les modalités, le transfert ne peut donner lieu à la clôture de la procédure et à la décharge du mandataire de justice que si ce dernier convainc le tribunal que “toutes les activités susceptibles d'être transférées l'ont été”, selon l'article 67 de la loi.

La ratio legis qui sous-tend le principe de l'effacement de la procédure de saisie-exécution non totalement terminée au profit de la faillite est inexistante en matière de transfert. Une telle assimilation conduirait non pas à une rationalisation et à une économie de procédures, mais au contraire à la multiplication d'interventions sans valeur ajoutée.

S'il est vrai que, de manière générale, la solution de l'absorption d'une situation de concours par une autre à plus large spectre s'impose, comme l'estime à bon droit le tribunal, pour éviter “la création et le maintien de difficultés innombrables et parfois insolubles que l'intérêt des créanciers commande d'éviter”, l'analogie retenue a priori comme fondement de sa décision est discutable, selon nous, dans le cas particulier de la faillite succédant à un transfert.

30.Par ailleurs, le tribunal justifie également sa décision par le motif selon lequel “si les droits des créanciers sont reportés sur le prix, celui-ci se substitue donc aux éléments d'actifs cédés. Il en résulte nécessairement que ce prix se trouve et demeure dans le patrimoine du débiteur aussi longtemps qu'il n'a pas été procédé à la distribution de celui-ci”.

Comme indiqué plus haut, la mission de mandataire substitué confiée à l'huissier de justice et au notaire, de manière rendue irrévocable par la clôture de la procédure de transfert et la décharge donnée au mandataire de justice, est opposable au curateur qui se trouve démuni du pouvoir de remettre en cause cette désignation et doit se contenter d'exiger l'éventuel reliquat du produit de réalisation après répartition.

§ 4. Conclusion

31.A l'issue de notre analyse, la conclusion qui s'impose peut être schématiquement présentée comme suit:

    • les dispositions de la loi relative à la continuité des entreprises régissant la répartition du produit de réalisation des actifs cédés dans le cadre d'un transfert sous autorité de justice sont contradictoires et ambiguës;
    • une loi ne peut s'interpréter que dans le sens où elle peut s'accorder à la situation concrète qu'elle est appelée à régler;
    • la seule interprétation possible consiste à admettre que l'huissier de justice ou le notaire désignés pour procéder aux répartitions du produit de réalisation sont des mandataires substitués du mandataire de justice;
    • lorsque la clôture de la procédure est prononcée et la décharge donnée au mandataire de justice, ce mandat de substitution devient irrévocable;
    • en tant que telle, la faillite subséquente du commerçant ne met pas un terme automatiquement à ce mandat et le curateur ne peut le révoquer;
    • la mission confiée à l'huissier ou au notaire et l'affectation des fonds concernés sont dès lors opposables au curateur.

    32.En outre, par la désignation de ces mandataires substitués, le tribunal de commerce dans l'affaire examinée avait pris une décision vidant sa saisine et qui ne pouvait dès lors être remise en cause que par un recours et non une autre décision du même tribunal, sur le même objet.

    [1] Avocat à la Cour de cassation, professeur à l'Université Libre de Bruxelles.
    [2] Voy. Zenner, “La nouvelle loi sur la continuité des entreprises. Genèse et philosophie de la loi” in La loi relative à la continuité des entreprises, Larcier, 2009, pp. 40-41, n° 33.
    [3] Zenner, “La nouvelle loi sur la continuité des entreprises. Genèse et philosophie de la loi” in La loi relative à la continuité des entreprises, Larcier, 2009, p. 149, n° 96; voy. également Verlinden et Loosveld, “De gerechtelijke reorganisatie door overdracht onder gerechtelijk gezag in de wet continuiteït ondernemingen. Een eerste commentaar”, TRV 2009, pp. 709 et s., spéc. n° 27.
    [4] David, Renard et Renard, La loi relative à la continuité des entreprises: mode d'emploi, Kluwer, 2009, p. 230, n° 582.
    [5] Rep.not., v° Faillite, p. 309, n° 418.
    [6] C'est la soussignée qui souligne.
    [7] Frydman, Le sens des lois, 2ème éd., Bruylant, LGDJ, 2007, p. 635, n° 307.
    [8] Cass. 15 juin 2006, Dr.banc.fin., 2006/VI, p. 389, note Steennot, “Beslag bij een overschrijving in uitvoering en tijdstip van betaling”; F. Georges, La saisie de la monnaie scripturale, Larcier, 2006, p. 587.
    [9] V. de Francquen, “Les modes nouveaux de financement des entreprises” in Actualités de droit bancaire, UB³, p. 122; Boddaert, “Stof voor discussie: het begrip 'bestaande vordering' in artikel 14 wet financiële zekerheden” (note sous Comm. Anvers 25 février 2008), RW 2008-09, p. 975.
    [10] Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Anthémis, 2009, p. 148, n° 96; Grégoire, Le sort des créanciers et leurs garanties, Séminaire Vanham & Vanham, janvier 2009, nos 60-61.
    [11] Zenner, Lebeau et Alter, “La loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique”, Dossiers JT, n° 76, Larcier, 2010, p. 35, n° 21.
    [12] Cass. 7 décembre 1995, Bull. 1995, p. 1129.
    [13] Y. Merchiers, M. Vandermersch, S. Michaux, I. Durant, S. Heremans et B. De Coninck, “Les contrats spéciaux”, Dossiers JT, n° 34, Larcier, 2002, pp. 179 et s., nos 246 et s.
    [14] Cass. 15 juin 1911, Pas. 1911, I, p. 353; Cass. 17 juin 1957, Pas. 1957, I, p. 1234.
    [15] Cass. 2 février 2007, JT 2007, p. 527, note C. Alter, “Cantonnement amiable, affectations de compte et concours: état de la question”, JT 2007, p. 533, RDCB 2007, p. 341, note I. Peeters et A. Zenner, “Het minnelijke kantonnement uitdrukkelijk erkend als een samenloopverwijdend contractueel waarborgmechanisme”.
    [16] C.03.0332.N, Pas. 2005, I, p. 1048.
    [17] Grégoire, “Géométrie de l'instance”, RCJB 2008, pp. 17 et s., nos 14 et s.
    [18] F. T'Kint et W. Derijcke, La faillite, Rép.not., Larcier, 2006, p. 293, n° 376 et p. 354, n° 510.