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Vers l'extension de l'effet positif de la chose jugée au profit d'un tiers à la décision de justice?, R.D.C.-T.B.H., 2011/2, p. 122-127

ASSURANCE
Assurance terrestre - Assurance de dommage - Assurance responsabilité - Droit propre de la personne lésée - Obligation in solidum de l'assuré et de l'assureur
Le fait qu'un jugement ne peut, en principe, être opposé à l'assuré ou à la personne lésée que s'ils ont été présents ou appelés à l'instance, n'empêche pas que lorsque la personne lésée a d'abord exercé son action à l'encontre de l'assureur et que celle-ci a été rejetée à défaut de responsabilité, l'assuré qui est ensuite interpellé par la personne lésée peut lui opposer le jugement rendu en première instance.
VERZEKERING
Landverzekering - Schadeverzekering - Aansprakelijkheidsverzekering - Eigen recht van de benadeelde - In solidum gehoudenheid van verzekerde en verzekeraar
Dat een vonnis aan de verzekeraar of aan de benadeelde in de regel slechts kan worden tegengeworpen indien zij in het geding partij zijn geweest of daarin zijn geroepen, staat er niet aan in de weg dat wanneer de benadeelde zijn vordering eerst heeft ingesteld tegen de verzekeraar en die bij afwezigheid van aansprakelijkheid wordt afgewezen, de verzekerde die nadien wordt aangesproken door de benadeelde, het in het eerste geding gewezen vonnis kan tegenwerpen aan de benadeelde.
Vers l'extension de l'effet positif de la chose jugée au profit d'un tiers à la décision de justice?
Hakim Boularbah [1]

1.Introduction - Intérêt de l'arrêt annoté. L'arrêt annoté tranche une question rarement étudiée en droit judiciaire belge. Un tiers à la décision de justice peut-il invoquer l'autorité de chose jugée qui s'attache à cette décision contre une partie à cette décision? Alors que de nombreux développements sont consacrés à 'l'opposabilité' des décisions judiciaires à l'égard des tiers (infra n° 6), le point de savoir si, à l'inverse, un tiers peut 'opposer' un jugement aux personnes qui y sont parties n'a que très peu retenu l'attention de la doctrine belge [2], et n'a pas donné lieu à d'importants développements jurisprudentiels [3].

L'arrêt annoté tranche cette question de manière particulièrement claire dans le contexte, certes particulier, de l'article 89 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre. Sur le point concerné, ce texte n'est toutefois pas différent du droit commun des articles 23 à 27 du Code judiciaire (infra n° 5) en sorte que la solution retenue par l'arrêt peut théoriquement être généralisée à toutes les matières (infra n° 9).

2.Plan. On précisera, dans un premier temps, les faits et circonstances de la cause (infra n° 3) ainsi que la décision de l'arrêt annoté (infra n° 4). On rappellera ensuite très brièvement la portée du principe classique de la relativité de la chose jugée (infra n° 5) et les effets que les décisions judiciaires produisent à l'égard des tiers (infra n° 6). On pourra alors mesurer l'apport de l'arrêt annoté (infra nos 7 et 8) et son intérêt pratique dans la matière du droit des assurances de responsabilité mais également dans d'autres situations où, comme nous le verrons, il existe, comme entre un assuré et son assureur, une proximité, sinon une identité, d'intérêts factuelle et juridique (infra n° 9).

3.Faits et circonstances de la cause. Les circonstances qui ont conduit à l'arrêt sont très simples. La victime d'une chute de vélo sur une route située à Rijkevorsel assigne en paiement de dommages et intérêts la Région flamande et l'assureur responsabilité civile de la commune de Rijkevorsel. Elle est déboutée de son action au motif qu'elle n'apporte pas la preuve qu'elle a chuté à cause d'un trou dans la piste cyclable.

La victime décide alors d'introduire une deuxième action dirigée contre la commune de Rijkevorsel. Celle-ci oppose à la personne lésée le précédent jugement qui a décidé qu'elle n'apportait pas la preuve de la cause de sa chute. Le tribunal de première instance de Turnhout, statuant en degré d'appel, déclare la deuxième action non fondée en considérant que “vu qu'il a été décidé dans la procédure antérieure qu'il n'est pas établi que le demandeur a chuté en raison du trou dans la piste cyclable, le demandeur doit s'y résigner dans la procédure actuelle”.

A l'appui de son pourvoi, la personne lésée invoque la violation par les juges du fond de l'article 23 du Code judiciaire et du principe classique de la relativité de la chose jugée que cette disposition consacre, dont elle déduit que “l'exception de chose jugée ne peut être invoquée qu'entre les parties présentes à l'instance en question” et qu'elle ne peut donc pas être invoquée “par un tiers qui n'était pas partie à cette décision”. La personne lésée soutient que le même régime découle de l'article 89, § 1er, 1er alinéa, de la loi du 25 juin 1992 suivant lequel “seule une partie au procès peut opposer la décision à un assureur, à un assuré ou à une personne lésée”.

4.Décision de la Cour. Considérant que les juges d'appel n'ont pas appliqué les articles 23 à 27 du Code judiciaire, la Cour déclare tout d'abord le moyen irrecevable en tant qu'il est pris de la violation de ces dispositions légales. Elle rejette ensuite comme manquant en droit le moyen pris de la violation de l'article 89, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 car celui-ci 'n'empêche pas' que “lorsque la personne lésée a d'abord exercé son action à l'encontre de l'assureur et que celle-ci a été rejetée à défaut de responsabilité, l'assuré qui est ensuite interpellé par la personne lésée peut lui opposer” le premier jugement [4].

5.Relativité de la chose jugée - Dérogation partielle en matière d'assurances de responsabilité. On enseigne classiquement que, suivant l'article 23 du Code judiciaire, l'autorité de chose jugée est relative en ce sens que “seules les parties à la cause peuvent se prévaloir entre elles de l'autorité de la chose jugée d'une décision juridictionnelle” [5] ou encore “qu'elle ne peut être invoquée que par les parties à la cause” [6]. L'identité des parties s'impose comme “la pierre de touche du système” [7].

L'article 89, § 1er, 1er alinéa, de la loi du 25 juin 1992, qui a donné lieu à l'arrêt annoté, confirme le principe de droit commun de l'article 23 du Code judiciaire [8] en précisant que “aucun jugement n'est opposable à [9] l'assureur, l'assuré ou la personne lésée que s'ils ont été présents ou appelés à l'instance”. Le 2ème alinéa de la même disposition contient toutefois, on le sait, une importante dérogation à ce principe puisqu'il prévoit que “le jugement rendu dans une instance entre personne lésée et l'assuré est opposable à l'assureur, s'il est établi qu'il a, en fait, assumé la direction du litige” [10]. Malgré l'usage par la loi des termes 'opposable', c'est bien d'une réelle autorité de chose jugée dont il est question ici [11]. Cette autorité de chose jugée joue également à l'égard de l'assureur, “même s'il n'a pas personnellement ('procéduralement') pris part au procès entre l'assuré et la personne lésée” [12], dès lors qu'il en a assumé la direction.

6.Opposabilité des décisions judiciaires à l'égard des tiers. La relativité de la chose jugée implique donc que celle-ci ne vaut en règle pas à l'égard des tiers. Toutefois, parce qu'il modifie l'ordonnancement juridique d'une manière qui objectivement doit être reconnue et respectée par tous, le jugement est néanmoins 'opposable' aux tiers, sous réserve de la preuve contraire et, en particulier de la tierce opposition [13]. Cette 'opposabilité' [14] ne concerne toutefois que la force probante et non la force obligatoire de la décision judiciaire. En d'autres termes, ce qui a été décidé se présente à l'égard des tiers sous la forme d'une présomption légale réfragable [15]. Ceux-ci sont liés par la force probante de la décision judiciaire sauf pour eux à faire la preuve contraire par toutes voies de droit, spécialement par la tierce opposition [16], [17]. Par contre, même si la décision judiciaire a une force probante juris tantum à l'égard des tiers qui n'étaient pas parties à la cause, elle n'a pas pour effet d'engendrer, à tout le moins directement [18], des obligations à leur charge [19], ni de créer des droits à leur profit [20].

A l'égard des tiers, les parties peuvent donc se prévaloir de l'aspect 'positif' [21] de la chose jugée, c'est-à-dire qu'elles ont la possibilité de leur opposer ce qui a été jugé sur une 'question litigieuse' ou sur 'un point litigieux' [22], qui se poserait à nouveau dans le cadre d'un procès ultérieur. Cependant, en raison de leur qualité de tiers, cet effet positif se manifeste sous la forme d'une présomption non irréfragable alors qu'il revêt une force probante absolue entre les parties à la première procédure.

7.Effet des décisions judiciaires au profit des tiers - Apport de l'arrêt annoté. La doctrine et la jurisprudence ont donc systématisé la possibilité pour les parties de se prévaloir de la force probante de la décision judiciaire à l'égard - ou plus exactement à l'encontre - des tiers. Il s'agit donc, en règle, d'une opposabilité, équivalant à une présomption juris tantum. La possibilité pour les tiers de se prévaloir de la décision judiciaire à l'égard des - ou plus exactement contre les - parties a par contre fait l'objet de peu d'analyses en droit belge.

Dans sa thèse sur l'autorité de chose jugée, P. Taelman a dégagé la solution suivant laquelle, par une sorte d''effet miroir', les tiers pourraient opposer aux parties les décisions judiciaires avec la même force probante que les parties peuvent les invoquer à l'égard des tiers [23]. Il s'agirait donc d'une simple présomption non irréfragable que les parties pourraient renverser [24]. P. Taelman fonde cette solution sur un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1960 [25]. Si ce dernier arrêt consacre, de manière incontestable, la possibilité pour les tiers d'invoquer la force probante qui s'attache à une décision à laquelle leur adversaire a été partie, il ne se prononce en revanche pas sur l'étendue de cette force et, en particulier, sur le point de savoir si la personne qui était partie à la précédente procédure peut encore apporter la preuve contraire. La Cour de cassation n'y parle que de 'force probante' sans se prononcer sur le caractère irréfragable ou non de la présomption tirée de la précédente décision [26].

A mon sens, l'arrêt annoté s'écarte de l'approche défendue par P. Taelman et va plus loin en admettant que le tiers (en l'espèce l'assuré) puisse invoquer à l'égard d'une personne partie à la première procédure (en l'espèce la personne lésée) l'effet positif de la chose jugée qui s'attache au premier jugement. Il faut en effet rappeler qu'en l'espèce les juges d'appel avaient considéré que la personne lésée devait 'se résigner' à ce qui avait été établi dans la précédente décision. Ils n'avaient même pas examiné les moyens de preuve allégués par celle-ci considérant que le premier jugement lui était 'opposable'. Les juges du fond lui avaient ainsi attribué, à l'instar de l'effet positif de la chose jugée, une valeur probante irréfragable. La personne lésée se voyait légalement interdire de revenir sur la question litigieuse déjà tranchée par le précédent jugement (i.e. l'absence de responsabilité de l'assuré). Le moyen de cassation présenté par la personne lésée critiquait précisément cette décision des juges du fond de permettre à l'assuré d'invoquer une exception de chose jugée contre la personne lésée alors qu'il n'était pas lui-même partie au jugement. Il en déduisait que le jugement entrepris avait illégalement privé la victime de l'accident d'apporter la preuve contraire à l'égard de l'assuré. Ce moyen est précisément rejeté par la Cour de cassation au motif que l'assuré qui est ensuite interpellé par la personne lésée peut lui 'opposer' le jugement rendu en première instance. Or, comme je l'ai rappelé (supra n° 5), le terme 'opposabilité' revêt dans le contentieux des assurances de responsabilités, une signification équivalente à celle de chose jugée.

L'arrêt du 26 novembre 2009 consacre donc le droit pour l'assuré de se prévaloir de l'effet positif de la chose jugée qui s'attache à la décision de débouté de la personne lésée. Il peut l'invoquer pour établir, de manière irréfragable, son absence de responsabilité à l'égard de la personne lésée. Celle-ci, qui était partie à la première décision, se voit interdire d'apporter la preuve contraire. Elle doit 'se résigner' à son précédent échec à établir cette responsabilité à l'occasion de l'action qu'elle avait introduite contre l'assureur.

8.Appréciation. La Cour de cassation semble ainsi s'aligner sur une solution admise de longue date en droit français. Suivant la doctrine française, les tiers au jugement peuvent opposer aux parties les effets de la décision, alors même qu'ils n'y auraient pas été par hypothèse représentés; dans ce cas, “les parties ne peuvent se défendre contre un tiers qui leur opposerait le contenu même de ce jugement. Elles sont prisonnières, vis-à-vis des tiers, du contenu des décisions qu'elles ont obtenu soit en leur faveur, soit à leurs dépens” [27]. En d'autres termes, même vis-à-vis des tiers, “les parties sont dans l'impossibilité de prouver contre la chose jugée à leur égard” [28].

Concrètement, cette possibilité pour le tiers de se prévaloir de l'effet positif de la chose jugée se traduit donc par une impossibilité légale pour la personne concernée de rapporter, dans le nouveau procès, la preuve d'un fait ou d'un acte dont l'existence aurait été déniée par une précédente décision à laquelle elle aurait été partie. Elle doit se résigner à l'échec de la preuve. Son action sera, le cas échéant, déclarée non fondée - et non pas irrecevable [29] - à défaut pour elle de pouvoir rapporter la preuve des éléments nécessaires au succès de sa prétention.

Faut-il s'émouvoir de cette possibilité offerte aux tiers d'opposer l'effet positif de la chose jugée aux parties qui, malgré l'existence d'une décision antérieure, tenteraient à nouveau de leur réclamer, sur la base d'un socle factuel et juridique identique, un droit dont l'existence leur a déjà été refusée? Je ne le pense pas [30]. Cette solution ne porte atteinte, selon moi, à aucun des principes fondamentaux du procès équitable et, en particulier, pas au droit au contradictoire des parties qui ont déjà eu l'occasion de faire valoir leur thèse, le plus souvent à l'occasion de plusieurs degrés de juridictions. La solution retenue est, au contraire, en lien avec les nouveaux principes émergents du procès civil que sont l'économie processuelle et la loyauté [31]. Il paraît en effet contreproductif de remobiliser le service public de la justice pour faire juger à nouveau une contestation dont les éléments essentiels ont déjà été tranchés (par exemple, en l'espèce, la responsabilité de l'assuré). Pourquoi une partie pourrait-elle disposer d'une nouvelle chance, d'une sorte de 'fresh start', simplement en changeant le 'casting' du procès alors qu'elle aurait déjà pu impliquer d'emblée tous les acteurs à l'occasion de la première procédure [32]? Au contraire, le 'principe de concentration du litige' [33] n'a-t-il pas pour conséquence de contraindre à cette partie à appeler, dès le départ, tous ses adversaires potentiels? Si tel n'est pas son choix stratégique, elle devra supporter les effets négatifs d'une éventuelle défaite. Si cette défaite s'explique par la circonstance que le demandeur n'a pas apporté la preuve des faits et/ou actes qu'il allègue et que la preuve de ceux-ci est également nécessaire à sa 'nouvelle' action contre son 'nouvel' adversaire, le tiers 'oublié' dans un premier temps pourra, au besoin, le lui rappeler en lui opposant l'effet positif de la chose jugée.

9.Champ d'application - Conséquences pratiques. La solution dégagée par l'arrêt annoté trouve bien entendu un terrain d'application particulièrement fertile dans le contentieux des assurances de responsabilité. Les intérêts de l'assureur et de l'assuré y sont en effet particulièrement étroits, voire souvent identiques et indissociables [34]. Un même contexte factuel et juridique unit fréquemment les actions qui peuvent être introduites contre l'un ou l'autre. Ces actions reposent sur un socle de questions litigieuses communes (faute de l'assuré, existence d'un lien de causalité, existence et étendue du dommage, …). Désormais, l'assuré ou l'assureur pourront opposer à la personne lésée la décision qui a été rendue en présence de celle-ci et de l'un d'entre eux sur l'un de ces points litigieux. Même lorsqu'il n'a pas assuré la direction du litige, l'assureur pourra ainsi opposer à la personne lésée la décision qui l'aurait déboutée d'une action introduite dans un premier temps contre son assuré parce qu'elle avait échoué à établir la responsabilité de ce dernier.

Dès lors que sur le point concerné, l'article 89, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur lequel se fonde l'arrêt annoté ne constitue qu'une simple application du droit commun des articles 23 et s. du Code judiciaire (supra n° 5), la solution dégagée par la Cour peut être généralisée. Elle permettra à toute personne qui est actionnée par un demandeur de se prévaloir de l'autorité de chose jugée qui s'attache à une décision antérieure qui aurait débouté ce demandeur, lorsque les deux actions se fondent, comme en matière d'assurance de responsabilités, sur un même contexte factuel et juridique. On pense par exemple à l'action qui serait introduite par un créancier contre un codébiteur solidaire ou in solidum alors qu'il a déjà été débouté par un premier jugement d'une action précédemment introduite contre un autre codébiteur [35]. Chaque fois que le demandeur aura échoué dans une première procédure à établir des éléments de fait qui sont nécessaires au succès de ses prétentions dans la deuxième procédure, le défendeur dans ce second procès pourra lui opposer l'effet positif qui s'attache à la première décision, bien qu'il n'y ait pas été partie [36].

[1] Professeur à l'Université Libre de Bruxelles, Partner Liedekerke.
[2] A ma connaissance, seul P. Taelman a spécifiquement étudié la question dans son étude de référence, Het gezag van het rechterlijk gewijsde: een begrippenstudie, Kluwer, 2001, p. 267, n° 364. En France, la question a par contre fait l'objet d'analyses plus nombreuses (infra n° 7).
[3] Comme on le rappellera ci-après (infra n° 7), un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1960 avait certes précédemment laissé penser que le tiers pouvait invoquer la décision entre les parties comme présomption non irréfragable (Cass. 17 décembre 1960, Pas. 1961, I, p. 428). Nul n'en a toutefois jamais déduit que ce même tiers pouvait s'en prévaloir au titre de l'autorité de la chose jugée pour apporter de manière irréfragable la preuve du fait qui avait été constaté par un précédent jugement (voy. au contraire, P. Taelman, o.c., p. 269, n° 367 qui y voit une simple confirmation de la possibilité pour les tiers d'opposer aux parties le jugement au titre d'une présomption juris tantum ; voy. infra n° 7).
[4] La Cour ne se prononce pas expressément sur le moyen en tant qu'il invoquait la violation des règles du Code civil relatives à l'appréciation des preuves et présomptions. Le ministère public concluait pourtant à l'irrecevabilité du moyen en tant qu'il était pris de la violation de ces dispositions. L'absence de précision dans l'arrêt annoté à cet égard s'explique à mon sens par la réponse déjà donnée par la Cour au grief déduit de l'article 89, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 duquel résulte la force probante qui s'attache à la première décision, sans qu'il soit encore nécessaire de recourir aux articles 1350, 1352 et 1353 du Code civil. Sur ce que l'autorité de chose jugée n'est pas une 'preuve' au sens de ces dispositions du Code civil, voy. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. III, 2ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 940, n° 941.
[5] J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité de chose jugée happée par la concentration du litige” in L'effet de la décision de justice. Contentieux européens, constitutionnel, civil et pénal, CUP, vol. 102, Bruxelles, Anthémis, 2008, p. 173, n° 32. Voy. égal. P. Vanlersberghe, “Gezag van gewijsde in burgerlijke zaken” in Chronique de droit à l'usage des juges de paix et de police 2010, Bruges, la Charte, 2010, p. 340, n° 20.
[6] G. de Leval et F. Georges, “Traits fondamentaux des effets de la décision de justice civile” in Chronique de droit à l'usage des juges de paix et de police, o.c., p. 269.
[7] J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., p. 173, n° 32.
[8] L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, 2ème éd., Anvers, Intersentia, 2008, p. 496, n° 664; J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., p. 190, n° 64; conclusions de l'avocat général délégué Van Ingelgem avant l'arrêt annoté.
[9] Qu'il faut en réalité lire comme: “n'a autorité de chose jugée à l'égard de”, voy. ci-après dans le corps du texte.
[10] Sur la notion de direction du procès, voy. not. M. Fontaine, Droit des assurances, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 312, n° 64; C. Van Schoubroeck, G. Jocque, A. Vanderspikken et H. Cousy, “Overzicht van rechtspraak. Verzekering motorrijtuigen (1980-1997)”, TPR 1998, p. 290. Sur le régime de l'art. 89, § 1er, 2ème al., voy. not., L. Schuermans, o.c., p. 496, n° 664; J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., p. 190, nos 63 et s. Pour une application récente de cette disposition, voy. Cass. 16 mai 2002, Pas. 2002, I, p. 1168.
[11] P. Taelman, o.c., p. 258, n° 347, note 1058; J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., p. 191, n° 64; L. Schuermans, o.c., p. 497, n° 664.
[12] J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., p. 191, n° 64.
[13] Cass. 20 avril 1966, Pas. 1966, I, p. 1055; Cass. 27 juin 1975, Pas. 1975, I, p. 1053; Cass. 16 octobre 1981, Pas. 1982, I, p. 245; Cass. 28 avril 1989, Pas. 1990, I, p. 914.
[14] Contrairement à l''opposabilité' visée par l'article 89, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 - qui est en réalité une autorité de chose jugée, soit une présomption irréfragable (supra n° 5) -, il s'agit ici d'une simple opposabilité se matérialisant sous la forme d'une présomption juris tantum (sur la distinction entre les deux concepts, voy. J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., pp. 176-177, nos 38 et 39).
[15] P. Taelman, o.c., pp. 155 et s.; J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, p. 173, nos 34 et s.; O. Caprasse, “L'effet des décisions judiciaires à l'égard des tiers” in Le contentieux interdisciplinaire, Bruxelles, Bruylant-Kluwer, 1996, pp. 265 et s.; J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal, “Examen de jurisprudence. Droit judiciaire privé (1985-1996)”, RCJB 1997, pp. 522-526, nos 41-43; G. de Leval, Eléments de procédure civile, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 240, n° 167.
[16] Demeure très discutée la question précitée de savoir si, au regard de sa jurisprudence précitée, et, en particulier, de l'arrêt du 28 avril 1989, la Cour de cassation a rendu obligatoire l'exercice de la tierce opposition alors que l'art. 1124 du Code judiciaire prévoit expressément que celle-ci revêt un caractère facultatif. Selon P. Taelman (o.c., pp. 226-228, nos 312-315), la jurisprudence de la Cour aboutirait à une telle solution. Une autre partie de la doctrine et, en particulier, J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal (o.c., RCJB 1997, p. 525, n° 42), reconnaît l'ambiguïté de l'arrêt du 28 avril 1989 mais estime, à la lecture des arrêts précédents, que la Cour n'a pas pu vouloir rendre obligatoire l'exercice de cette voie de recours (voy. égal. dans ce sens, O. Caprasse, “Les effets des décisions…”, o.c., p. 288; G. de Leval, Eléments, o.c., p. 241, n° 167A).
[17] Dans sa thèse précitée (o.c., pp. 219 et s., nos 303 et s.), P. Taelman s'est livré à une critique sévère de la solution consacrée par la Cour de cassation et approuvée par la doctrine majoritaire. Pour cet auteur, analyser l'opposabilité de la chose jugée à l'égard des tiers en une présomption liant ceux-ci sauf preuve contraire (spécialement si celle-ci ne peut être apportée que par l'exercice de la tierce opposition - voy. note précédente) revient à méconnaître le principe de l'égalité des armes consacré par l'art. 6, 1., CEDH. Il conclut donc que ce qu'a décidé un juge ne peut valoir à l'égard des tiers que comme une simple présomption de l'homme qui est laissée à la libre appréciation du second juge. Pour J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal (o.c., RCJB 1997, p. 526, n° 43) ainsi que pour O. Caprasse (“Les effets des décisions…”, o.c., pp. 288-289), cette critique n'est pas convaincante dès lors que le tiers peut contredire l'autorité de la chose jugée par tous moyens de fait ou de droit et qu'il conserve partant intact son droit de défense. Voy. égal. plus récemment l'analyse nuancée de J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot (“L'autorité…”, o.c., p. 179, nos 40 et s.), lesquels mettent également en avant la distinction fort théorique entre présomption de l'homme et présomption juris tantum (p. 178, note 88).
[18] Sur ce que l'opposabilité d'une décision judiciaire à l'égard d'un tiers peut, par répercussion, engendrer une obligation à charge de ce dernier, voy. J. Van Compernolle et G. Closset-Marchal, o.c., RCJB 1997, p. 525, n° 42. Voy. égal. au sujet de l'expulsion des lieux loués du locataire 'et des siens', E. Dirix et K. Broeckx, “De uitzetting van medebewoners en onderhuurders” (note sous Gand 25 avril 1997), RW 1999-2000, p. 821, n° 3.
[19] Cass. 28 avril 1989, Pas. 1990, I, p. 914; Cass. 26 mars 1992, Pas., I, p. 677.
[20] Comme on l'exposera ci-après (infra n° 8), la précision suivant laquelle le tiers ne peut tirer de droit de la décision à laquelle il n'a pas été partie doit être bien comprise; elle signifie uniquement que le tiers ne peut déduire du premier jugement un droit subjectif ou même un simple avantage ou bénéfice qu'il se serait par ailleurs abstenu de réclamer personnellement. Elle n'interdit par contre pas que le tiers puisse opposer la force probante (absolue) de la décision à l'égard des parties à cette décision.
[21] Voy. J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'effet positif de la chose jugée”, JT 2009, p. 299 , n° 10. On distingue bien entendu cet aspect de la chose jugée de son volet négatif qui est l'exception de chose jugée, soit la fin de non-recevoir qui interdit au demandeur de réitérer la même demande à l'encontre de la même partie (voy. J.-F. van Drooghenbroeck, “Le régime de l''exception' de chose jugée” in Les défenses en droit judiciaire, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 183 et s.).
[22] Par question litigieuse ou point litigieux, “il faut entendre toute question relative à l'existence, à la valeur, aux effets d'un rapport juridique, d'une situation juridique, d'un acte ou d'un fait juridique, qui se pose dans un procès parce que le rapport, la situation, l'acte ou le fait est incertain ou contesté” (J. Van Compernolle, “Considérations sur l'autorité de la chose jugée en matière civile” (note sous Cass. 10 septembre 1981), RCJB 1984, p. 252, n° 17).
[23] P. Taelman, o.c., p. 267, n° 364. La position du professeur Taelman semble être rejointe par l'avocat général délégué Van Ingelgem dans ses conclusions précédant l'arrêt annoté.
[24] Voy. égal. dans ce sens, à tout le moins implicitement, J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot (“L'autorité…”, o.c., p. 170, n° 30), qui n'envisagent le jeu de l'effet positif de la chose jugée que “lorsque les parties demeurent évidemment identiques”.
[25] Dans cette affaire, un contribuable, qui avait obtenu gain de cause dans une première procédure civile, soutenait la thèse inverse dans un procès ultérieur l'opposant cette fois à l'administration fiscale (qui n'était pas partie au premier litige). Les juges du fond avaient décidé que le contribuable ne pouvait 'valablement soutenir' une thèse contraire à celle qui avait été consacrée dans le cadre de la première procédure. A l'appui de son pourvoi, le contribuable invoquait qu'en l'absence d'identité de cause et des parties, les juges du fond ne pouvaient se réclamer de l'autorité de chose jugée de la précédente décision pour lui dénier le droit de soutenir une thèse contraire à celle-ci dans l'instance fiscale (troisième branche du moyen unique). L'arrêt du 17 décembre 1960 décide que “pour déclarer un fait établi, une décision judiciaire peut se fonder sur la force probante d'un jugement intervenu dans une instance où celui à qui ce fait est opposé était partie, même si, dans cette autre instance, la cause et les parties n'étaient pas identiques”. Pour rejeter le moyen, la Cour relève ensuite que “l'arrêt attaqué ne déclare pas le demandeur non recevable, en raison d'une décision antérieure, à soutenir une thèse opposée à sa thèse précédente, mais décide que le demandeur 'n'a pas rapporté la preuve' qui lui incombait”.
[26] En l'espèce, les juges du fond avaient décidé que le contribuable 'ne peut valablement soutenir' une thèse contraire à celle consacrée par la première décision. Mais cela signifiait-il que le contribuable ne pouvait plus légalement rapporter cette preuve dès lors que la précédente décision avait décidé le contraire ou qu'il avait simplement échoué à rapporter cette preuve? On voit où se situe la différence entre les deux approches et l'importance de déterminer laquelle doit l'emporter.
[27] D. Tomasin, Essai sur l'autorité de la chose jugée en matière civile, Paris, LGDJ, 1975, p. 79, n° 97 suivant lequel il s'agit là d'un effet de la relativité de l'autorité de la chose jugée.
[28] L. Boyer, note sous Angers 15 octobre 1958, JCP 1958, II, 13.315.
[29] Considérée sous son aspect positif, la chose jugée n'interdit pas à la personne concernée d'introduire une nouvelle action. Elle n'a en effet pas perdu son droit d'action. A l'occasion de ce nouveau procès, il lui est par contre fait interdiction d'apporter la preuve contraire de ce qui a déjà été décidé sur certains points litigieux par la précédente décision.
[30] Il faut bien comprendre la portée de la thèse ici défendue. Il s'agit simplement de permettre au tiers d'opposer, à l'occasion d'un nouveau procès mettant en cause une des parties à la précédente décision, l'autorité qui s'attache à cette décision pour empêcher cette partie d'apporter la preuve contraire de ce qui a été décidé dans la première décision. En aucun cas, le tiers ne peut tenter de tirer d'autres droits du premier jugement. Il ne peut notamment tenter d'invoquer à son profit une décision rendue en cause d'autres parties lorsque lui-même a omis d'agir dans le délai qui lui était imparti (voy. p. ex. CJCE 14 septembre 1999, C-310/97P, Commission / AssiDomän et autres).
[31] Sur l'application de ces principes, comme fondement de l'effet positif de la chose jugée entre parties, voy. J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'effet positif…”, o.c., p. 299, n° 9.
[32] Ce point est souligné par l'arrêt annoté qui rappelle que la personne lésée peut exercer son action tendant à obtenir une indemnisation soit contre l'assuré ou son assureur séparément, soit contre les deux ensemble, tenus in solidum à l'égard de la personne lésée.
[33] Sur ce principe et ses conséquences, voy. J.-F. van Drooghenbroeck et F. Balot, “L'autorité…”, o.c., pp. 155 et s.
[34] Ce qui explique notamment que la Cour de justice de l'Union européenne ait pu décider que l'assureur et son assuré forment une 'même' partie dans le cadre de l'exception de litispendance européenne; voy. H. Boularbah, “La notion de 'mêmes parties', condition de la litispendance communautaire” (note d'observations sous CJCE 19 mai 1998), JT 1998, pp. 774-776 .
[35] La situation des codébiteurs solidaires et in solidum doit être bien comprise. L'arrêt annoté n'implique pas qu'une décision prononcée contre l'un d'entre eux ait autorité de chose jugée à l'encontre des autres (voy. G. de Leval, Eléments, o.c., p. 242, n° 167B). Il signifie que les autres codébiteurs pourront opposer à leur créancier l'autorité de chose jugée qui s'attacherait à la première décision qui l'aurait débouté de son action contre l'un d'entre eux lorsque la question litigieuse tranchée par le premier jugement conditionne la solution qui doit être donnée à la seconde affaire. Imaginons, par exemple qu'un tribunal décide dans le cadre d'une procédure opposant un créancier à un administrateur d'une société anonyme qu'il n'y a pas eu, à l'occasion d'une opération déterminée, de violation de la loi ou des statuts. Si ce même créancier intente à nouveau la même action à l'égard d'autres administrateurs de la même société, solidairement responsables des violations de la loi ou des statuts, en vertu du Code des sociétés, ces derniers pourront invoquer l'effet positif de la chose jugée qui s'attache à la première décision et soutenir qu'à l'égard du demandeur, il a déjà été décidé qu'il n'y a pas eu, à l'occasion de l'opération critiquée, de violation de la loi ou des statuts.
[36] Voy. par ex. Comm. Mons 21 décembre 2010, JT 2011, p. 80 qui décide que le courtier auquel un assureur reproche une faute sans laquelle il n'aurait pas dû couvrir un sinistre, peut opposer à cet assureur l'autorité de chose jugée de la décision, rendue dans le litige entre l'assureur et l'assuré, qui a dit que le premier n'est pas fondé à refuser la couverture du sinistre au second..