Article

Cour de cassation, 18/06/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/8, p. 816-819

Cour de cassation 18 juin 2010

DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Droit d'auteur et droits voisins - Dispositions communes - Respect du droit d'auteur et des droits voisins - Action en cessation
L'article 1er, § 1er, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins accorde à l'auteur le droit exclusif de reproduire ou d'autoriser la reproduction de son oeuvre, ce qui comporte le droit d'en autoriser l'adaptation ou la traduction et d'en autoriser la location ou le prêt.
L'auteur a, en outre, le droit exclusif de communiquer son oeuvre au public par un procédé quelconque.
Il s'en déduit que l'auteur a le droit de s'opposer à ce que, sans son autorisation, un tiers reproduise ou communique l'oeuvre au public.
En vertu de l'article 1er, § 2, l'auteur jouit en outre d'un droit moral inaliénable sur son oeuvre.
La compétence du président du tribunal, qui est exceptionnelle et est, partant, d'interprétation stricte, ne s'étend pas à des agissements de tiers qui ne constituent pas une atteinte aux droits exclusifs de l'auteur au sens précité.

INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Auteursrecht en naburige rechten - Gemeenschappelijke bepalingen - Auteursrecht en naburige rechten - Rechtshandhaving - Vordering tot staken
Artikel 1, § 1, van de wet betreffende het auteursrecht en de naburige rechten kent aan de auteur het uitsluitend recht toe zijn werk te reproduceren of te laten reproduceren, wat het recht omvat er de bewerking of vertaling van toe te laten en het verhuren of uitlenen van toe te staan.
De auteur heeft bovendien het uitsluitend recht zijn werk aan het publiek mee te delen volgens ongeacht welk procedé.
Hieruit vloeit voort dat de auteur het recht heeft zich te verzetten tegen een derde die zijn werk reproduceert of meedeelt aan het publiek zonder zijn toestemming.
Krachtens artikel 1, § 2, heeft de auteur ook een onvervreemdbaar moreel recht op zijn werk.
De bevoegdheid van de rechtbank van koophandel, die uitzonderlijk en dus strikt te interpreteren is, strekt zich niet uit tot handelingen van derden die geen inbreuk uitmaken op de uitsluitende rechten van de auteur zoals hiervoor aangehaald.

Moulinsart SA, V.F. et H.C. / A.O.

Siég.: Ch. Storck (président), D. Batselé, Ch. Matray, M. Regout et A. Simon (conseillers)
MP: J.-Fr. Leclercq (procureur général)
Pl.: Mes L. De Gryse et W. van Eeckhoutte
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 juin 2007 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

Le procureur général Jean-François Leclercq a conclu.

II. Les moyens de cassation

Les demandeurs présentent trois moyens, dont le premier est libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution;

- articles 1er, § 1er, et 87, § 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt:

“Reçoit l'appel (introduit par le défendeur) et le dit fondé dans la mesure ci-après:

Met la décision (du premier juge) à néant, sauf en ce qu'elle dit les demandes recevables et liquide les dépens;

Statuant à nouveau, dit la demande [du défendeur] fondée dans la mesure ci-après:

Ordonne aux [demandeurs] de s'abstenir de toute démarche ayant pour effet ou pour objet de priver [le défendeur] du droit d'exploiter les oeuvres contestées et reprises dans l'inventaire [du défendeur] en les communiquant au public sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par infraction à partir de la signification du présent arrêt pour ce qui concerne les oeuvres reprises sous les numéros 16, 17 et 18 de cet inventaire, et reproduites dans le présent arrêt;

Dit que cette injonction ne prive pas les [demandeurs] du droit de se prévaloir des droits d'auteur qu'ils détiennent pour dénoncer une atteinte qui serait portée à ces droits, autre que celle liée à l'existence d'un prétendu acte de contrefaçon;

Dit les demandes reconventionnelles des [demandeurs] non fondées;

Dit les demandes pour appel téméraire et vexatoire non fondées;

Condamne les [demandeurs] aux dépens des deux instances.”

L'arrêt justifie le recours par le défendeur à l'action en cessation, prévue par l'article 87, § 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, par les motifs suivants:

“Il apparaît (...) du texte de l'article 87, § 1er, de la loi que ce dernier ne réserve pas le droit d'agir en cessation aux seules personnes qui se prétendent lésées par un acte de contrefaçon. Cette disposition vise toute atteinte à un droit d'auteur. Dès lors que [le défendeur] se plaint d'une atteinte qui serait portée de manière illicite à son droit de communiquer ses oeuvres au public, il pouvait saisir le président du tribunal de première instance pour entendre ordonner la cessation des faits qui seraient constitutifs d'une telle atteinte (...).

Il ressort (...) tant de la citation introductive d'instance que des conclusions devant le premier juge et en degré d'appel que [le défendeur] fait valoir, à l'appui de sa demande, sa qualité d'auteur et de titulaire des droits qui sont attachés à cette qualité, et qu'il précise en degré d'appel que c'est justement en tant qu'auteur qu'il estime que sa liberté d'expression est bafouée par les menaces et pressions des [demandeurs] (...).

S'il est exact que [le défendeur] a également soutenu que, dès lors que les oeuvres contestées constituent une parodie de l'oeuvre d'(...) et de l'oeuvre de (...), il ne pouvait être reconnu aux [demandeurs] le droit de s'opposer à l'exposition ou à la vente de ses oeuvres en invoquant la protection des droits d'auteur des oeuvres parodiées, sous peine de porter atteinte à la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit à la parodie reconnu par l'article 22, § 1er, 6°, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins, il ne peut en être déduit que 'l'exception de parodie' est invoquée comme fondement même de la demande [du défendeur].

(...) (L'action) tend à entendre constater que les [demandeurs] invoquent à tort la protection des droits d'auteur pour faire obstacle par des voies de fait à la communication des oeuvres au public (...).

C'est à bon droit que [le défendeur] expose qu'il ne peut exploiter ses toiles sans autorisation préalable des ayants droit des auteurs de l'oeuvre de (...) ou de celle de (...) en se prévalant de l'esprit de parodie qui caractérise les toiles contestées qui reproduisent des éléments originaux d'oeuvres préexistantes.”

Griefs
Première branche

L'arrêt viole l'article 87, § 1er, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins en admettant le recours par le défendeur à l'action en cessation prévue par cette disposition au motif qu'il “se plaint d'une atteinte qui serait portée de manière illicite à son droit de communiquer ses oeuvres au public”.

En vertu de l'article 87, § 1er, 1er alinéa, de cette loi, “le président du tribunal de première instance constate l'existence et ordonne la cessation de toute atteinte au droit d'auteur”.

Contrairement à ce que cette disposition légale prescrit, l'arrêt, dans son dispositif, ne constate pas l'existence d'une atteinte à son droit d'auteur ni n'ordonne la cessation d'une telle atteinte à ce droit.

En admettant néanmoins le recours par le défendeur à l'application de l'article 87, § 1er, précité, sans faire la constatation prescrite par cette disposition ni ordonner la cessation d'une telle atteinte au droit d'auteur, l'arrêt viole cette disposition légale.

Les droits d'auteur protégés par l'action en cessation au sens de l'article 87, § 1er, sont uniquement les droits exclusifs prévus par la loi sur le droit d'auteur, plus particulièrement le droit pour l'auteur, prévu par l'article 1er, § 1er, de cette loi, de s'opposer à ce que, sans son autorisation, un tiers reproduise ou communique l'oeuvre de l'auteur au public.

Cette compétence du président qui est exceptionnelle, dès lors d'interprétation stricte, ne s'étend pas à des agissements de tiers qui ne constituent pas une atteinte aux droits exclusifs de l'auteur au sens précité.

En l'occurrence, les agissements reprochés aux demandeurs ne constituaient nullement des actes de reproduction ou de communication par les demandeurs des oeuvres du défendeur, sans son autorisation.

Ils portaient uniquement sur des agissements qui auraient empêché ou perturbé le prétendu droit du défendeur d'exposer lui-même ses propres oeuvres ou de les communiquer au public.

De tels agissements ne pouvaient faire l'objet de l'action en cessation sur la base de l'article 87, § 1er. Le seul fait, invoqué par l'arrêt, que le défendeur faisait valoir, à l'appui de sa demande, 'sa qualité d'auteur' ne permettait pas d'élargir le champ d'application de ladite disposition en la rendant également applicable à de tels agissements.

En procédant à une extension de la notion “d'atteinte au droit d'auteur” aux agissements visés et condamnés par l'arrêt, ce dernier étend indûment cette norme légale ainsi que le champ d'application de l'article 87, § 1er, à des actes qui ne constituent pas une atteinte aux droits exclusifs de l'auteur, prévus par l'article 1er, § 1er, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

Il viole ainsi ces deux dispositions légales.

Deuxième branche

Dans leurs conclusions (de synthèse) d'appel, les demandeurs avaient contesté le recours par le défendeur à l'action en cessation prévue par l'article 87, § 1er, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins en faisant valoir que la prétendue atteinte portée au droit d'exposition du défendeur ne pouvait être considérée comme une atteinte à ses droits d'auteur au sens de cet article 87, § 1er.

Les demandeurs avaient plus particulièrement fait valoir que “le droit d'exposition” invoqué par le défendeur “n'est pas un droit d'auteur” mais “un droit appartenant, non à l'auteur, mais au propriétaire du support matériel de l'oeuvre”.

L'arrêt ne répond pas à ce moyen fondé sur la nature juridique du droit d'exposition.

A défaut de réponse, il n'est pas régulièrement motivé et viole ainsi l'article 149 de la Constitution qui oblige le juge à répondre aux moyens qui lui ont été régulièrement soumis par les parties.

Troisième branche

Le droit à la 'parodie', reconnu par l'arrêt au défendeur, n'est pas non plus un 'droit d'auteur' au sens des articles 87, § 1er, et 1er, § 1er, de la loi du 3 juin 1994 mais constitue une exception à ce droit, prévue par l'article 22, § 1er, 6°, de cette loi.

Dans la mesure où l'arrêt fonde le recours par le défendeur à l'action en cessation prévue par l'article 87, § 1er, précité, au moins indirectement, sur son droit de se prévaloir “de l'esprit de parodie qui caractérise les toiles contestées qui reproduisent des éléments originaux d'oeuvres préexistantes”, admettant ainsi que l'action en cessation, prévue par l'article 87, § 1er, peut être introduite par celui qui se plaint d'une atteinte au prétendu droit de parodier les oeuvres d'autrui, une exception au droit d'auteur, prévue par l'article 22, § 1er, 6°, l'arrêt viole également les articles 1er, § 1er, 22, § 1er, 6°, et 87, § 1er, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen
Quant à la première branche
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par le défendeur et déduite de ce que les demandeurs indiquent comme étant violé l'article 87, § 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans sa nouvelle version, alors qu'au moment de l'introduction de la demande la version antérieure était encore applicable

Un moyen qui indique comme violé un article d'une loi dont le texte a été modifié par une loi ultérieure vise cet article tel qu'il a été modifié.

Cependant, le moyen ne se fonde pas sur les modifications opérées par la loi du 10 mai 2007 relative aux aspects de droit judiciaire de la protection des droits de propriété intellectuelle mais sur ce qui, du texte de l'ancien article 87, § 1er, a été maintenu en vigueur.

La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen, en cette branche

Aux termes de l'article 87, § 1er, de la loi du 30 juin 1994, le président du tribunal de première instance constate l'existence et ordonne la cessation de toute atteinte au droit d'auteur ou à un droit voisin.

L'article 1er, § 1er, de cette loi accorde à l'auteur le droit exclusif de reproduire ou d'autoriser la reproduction de son oeuvre, ce qui comporte le droit d'en autoriser l'adaptation ou la traduction et d'en autoriser la location ou le prêt.

L'auteur a, en outre, le droit exclusif de communiquer son oeuvre au public par un procédé quelconque.

Il s'en déduit que l'auteur a le droit de s'opposer à ce que, sans son autorisation, un tiers reproduise ou communique l'oeuvre au public.

En vertu de l'article 1er, § 2, l'auteur jouit en outre d'un droit moral inaliénable sur son oeuvre.

La compétence du président du tribunal, qui est exceptionnelle et est, partant, d'interprétation stricte, ne s'étend pas à des agissements de tiers qui ne constituent pas une atteinte aux droits exclusifs de l'auteur au sens précité.

L'arrêt constate que le défendeur reprochait aux demandeurs:

- de l'avoir mis en demeure de cesser de porter atteinte aux droits d'auteur dont ceux-ci se prévalaient, et d'avoir fait valoir un droit à la réparation du dommage qui résulterait pour eux des actes, qualifiés de contrefaçon, du défendeur,

- d'avoir requis un huissier de justice pour dresser des constats lors des expositions consacrées aux oeuvres du défendeur,

et considère que ces initiatives “ont été de nature à perturber gravement le déroulement des expositions et donc le droit allégué par [le défendeur] de communiquer ses oeuvres au public”.

Sur la base de ces énonciations, l'arrêt ne décide pas légalement que le défendeur invoquait une atteinte à son droit d'auteur au sens de l'article 87, § 1er, de la loi du 30 juin 1994, justifiant la compétence du président du tribunal pour en constater l'existence et en ordonner la cessation.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Il n'y a lieu d'examiner ni les autres branches du moyen ni les autres moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel;

ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;

réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.

(…)

Note / Noot

L'arrêt cassé a été publié dans cette revue: Bruxelles 14 juin 2007, RDC 2007, 687 .