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Juge national et récupération d'aide illégale: enseignements des arrêts ‘CELF I & II', R.D.C.-T.B.H., 2010/7, p. 673-684

CONCURRENCE
Concurrence - Aide d'état - Obligation de notification - Aide illégale - Aide compatible - Pouvoirs et obligations du juge national
La Cour de justice clarifie dans deux arrêts les pouvoirs et obligations du juge national par rapport au rôle de la Commission européenne en matière de contrôle d'aides d'Etat. En présence d'une décision de la Commission déclarant compatible une aide octroyée illégalement ('aide illégale' car non notifiée au préalable à la Commission), le droit européen n'oblige pas le juge national à ordonner la récupération de l'aide illégale mais seulement le paiement d'intérêts d'illégalité couvrant la période pendant laquelle l'aide a été octroyée illégalement de manière anticipative. En revanche, si la décision de compatibilité de la Commission est annulée lorsque le juge national est appelé à statuer, il ne peut pas surseoir à statuer en attendant une éventuelle nouvelle décision positive de la Commission. Dans ce cas, le juge national est obligé de statuer immédiatement et d'ordonner la récupération, avec intérêts, de l'aide illégale même si celle-ci devait être, par la suite, déclarée compatible par la Commission.
MEDEDINGING
Mededinging - Staatssteun - Aanmeldingsplicht - Onwettige steun - Verenigbare steun - Bevoegdheden van de nationale rechter
Het Hof van Justitie verduidelijkt in twee arresten de rechten en plichten van de nationale rechter in het kader van het toezicht op staatssteun. Indien de Commissie een onwettig toegekende steun (het gaat om 'onwettige staatssteun' omdat die niet voorafgaand bij de Commissie is aangemeld) verenigbaar met de markt verklaart, verplicht het Europees recht de nationale rechter niet om de terugvordering van de onwettige steun te gelasten. Hij moet enkel de betaling bevelen van de interesten voor de periode vanaf de (onrechtmatige) toekenning van de steun tot de beslissing van de Europese Commissie. Indien de beslissing van de Commissie die de steun verenigbaar verklaart wordt vernietigd op een moment dat de zaak nog hangende is voor de nationale rechter, mag deze laatste de zaak niet opschorten in afwachting van een eventuele nieuwe beslissing van de Commissie. In dat geval is de nationale rechter er integendeel toe verplicht om zich onmiddellijk uit te spreken over de terugvordering van de onwettig toegekende steun (vermeerderd met de interesten), zelfs indien die de Commissie de steun in een latere fase alsnog verenigbaar zou verklaren.
Juge national et récupération d'aide illégale: enseignements des arrêts 'CELF I & II'
Jacques Derenne [1]
1. Introduction

Une même affaire, connue sous le nom de 'CELF', dénomination de l'organisme bénéficiaire du régime d'aides en cause, le ' Centre d'exportation du livre français ', a donné lieu à deux arrêts importants de la Cour de justice de l'Union européenne ('CJUE'), le 12 février 2008 et le 11 mars 2010 [2]. Les deux arrêts annotés sont rendus sur renvois préjudiciels du Conseil d'Etat français [3].

Ces arrêts CELF, que l'on désignera respectivement comme CELF I et CELF II, occuperont une place importante dans la jurisprudence européenne en matière d'aides d'Etat et plus particulièrement s'agissant du rôle du juge national.

L'objet de cette note est de présenter, de manière simplifiée, les solutions apportées par la CJUE afin de clarifier les enseignements à tirer pour les praticiens non spécialistes du droit européen et en particulier du droit des aides d'Etat [4].

Règles essentielles du contrôle des aides d'Etat

En guise de memento pour la présente note, on peut décrire, du point de vue procédural, le contrôle des aides d'Etat comme suit (s'agissant des règles pertinentes pour le juge national):

    • l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit un principe d'interdiction des aides d'Etat;
    • toutefois, ce principe n'est pas absolu car l'article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE, énonce une série d'exceptions (exemptions de plein droit du paragraphe 2 et exemptions du paragraphe 3 soumises au pouvoir d'appréciation discrétionnaire de la Commission européenne ('Commission'), sous le contrôle des juridictions européennes);
    • l'article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les Etats membres à notifier au préalable tout projet d'aide d'Etat à la Commission ('l'obligation de notification') et à ne pas mettre à exécution tout projet notifié avant la décision d'approbation de la Commission ('l'obligation de standstill ');
  1. le juge national et la Commission ont des rôles complémentaires mais distincts qui s'articulent en vertu des notions fondamentales d'aide 'illégale' et d'aide 'compatible' ou 'incompatible avec le marché intérieur':
      • une aide 'illégale' est une aide irrégulière en la forme, c'est-à-dire qui a été mise en oeuvre en violation de l'obligation de notification préalable ou qui a été notifiée mais mise en oeuvre en violation de l'obligation de standstill; le juge national a la compétence exclusive de la sauvegarde des droits subjectifs résultant de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, sans pouvoir connaître de la compatibilité de l'aide en cause;
      • une aide 'compatible' ou 'incompatible' est une aide exemptée ou non de l'interdiction de principe visée à l'article 107, paragraphe 1, TFUE à la suite du contrôle de compatibilité avec le marché intérieur; ce contrôle relève de l'appréciation du fond des aides et constitue une compétence exclusive de la Commission;
      • ainsi, alors que la Commission ne peut déclarer une aide incompatible du seul fait de son illégalité (non notification), le juge national ne peut apprécier la compatibilité d'une aide mais doit faire droit à toute demande visant à faire respecter l'obligation de notification préalable à la Commission et l'obligation de standstill, ce qui permet précisément à la Commission d'exercer son contrôle de compatibilité des aides.

      Au contraire donc des règles de concurrence adressées aux entreprises (art. 101 et 102 TFUE), pour lesquelles la Commission et le juge national ont des pouvoirs concurrents (qualification d'entente ou d'abus, exemption des ententes pro-concurrentielles), en matière d'aides d'Etat, seule la qualification d'aide d'Etat relève de pouvoirs concurrents entre la Commission et le juge national; en revanche, une fois la mesure étatique qualifiée d'aide, les compétences divergent: au juge national le contrôle de la régularité procédurale de l'aide, à la Commission le contrôle de compatibilité avec le marché intérieur.

      Avant d'aborder plus en détail les arrêts CELF I et CELF II, on peut d'emblée en synthétiser les règles comme suit:

      CELF I
        • alors qu'en principe, le juge national est tenu d'ordonner la récupération de toute aide illégale, il n'est pas tenu par cette obligation lorsque la Commission a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur au sens de l'article 107 TFUE;
        • dans ce cas, en vertu du droit européen, le juge national n'est tenu que d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité (pendant laquelle l'aide illégale a bénéficié à son destinataire d'une manière anticipative, en violation de l'art. 108, par. 3, TFUE);
        • en vertu du droit national, en revanche, le juge national peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, mais l'Etat membre peut mettre celle-ci à exécution ultérieurement en se fondant sur la décision de la Commission; il peut également octroyer des dommages et intérêts en cas de dommages causés par le caractère illégal de l'aide.
        CELF II
          • saisi d'une demande de protéger les droits subjectifs en cas d'octroi d'aide illégale (demande de restitution ou de mesures provisoires par exemple), le juge national ne peut pas surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission se soit prononcée sur la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur; le juge national doit statuer sans tarder;
          • le fait que la Commission ait adopté successivement trois décisions déclarant une aide compatible, chaque décision ayant été annulée par le tribunal de l'Union européenne, ne constitue pas, en soi, une circonstance exceptionnelle de nature à justifier une limitation à l'obligation du bénéficiaire de restituer une aide illégale.

          Comme on le voit, le contrôle de la légalité de l'aide effectué par le juge national est totalement indépendant du contrôle de compatibilité avec le marché intérieur effectué par la Commission. Celle-ci peut donc ne pas se soucier de la légalité alors que le juge ne peut faire dépendre son contrôle de celui de la Commission.

          Voilà les enseignements à retenir des affaires CELF.

          Si l'arrêt CELF I est assez révolutionnaire et justifié par une circonstance assez rare (dès lors que le juge national est appelé à statuer après que la Commission a déclaré compatible une aide illégale), l'arrêt CELF II, en revanche, n'était sans doute pas nécessaire dès lors que les réponses devaient apparaître évidentes au vu de la jurisprudence précédente.

          Il n'était pas inutile pour autant en vue de clarifier, une fois pour toutes, certaines questions et surtout de couper court aux spéculations qu'on entendait ci et là à propos des enseignements de l'arrêt CELF I: autrement dit, pas question de croire qu'en suite de l'arrêt CELF I, le juge national puisse échapper à son obligation et laisser le fardeau du contrôle des aides d'Etat sur la seule Commission en attendant que celle-ci décide sur les aides dont elle serait saisie. Le juge national a des obligations que n'a pas la Commission. A lui de les assumer pleinement.

          La présente note est l'occasion de revenir sur ces obligations et de donner aux praticiens l'essentiel des règles sur les aides d'Etat à respecter dans le cadre d'un litige national.

          2. CELF I

          De 1980 à 2002, le CELF a bénéficié de subventions d'exploitation accordées par l'Etat français pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes passées par les libraires établis à l'étranger. Pour les besoins de cette note, il n'est pas nécessaire de s'étendre plus sur les faits. L'essentiel est de relever que ces subventions, dont il n'est pas discuté qu'elles constituent des aides d'Etat, n'ont jamais été notifiées à la Commission. Il s'agit donc d'aides illégales.

          La Commission a été saisie en 1992 d'une plainte de la Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE), concurrente du CELF à l'exportation de livres en langue française. La Commission a ensuite adopté trois décisions positives (18 mai 1993, 10 juin 1998 et 20 avril 2004) par lesquelles elle a déclaré les aides en cause compatibles avec le marché intérieur, bien qu'illégales.

          Sur recours en annulation de SIDE, ces trois décisions ont été annulées par le Tribunal de l'Union européenne [5]:

            • le 18 septembre 1995, parce que la Commission aurait dû ouvrir la procédure d'examen formel avant de décider;
            • le 28 février 2002, pour erreur manifeste d'appréciation quant à la définition du marché pertinent;
            • le 15 avril 2008, pour erreur de droit du fait de l'application de l'exemption pour motif culturel à une période antérieure à l'entrée en vigueur de ce motif (ensuite du traité de Maastricht) et pour erreur manifeste d'appréciation dans l'examen de compatibilité; ce dernier arrêt d'annulation est intervenu après l'arrêt CELF I.

            Parallèlement aux procédures devant la Commission et le Tribunal, divers recours ont été introduits devant le juge national et l'affaire a été portée jusque devant le Conseil d'Etat à plusieurs reprises. L'essentiel des procédures nationales peut être résumé comme suit:

              • demande du SIDE, en 1995, au ministre de la Culture et de la Communication de mettre fin au versement des aides et de faire restituer celles versées (demande faite à la suite de la première annulation de la décision de la Commission déclarant les aides compatibles mais reconnaissant qu'elles étaient illégales);
              • rejet de cette demande en octobre 1996;
              • le tribunal administratif de Paris annule cette décision de rejet le 26 avril 2001;
              • la cour administrative d'appel de Paris confirme ce jugement le 5 octobre 2004 et enjoint à l'Etat français de procéder à la mise en recouvrement des sommes versées au CELF sous peine d'une astreinte de 1.000 EUR par jour de retard;
              • le Conseil d'Etat, saisi de pourvois visant à l'annulation de cet arrêt ainsi que du jugement du tribunal administratif, a sursis à statuer et a posé les deux questions suivantes à la CJUE, par décision du 29 mars 2006: “1) En premier lieu, l'article [108] [TFUE] permet-il à un état dont une aide à une entreprise est illégale, illégalité constatée par les juridictions de cet état en raison de ce que cette aide n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission […] dans les conditions prévues à ce même article [108], paragraphe 3, de ne pas récupérer cette aide auprès de l'opérateur économique qui en a été le bénéficiaire en raison de ce que la Commission, saisie par un tiers, a déclaré l'aide compatible avec les règles du marché commun et a, ainsi, assuré de manière effective le contrôle exclusif qu'elle exerce sur cette compatibilité? 2) En second lieu, si cette obligation de restitution est confirmée, y a-t-il lieu de tenir compte, dans le calcul du montant des sommes à restituer, des périodes pendant lesquelles l'aide en cause a été déclarée compatible avec les règles du marché commun par la Commission […] avant que ces décisions ne fassent l'objet d'une annulation par le tribunal de première instance des Communautés européennes?”
              2.1. Sur la première question

              La question du Conseil d'Etat confronte la CJUE à la difficile articulation des rôles respectifs de la Commission et du juge national à l'égard des aides versées illégalement.

              Avant cet arrêt CELF I, la jurisprudence de la Cour de justice avait créé des règles qui semblaient à première vue s'opposer montrant bien que la Commission et le juge national exercent des rôles complémentaires et distincts [6].

              Selon cette jurisprudence, ces rôles sont définis comme suit:

                • d'une part, la Commission est tenue d'examiner la compatibilité des aides avec le marché intérieur, et ce même dans le cas où l'Etat membre a méconnu l'interdiction, prévue par l'article 108, paragraphe 3, TFUE, de mise à exécution de l'aide avant d'avoir obtenu l'accord de la Commission ('aide illégale'); la Commission ne peut toutefois aller jusqu'à déclarer incompatible une aide du simple fait qu'elle a été octroyée illégalement, en violation de cette disposition (arrêt 'Boussac');
                • d'autre part, le juge national doit “sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article [108], paragraphe 3, [TFUE] (arrêts 'Saumon' et 'SFEI'). En particulier, il doit, en principe, faire droit à une demande de remboursement d'une aide illégale. Toutefois, dans sa jurisprudence Saumon, la Cour avait jugé que la décision finale de la Commission sur la compatibilité n'avait pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution nationaux qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par l'article 108, paragraphe 3, TFUE.

                C'est cette dernière règle de l'arrêt Saumon que la CJUE est venue préciser dans son arrêt CELF I, tout en se réclamant de cette jurisprudence Boussac, qu'elle cite d'ailleurs aux points 36 et 40 de l'arrêt CELF I.

                En réalité, sans l'avouer, la Cour opère un revirement de jurisprudence pour dire exactement le contraire de ce qu'elle disait en 1991 dans l'arrêt Saumon. Depuis cet arrêt, le juge national avait l'obligation de faire récupérer l'aide illégale même après une décision de compatibilité de la Commission (en effet, la Commission s'occupe du fond, le juge national de la régularité de la procédure). Depuis CELF I, le juge national n'en a plus l'obligation...

                Pour éviter de se contredire trop directement, la Cour fait référence à des 'circonstances exceptionnelles' qui peuvent justifier l'absence de récupération (principe auquel l'arrêt SFEI fait référence [7] ainsi que l'arrêt Alcan s'agissant de la confiance légitime du bénéficiaire [8] et l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [108 TFUE] [9] qui prévoit expressément que, en cas de décision négative, la Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit européen).

                Toutefois, la Cour constate que ces circonstances exceptionnelles ne s'appliquent précisément pas en l'espèce: “Dans une situation telle que celle du litige au principal, où une demande fondée sur l'article [108], paragraphe 3, dernière phrase, [TFUE] est examinée après que la Commission a adopté une décision positive, le juge national, nonobstant la constatation de la compatibilité avec le marché commun de l'aide en cause, doit statuer sur la validité des actes d'exécution et sur le recouvrement des soutiens financiers accordés. Dans un tel cas, le droit communautaire lui impose d'ordonner les mesures propres à remédier effectivement aux effets de l'illégalité. Cependant, même en l'absence de circonstances exceptionnelles, il ne lui impose pas une obligation de récupération intégrale de l'aide illégale.” [10].

                La Cour entame alors une série de justifications fondées sur une interprétation téléologique pour montrer que l'absence de récupération du montant principal de l'aide illégale en cas de décision de compatibilité ne remet pas en cause la raison d'être de l'interdiction de l'article 108, paragraphe 3, TFUE qui fonde la compétence essentielle du juge national en cas d'aide illégale:

                  • point 47: l'article 108, paragraphe 3, est fondé “sur l'objectif conservatoire de garantir qu'une aide incompatible ne sera jamais mise à exécution”. Selon la Cour,“cet objectif est atteint dans un premier temps, provisoirement, au moyen de l'interdiction qu'elle édicte, et, dans un second temps, définitivement, au moyen de la décision finale de la Commission, qui, lorsqu'elle est négative, fait obstacle pour l'avenir à la mise en oeuvre du projet d'aide notifié”;
                  • point 48: afin de réaliser cette prévention visant à ce que seules des aides compatibles soient mises à exécution,“la mise en oeuvre d'un projet d'aide est différée jusqu'à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission”;
                  • point 49: une fois que la Commission a adopté une décision positive,“l'objectif visé aux points 47 et 48 du présent arrêt n'a pas été contredit par le versement prématuré de l'aide”;
                  • point 50: dans ce cas, pour les tiers au bénéficiaire, “l'illégalité de [l'aide] (...) aura eu pour effet, d'une part, de les exposer au risque, en définitive non réalisé, d'une mise en oeuvre d'une aide incompatible et, d'autre part, de leur faire subir le cas échéant, plus tôt qu'ils ne l'auraient dû, en termes de concurrence, les effets d'une aide compatible”;
                  • point 51: pour le bénéficiaire de l'aide,“l'avantage indu aura consisté, d'une part, dans le non-versement des intérêts qu'il aurait acquittés sur le montant en cause de l'aide compatible, s'il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l'attente de la décision de la Commission, et, d'autre part, dans l'amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la durée de l'illégalité”.

                  La Cour en conclut au point 52:

                  “Dans une situation telle que celle du litige au principal, le juge national est donc tenu, en application du droit communautaire, d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité.”

                  C'est ainsi que la Cour parvient à ériger en principe le fait que le juge national ne soit pas obligé de faire restituer une aide illégale lorsque la Commission l'a déclarée compatible tout en confirmant, dans le même arrêt, qu'une déclaration de compatibilité ne peut toutefois régulariser a posteriori l'illégalité que le juge national doit constater dans son rôle de protecteur des droits subjectifs...

                  La réponse à la première question est ainsi donnée:

                  (...) l'article [108], paragraphe 3, dernière phrase, [TFUE] doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché [intérieur] au sens de l'article [107 TFUE]. En application du droit communautaire, il est tenu d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité” (point 55).

                  Cette réponse est complétée comme suit, s'agissant de l'application éventuelle du droit national, qui peut aller plus loin dans la protection des tiers que le droit européen:

                  “Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'Etat membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement (...) (point 55).

                  La solution a l'avantage de clarifier la situation même si elle peut soulever quelques questions de cohérence juridique, notamment parce que l'approche de la Cour est exclusivement économique.

                  Droit européen, protection minimale?

                  Au-delà de l'incohérence avec l'arrêt Saumon précité, on peut penser notamment au fait que la Cour crée ainsi une situation où le droit européen devient la protection minimale et le droit national une protection maximale éventuelle. D'habitude, l'objectif maximal est défini par le droit européen avec primauté sur le droit national. On peut voir là un risque de divergence de la protection des droits des tiers en fonction du droit national appliqué. Ainsi, certains juges nationaux pourraient, en vertu de leur droit national, considérer qu'il convient, en présence d'une aide illégale déclarée compatible par la Commission, d'ordonner dans tous les cas la récupération du capital de l'aide en plus des intérêts d'illégalité.

                  En revanche, nous ne pensons pas que la jurisprudence donne un quelconque pouvoir d'appréciation au juge national dans le cadre de l'application du droit européen: la règle est clairement celle de l'obligation de la récupération des intérêts d'illégalité lorsque l'aide illégale a été déclarée compatible et celle de la récupération du capital de l'aide illégale et des intérêts lorsque cette aide n'a pas été déclarée compatible. Il n'existe pas de marge d'appréciation pour le juge entre ces deux situations.

                  Restent toutefois la question des contours des 'circonstances exceptionnelles' qui autoriseraient un juge national à ne pas exiger la récupération d'une aide illégale (que ce soit en capital ou en intérêts d'illégalité d'ailleurs) et celle des modalités procédurales de récupération (qui dépendent du droit national) qui peuvent donner lieu à interprétation. Ces deux points sont développés plus loin dans la présente note.

                  Intérêts d'illégalité et aide minimale comme condition de compatibilité

                  Par ailleurs, l'obligation de paiement des intérêts pour la période d'illégalité est susceptible de réduire l'intensité de l'aide déclarée compatible ensuite par la Commission. Or, pour être jugée compatible, une aide doit être d'un montant minimum par rapport à son objectif. Il y a là un risque, ensuite du paiement d'intérêts d'illégalité, d'aboutir à une situation où l'aide déclarée compatible, selon les conditions prévues par la Commission dans sa décision traitant du fond de l'affaire, pourrait ne plus l'être vraiment dès lors que son intensité aura été altérée par cette obligation de paiement d'intérêts d'illégalité (on peut penser à des dossiers d'aides à la restructuration par exemple avec un octroi d'aide illégale à la restructuration s'avérant néanmoins compatible).

                  Actions en dommages et intérêts contre l'Etat et le bénéficiaire

                  Enfin, relevons, même si la question n'était pas pertinente en l'espèce, que la Cour ne manque pas de rappeler à la fin de son raisonnement que le juge national “peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide” (point 55). En effet, le bénéfice illégal de l'aide (même limité aux intérêts illégaux en cas de décision compatible de la Commission), ne peut qu'entraîner un dommage pour les concurrents du bénéficiaire.

                  Ces actions en dommages et intérêts peuvent être le fait à la fois des concurrents du bénéficiaire de l'aide illégale (à l'encontre de l'état et/ou du bénéficiaire) et de ce bénéficiaire lui-même (à l'encontre de l'Etat). Sans pouvoir développer ici le mécanisme de la responsabilité en matière d'aides d'Etat [11], on peut en schématiser comme suit les règles principales:

                  1. la responsabilité de l'Etat membre pour violation de l'article 108, paragraphe 3, TFUE (et en outre de l'article 107, paragraphe 3, TFUE lorsque la Commission a déclaré l'aide incompatible) peut être poursuivie tant par les concurrents du bénéficiaire d'une aide illégale que par le bénéficiaire lui-même;
                      • cette responsabilité peut être de droit européen, c'est-à-dire en vertu du régime de responsabilité sans faute inhérente au traité, tel qu'interprété par la jurisprudence Francovich [12] (la violation de l'obligation de notification est en quelque sorte une infraction matérielle et les conditions de cette jurisprudence semblent aisément remplies: (i) la règle de droit de l'Union violée a pour objet de conférer des droits aux justiciables lésés, (ii) la violation de cette règle est suffisamment caractérisée (l'Etat membre n'a aucun pouvoir discrétionnaire, l'obligation étant simplement de notifier) et (iii) il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers);
                      • cette responsabilité peut également être de droit national (voir les règles pertinentes applicables en droit administratif ou civil de la responsabilité de l'Etat);
                      • s'agissant de l'action du bénéficiaire contre l'Etat, la question est certes plus délicate du fait du principe d'effectivité du droit européen: les dommages et intérêts ne peuvent être une façon détournée de récupérer les montants dus à l'Etat au titre du remboursement d'aide illégale (et éventuellement incompatible) [13]; ainsi, la responsabilité de l'Etat vis-à-vis du bénéficiaire d'une aide illégale ne peut-elle qu'être fondée sur un dommage clairement séparé du fait du remboursement des aides illégales (qui n'est ni une sanction ni un dommage); les juridictions nationales concluent alors à leur indemnisation (partielle pour tenir compte de leur imprudence fautive); on renverra à ce sujet aux décisions adoptées dans les affaires 'Borotra' en France [14];
                    • la responsabilité du bénéficiaire lui-même pourrait également être poursuivie par le concurrent de ce bénéficiaire d'aide illégale; dans son arrêt SFEI précité, la Cour de justice a toutefois jugé que le droit européen n'offre pas de base suffisante pour engager la responsabilité du bénéficiaire d'une aide d'Etat lorsque ce dernier n'a pas vérifié si l'aide qu'il a reçue a été dûment notifiée à la Commission (seul l'Etat est destinataire d'une obligation à ce sujet en droit européen); néanmoins, la Cour a pris le soin de préciser que “si, en vertu du droit national de la responsabilité extra-contractuelle, l'acceptation par un opérateur économique d'un soutien illicite de nature à occasionner un préjudice à d'autres opérateurs économiques est susceptible, dans certaines circonstances, d'engager sa responsabilité, le principe de non-discrimination peut conduire le juge national à retenir la responsabilité du bénéficiaire d'une aide d'état versée en violation de l'article [108], paragraphe 3, du traité ” (point 75 de l'arrêt SFEI précité); peu d'affaires ont été à ce jour développées devant les tribunaux nationaux en vertu de ce principe de responsabilité de droit national fondé sur le principe d'équivalence [15].
                    2.2. Sur la seconde question

                    Dans l'affaire CELF, le régime d'aides litigieux avait été déclaré compatible à trois reprises mais, à l'époque de l'arrêt CELF I, deux de ces trois décisions de la Commission avaient été annulées par le tribunal (en 1995 et en 2002) et la troisième était encore contestée devant le tribunal.

                    Dans ces circonstances, le Conseil d'Etat demandait si l'obligation, résultant de l'article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, de remédier aux effets de l'illégalité d'une aide s'étendait également, aux fins du calcul des sommes à acquitter par le bénéficiaire, à la période écoulée entre une décision de la Commission constatant la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur et l'annulation de ladite décision par le juge européen.

                    La CJUE juge qu'il convient d'appliquer successivement le principe de la présomption de légalité des actes des institutions européennes et la règle de la rétroactivité d'une annulation:

                    (...) l'obligation, résultant de l'article [108], paragraphe 3, dernière phrase, [TFUE], de remédier aux effets de l'illégalité d'une aide s'étend également, aux fins du calcul des sommes à acquitter par le bénéficiaire, et sauf circonstances exceptionnelles, à la période écoulée entre une décision de la Commission constatant la compatibilité de cette aide avec le marché commun et l'annulation de ladite décision par le juge communautaire” (point 69).

                    S'agissant de la troisième décision qui faisait toujours l'objet d'un recours en annulation, la Cour précise, sans surprise, que (...) tant que la Commission n'a pas pris une décision d'approbation, et même tant que le délai de recours à l'encontre d'une telle décision n'est pas écoulé, le bénéficiaire n'a pas de certitude quant à la légalité de l'aide envisagée, seule susceptible de faire naître chez lui une confiance légitime (...). Il doit être constaté que, pareillement, lorsqu'un recours en annulation a été introduit, le bénéficiaire ne peut nourrir une telle certitude tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé” (points 67 et 68).

                    Dans ce cas, le CELF, bénéficiaire de l'aide illégale mais compatible, ne pouvait échapper à l'obligation de payer les intérêts d'illégalité, la décision de la Commission n'étant pas annulée au jour de l'arrêt CELF I.

                    C'est l'intervention de cette dernière circonstance qui allait provoquer l'arrêt CELF II.

                    3. CELF II
                    3.1. L'arrêt du Conseil d'Etat du 19 décembre 2008

                    A la suite de l'arrêt CELF I de la Cour du 12 février 2008, le Conseil d'Etat avait dûment pris acte de cet arrêt pour juger l'affaire au fond (demande d'annulation de l'arrêt ordonnant le recouvrement de l'aide illégale versée au CELF) tout en soulignant les difficultés de cette application en pratique.

                    Mais, quelques mois après cet arrêt préjudiciel, le Conseil d'Etat s'est trouvé confronté à une nouvelle circonstance 'exceptionnelle' venant brouiller la situation dans laquelle la Cour avait statué: par un arrêt du 15 avril 2008 (définitif - aff. T-348/04, précitée), le Tribunal a annulé, pour la troisième fois, la décision de la Commission déclarant compatible l'aide litigieuse. En l'absence d'une décision positive qui justifiait la dérogation à l'obligation de récupération selon l'arrêt CELF I, le Conseil d'Etat s'est estimé démuni (à tort selon nous, comme discuté ci-après) quant aux modalités de recouvrement de l'aide illégale, qui ainsi n'était plus déclarée compatible (vu l'annulation de la décision de la Commission), mais redevenait une aide 'simplement' illégale, soumise à l'appréciation de la Commission.

                    Par arrêt du 19 décembre 2008 [16], prenant acte de l'arrêt CELF I, qui l'oblige à n'ordonner que le paiement d'intérêts pour la période d'illégalité de l'aide, le Conseil d'Etat juge que cette période comprend, dans le cas d'espèce, la période qui s'écoule entre la décision de la Commission constatant sa compatibilité et l'arrêt d'annulation de cette décision. Le Conseil d'Etat rejette la demande du CELF et du ministre de la Culture et de la Communication quant à la récupération de l'aide. Il juge par contre que la période d'illégalité s'étend de 1980 à la date de son arrêt et ordonne la récupération des intérêts d'illégalité pendant toute cette période (en écartant la prescription quadriennale invoquée par le ministre). L'élément novateur de cet arrêt du Conseil d'Etat est qu'il ordonne un recouvrement 'dans le futur': il enjoint au ministre “de procéder ultérieurement à la mise en recouvrement des intérêts qui seront dus entre la date de la présente décision et la date où, soit il aura définitivement été constaté la compatibilité de l'aide avec le marché commun, soit il aura été procédé, à titre définitif, à la restitution de l'aide”.

                    Toutefois, s'agissant de la question de la restitution du montant principal des aides illégalement versées, le Conseil d'Etat estimait se trouver face à une situation quelque peu 'exceptionnelle' du fait de l'annulation, entre-temps, de la décision de la Commission (en avril 2008). En conséquence, il a posé les deux nouvelles questions préjudicielles suivantes à la CJUE:

                    “1. Le juge national peut-il surseoir à statuer sur la question de l'obligation de restitution d'une aide d'état jusqu'à ce que la Commission des communautés européennes se soit prononcée par une décision définitive sur la compatibilité de l'aide avec les règles du marché commun, lorsqu'une première décision de la Commission déclarant cette aide compatible a été annulée par le juge communautaire?

                    2. Lorsque la Commission a déclaré à trois reprises l'aide compatible avec le marché commun, avant que ces décisions soient annulées par le tribunal de première instance des Communautés européennes, une telle situation est-elle susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle pouvant conduire le juge national à limiter l'obligation de récupération de l'aide?”

                    3.2. Commentaires sur la réaction du Conseil d'Etat

                    Si l'on part de la situation qui prévalait avant l'arrêt du Tribunal d'avril 2008, on peut approuver la solution relative aux intérêts d'autant plus que le Conseil d'Etat écarte pour ce faire une règle nationale de prescription et que les intérêts devront être calculés selon le règlement n° 794/2004.

                    On appréciera également le caractère novateur de la solution mise en place par le Conseil d'Etat pour les intérêts, qui vont courir nécessairement jusqu'à la prochaine décision de la Commission.

                    Toutefois, si l'on tient compte de la situation réelle dans laquelle le Conseil d'Etat s'est trouvé à partir du troisième arrêt du Tribunal d'avril 2008, on comprend mal pourquoi il ne tire pas toutes les conséquences de cet arrêt qui n'est pas suivi d'une nouvelle décision de la Commission au moment de statuer: la décision (les décisions) est (sont) annulée(s) et est (sont) censée(s) n'avoir jamais existé.

                    La situation qui s'imposait au Conseil d'Etat était claire: il n'y a jamais eu de décision de la Commission! L'aide n'a jamais été compatible! C'est une fiction juridique mais ô combien nécessaire et bien connue du Conseil d'Etat (effets rétroactifs des arrêts d'annulation). Le Conseil d'Etat se trouve donc en réalité dans la situation classique d'une aide illégalement octroyée (depuis 28 ans!) à propos de laquelle la Commission n'a pas encore statué. Sur le plan des principes juridiques, rien ne distinguait cette affaire de l'affaire SFEI, par exemple, où la Cour a clairement dit pour droit:

                    (...) l'ouverture par la Commission d'une procédure d'examen ne saurait décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation par les Etats membres de l'interdiction de mise à exécution des projets d'aide. Etant donné que la Commission ne peut ordonner que la suspension de versements supplémentaires tant qu'elle n'a pas adopté sa décision définitive sur le fond, l'effet utile de l'article [108], paragraphe 3, du traité serait amoindri si la saisine de la Commission devait empêcher les juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de la violation de cette disposition”;

                    (...) une juridiction nationale lorsqu'elle est saisie d'une demande visant à ce qu'elle tire les conséquences de la violation de l'article [108], paragraphe 3, dernière phrase, du traité, alors que la Commission est parallèlement saisie et n'a pas encore statué sur la question de savoir si les mesures étatiques en cause constituent des aides d'état, n'est tenue ni de se déclarer incompétente ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission prenne position sur la qualification des mesures en cause”  [17].

                    Dans SFEI, la Cour a répondu à la question: le juge ne peut surseoir à statuer. Il doit appliquer l'article 108, paragraphe 3, TFUE, immédiatement. La solution s'impose d'autant plus que, dans l'affaire SFEI, la question était celle de la qualification de l'aide alors qu'en l'espèce cette question n'est pas ou plus discutée (décision avant dire droit du 29 mars 2006 du Conseil d'Etat), seule étant encore en cause celle de la compatibilité de l'aide.

                    Dans ce contexte, on comprend mal pourquoi le Conseil d'Etat ne pouvait raisonnablement ordonner la récupération de la totalité de l'aide et pourquoi il estimait devoir 'attendre' une décision de la Commission déclarant (à nouveau?) l'aide compatible (la solution de l'arrêt CELF I s'appliquera et l'ordre de recouvrer les intérêts est déjà donné) ou incompatible (l'aide sera restituée avec les intérêts déjà ordonnés). Encore une fois, dans SFEI, la Cour a dit au juge de 'ne pas attendre'.

                    La première question préjudicielle surprend donc.

                    La seconde question préjudicielle soulève un problème différent. Le Conseil d'Etat met là le doigt sur une question jamais résolue et seulement effleurée, dans l'affaire SFEI, par l'avocat général Jacobs (de manière très superficielle) et par la Cour:

                    “Eu égard à l'importance pour le bon fonctionnement du marché commun que revêt le respect de la procédure de contrôle préalable des projets d'aides d'état, les juridictions nationales doivent, en principe, faire droit à une demande de remboursement des aides versées en violation de l'article [108], paragraphe 3, du traité. Toutefois, comme l'a relevé M. l'avocat général aux points 73 à 77 de ses conclusions, des circonstances exceptionnelles peuvent se présenter dans lesquelles il serait inapproprié d'ordonner le remboursement de l'aide” [18].

                    On aurait préféré, dans la forme, voir le Conseil d'Etat se référer à ce motif de la Cour et lui demander de préciser son arrêt et dire, dans les circonstances de l'espèce, ce qu'elle entendait par 'circonstances exceptionnelles'.

                    3.3. Première question: sursis à statuer, une réponse attendue mais une nécessaire clarification

                    La réponse de la Cour à la première question du Conseil d'Etat est l'occasion pour celle-ci de rappeler les principes fondamentaux inhérents à l'obligation de récupération des aides illégales.

                    La question des juges du Palais Royal avait, en effet, quelque peu surpris, puisqu'il est de jurisprudence bien établie que la procédure de récupération des aides illégales est une procédure distincte de l'examen de compatibilité de l'aide tant que la Commission n'a pas adopté une décision sur cette compatibilité (ce qui est la situation exceptionnelle résolue par l'arrêt CELF I). En effet, comme indiqué ci-dessus, la situation à laquelle était confronté le Conseil d'Etat, à partir de l'annulation de la troisième décision de la Commission le 15 avril 2008, était évidente: l'annulation opérant avec effet rétroactif, toute décision de la Commission est censée avoir disparu de l'ordonnancement juridique et le Conseil d'Etat se trouvait simplement saisi d'une demande de protection de droits subjectifs de tiers affectés par l'octroi illégal d'une aide alors que la Commission n'a pas encore statué.

                    La réponse à la question du Conseil d'Etat pouvait être trouvée dans la jurisprudence de la Cour de justice comme on l'a indiqué plus haut.

                    Dans ce contexte, on peut s'interroger pourquoi le Conseil d'Etat n'a pas tout simplement appliqué la jurisprudence en se référant à l'arrêt CILFIT [19], le renvoi préjudiciel ne semblant pas nécessaire sur ce point clarifié depuis plus de 15 ans (mais on ne s'en plaindra pas outre mesure tant il est vrai que les juridictions des Etats membres statuant en dernier ressort hésitent parfois à renvoyer à la Cour de justice, en violation flagrante de leurs obligations en vertu de l'art. 267 TFUE).

                    La Cour de justice répond donc au Conseil d'Etat en se référant à son arrêt SFEI bien connu (point 27 de l'arrêt CELF II). La Cour rappelle également un autre principe de cet arrêt en indiquant qu'en cas de doutes quant à la notion d'aide, par exemple lorsque le juge a demandé des éclaircissements à la Commission, celui-ci disposait du pouvoir d'adopter des mesures provisoires pour sauvegarder les intérêts des parties (point 27 de l'arrêt CELF II).

                    Cette interprétation stricte de la règle procédurale est nécessaire à la préservation de son 'effet utile', à savoir à garantir qu'une aide (éventuellement) incompatible ne sera jamais mise à exécution par les Etats membres tant que le doute sur sa compatibilité n'est pas levé par la décision finale de la Commission. Le rôle du juge est dès lors d'assurer la bonne application de cette règle, comme le rappelle la Cour au point 30 de l'arrêt CELF II:

                    “L'objet de la mission des juridictions nationales est, par conséquent, de prononcer les mesures propres à remédier à l'illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu'à la décision de la Commission.”

                    Dans de telles circonstances, une décision de sursis à statuer irait à l'encontre d'une application effective de la règle:

                    “Une décision de sursis à statuer produirait, de facto, le même résultat qu'une décision de rejet de la demande de mesures de sauvegarde. Elle aboutirait, en effet, à ce qu'aucune décision sur le bien-fondé de cette demande ne soit prise avant la décision de la Commission. Elle reviendrait à maintenir le bénéfice d'une aide pendant la période d'interdiction de mise à exécution, ce qui serait incompatible avec l'objet même de l'article [108], paragraphe 3, [TFUE] et priverait cette disposition de son effet utile.” (point 30 de l'arrêt CELF II).

                    Néanmoins, la Cour rappelle que l'obligation de statuer immédiatement sur la demande de mesures de sauvegarde n'impose pas au juge saisi d'adopter effectivement de telles mesures. La Cour rappelle, au point 36 de l'arrêt, les conditions nécessaires à l'octroi de celles-ci: (i) la qualification d'aide d'état ne fait pas de doute; (ii) l'aide est sur le point d'être ou a déjà été mise à exécution; et (iii) il n'existe pas de circonstances exceptionnelles rendant inappropriée la récupération (circonstances exceptionnelles qui font partie de la seconde question).

                    Chose nouvelle et méritant d'être soulignée, la Cour renvoie à la récente communication de la Commission relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales [20], dans laquelle la Commission a fait un effort de pédagogie à destination des juges nationaux, en vue d'une meilleure application des règles au niveau national. Dans cette communication, la Commission a décrit l'ensemble des remèdes et outils mis à la disposition des juges en matière de contrôle des aides d'Etat. Parmi ceux-ci figurait la possibilité de verser l'aide illégale sur un compte bloqué, afin que le bénéficiaire n'en conserve pas la disposition, sans préjudice du paiement d'intérêts pour la période comprise entre la mise en oeuvre anticipée de l'aide et son versement sur un compte bloqué. La Cour suggère donc cette solution au Conseil d'Etat, ce qui aurait évité que CELF ne continue à bénéficier de l'aide illégale en attendant que l'affaire soit finalement réglée au fond.

                    La Cour vient enfin préciser que la “simple condamnation au paiement d'intérêts sur des sommes qui demeureraient dans les comptes de l'entreprise” ne suffit pas à respecter l'obligation de standstill de l'article 108, paragraphe 3, TFUE. La Cour compare la situation du bénéficiaire de l'aide avec une entreprise qui aurait dû emprunter auprès d'un établissement financier et conclut qu'elle n'aurait pu “obtenir un prêt d'égal montant auprès d'un établissement financier aux conditions normales du marché et ainsi disposer dudit montant antérieurement à la décision de la Commission” (point 38 de l'arrêt CELF II).

                    L'arrêt de la Cour montre donc que plusieurs solutions s'offraient bien au Conseil d'Etat dont l'obligation inconditionnelle était de statuer 'positivement ou négativement' (point 39 de l'arrêt).

                    3.4. Seconde question: interprétation stricte de la notion de 'circonstances exceptionnelles'

                    L'article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 [21] prévoit que “la Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire”. En général, on pense à un principe général tel que la protection de la confiance légitime (p. ex., lorsque la Commission a donné des assurances par une communication erronée - situation exceptionnelle qui s'est déjà présentée [22] - ou lorsque la Commission estime de ne pas devoir ordonner la récupération vu la nouveauté de son interprétation [23]) ou la règle de la sécurité juridique avec la prescription prévue à l'article 15 du règlement précité.

                    On peut également ici rappeler l'arrêt SFEI précité de 1996 qui avait déjà jugé que “des circonstances exceptionnelles peuvent se présenter dans lesquelles il serait inapproprié d'ordonner le remboursement de l'aide” [24]. La Cour n'a pas précisé ce qu'il fallait entendre par là mais l'avocat général Jacobs [25] avait évoqué la confiance légitime du bénéficiaire (que ne peut invoquer l'Etat membre), la difficulté pour le bénéficiaire de se rendre compte du fait que les mesures en cause constituaient des aides dont le versement était subordonné au respect de la procédure de l'article 108, paragraphe 3, TFUE ou le fait que d'autres moyens permettraient mieux de garantir l'efficacité de cette disposition (action en responsabilité de l'Etat en cas de préjudice subi du fait de la violation).

                    En l'espèce, le Conseil d'Etat posait la question de savoir si le fait que la Commission ait adopté trois décisions successives ayant été déclarées compatibles avec le marché intérieur, puis ensuite annulées par le juge européen, était susceptible de constituer une 'circonstance exceptionnelle'.

                    En rappelant l'arrêt CELF I, la Cour vient préciser que le bénéficiaire d'une aide illégale avait la possibilité d'invoquer de telles circonstances “qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans leur caractère régulier, et de s'opposer, par conséquent, à leur remboursement” (point 43 de l'arrêt CELF II). La notion de 'confiance légitime' est donc une notion susceptible d'être invoquée par le bénéficiaire de l'aide (et non pas les autorités étatiques en charge de mettre en oeuvre la récupération). Néanmoins, la Cour souligne qu'il est de jurisprudence bien établie depuis l'arrêt CELF I qu'“une confiance légitime ne peut naître d'une décision de la Commission, d'une part, lorsque cette décision a été contestée dans les délais de recours de contentieux puis annulée par le juge communautaire, ni, d'autre part, tant que le délai de recours n'est pas expiré ou, en cas de recours, tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé” (point 45 de l'arrêt CELF II).

                    Le Conseil d'Etat disposait donc déjà de tous les éléments nécessaires dans l'arrêt CELF I pour conclure qu'en l'espèce aucune 'circonstance exceptionnelle' ne venait altérer l'obligation de récupération de l'aide illégale, ce que la Cour remarque gentiment en passant, au point 47 de son arrêt: “L'articulation de cette motivation était ainsi de nature à suggérer que trois décisions positives suivies de recours en annulation exercés dans les délais, dont les deux premiers avaient été accueillis et le troisième était encore pendant, n'étaient pas constitutives d'une circonstance exceptionnelle.” La Cour reconnaît néanmoins qu'il pouvait “être admis qu'une succession de trois recours aboutissaient à trois annulations caractérise une situation très rare. De telles circonstances s'inscrivent néanmoins dans le fonctionnement normal du système juridictionnel, lequel offre aux sujets de droit estimant subir les conséquences de l'illégalité d'une aide la possibilité d'agir en annulation de décisions successives qu'ils considèrent être à l'origine de cette situation” (point 52 de l'arrêt CELF II). La Cour ajoute que le principe de sécurité juridique, ainsi que le principe de proportionnalité, confirment cette conclusion.

                    D'autres situations pourraient amener les juges nationaux à s'interroger sur les contours de cette notion de 'circonstances exceptionnelles'. Les modalités de droit national régissant la procédure de récupération des aides illégales peuvent générer ce type de situations. Une affaire récemment jugée par la Cour est intéressante à ce sujet même si l'interprétation de cette notion de 'circonstances exceptionnelles' n'y était pas en cause strictement. Il s'agissait à nouveau d'une question préjudicielle d'une juridiction administrative française qui demandait si l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 précité devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'annulation, par le juge national, de titres de recette émis pour le recouvrement de l'aide d'état illégale et incompatible, au motif d'un vice de forme, compte tenu de la possibilité pour l'administration compétente de régulariser ceux-ci (en l'espèce, l'ordre national de récupération étant vicié en la forme, le juge national se demandait si son annulation ne reviendrait pas à rendre ineffective la décision de la Commission ordonnant la récupération de l'aide illégale et incompatible).

                    Dans son arrêt du 20 mai 2010, la Cour a jugé que cette disposition ne s'oppose pas, “dans des conditions où les sommes correspondant à l'aide en cause ont été déjà récupérées, à l'annulation pour vice de forme, par le juge national, des titres de recette émis afin de récupérer l'aide d'Etat illégale, lorsque la possibilité de la régularisation de ce vice de forme est assurée par le droit national. En revanche, cette disposition s'oppose à ce que ces sommes soient, même provisoirement, versées de nouveau au bénéficiaire de cette aide” [26].

                    Les juges nationaux n'ont sans doute pas fini d'interroger la Cour de justice sur l'étendue de leurs obligations en matière de récupération d'aide illégale. Et c'est bien ainsi, dans le cadre de l'articulation entre droit européen et droit national telle que voulue par le traité. On doit toutefois retenir comme enseignement à tirer de la jurisprudence européenne que le juge national doit toujours se placer en juge de droit commun du droit européen et 'penser européen': ainsi, doit-il faire prévaloir le principe d'effectivité du droit européen et ajuster la procédure nationale de façon à toujours faire prévaloir l'interprétation téléologique du droit européen.

                    4. Conclusion

                    L'affaire CELF aura duré 18 ans (comme la saga de l'affaire SFEI-UFEX relative à la notion d'aide sous forme de subventions croisées et également au rôle du juge national). Il semble que l'arrêt CELF II vient clore cette affaire, dont le débat de fond était paradoxalement, l'étendue de l'obligation de récupération et sa mise en oeuvre effective qui devrait être effectuée dans les délais les plus brefs.

                    L'intérêt de l'arrêt est surtout de couper court à l'idée qui commençait à poindre qu'ensuite de l'arrêt CELF I, les juges nationaux feraient peut-être mieux d'attendre que la Commission statue sur la compatibilité avant d'ordonner une récupération 'hâtive' alors que l'aide illégale 'pourrait' être déclarée compatible quelque temps après. La Cour de justice dit 'non' très clairement à ce 'pari' qu'un juge ferait en spéculant sur l'avenir.

                    En termes d'aides illégales, il n'existe pas de raison de tergiverser. Seule une solution peut s'imposer: la récupération (sans préjudice de mesures provisoires ou de dommages et intérêts notamment) sauf en cas d'adoption préalable d'une décision positive de la Commission, auquel cas la récupération sera limitée aux intérêts d'illégalité. Il suffit que les Etats membres se le rappellent avant de violer une règle si facile à respecter.

                    Le Conseil d'Etat français a désormais toutes les cartes en mains pour appliquer de façon appropriée les conclusions de cette nouvelle affaire et appliquer correctement l'interprétation du droit européen confirmée par la Cour de justice. Mais, ultime paradoxe, le CELF a depuis été mis en liquidation judiciaire et a cessé son activité en septembre 2009... Cet élément rendra probablement difficile la récupération. Mais rappelons qu'en cas de disparition du bénéficiaire, certaines réponses sont apportées dans la communication sur la récupération des aides illégales [27]. A suivre donc…

                    [1] Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris; partner, Hogan Lovells, Bruxelles; maître de conférences à l'Université de Liège. L'auteur remercie Cédric Kaczmarek pour son assistance dans la rédaction de cette note.
                    [2] Arrêt du 12 février 2008, C-199/06, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, Rec., p. I-469; arrêt du 11 mars 2010, C-1/09, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, non encore publié au Recueil.

                    A noter que, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au 1er décembre 2009, les dénominations suivantes ont notamment changé: la 'CJCE' est devenue la 'CJUE'; le 'Tribunal de première instance des Communautés européennes', le 'Tribunal de l'Union européenne' ou 'Tribunal'; le droit 'communautaire', le droit 'européen'; le marché 'commun', le marché 'intérieur'; et les art. '87 et 88 CE' sont désormais numérotés '107 et 108 TFUE' (traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).
                    [3] Sur le premier arrêt de renvoi du Conseil d'Etat, voy.: P. Cassia, “Obligation de notification préalable de l'aide d'Etat”, Europe mai 2006, Comm. nº 160, pp. 22-24; J. Derenne, “Le Conseil d'Etat français pose à la Cour de justice une question préjudicielle relative à la récupération d'une aide illégale mais compatible”, Concurrences, n° 2-2006, pp. 131-132; Th.-X. Girardot, Cahiers juridiques de l'électricité et du gaz, 2006, pp. 378-387; J.-M. Glatt, “Les difficultés de la récupération des aides d'Etat indûment allouées”, Petites affiches 2006, nº 132, pp. 20-22; A. Cartier-Bresson, “Interrogations sur la récupération des aides d'Etat illégales”, AJDA 2006, pp. 1397-1399; S. Méar, “De la récupération d'aides non notifiées mais déclarées compatibles avec le marché commun”, Revue Lamy droit des affaires 2006, nº 5, p. 49; B. Cheynel, “Récupération des aides versées en violation du droit communautaire: interrogations, confirmation, sanction”, Revue Lamy de la Concurrence 2006, nº 9, pp. 72-79; G. Quardt, “Reduzierung des beihilferechtlichen Prüfungsmonopols der EU-Kommission auf eine Modellfunktion?”, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2007, pp. 204-208.

                    Sur l'arrêt de la Cour du 12 février 2008, voy.: B. Cheynel, “Affaire CELF: orthodoxie de l'avocat général contre hérésie de la Commission, à la Cour de trancher...”, Revue Lamy de la Concurrence 2007, nº 12, pp. 43-44; L. Idot, “Etendue de l'obligation de récupération d'aides illégales”, Europe avril 2008, Comm. nº 124, pp. 26-27; M.R. Mok, Nederlandse jurisprudentie. Uitspraken in burgerlijke en strafzaken, 2008, nº 185; D. Berlin, “Dernière livraison de la saga du livre français”, Revue Lamy Droit des affaires 2008, n° 26; B. Cheynel, “Arrêt CELF: une victoire à la Pyrrhus pour la Commission?”, Revue Lamy de la Concurrence 2008, nº 15, pp. 40-47; J. Gundel, “Die Rückabwicklung von nicht notifizierten, aber schließlich genehmigten Beihilfen vor den nationalen Gerichten: Vorgaben für die Bewehrung des Durchführungsverbots”, Europäisches Wirtschafts- & Steuerrecht - EWS 2008, pp. 161-166; Th. Jaeger, “The CELF -Judgment: A Precarious Conception of the Standstill Obligation”, European State Aid Law Quarterly 2008, pp. 279-289; E. Broussy, Fr. Donnat et Ch. Lambert, “Chronique de jurisprudence communautaire. Aides d'Etat”, AJDA 2008, pp. 874-877; P.-J. Slot, “Terugvordering van staatssteun voordat de steun definitief is goedgekeurd”, Ars aequi 2008 pp. 452-458; Th. Jaeger, “Rückforderung genehmigter Beihilfen”, Ecolex 2008, pp. 484-489; Th. Jaeger, “Geklärte und offene Fragen zum Durchführungsverbot nach CELF”, Ecolex 2008, pp.489-492; A. Bartosch, “Die private Durchsetzung des gemeinschaftlichen Beihilfenverbots”, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2008, pp. 235-240; M. Heidenhain, “Echo zum Aufsatz Bartosch in EuZW 2008”, 235, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2008, pp. 324-325; Ch. Giolito, “La CJCE clarifie une question importante liée aux rôles respectifs de la Commission et du juge national à l'égard des aides versées illégalement”, Concurrences, n° 2-2008, pp. 140-142; P.-C. Adriaanse, “Effectieve handhaving van het staatssteunrecht ondermijnd? Een bespreking van de zaak CELF (C-199/06) over 'passende' maatregelen in geval van onrechtmatige maar verenigbare staatssteun”, Nederlands tijdschrift voor Europees recht 2008, pp. 308-317; L. Tomé Féteira, “Too close for comfort? - National Courts and the Recovery of Unlawfully Implemented State Aid”, European Law Reporter 2008, pp. 161-165; R. K. Wagner, “Arrêt 'Centre d'exportation du livre français (CELF)'”, Revue du droit de l'Union européenne 2008, nº 2, pp. 351-358; A.J.C. De Moor-Van Vugt, Administratiefrechtelijke beslissingen. Rechtspraak bestuursrecht 2009, nº 205.

                    Sur le second arrêt de renvoi du Conseil d'Etat, voy.: J. Derenne et C. Kaczmarek, “The French Council of State orders stay in proceedings regarding the recovery of unlawful aid and refers to the ECJ the question of the extent of the national court obligations in such 'exceptional circumstances' (CELF)”, e-Competitions 2008, n° 29056, www.concurrences.com ; J. Derenne, Concurrences, n° 1-2009, pp. 161-163.

                    Sur l'arrêt de la Cour du 11 mars 2010: K. D. Beiter et Th. Jaeger, “Kein Zugriff auf rechtswidrige Beihilfen”, Ecolex 2010, pp. 505-510; L. Idot, “Récupération des aides”, Europe mai 2010, Comm. nº 174, p. 32; J. Derenne et C. Kaczmarek, “La Cour rappelle les obligations fondamentales du juge national en présence d'aide illégale et refuse de reconnaître le caractère exceptionnel des circonstances de l'affaire CELF”, Concurrences, n° 3-2010, pp. 129-132.
                    [4] Le lecteur pourra également utilement consulter les documents suivants: “Communication de la Commission - Vers une mise en oeuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux Etats membres de récupérer les aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché commun”, JOUE n° C 272 du 15 novembre 2007, pp. 4-17; “Communication de la Commission relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales”, JOUE n° C 85 du 9 avril 2009, pp. 1 -22; J. Derenne et C. Kaczmarek, “La récupération des aides illégales: le rôle du juge national dans le 'private enforcement' du droit des aides d'Etat”, ERA Forum (2009) 10, 251-268.

                    Les deux communications précitées de la Commission sont fondées notamment sur deux études commanditées par la Commission: Study on the enforcement of State aid law at national level - Part I Application of EC State aid rules by national courts - Part II Recovery of unlawful State aid: enforcement of negative Commission decisions by the Member States (étude co-dirigée par Jacques Derenne, Thomas Jestaedt et Tom Ottervanger - ouvrage disponible librement à l'adresse suivante: http://bookshop.europa.eu/is-bin/INTERSHOP.enfinity/WFS/EU-Bookshop-Site/en_GB/-/EUR/ViewPublication-Start?Publicat ionKey=KD7506493 ); voy. également la mise à jour en 2009 à l'adresse suivante sur le site de la DG COMP: http://ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_reports/enforcement_study_2009.pdf (étude dirigée par Jacques Derenne et Cédric Kaczmarek qui a permis à la DG COMP de compléter son site Internet s'agissant des décisions de juridictions nationales en matière d'aides d'Etat: voy. http://ec.europa.eu/competition/court/state_aid_judgments.html ) ainsi que le State Aid Thesaurus sur www.concurrences.com (e-Competitions) et J. Derenne, A. Müller-Rappard, C. Kaczmarek (Eds.), “Enforcement of State aid law at national level 2010 ”, Lexxion, Berlin (Sept. 2010).
                    [5] Arrêt du 18 septembre 1995, T-49/93, SIDE / Commission, Rec., p. II-2501; arrêt du 28 février 2002, T-155/98, SIDE / Commission, Rec., p. II-1179 et arrêt du 15 avril 2008, T-348/04, SIDE / Commission, Rec., p. II-625.
                    [6] Arrêt du 14 février 1990, n° 301/87, France / Commission (aff. Boussac), Rec., p. I-307; arrêt du 21 novembre 1991, C-354/90, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (arrêt dit FNCE ou Saumon), Rec., p. I-5505; arrêt du 11 juillet 1996, C-39/94, SFEI e.a. / La Poste e.a., Rec., p. I-3547.
                    [7] Arrêt SFEI précité, point 70.
                    [8] Arrêt du 20 septembre 1990, C-5/89, Commission / Allemagne, Rec., p. I-3437, point 16.
                    [9] JOCE n° L 83 du 27 mars 1999, pp. 1-9.
                    [10] Points 45-46 de l'arrêt CELF I (soulignement ajouté).
                    [11] Pour plus de détail, voy. notamment: J. Derenne et C. Kaczmarek, “La récupération des aides illégales: le rôle du juge national dans le 'private enforcement' du droit des aides d'Etat”, ERA Forum (2009) 10: 251-268; J. Derenne, “Aides d'Etat et juge national: indications préliminaires de l'étude commanditée par la Commission européenne”, Concurrences, n° 1-2006, spéc. pp. 89 à 91.
                    [12] Arrêt du 19 novembre 1991, C-6/90 et C-9/90, Francovich et Bonifaci / Italie, Rec., p. I-5357; arrêt du 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93, Brasserie du pêcheur / Bundesrepublik Deutschland et The Queen / Secretary of State for Transport, ex parte Factortame e.a., Rec., p. I-1029.
                    [13] Relevons à ce propos que des dommages et intérêts ne constituent pas une aide d'Etat (arrêt du 27 septembre 1988, 106 /87, Asteris / Grèce, Rec., p. 5515).
                    [14] Dans ces affaires, le dommage jugé indemnisable était lié aux coûts de retard de délocalisation que certaines entreprises avaient subis en raison des conventions signées avec l'Etat pour le maintien d'un emploi manuel en France en échange d'aides (régime d'augmentation de réductions de cotisations sociales) qui se sont avérées illégales et incompatibles (décision du 5 mai 1999 de la Commission confirmée par la Cour dans son arrêt du 5 octobre 1999, C-251/97, République française / Commission, Rec., p. I-6639). Voy. notamment deux décisions de juridictions administratives françaises condamnant l'Etat à des dommages et intérêts: Trib.admin. Clermont-Ferrand 23 septembre 2004, n° 0101282, AJDA 21 février 2005, p. 385, note G. Peiser; voy. également, Concurrences, n° 1-2006; Cour d'appel admin. Paris 23 janvier 2006, n° 04PA01092 - voy. E. Berkani, “The Paris Administrative Court condemned the French State for the anticipated implementation of State aid in breach of Art. 88.3 EC (Salmon Arc-en-Ciel)”, 23 janvier 2006, e-Competitions, n° 593, www.concurrences.com ; J. Derenne et J.-Y. Chérot, “Deuxième application en France par la cour d'appel de Paris de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat à l'égard du bénéficiaire de l'aide d'Etat qui lui a été octroyée en violation des dispositions de l'article 88, paragraphe 3, CE ( Salmon Arc en Ciel)”, Concurrences, n° 2-2006, pp. 126-130.

                    En général, voy. à ce sujet M. Disant, “Le juge administratif et l'obligation communautaire de récupération d'une aide incompatible. Réflexions autour de la responsabilité de l'Etat du fait de l'attribution des aides publiques illégales dans les affaires 'Borotra'”, RFDA mai-juin 2007, pp. 547 à 563; J. Derenne, “Difficultés et effectivité de la récupération des aides d'Etat illégalement versées. Le point de vue de l'avocat” in Les aides d'Etat. Entretiens du Palais Royal, Concurrences, n° 3-2008, n° 20389, pp. 61-76, spéc. pp. 70-75, www.concurrences.com ; le rapport français par Jacques Derenne, Alix Müller-Rappard et Cédric Kaczmarek in State Aid Thesaurus précité sur www.concurrences.com (e-Competitions) et J. Derenne, A. Müller-Rappard, C. Kaczmarek, o.c., Lexxion (2010); voy. également J. Derenne, A. Müller-Rappard et J. Bousin, “French report, in The Effective Application of EU State Aid Procedures - The Role of National Law and Practice”, by P. Nemitz (ed.), Kluwer Law International, International Competition Law Series, 2007, volume 29, spéc. pp. 179-201.
                    [15] En droit belge, voy. Prés.comm. Bruxelles 13 février 1995, Breda Fucine Meridionali / Manoir Industries, JTDE 1995, p. 72 (par analogie, car cette affaire concernait en fait une action en cessation et non pas une action en dommages et intérêts qui aurait pu être poursuivie ensuite de cette action en cessation jugée à l'avantage de l'entreprise préjudiciée).

                    En droit français, voy. Cass. (ch. comm.) 15 juin 1999, aff. n° 1236, Etablissements J. Richard Ducros / Société Métallique Finsider Sud, pourvoi n° B 97-15.684 (solution implicite, le principe de la responsabilité aquilienne du bénéficiaire étant acquis; voy., notamment, Gaz.Pal.1999, II, Panor, p. 228, JCP G 1999, IV, 2485, RJDA 1999, pp. 818-819; Europe janvier 2000, comm. n° 25, p. 20).

                    En droit anglais, voir une autre décision intéressante de la High Court en 2003 dans une affaire opposant une entreprise bénéficiaire allemande à son concurrent anglais la poursuivant pour dommages et intérêts en Angleterre. Il s'agit là de la seule action connue à ce jour où le tiers poursuit devant ses propres tribunaux une entreprise bénéficiaire d'une aide illégale dans un autre Etat membre ( Betws Anthracite Ltd / DSK Anthrazit Ibbenburen GmbH [2003] EWHC). L'affaire a tourné court du fait de la manière dont elle a été développée et jugée de façon un peu légère: l'action a été maladroitement fondée sur le seul fondement du droit européen (alors que l'arrêt SFEI précité était bien connu) et le juge anglais n'a pas voulu connaître de l'affaire en se fondant sur son propre droit national de la responsabilité.

                    Sur les actions en dommages et intérêts, voir les rapports et communications cités en note 4.
                    [16] CE 19 décembre 2008, CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, nos 274923 et 274967.
                    [17] Points 44, 45 et 53 de l'arrêt SFEI, précité.
                    [18] Point 70 de l'arrêt SFEI.
                    [19] Arrêt du 6 octobre 1982, 283/81, CILFIT / Ministero della Sanità, Rec., p. 3415.
                    [20] Voir note 3 plus haut.
                    [21] Voir note 9 plus haut.
                    [22] Voir décision 2000/359/CE de la Commission du 2 février 2000 relative au régime d'aides mis en oeuvre par l'Italie en faveur des sociétés coopératives de la région Sicile, JOCE n° L 129 du 30 mai 2000, p. 21 (point 42 de la décision: “Compte tenu de la confiance légitime qu'a pu susciter chez les autorités italiennes la communication erronée qui leur a été adressée le 25 mars 1998, la récupération ne concernera pas les aides éventuellement accordées au cours de la période allant du 25 mars au 2 juillet 1998 (...).”
                    [23] Décision 2006/621/CE de la Commission du 2 août 2004, concernant l'aide d'Etat mise à exécution par la France en faveur de France Télécom, JOUE n° L 257 du 20 septembre 2006, p. 11; décision finalement annulée par le Tribunal vu son caractère trop novateur... (arrêt 21 mai 2010, T-425/04, T-444/04, T-450/04 et T-456/04, République française, France Télécom SA, Bouygues SA, Bouygues Télécom SA, Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications (AFORS Télécom) / Commission, non encore publié au Recueil - affaire du projet d'avance d'actionnaire et des déclarations publiques d'un membre du Gouvernement français). Cet arrêt est frappé de pourvois (Bouygues et Bouygues Télécom, C-399/10P et Commission, C-401/10P).
                    [24] Point 70 de l'arrêt SFEI.
                    [25] Voy. points 73 à 77 de ses conclusions avant l'arrêt SFEI.
                    [26] Arrêt du 20 mai 2010, C-210/09, Scott SA, Kimberly Clark SAS, anciennement Kimberly Clark SNC / Ville d'Orléans, non encore publié au Recueil, point 33.
                    [27] Voy. note 4 plus haut.