Article

Cour de cassation, 05/03/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/7, p. 659-661

Cour de cassation 5 mars 2010

INSOLVABILITE
Concordat judiciaire - Créance avec la collaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursis - Dette de la masse faillie - Déclaration de créance - Maintien du statut de dette de la masse
Les actes accomplis par le débiteur au cours de la procédure avec la collaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursis sont considérés lors de la faillite comme des actes du curateur, les dettes contractées pendant le concordat étant comprises comme dettes de la masse faillie (art. 44 LCJ).
Le créancier de la masse, au sens de l'article 44, 2ème alinéa, qui aurait déclaré et fait admettre sa créance au procès-verbal de vérification des créances n'est pas, en raison de l'irrévocabilité de cette admission, privé du droit d'être payé avant toute répartition comme dette de la masse.
INSOLVENTIE
Gerechtelijk akkoord - Schuldvordering met medewerking, machtiging of bijstand van de commissaris inzake opschorting - Boedelschuld in faillissement - Aangifte van schuldvordering - Behoud statuut boedelschuld
Een schuldvordering die ontstaan is tijdens het gerechtelijk akkoord met medewerking, machtiging of bijstand van de commissaris inzake opschorting wordt beschouwd als een boedelschuld in een later faillissement (art. 44 WGA).
Dergelijke boedelschuldeiser die aangifte doet van zijn schuldvordering en deze schuldvordering wordt in het PV van verificatie aanvaard als een bevoorrechte schuldvordering, wordt door het onherroepelijk karakter van deze aanvaarding niet het recht ontzegd om als boedelschuldeiser bij voorrang te worden betaald.

Etat belge / S.B., curateur à la faillite de la SA Menuiserie Mosane

Siég.: Ch. Storck (président), D. Batselé, Ch. Matray, S. Velu et M. Regout (conseillers)
MP: Th. Werquin (avocat général)
Pl.: Me Fr. T'Kint
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2007 par la cour d'appel de Liège.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 7, 8 et 9 de la loi du 16 décembre 1851, dite loi hypothécaire, remplaçant le titre XVIII du livre III du Code civil;

- article 44, spécialement 2ème alinéa, de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire;

- articles 16, 62 à 72 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites;

- principe général du droit selon lequel la renonciation ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits qui ne sont susceptibles d'aucune autre interprétation.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté, tant par ses motifs propres que par les motifs du jugement dont appel qu'il s'approprie, que Menuiserie Mosane a obtenu le bénéfice du sursis provisoire, visé aux articles 13 et suivants de la loi du 17 juillet 1997, par un jugement du tribunal de commerce de Huy du 19 mai 1999; qu'elle a obtenu le bénéfice du sursis définitif, visé aux articles 31 et suivants de la même loi, par un jugement du 17 novembre 1999 du même tribunal; que ce sursis a été révoqué par un jugement du 5 janvier 2000 du même tribunal et la faillite de Menuiserie Mosane déclarée, le défendeur étant désigné en qualité de curateur; que le demandeur, poursuites et diligences du receveur des contributions directes à Liège 6, a déclaré à la faillite une créance d'un montant de 101.342,99 EUR, privilégiée à concurrence d'un montant de 101.293,41 EUR; que la créance ainsi déclarée a été “consacrée dans le procès-verbal de vérification des créances” (deux déclarations de créance complémentaires du demandeur ont été ultérieurement admises au passif par jugements), l'arrêt, saisi, par l'appel du demandeur du jugement du tribunal de commerce de Huy du 14 juin 2006, de la contestation, par le demandeur, du compte et du projet de répartition soumis par le curateur à l'assemblée générale des créanciers par application de l'article 79 de la loi du 8 août 1997, le demandeur faisant valoir que, pour partie, la créance qu'il avait déclarée et qui avait été admise au passif privilégié de la faillite dans le procès-verbal de vérification des créances était une dette de la masse payable avant toute répartition, déboute le demandeur et approuve le compte et le projet de répartition présentés par le curateur par les motifs suivants:

“(Le demandeur) considère que, à concurrence de 23.882,49 EUR, sa créance, admise au passif privilégié de la faillite de la SA Menuiserie Mosane, doit en réalité être considérée comme une dette de la masse puisqu'il s'agit d'une dette de précompte professionnel afférente à la période du sursis provisoire de la société et que, dès lors, elle doit être acquittée au même titre que les créances du commissaire au sursis et de l'Office national de sécurité sociale.

Certes, le créancier de la masse n'est pas visé par l'obligation de déclarer sa créance imposée par l'article 62 de la loi sur les faillites, laquelle ne concerne que les créanciers dans la masse (I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, 2003, n° 701). Il n'est donc pas davantage tenu par les modalités de contredit prévues par l'article 69 ou encore le délai de prescription prévu par l'article 72 pour faire valoir sa créance.

Il reste qu'en l'espèce, (le demandeur) a revendiqué, sans réserve, les droits d'un créancier dans la masse bénéficiant d'un privilège spécial en procédant à de telles déclarations de créance, la première de celles-ci, qui a trait à la somme litigieuse, ayant été consacrée dans le procès-verbal de vérification des créances. (Le demandeur) a donc fait reconnaître sa qualité de créancier privilégié dans la masse.

L'admission des créances 'lie définitivement le créancier produisant, le curateur et les autres créanciers. Il ne sera plus possible ultérieurement de revenir sur cette admission (...). Les conséquences de l'irrévocabilité (...) excluent qu'une demande supplémentaire fondée sur la même créance puisse être admise (...). La créance ne peut plus être contestée ni quant à son montant, ni quant aux sûretés qui y sont attachées, ni quant à l'opposabilité des opérations qu'elle recouvre' (I. Verougstraete, o.c., nos 719 et 720). Ces principes ne reçoivent exception qu'en cas de dol ou de fraude, de violation d'une règle d'ordre public et d'erreur matérielle (I. Verougstraete, o.c., n° 722): 'dans les conditions où un jugement pourrait être rectifié, il nous semble qu'une admission pourrait également faire l'objet d'une rectification. Mais, pour le surplus, l'enseignement (de l'arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 1985) (...) exclut l'idée que l'erreur puisse remettre en question l'admission d'une créance' (I. Verougstraete, o.c., n° 722).

La déclaration (du demandeur) ne peut être qualifiée d'erreur purement matérielle, mais résulte d'une erreur de droit portant sur sa qualité de créancier de (ou dans) la masse. Dès lors que sa demande actuelle tend à 'obtenir une autre consécration juridique de sa créance, cette fois au titre de dette de la masse, nonobstant l'admission déjà obtenue comme dette dans la masse à laquelle il prétend renoncer pour autant que de besoin', le principe de l'irrévocabilité de l'admission s'oppose précisément à une telle prétention (Liège 23 juin 2005, JLMB 2006, p. 348). C'est ce motif, et non l'absence de déclaration au titre de dette de masse dans un délai requis, qui justifie le rejet de sa demande.

(Le demandeur) ne peut davantage se prévaloir d'une violation de l'ordre public en ce que l'article 44 de la loi sur le concordat judiciaire, lequel confère le caractère de dette de masse aux créances nées pendant le sursis provisoire, ne serait pas respecté: 'la défense que certaines créances sont privilégiées et que cette réglementation touche à l'ordre public (...) n'est pas pertinente. Ce ne serait que si le privilège ou l'hypothèque étaient eux-mêmes fondés sur une convention qui viole l'ordre public que l'admission pourrait être remise en cause' (I. Verougstraete, o.c., n° 721).

Enfin, si le principe de l'irrévocabilité de l'admission ne fait pas obstacle à ce que la créance puisse être ultérieurement réduite (I. Verougstraete, o.c., n° 720), par exemple en cas de dégrèvement d'impôt, il ne peut s'agir que d'un élément extérieur à l'admission même, et non du fait d'une nouvelle appréciation quant à la créance, laquelle est prohibée. (Le demandeur) ne peut donc être suivi en ce que, 'd'un point de vue strictement comptable, la dette admise comme dette de la masse viendrait à éteindre la dette erronément admise comme dette dans la masse'.

La prétendue discrimination que (le demandeur) prétend discerner dans le chef du créancier de la masse, selon qu'il aurait ou non produit une déclaration de créance, est inexistante, la situation dénoncée trouvant sa seule origine dans l'erreur de droit commise par (le demandeur) qui s'est abstenu de déclarer sa qualité de créancier de la masse.

(Le demandeur) ne peut donc être admis à contester, lors de la reddition des comptes, la qualité de sa créance admise dans le procès-verbal de vérification des créances.”

Griefs

Aux termes de l'article 44, spécialement 2ème alinéa, de la loi du 17 juillet 1997, les actes accomplis par le débiteur au cours de la procédure [de concordat] avec la collaboration, l'autorisation [ou] l'assistance du commissaire au sursis sont considérés lors de la faillite comme des actes du curateur, les dettes contractées pendant le concordat étant comprises comme dettes de la masse faillie.

Ces dettes, comme les dettes contractées par le curateur après la déclaration de faillite, sont payables avant toute répartition.

Selon l'enseignement de votre arrêt du 26 novembre 1981, le créancier serait même en droit d'en poursuivre l'exécution à charge de l'actif de la faillite.

Le créancier de la masse n'est pas tenu de déclarer sa créance conformément aux articles 62 et suivants de la loi du 8 août 1997.

Ces règles sont d'ordre public.

Il s'ensuit que la déclaration et l'admission ultérieure de la créance de la masse déclarée au passif de la faillite dans le procès-verbal de vérification des créances est en réalité sans objet. A tout le moins, la déclaration et l'admission consécutive d'une telle créance dans le procès-verbal de vérification des créances ne sauraient-elles priver le créancier de son droit, précisément du droit que cette créance soit payée avant toute répartition.

En effet, d'une part, si l'admission d'une créance dans le procès-verbal de vérification est, en règle, irrévocable, il n'en est ainsi que s'agissant des créances dans la masse, lesquelles sont légalement soumises à déclaration par application des articles 62 et suivants de la loi sur les faillites. Ce principe est étranger aux créances de la masse qui, comme dit plus haut, ne sont pas visées par ces textes. L'irrévocabilité ne porte que sur le principe et le quantum des créances soumises à déclaration (et, éventuellement, sur le privilège qui leur est attaché). Il ne saurait priver le créancier de la masse de la priorité qui lui est reconnue indépendamment de toute admission de sa créance.

En tout état de cause, le principe de l'irrévocabilité de l'admission dans le procès-verbal de vérification des créances ne peut conduire à méconnaître une règle d'ordre public.

D'autre part, le créancier de la masse n'a pas renoncé à ce droit par sa déclaration. La renonciation, en effet, ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits qui ne sont susceptibles d'aucune autre interprétation.

Il s'ensuit que l'arrêt, qui ne dénie pas que la créance du demandeur, comme celui-ci le soutenait, était, pour la partie indiquée, une créance de la masse mais déboute néanmoins le demandeur de sa contestation, ne justifie pas légalement sa décision. L'arrêt méconnaît, ce disant, la notion de créance ou dette de la masse, laquelle n'est pas soumise à la procédure de déclaration et est payable avant toute répartition aux créanciers privilégiés et chirographaires (violation des art. 7, 8 et 9 de la loi hypothécaire, 44, spécialement 2ème al., de la loi du 17 juillet 1997 et 16 et 99 de la loi du 8 août 1997), la notion d'admission de créance dans le procès-verbal de vérification (violation des art. 62 à 72 de la loi du 8 août 1997), à laquelle ne sont pas soumises les créances ou dettes de la masse, et le principe de l'irrévocabilité d'une telle admission (violation des mêmes dispositions légales), étranger aux créances ou dettes de la masse et qui, de surcroît, ne peut conduire à la méconnaissance d'une règle d'ordre public.

S'il considère que le demandeur, en déclarant sa créance conformément aux articles 62 à 72 de la loi du 8 août 1997, a renoncé à son droit que celle-ci, étant une dette de la masse à concurrence du montant indiqué dans sa contestation, soit payée dans cette mesure avant toute répartition, l'arrêt méconnaît le principe général du droit visé au moyen.

III. La décision de la Cour

L'article 44, 2ème alinéa, de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire dispose que les actes accomplis par le débiteur au cours de la procédure avec la collaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursis sont considérés lors de la faillite comme des actes du curateur, les dettes contractées pendant le concordat étant comprises comme dettes de la masse faillie.

En vertu des articles 62 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, pour participer à une répartition ou pour exercer personnellement un droit de préférence quelconque, les créanciers dans la masse sont tenus de déposer au greffe du tribunal de commerce la déclaration de leurs créances et les frais et dépens de l'administration de la faillite sont payés aux créanciers de la masse avant toute répartition.

Il ne ressort ni de ces dispositions ni d'aucune autre que le créancier de la masse, au sens de l'article 44, 2ème alinéa, précité, qui aurait déclaré et fait admettre sa créance au procès-verbal de vérification des créances serait, en raison de l'irrévocabilité de cette admission, privé du droit d'être payé avant toute répartition.

L'arrêt considère que le demandeur a “fait reconnaître sa qualité de créancier privilégié dans la masse”, ce qui le “lie définitivement”, que sa déclaration “résulte d'une erreur de droit portant sur sa qualité de créancier de (ou dans) la masse”, qu'une nouvelle appréciation de la créance serait “prohibée” et que “le principe de l'irrévocabilité de l'admission s'oppose à [la] prétention du demandeur”.

L'arrêt ne justifie pas légalement son refus de reconnaître la créance du demandeur comme dette de la masse.

Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

(…)