Article

Président du tribunal de commerce Namur, 17/02/2010, R.D.C.-T.B.H., 2010/6, p. 546-548

Président du tribunal de commerce de Namur 17 février 2010

CONTINUITE DE L'ENTREPRISE
Réorganisation judiciaire - Droits des créanciers - Sursis de paiement - Créances données en gage en faveur des tiers - Gage sur fonds de commerce - Réalisation du gage
Le sursis affecte les droits du gagiste sur le fonds de commerce à moins qu'une saisie ait été pratiquée et que des créances aient été spécifiquement gagées, c'est-à-dire 'particulièrement gagées, identifiées comme faisant partie du gage'.
Dans le cas d'espèce, il faut bien constater que la notification du gage et la saisie du fonds de commerce incluant la saisie spécifique de certaines créances sont antérieures au jugement accordant le sursis. Le procès-verbal de saisie du fonds de commerce mis en gage détaille les éléments saisis, en ce compris la liste de créances, les factures visées par la saisie étant expressément annexées au procès-verbal de saisie.
Il résulte d'un examen sommaire que ces créances ont été spécifiquement gagées et qu'elles doivent bénéficier de l'exemption prévue à l'article 32 de la loi.
Il n'existe pas de façon manifeste d'abus de droit dans le chef de la banque justifiant qu'elle soit déchue des droits qu'elle tire en application de l'article 32 de la loi.
CONTINUITEIT VAN DE ONDERNEMING
Gerechtelijke reorganisatie - Rechten van de schuldeisers - Opschorting van betaling - Specifiek ten gunste van derden in pand gegeven schuldvorderingen - Pand handelszaak - Pandverzilvering
De opschorting heeft een effect op de rechten van de pandhouder van de handelszaak op voorwaarde dat deze voorafgaand een beslag heeft gelegd en dat de schuldvorderingen die binnen dit pand op de handelszaak vallen, uitdrukkelijk werden geïdentificeerd als behorende tot het pand op de handelszaak.
In voorliggend geval kan worden vastgesteld dat de kennisgeving van de inpandgeving van de schuldvordering en het beslag op de handelszaak, met inbegrip van het specifieke beslag op welbepaalde schuldvorderingen, voorafgaan aan het vonnis dat de opschorting van betaling toestaat. Het proces-verbaal van het beslag op de in pand gegeven handelszaak geeft een gedetailleerde opsomming van de beslagen goederen en bevat tevens een lijst met schuldvorderingen, waarvan de facturen uitdrukkelijk werden toegevoegd bij het proces-verbaal van het beslag.
Uit een beknopt onderzoek blijkt dat deze schuldvorderingen specifiek in pand werden gegeven en dat ze bijgevolg moeten genieten van de uitzondering van artikel 32 van de wet.
Er is geen sprake van een manifest misbruik van recht in hoofde van de bank, waardoor de toepassing van de uitzondering in artikel 32 haar zou moeten worden ontzegd.

SA Sodiplan / SA CBC Banque

Siég.: B. Inghels( juge)
Pl.: Mes Peret loco J. Proesmans, C. Henry et F. de Patoul

Vu les pièces de la procédure notamment:

- la citation introductive d'instance signifiée le 8 février 2010;

- le dossier de la partie demanderesse;

- les conclusions et le dossier de la partie défenderesse;

Entendu les conseils des parties en leurs explications à l'audience du 12 février 2010.

1. Les faits

1. La SA Sodiplan a pour activité la digitalisation et le traitement des données informatiques. Elle a développé une longue expertise dans ce secteur. Elle occupe environ 25 personnes, directement ou indirectement.

Depuis 2009, elle connaît des difficultés suite à une diminution de son chiffre d'affaires en raison d'une aggravation des retards de paiements de ses clients institutionnels, conjuguée avec un effort important en terme de recherche et développement.

La difficulté est passagère et serait une difficulté de trésorerie à court terme.

Elle en a tenu étroitement informé ses partenaires, dont la CBC Banque, avec laquelle elle travaille depuis 1996.

2. Depuis 1996, plusieurs crédits d'investissements et un crédit de caisse ont été accordés à Sodiplan par la CBC Banque, dont le dernier en juillet 2009. Ce dernier crédit de caisse est assorti de modalités particulières: la ligne de crédit est utilisable à concurrence de 75% des créances commerciales. A cette fin, Sodiplan s'engage à communiquer chaque mois à la banque un relevé détaillé des créances commerciales. Cette modalité est une condition essentielle de la mise à disposition du crédit.

Il semble que cette modalité ait bien été respectée.

3. En garantie de ses crédits, la SA CBC Banque dispose:

- d'un gage sur fond de commerce, incluant les créances, consenti le 9 juillet 1997;

- d'un gage général et nantissement des créances, en vertu de l'article 12 du règlement d'ouverture de crédit;

- d'un gage sur les actions détenues par Sodiplan dans sa filiale Geoinvest.

4. En novembre 2009, l'administrateur délégué de Sodiplan informe son banquier des graves difficultés de trésorerie de la société et annonce son intention de déposer une requête en réorganisation judiciaire.

Les crédits sont dénoncés par la SA CBC Banque le 16 novembre 2009.

Le 25 novembre 2009, par courrier recommandé adressé à tous les créanciers de la SA Sodiplan, la SA CBC Banque notifie le gage sur les créances.

Le 3 décembre 2009, la SA CBC Banque procède à la saisie du fonds de commerce par exploit de l'huissier Riga, saisissant différentes créances détenues par Sodiplan ainsi qu'il résulte des annexes de l'exploit.

5. Le 9 décembre 2009, la SA Sodiplan dépose une requête en réorganisation judiciaire.

Par jugement prononcé par le tribunal de commerce de Namur le 21 décembre 2009, une mesure de sursis en vue de réorganiser l'entreprise par un accord collectif est accordée à Sodiplan.

Le 5 février 2010, la SA Sodiplan obtient l'autorisation de citer dans des délais abrégés. Elle demande, en référé et compte tenu de l'urgence, à ce qu'il soit dit pour droit que CBC Banque doit être considéré comme un créancier sursitaire et ne bénéfice pas de l'application de l'article 32 de la loi sur la continuité des entreprises. Elle demande à ce que toutes les sommes qui lui sont dues lui soient payées, à l'exclusion de CBC Banque et à ce que tous les actes émanant de CBC Banque aux débiteurs de Sodiplan soient sanctionnés d'une astreinte de 20.000 EUR par infraction constatée.

2. Discussion

1. La demande est intentée selon les règles du référé. Le juge des référés est tenu par une appréciation prima facie des intérêts en présence, dans les limites du provisoire: il ne peut pas rendre une décision sur le fond et il ne peut pas prendre une mesure qui porterait un préjudice définitif et irréparable sur le fond (en ce sens, J. Englebert, “Inédits de droit judiciaire. Référés”, JLMB 2005, p. 142).

Dans le cas d'espèce, l'urgence alléguée n'a pas été contestée.

2. Le débat entre la SA Sodiplan et la SA CBC Banque porte sur l'application de l'article 32 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises, selon lequel “Le sursis n'affecte pas le sort des créances spécifiquement gagées au profit de tiers.”

Le débat n'a pas porté sur d'autres questions, en particulier, la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières n'a pas fait l'objet de discussion.

De même, la façon dont CBC Banque met en oeuvre l'article 12 de son règlement d'ouverture de crédits n'est pas essentielle pour résoudre les questions posées par la présente procédure, qui trouvent une réponse exclusivement dans l'analyse qui peut être faite de l'article 32 de la loi sur la continuité des entreprises.

3. La doctrine est unanime sur la portée qu'il faut donner à l'article 32 de la loi: si le sursis affecte les saisies et les voies d'exécution, cette règle ne vaut pas pour “les créances spécifiquement gagées au profit de tiers” (le juge souligne).

La situation est certes différente “pour le créancier gagiste sur fond de commerce, même lorsque, comme la Cour de cassation l'a admis, l'assiette en inclut les créances, valeurs mobilières et espèces” (M. Grégoire, “La réorganisation judiciaire aux mains des juges: premières récoltes”, RDC 2009, p. 646), “aussi longtemps qu'aucune saisie, quelle qu'en soit l'origine, n'est pratiquée sur les éléments composant le fonds de commerce”.

“La disposition - de l'article 32 - concerne les créances qui sont données spécifiquement en gage et ne visent par exemple pas les créances qui seraient comprises dans un fonds de commerce” (Doc.parl. Ch., n° 520160/002, p. 61).

“Le créancier gagiste sur fond de commerce n'est pas, en tant que tel, exempté des effets du sursis provisoire, même pour ce qui concerne les créances qui y sont intégrées, celles-ci ne se trouvant pas 'spécifiquement gagées'; aussi longtemps qu'aucune saisie n'est pratiquée sur les éléments composant le fonds de commerce, l'assiette du gage demeure en effet fluctuante” (A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Anthémis, 2009, p. 92).

En résumé, le sursis affecte les droits du gagiste aux fonds de commerce à moins qu'une saisie ait été pratiquée et que des créances aient été spécifiquement gagées, c'est-à-dire “particulièrement gagées, identifiées comme faisant partie du gage”.

4. Dans le cas d'espèce, sur base d'une appréciation prima facie des éléments de la cause, il faut bien constater que la notification du gage et la saisie du fonds de commerce incluant la saisie spécifique de certaines créances sont antérieures au jugement accordant le sursis.

Le procès-verbal de saisie du fonds de commerce mis en gage détaille les éléments saisis, en ce compris la liste des créances, les factures visées par la saisie étant expressément annexées au procès-verbal de saisie.

Il résulte d'un examen sommaire que ces créances ont été spécifiquement gagées et qu'elles doivent bénéficier de l'exemption prévue à l'article 32 de la loi.

5. Dans le cadre du référé, dans l'appréciation de l'équilibre entre les intérêts en présence, la SA Sodiplan se demande si une telle réponse ne compromet pas irrémédiablement le sauvetage de l'entreprise. En d'autres termes, CBC Banque, en étant le seul créancier gagiste à agir de la sorte, n'abuse-t-elle pas de son droit?

Commentant la décision rendue par la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles le 15 juin 2009 (RDC 2009, p. 717), certains soulignent que “la Loi a pour objectif d'assurer la continuité des entreprises et il n'est pas question que cet objectif soit compromis par des réalisations intempestives de sûretés” (W. David, J.-P. Renard et V. Renard, La loi relative à la continuité des entreprises: mode d'emploi, Kluwer, 2009, p. 150).

Cette même doctrine poursuit cependant “Il faut cependant raison garder. La loi a clairement entendu assurer un équilibre entre les droits du débiteur et ceux de ses créanciers. Il ne saurait être question de paralyser les droits de ces derniers plus que de raison. Seuls les abus manifestes dans le cadre de procédures qui ont des chances d'aboutir doivent être sanctionnés.”

Critiquant cette même décision, madame Grégoire rappelle que, même dans le cadre du référé, les critères exigeants de l'abus de droit doivent être rencontrés (M. Grégoire, o.c., p. 647).

Y-a-t-il dans le cas d'espèce une disproportion entre le droit de la CBC Banque et les réelles perspectives de succès de redressement de la SA Sodiplan, qui emploie 26 personnes directement ou indirectement?

Sur base des seuls éléments en sa possession, le juge doit bien constater que la banque a mis en oeuvre son gage avec diligence mais sans abus: les crédits sont dénoncés le 16 novembre 2009, la notification aux créanciers daté du 25 novembre 2009 et la saisie est effectuée le 3 décembre 2009. La SA Sodiplan disposait de tous les éléments pour anticiper la mesure et déposer une requête en réorganisation judiciaire avant la saisie du 3 décembre 2009.

La loi a d'ailleurs prévu d'autres mécanismes assurant un équilibre entre les droits du débiteur et ceux des créanciers, puisque l'article 31 notamment permet la mainlevée de saisies déjà pratiquées antérieurement “selon les circonstances et dans la mesure où cette mainlevée n'impose pas un préjudice significatif au créancier”. A priori, un débat sur cette base n'est pas exclu.

Il n'existe pas, de façon manifeste, d'abus de droit dans le chef de CBC Banque justifiant qu'elle soit déchue des droits qu'elle tire en application de l'article 32 de la loi.

Il s'ensuit que les demandes de la SA Sodiplan sont non fondées.

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Par ces motifs:

Nous Bénédicte Inghels, juge au tribunal de commerce de Namur, faisant fonction de président, le président étant légitimement empêché, assistée de Frédérique Picard, greffier;

Statuant contradictoirement;

Vu l'urgence et statuant au provisoire,

Disons les demandes recevables mais non fondées;

Réservons à statuer sur les dépens.

(…)