Article

Cour d'appel Bruxelles, 29/01/2009, R.D.C.-T.B.H., 2010/6, p. 519-522

Cour d'appel de Bruxelles 29 janvier 2009

INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Agent commercial - Manquement grave
Ne peut être invoqué à l'appui d'une rupture pour faute grave le manquement qui n'apparaît pas dans la lettre de résiliation ni n'est dénoncé dans les sept jours qui suivent la résiliation.
Peuvent constituer un manquement grave justifiant la rupture sans préavis ni indemnité les dissimulations dont le dirigeant de l'agent se rend coupable à l'égard du commettant.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Handelsagentuur - Grove fout
Een tekortkoming waarvan geen sprake is in de opzegbrief en die niet wordt aangegeven binnen de zeven dagen van de opzeg kan niet worden aangehaald ter staving van een opzegging voor grove fout.
De verduisteringen waaraan de beheerder van de agent zich schuldig maakt ten opzichte van de principaal, kunnen een grove fout uitmaken die de opzeg zonder opzegtermijn of vergoeding rechtvaardigen.

GSL France / L. Roosen q.q. à la faillitte Active Audio Video

Siég.: M.-F. Carlier (conseiller)
Pl.: Mes J.-M. Blondet, E. Hoffmann et S. Willemart
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 9 juin 2005 par le tribunal de commerce de Nivelles.

(…)

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. Depuis 1992, Audio & Video est l'importateur exclusif pour la Belgique et le Luxembourg des produits Gemini Sond & Light (ci-après les produits Gemini).

Le 1er mars 1997, Audio & Video devient l'agent commercial exclusif de GSL pour le Benelux.

Les parties ne rédigent pas de contrat écrit.

2. Par courrier du 23 juin 1998, Audio & Video est menacée de se voir retirer la représentation commerciale des produits Gemini pour la Hollande en l'absence d'une réponse convaincante face à la baisse des ventes sur le marché hollandais.

Cette menace sera mise à exécution, le 15 juillet 1998, avec effet au 31 août suivant.

3. En juin 1998, Steve Schiffman de GSL s'inquiète également de la baisse des ventes sur le marché belge, de l'absence de paiement des factures par les clients et du non-respect de leurs engagements de paiement. Elle menace Audio & Video de lui retirer aussi ce marché en l'absence d'une amélioration.

Dans un courrier du 26 janvier 1999, GSL demande des explications à Audio & Video sur la baisse du chiffre d'affaires de 20% sur les huit derniers mois de 1998 par rapport à la même période en 1997 et de 62% pour le mois de janvier 1999. Elle l'interroge également sur le fait de savoir si Audio & Video doit de l'argent à la société PPA et si ce fait peut être mis en relation avec la suppression de la garantie Coface, le 19 janvier 1999. Elle reporte au 4 février 1999 une réunion prévue entre les parties.

4. Parallèlement, surgissent des questions quant à l'éventuelle double qualité de M. Erik Janssen comme cadre dirigeant de Audio & Video et comme gérant d'une société Jatraco - cliente de GSL à propos de laquelle il a dû être fait appel aux services d'une société de recouvrement pour obtenir le paiement des factures -.

Dans un fax du 15 octobre 1998 adressé à Audio & Video/M. Erik Janssen et en copie à Patrice Vandenbussche de GSL, Steve Schiffman demande de lui envoyer les documents confirmant les propos tenus par M. Erik Janssen au cours d'une réunion à Londres selon lesquels il n'avait rien à voir avec Jatraco et qu'il n'était pas le même Erik Janssen que celui qui est directeur de Jatraco.

Par fax du 23 octobre suivant, sur papier à en-tête de Audio & Video, M. Janssen affirme avoir rencontré le responsable de Jatraco, la semaine précédente, et avoir insisté auprès de celui-ci pour qu'il paie les frais de recouvrement qui restaient dus. Ce dernier lui aurait promis de payer pour autant qu'il reçoive de retour des appareils en réparation à Paris.

Par fax du 26 octobre suivant, adressé en copie à Patrice Vandenbussche de GSL, Steve Schiffman insiste pour recevoir les documents indiquant clairement que M. Erik Janssen de Jatraco n'a rien à voir avec M. Erik Janssen de Audio & Video.

Il n'y sera pas réservé de réponse.

Le 1er février 1999, la société de recouvrement Eurocollect adresse à GSL un extrait du registre de commerce de Tongres duquel il ressort que M. Erik Janssen de Audio & Video est également le gérant de Jatraco.

5. Par courrier du 2 février 1999, confirmé le 11 février suivant, GSL met unilatéralement un terme à ses relations contractuelles avec Audio & Video, sans préavis, pour manquements graves, en ces termes:

Par mon fax du 26 janvier (copie jointe), je vous faisais déjà part de notre inquiétude sur la baisse sensible des ventes réalisées par votre intermédiaire en Belgique (moins 20% sur les 8 derniers mois, par rapport à la même période de l'exercice précédent, et moins 62% en janvier 1999 par rapport à janvier 1998!).

Je vous y indiquais également que nous venions d'être informés par la Coface, que cette dernière avait résilié sans explication, le 19 janvier 1999, la garantie d'assurance export, à hauteur de 100.000 FRF, qu'elle vous accordait jusqu'alors.

Celle résiliation semble liée à un litige que vous auriez avec notre client et débiteur PPA en Hollande.

De façon beaucoup plus grave, nous venons de recevoir de notre agence de recouvrement en Hollande, Eurocollect, le 1er février 1999, copie de l'extrait du registre de commerce de votre client 'Jatraco BVBA' à Genk, client 'mauvais payeur' pour lequel nous avons dû engager des procédures et frais pour tenter de recouvrer nos créances.

A la vue de ce document (copie jointe), il apparaît que votre assistant direct et employé, Monsieur Erik Janssen (qui a, d'après ce que vous nous aviez indiqué, tous pouvoirs pour traiter les questions relatives à la distribution de nos produits Gemini en Belgique) n'est autre que le dirigeant officiel de ce mauvais payeur 'Jatraco', comme attesté par sa signature qui y figure.

Vous vous souviendrez que nous nous étions interrogés il y a quelques mois sur la similitude de patronyme apparue entre le dirigeant de Jatraco et votre préposé. Ce dernier, 'droit dans les yeux', nous avait assurés en votre présence et celle de Artie Cabasso, lors de notre rencontre au Plasa le 14 septembre 1998, qu'il n'avait rien à voir avec cette société, et qu'il nous adresserait des documents en attestant.

A ce jour, et malgré plusieurs relances suite à cette réunion, nous n'avons toujours rien reçu ni d'Erik Janssen, ni de vous (cf. nos fax des 15 et 26 octobre 1998 notamment).

Erik Janssen a même prétendu depuis lors avoir entrepris des démarches auprès des dirigeants de Jatraco pour obtenir de cette dernière qu'elle règle nos factures. A ce jour, et pour mémoire, si Jatraco a fini par régler ses factures après bien des délais et tergiversations, elle s'est refusée de parfaite mauvaise foi à régler à Eurocollect les frais de recouvrement et intérêts de retard résultant de son attitude.

Ces circonstances sont pour nous constitutives de manquements graves de votre part portant atteinte aux relations de confiance que nous étions en droit d'attendre de votre société et de vos préposés, manquements qui nous obligent à vous notifier, par la présente, la rupture de nos relations contractuelles à compter de ce jour, et ce, à vos torts exclusifs et sous réserve de tous nos droits.

Bien entendu comme par le passé vous serez commissionné sur les commandes reçues jusqu'à réception de la présente.

Au-delà votre intervention éventuelle se fera au titre d'apporteur d'affaires indépendant dont le commissionnement et les modalités seront à convenir d'un commun accord.

En conclusion, soit vous ignoriez la double activité de votre préposé Erik Janssen, et partant vous êtes responsable d'un défaut de contrôle tant de votre employé, que de l'identité des clients que vous étiez sensés sélectionner et suivre pour notre compte, soit vous connaissiez la situation et, ce faisant, vous vous êtes rendu complice d'Erik Janssen en couvrant ses agissements.

Quoiqu'il en soit, ces manquements de votre part sont suffisamment graves à nos yeux pour qu'ils ne permettent pas la poursuite de nos relations commerciales.

Regrettant que nos relations se terminent ainsi, nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, l'expression de nos salutations distinguées.

Par courrier du 24 février 1999, Audio & Video conteste tant la réalité que la gravité des manquements invoqués. Se fondant sur la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale, elle réclame une indemnité compensatoire de l'absence de préavis de deux mois, une indemnité d'éviction équivalant à douze mois de commissions et une indemnité complémentaire égale à douze mois de commissions.

6. En l'absence de règlement amiable, Audio & Video fait citer GSL, le 3 mai 1999, devant le tribunal de commerce de Nivelles.

(…)

Le 15 mars 2004, Audio & Video est déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce de Nivelles. Me Roosen est désignée en qualité de curateur. Elle poursuit l'instance.

IV. Discussion

9. La curatelle fonde ses diverses demandes sur la loi du 13 avril 1995 dont l'applicabilité n'est pas contestée.

1. Sur l'indemnité compensatoire de préavis

10. La curatelle conteste la régularité de la résiliation à défaut pour GSL d'avoir respecté les conditions légales de forme et/ou de fond, à savoir:

- GSL n'a pas respecté le délai de sept jours imposé par la loi;

- les manquements allégués ne sont pas établis ou ne revêtent pas une gravité suffisante.

11. L'article 19 de la loi du 13 avril 1995 prévoit que:

Chacune des parties peut, sous réserve de tous dommages-intérêts, résilier le contrat sans préavis ou avant l'expiration du terme, lorsque des circonstances exceptionnelles rendent définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre le commettant et l'agent ou en raison d'un manquement grave de l'autre partie à ses obligations.

Le contrat ne peut plus être résilié sans préavis ou avant l'expiration du terme, lorsque le fait qui l'aurait justifié est connu de la partie qui l'invoque depuis sept jours ouvrables au moins. Peuvent seuls être invoqués pour justifier la résiliation sans préavis ou avant l'expiration du terme, les circonstances exceptionnelles ou manquements graves notifiés par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandée à la poste, expédiée dans les sept jours ouvrables qui suivent la résiliation.

Nonobstant toute stipulation contraire, il ne peut être dérogé avant la fin du contrat, au détriment de l'agent commercial, au présent article.

Le manquement doit être d'une gravité telle que les relations contractuelles ne puissent plus se poursuivre, même temporairement jusqu'à l'expiration d'un préavis (P. Crahay, “La loi relative au contrat d'agence commerciale: résiliation et indemnité d'éviction”, RDC 1995, p. 875, n° 34).

12. GSL fonde sa rupture avec effet immédiat du contrat d'agence sur les manquements suivants:

- la création et le maintien de relations contractuelles avec de mauvais payeurs notoires du fait des agissements indélicats de M. Janssen;

- la baisse des ventes réalisées par Audio & Video;

- la perte de la garantie d'assurances exportation accordée par la société Coface.

13. Quant au premier manquement invoqué, la curatelle souligne à juste titre que le grief portant sur la création et le maintien de relations contractuelles avec de mauvais payeurs notoires n'a pas été invoqué dans le délai légal.

Ce manquement n'apparaît pas dans la lettre de résiliation du 2 février 1999. Les termes 'l'identité des clients' mis en exergue par GSL à cet effet doivent, en effet, être replacés dans leur contexte, à savoir que GSL écrivait dans son courrier:

En conclusion, soit vous ignoriez la double activité de votre préposé Erik Janssen, et partant vous êtes responsable d'un défaut de contrôle tant de votre employé, que de l'identité des clients que vous étiez sensés sélectionner et suivre pour notre compte, soit vous connaissez la situation et, ce faisant, vous vous êtes rendu complice d'Erik Janssen en couvrant ses agissements.

Le manquement y allégué a spécifiquement trait à M. Janssen et à la société Jatraco et non à un comportement général de Audio & Video qui consisterait à contracter avec des clients notoirement insolvables.

Ce manquement n'a pas davantage été dénoncé dans les sept jours qui suivent la résiliation.

14. Il n'est en revanche pas contesté que le manquement relatif au comportement de M. Janssen et au dossier Jatraco, a été dénoncé dans le délai légal, GSL en ayant pris connaissance le 1er février 1999.

15. Des pièces auxquelles la cour peut avoir égard, il ressort que M. Janssen a délibérément induit GSL en erreur quant à sa qualité de gérant de Jatraco. Alors que GSL l'avait expressément interrogé, au cours du troisième trimestre 1998, sur son homonymie avec le gérant de Jatraco et avait sollicité la preuve de ce qu'il s'agissait de deux personnes physiques différentes, il n'a jamais fourni les documents demandés et a même écrit à GSL s'être entretenu avec le responsable de Jatraco, laissant ainsi fautivement croire qu'il s'agissait d'une personne physique distincte de lui-même.

Par ailleurs, en sa qualité de gérant de Jatraco, il ne pouvait ignorer la situation financière dans laquelle se trouvait sa société - Audio & Video admet elle-même que cette situation était difficile (cf. ses conclusions additionnelles et de synthèse d'appel, p. 16) -. Il devait savoir qu'elle n'était pas en mesure de payer ses commandes ou, à tout le moins, endéans les délais convenus. Des commandes ont néanmoins été rentrées, amenant GSL à faire appel à une société de recouvrement.

Par ces agissements, il a rompu la confiance que GSL plaçait en Audio & Video.

Vainement la curatelle souligne-t-elle le fait que Jatraco s'est acquittée de sa dette en principal envers GSL bien avant la lettre de rupture du 2 février 1999 ou encore que M. Janssen n'était pas tenu par une clause d'exclusivité envers elle. Le manquement réside dans la rupture de la confiance engendrée par les dissimulations dont M. Janssen s'est rendu coupable envers GSL.

16. Ce manquement est grave dès lors qu'il est contraire au principe de loyauté et de bonne foi dont l'agent doit témoigner. Les transactions commerciales ne peuvent, en effet, se développer que dans la sécurité et reposent sur une indispensable relation de confiance entre partenaires commerciaux.

17. Il est, par ailleurs, indifférent que Audio & Video aurait ignoré cette double qualité de M. Janssen.

D'une part, Audio & Video ne conteste pas sérieusement que son administrateur délégué, M. Vandeneynde, était présent lors de la réunion tenue à Londres au cours de laquelle M. Janssen a été interrogé sur son homonymie avec le gérant du 'mauvais payeur' Jatraco. La réalité de ce fait relaté dans les courriers des 2 février et 18 mars 1999 de GSL n'a pas immédiatement été contestée. Audio & Video était donc très vraisemblablement avisée des préoccupations de GSL à ce sujet.

D'autre part, de nombreux courriers ou fax établis sur du papier à en-tête de Audio & Video sont signés par M. Janssen. Celui-ci était manifestement l'un des interlocuteurs privilégiés de GSL au sein de Audio & Video.

Du reste, dans un fax du 23 mars 1998, M. Luc Vandeneynde a explicitement avisé GSL que M. Janssen avait un entier pouvoir de décision au sein de Audio & Video.

Partant, quelle que soit la nature des liens juridiques unissant M. Janssen à Audio & Video (employé ou sous-traitant), Audio & Video est tenue par les actes posés par celui-ci.

18. GSL démontre donc un manquement grave justifiant la rupture de la convention par le commettant avec effet immédiat.

Par conséquent:

- l'examen des autres manquements est surabondant;

- Audio & Video ne peut prétendre à une indemnité compensatoire de préavis.

2. Sur l'indemnité d'éviction et l'indemnité complémentaire

19. L'objet de l'indemnité d'éviction est distinct de celui de l'indemnité de préavis. L'indemnité d'éviction ne vise pas à la réparation du préjudice subi par l'agent en raison de l'irrégularité de la rupture du contrat sans préavis. Elle est destinée à réparer le préjudice que lui cause la perte de la clientèle qu'il a contribué à créer ou à augmenter pendant l'exécution du contrat et dont le commettant continue à retirer des avantages après sa dissolution (P. Crahay, “La loi relative au contrat d'agence commerciale: résiliation et indemnité d'éviction”, RDC 1995, p. 858, n° 55).

L'indemnité complémentaire prévue à l'article 21 de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale est intimement liée à l'indemnité d'éviction puisqu'elle contribue à réparer l'intégralité du préjudice subi par l'agent commercial si l'indemnité d'éviction devait se révéler insuffisante.

La loi du 13 avril 1995 dispose que l'indemnité de clientèle (et partant l'indemnité complémentaire) n'est pas due si le contrat a été rompu pour un manquement imputable à l'agent.

Tel étant le cas en l'espèce, Audio & Video doit être déboutée de ces chefs de demande.

(…)