Cour d'appel Bruxelles 28 janvier 2010
DROITS D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
Droits d'auteur - Internet - Logiciels 'peer to peer' - Action en cessation
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Aff.: R.G. n° 2007/AR/2424 |
On se souvient que la Sabam avait introduit en 2004 une action en cessation contre le fournisseur d'accès Internet Tiscali motif que les internautes utilisent leur accès Internet pour télécharger illégalement des oeuvres protégées par le droit d'auteur en utilisant des logiciels 'peer-to-peer'. Pour la Sabam, Scarlet profitait de tels téléchargements illégaux pour augmenter son volume de trafic et, par voie de conséquence, la demande de ses services. Or, Scarlet était, selon la Sabam, idéalement placée pour prendre des mesures en vue de faire cesser ces atteintes au droit d'auteur.
L'action de la Sabam était plus précisément fondée sur l'article 87 de la loi sur le droit d'auteur, qui permet de constater et d'ordonner la cessation d'une atteinte à un droit d'auteur, mais également de rendre une injonction de cessation à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un tel droit. Le 29 juin 2007, le président du tribunal de première instance de Bruxelles avait ordonné à Scarlet de mettre en place des mesures de filtrage des contenus afin d'empêcher l'échange illicite de fichiers musicaux appartenant au répertoire de la Sabam, sous peine d'astreinte.
Scarlet a interjeté appel de ce jugement, la Sabam réitérant en appel ses demandes de cessation à l'encontre du fournisseur d'accès Internet.
La cour d'appel de Bruxelles a rendu sa décision le 28 janvier 2010.
Dans un arrêt particulièrement bref sur le fond, la cour va estimer que la compétence d'ordonner les mesures de filtrage demandées par la Sabam doit être examinée à l'aune du droit communautaire, et notamment des directives européennes 2001/29 (droit d'auteur dans la société de l'information), 2004/48 (respect des droits de propriété intellectuelle), 2000/31 (commerce électronique), 95/46 (traitement des données à caractère personnel) et 2002/58 (vie privée dans le secteur des communications électroniques).
Dans son arrêt, la cour se réfère à la jurisprudence Promusicae de la Cour de justice (C-275/06), dans lequel la Cour avait considéré que les directives européennes sur le commerce électronique et celles relatives à la propriété intellectuelle ne devaient pas être interprétées comme imposant aux Etats membres, en vue d'assurer la protection du droit d'auteur, de prévoir une obligation de communication de données à caractère personnel dans le cadre de procédures civiles. La Cour avait toutefois souligné que le droit communautaire exige des Etats membres qu'ils assurent, dans le cadre de la transposition des directives, un équilibre entre les droits fondamentaux protégés dans l'ordre juridique communautaire. D'autre part, lors de la mise en oeuvre de ces directives, les Etats membres ne peuvent interpréter leur droit national d'une manière qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux de droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité.
Pour la cour d'appel, la même nécessité de conciliation des exigences liées à la protection de droits fondamentaux se pose dans l'affaire qui lui est soumise. Cependant, la Cour estime que cette affaire diffère de celle ayant donné lieu à l'arrêt Promusicae, dès lors qu'ici, l'ingérence interviendrait non pas a posteriori afin d'obtenir une indemnisation suite à une atteinte à un droit d'auteur, mais a priori, c'est-à-dire en vue d'éviter une telle atteinte.
La cour d'appel décide par conséquent de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne:
“Les directives 2001/29 et 2004/48, lues en combinaison avec les directives 95/46, 2000/31 et 2002/58, interprétées notamment au regard des articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, permettent-elles aux Etats membres d'autoriser un juge national, saisi dans le cadre d'une procédure au fond et sur la base de la seule disposition légale prévoyant que 'Ils (le juge national) peuvent également rendre une injonction de cessation à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d'auteur ou à un droit voisin', à ordonner à un fournisseur d'accès à l'Internet (en abrégé FAI) de mettre en place, à l'égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, aux frais exclusifs de ce FAI et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, notamment par l'emploi de logiciels peer to peer, en vue d'identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques concernant une oeuvre musicale, cinématographique ou audio-visuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête, soit à l'occasion de l'envoi?
En cas de réponse positive à la première question, ces directives imposent-elles au juge national, appelé à statuer sur une demande d'injonction à l'égard d'un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur, d'appliquer le principe de proportionnalité lorsqu'il est amené à se prononcer sur l'efficacité et l'effet dissuasif de la mesure demandée?”.