CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Droit des créanciers - Attitude de l'ONSS - Publication des entrepreneurs qui ont des dettes sociales en vue de la retenue par le débiteur de 35% sur les factures de l'entrepreneur négligent
Lorsqu'un entrepreneur a des dettes sociales à l'égard de l'ONSS, l'Office mentionne l'identité de celui-ci sur son site Internet. Les débiteurs de cet entrepreneur sont alors tenus d'effectuer les retenues sur les paiements qu'ils font à l'entrepreneur conformément à l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969.
Le litige concerne uniquement les cotisations de sécurité sociale dues pour la période antérieure au dépôt de la requête d'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.
L'article 33 de la loi du 31 janvier 2009 précise que le sursis ne profite pas aux codébiteurs. Le débiteur d'un entrepreneur qui a des dettes sociales peut être assimilé à un codébiteur au sens de cet article. Dès lors, l'inscription prise par l'ONSS sur son site web peut être maintenue pendant la période de sursis, vu qu'il n'y a pas encore de plan d'apurement et que le sursis ne profite pas au codébiteur de celui qui demande à bénéficier de la procédure de réorganisation judiciaire.
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CONTINUITEIT VAN DE ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Rechten van de schuldeisers - Houding van de RSZ - Publicatie van nalatige aannemers met het oog op de inhouding door de schuldenaar van 35% op de facturen van de nalatige aannemer
Wanneer een aannemer sociale schulden heeft ten aanzien van de RSZ, vermeldt deze instantie de identiteit van de nalatige aannemer op haar website. De schuldenaars van deze aannemer zijn vervolgens verplicht om inhoudingen te doen op de betalingen die ze verrichten aan de aannemer overeenkomstig artikel 30bis van de wet van 27 juni 1969.
Het geschil betreft uitsluitend socialezekerheidsbijdragen verschuldigd voor de periode voorafgaand aan de neerlegging van het verzoekschrift om een gerechtelijke reorganisatieprocedure te openen.
Artikel 33 van de wet van 31 januari 2009 stelt dat de opschorting niet ten goede komt aan de medeschuldenaars. De schuldenaar van een nalatige aannemer kan beschouwd worden als een medeschuldenaar in de zin van dit artikel. Bijgevolg mag de vermelding door de RSZ op de website worden behouden gedurende de periode van opschorting, aangezien er nog geen sprake is van een afbetalingsplan en dat de opschorting niet ten goede komt aan de medeschuldenaars van de verzoeker.
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Les effets d'une procédure de réorganisation judiciaire sur les créances de l'Office national de sécurité sociale (ci-après “l'ONSS”) font l'objet de nombreux débats depuis l'entrée en vigueur de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises. Reprenant l'argumentation qu'il avait développée sous l'égide de la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire, l'ONSS défend la position selon laquelle (i) le caractère d'ordre public des créances de cotisation sociale interdit toute réduction de leur montant en principal et (ii) le moratoire imposé par la procédure de réorganisation judiciaire n'a pas d'impact sur le droit qui lui est reconnu en vertu de la loi du 27 juin 1969 d'imposer aux commettants des entrepreneurs défaillants de procéder à une retenue égale à 35% des montants dont ils sont redevables et de les lui verser directement.
Cette position a fait l'objet de critiques sévères de la part de la doctrine tant à l'époque de la loi sur le concordat judiciaire [2] que depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la continuité des entreprises [3].
Dans les deux décisions annotées, les présidents des tribunaux du travail de Liège et de Namur ont été amenés à se pencher sur le second argument mentionné ci-avant. La présente note se limite à débattre de cette question, à l'exclusion de toute analyse de la pertinence du premier argument développé par l'ONSS [4].
1. | Rétroactes |
Les faits de la cause sont largement similaires dans les deux cas d'espèces et peuvent être résumés comme suit.
Une société en difficulté (ci-après le “débiteur”) entame une procédure de réorganisation judiciaire et se voit accorder un sursis de six mois conformément à la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises.
Au moment de l'introduction de la requête en réorganisation judiciaire, le débiteur est redevable d'arriérés de cotisations sociales et l'ONSS a, en conséquence, initié le mécanisme prévu à l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969 en affichant sur son site Internet l'obligation imposée aux cocontractants du débiteur de procéder à une retenue de 35% des sommes dues à ce dernier et de les verser directement à l'ONSS.
Nonobstant le sursis accordé par le tribunal de commerce, l'ONSS maintient l'obligation de retenue et de paiement direct à charge des cocontractants du débiteur. Une telle décision a un impact négatif sérieux sur la trésorerie du débiteur et est potentiellement de nature à mettre en péril le redressement de ce dernier. Par conséquent, le débiteur conteste le maintien de cette retenue considérant qu'elle doit être assimilée à une mesure d'exécution forcée prohibée par le sursis.
2. | Thèse de l'ONSS |
L'argumentation développée par l'ONSS est relativement sommaire. Elle se limite à faire référence à la jurisprudence des juridictions sociales sous l'égide de la loi sur le concordat judiciaire et au terme de laquelle l'obligation de retenue pourrait être maintenue au cours du sursis provisoire (mais non plus à partir du sursis définitif) pour les motifs que, d'une part, le sursis ne profite pas aux codébiteurs et, d'autre part, que cette obligation de retenue constitue une dérogation au sursis établie par une loi contraire. L'ONSS soutient ensuite que la loi sur la continuité des entreprises ne porte pas atteinte à son argumentation construite par rapport à la loi sur le concordat judiciaire, pour conclure que la solution précitée doit trouver à s'appliquer, mutatis mutandis, au sursis résultant de la procédure de réorganisation judiciaire.
2.1. Le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûretés personnelles |
Le premier argument de l'ONSS repose sur l'article 33, alinéa 2, de la loi relative à la continuité des entreprises selon lequel “sans préjudice des articles 2043bis à 2043octies du Code civil, le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûretés personnelles”.
Or, selon l'ONSS, les cocontractants du débiteur doivent être considérés comme des codébiteurs solidaires de ses dettes sociales. A l'appui de cette affirmation, l'ONSS avance l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969 qui dispose que “le commettant qui, pour les travaux visés au § 1er, fait appel à un entrepreneur qui a des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention, est solidairement responsable du paiement des dettes sociales de son cocontractant”.
L'ONSS en conclut que l'exception prévue à l'article 33, alinéa 2, de la loi relative à la continuité des entreprises est d'application et partant que le maintien de l'obligation de retenue ne constitue pas une voie d'exécution suspendue par les effets du sursis.
2.2. | Le sursis ne porte pas préjudice aux dispositions contraires établies par des lois particulières |
Le second argument avancé par l'ONSS, sous l'égide de la loi du 17 juillet 1997, reposait sur le principe établi par l'ancien article 21, § 1er, de cette loi qui disposait que “le présent paragraphe ne porte pas préjudice aux dispositions contraires établies par des lois applicables qu'il y ait concours ou non”. Or, selon l'ONSS, la loi du 27 juin 1969 qui accorde à ce dernier le droit d'imposer des retenues aux cocontractants du débiteur, est une loi particulière au sens de l'article 21 de la loi sur le concordat judiciaire et partant son application doit être maintenue en dépit du sursis provisoire.
Cet argument n'est pas avancé comme tel par l'ONSS dans les deux litiges faisant l'objet des ordonnances annotées. Il a toutefois fait l'objet de développements importants par l'ONSS à l'époque du concordat judiciaire, de sorte que la référence générale faite par l'ONSS à la jurisprudence passée laisse à penser qu'il reste d'application.
3. | La jurisprudence des juridictions sociales sous la loi sur le concordat judiciaire |
Cette question a été précédemment soumise, à diverses reprises, aux cours et tribunaux du travail lorsque la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire était en vigueur. Elle n'a, par contre, à notre connaissance, jamais été tranchée par les juridictions commerciales, ni par la Cour de cassation.
Les juridictions sociales se sont prononcées en faveur de la thèse de l'ONSS. Celles-ci considéraient que les cocontractants d'un entrepreneur qui était débiteur à l'égard de l'ONSS de dettes sociales antérieures au dépôt de la requête en obtention de la procédure concordataire doivent être traités comme des codébiteurs de l'entrepreneur défaillant.
Cette jurisprudence opérait toutefois une distinction entre la période du sursis provisoire et celle du sursis définitif. En effet, l'article 30bis, § 3, alinéa 8, de la loi du 27 juin 1969 dispose que “les dettes pour lesquelles le débiteur auprès de l'Office national de sécurité sociale (…) a obtenu des délais de paiement sans procédure judiciaire ou par une décision judicaire coulée en force de chose jugée et fait preuve d'un respect strict des délais imposés, ne sont pas prises en considération pour déterminer s'il existe ou non des dettes”. L'homologation du plan de redressement et l'octroi du sursis définitif étant une décision du tribunal de commerce qui accorde des délais de paiement au sens de cette disposition, l'ONSS ne pouvait plus, à partir de cette date, arguer de l'existence de dettes sociales pour maintenir l'obligation de retenue. Par contre, durant la période du sursis provisoire, en l'absence de décision coulée en force de chose jugée réglant l'apurement des dettes du débiteur, les cours et tribunaux ont validé le droit de l'ONSS de maintenir l'obligation de retenue pendant cette période.
Les juridictions sociales s'appuyaient également sur l'article 21, § 1, alinéa 4, de la loi du 17 juillet 1997 pour considérer que le sursis ne portait pas atteinte aux dispositions contraires établies par des lois particulières telle que la loi du 27 juin 1969.
Les deux ordonnances annotées s'inscrivent manifestement dans la lignée de cette jurisprudence antérieure et se sont toutes les deux prononcées en faveur de la thèse de l'ONSS sur la base de l'argument selon lequel les cocontractants du débiteur sont des codébiteurs au sens de l'article 33, alinéa 2, de la loi sur la continuité des entreprises.
4. | Discussion |
La solution retenue par les deux ordonnances annotées ne nous paraît conforme ni au texte, ni à l'esprit de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises, pour les motifs suivants:
4.1. | La loi du 27 juin 1969 prévoit-elle comme principe la codébition du cocontractant du débiteur? |
Tout d'abord, le postulat sur lequel reposent les ordonnances annotées, à savoir que les cocontractants du débiteur seraient des codébiteurs de ce dernier, nous semble inexact.
Il est vrai qu'une lecture rapide de la loi du 27 juin 1969, et particulièrement de son article 30bis, § 1er, laisse penser que tel est le cas. Une lecture plus attentive de la loi du 27 juin 1969 amène toutefois à infirmer cette conclusion.
Le § 4 du même article 30bis contient, en effet, une dérogation significative au principe de solidarité établi par le § 1er en disposant que “le commettant qui effectue le paiement de tout ou partie du prix des travaux visés au § 1er, à un entrepreneur qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, est tenu, lors du paiement, de retenir et de verser 35% du montant dont il est redevable, (…) à l'Office national précité, (…). Lorsque la retenue et le versement visés au présent paragraphe ont été effectués correctement lors de chaque paiement de tout ou partie du prix des travaux à un entrepreneur ou un sous-traitant qui, au moment du paiement, a des dettes sociales, la responsabilité solidaire visée au § 3 n'est pas appliquée”.
La règle prévue par la loi du 27 juin 1969 est donc que les cocontractants sont tenus de procéder à une retenue de 35% des sommes dues à tout entrepreneur défaillant à l'égard de l'ONSS dès que cette défaillance a été constatée par une mention sur le site Internet de ce dernier. Et ce n'est qu'en cas de non-respect de cette obligation de retenue et de paiement direct que naît la codébition solidaire. Celle-ci a donc un caractère accessoire et de sanction en cas de non-respect de l'obligation principale mise à charge des cocontractants des entrepreneurs défaillants. Cette solution est d'ailleurs la seule possible en pratique. Le cocontractant ne peut, en effet, s'informer de la situation du passif social de son entrepreneur et donc de son obligation de retenue et de paiement direct qu'en consultant la liste postée par l'ONSS sur son site Internet laquelle énumère l'ensemble des débiteurs pour lesquels une obligation de retenue est imposée.
On peut trouver une confirmation de cette interprétation dans les travaux préparatoires de la loi-programme du 27 avril 2007 qui modifie notamment cet article 30bis [5]. Ceux-ci précisent, en effet, qu'il “résulte de ces dispositions que la responsabilité solidaire prévue par l'article 30 bis, § 3, en projet résultera du manquement à l'obligation du commettant ou de l'entrepreneur de verser à l'ONSS la retenue de 35% due lorsque l'entrepreneur ou le sous-traitant a des dettes sociales (5) (…)” [6]. Dans cette note de bas de page, on peut lire que “le commentaire de la disposition expose en ce sens: 'Les deux premiers alinéas du § 3 ont une valeur pédagogique. La seule condition d'application de la responsabilité solidaire réside dans le fait d'avoir omis de faire une retenue conformément au § 4 au moment du paiement d'une facture à son cocontractant alors que celui-ci est débiteur vis-à-vis de l'ONSS'”.
Il en résulte que le principe n'est pas la responsabilité solidaire du cocontractant du débiteur. La solidarité n'est qu'une sanction du non-respect de l'obligation principale mise à charge du cocontractant, consistant à procéder à une retenue équivalente à 35% des sommes dues au débiteur et à leur paiement direct à l'ONSS dès lors que le débiteur concerné est repris dans la liste des débiteurs pour lesquels une telle obligation est imposée.
Ce mécanisme s'apparente, en réalité, à celui de l'action directe puisqu'il permet à l'ONSS de se faire payer directement auprès des débiteurs de son propre débiteur défaillant. Celui-ci doit incontestablement être qualifié de voie d'exécution puisqu'il aboutit à l'appropriation exclusive par un créancier déterminé d'un actif du débiteur faisant l'objet de la procédure de réorganisation [7]. A défaut d'exception prévue pour la loi du 27 juin 1969 - contrairement à l'action directe du sous-traitant qui est expressément autorisée par l'article 33, alinéa 3, de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises -, l'obligation de retenue et de paiement direct doit être suspendue en exécution de l'article 30 de la loi sur la continuité des entreprises.
4.2. | Les cocontractants du débiteur sont-ils des codébiteurs au sens de l'article 33 de la loi du 31 janvier 2009? |
A supposer que les cocontractants du débiteur soient considérés comme des débiteurs solidaires, la seconde question à examiner est de savoir si cette codébition rencontre les conditions d'application de l'article 33 de la loi du 31 janvier 2009.
L'article 33, alinéa 2, ne prévoyant pas de condition d'application spécifique, on pourrait être tenté de répondre positivement à cette question. Une telle conclusion serait toutefois, selon nous, manifestement contraire à la ratio legis de cette disposition.
Le principe du non-bénéfice du sursis aux codébiteurs remonte à la loi sur les faillites de 1851. Il a pour objectif unique de confirmer que les relations entre le créancier et les codébiteurs solidaires demeurés in bonis ne sont pas affectées par l'insolvabilité d'un d'entre eux [8].
Par essence, le champ d'application ratione personae de la règle se limite aux codébiteurs dont l'engagement résulte de l'effet de leur volonté et non pas les coobligés par l'effet indirect d'une loi [9]. Son champ d'application vise, en d'autres termes, l'hypothèse où le créancier est en droit de procéder à des voies d'exécution sur plusieurs patrimoines différents. Elle reflète le principe de bon sens selon lequel le sursis qui protège un de ces patrimoines n'a pas d'effet sur le patrimoine des autres coobligés.
Or, en l'espèce, ce n'est pas le patrimoine d'une autre personne qui est affecté par l'obligation de retenue et de paiement direct à l'ONSS mais bien celui du débiteur lui-même qui se voit ainsi privé du bénéfice d'une partie de celui-ci, à savoir certaines de ses créances. Et l'obligation de retenue et de paiement direct ne résulte nullement d'un engagement du contractant du débiteur mais uniquement de l'effet de la loi du 27 juin 1969. Cet argument avait été soulevé par le débiteur dans la procédure pendante devant la chambre des référés du tribunal du travail de Liège mais cette dernière l'a rejeté, sans toutefois apporter de motivation particulière à sa décision. Pour les motifs exposés ci-avant, cette conclusion ne nous paraît pas correcte et nous semble être difficilement conciliable avec l'intention exprimée par le législateur lors de l'adoption de la loi du 31 janvier 2009 puisqu'elle hypothèque sérieusement les chances de succès de toute procédure de réorganisation judiciaire qui serait initiée par un entrepreneur.
4.3. | L'article 7 de la loi du 31 janvier 2009 fait-il obstacle à l'application de l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969? |
Sous l'égide de la loi sur le concordat judiciaire, l'ONSS affirmait également que son droit de maintenir l'obligation mise à charge des commettants des entrepreneurs défaillants de procéder à la retenue visée à l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969, était autorisé en exécution de l'article 21, § 1, alinéa 4, de ladite loi.
Cet article disposait, en effet, que le sursis ne porte pas préjudice aux dispositions contraires établies par des lois particulières. Il n'a cependant pas été repris dans la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.
S'il est exact que l'article 7 de la loi du 31 janvier 2009 dispose que “sauf lorsqu'une modification ou une dérogation résulte d'un texte exprès de la présente loi, celle-ci n'a pas pour objet de modifier des lois antérieures ni d'apporter une dérogation”. Cette disposition a toutefois une toute autre portée que celle de l'ancien article 21 précité.
C'est donc, à tort, selon nous, que le président du tribunal du travail de Liège, dans l'ordonnance annotée, motive notamment sa décision par l'argument que “le sursis ne porte pas préjudice aux dispositions contraires établies par les lois particulières” en reprenant la formulation de la loi du 17 juillet 1997.
En effet, l'article 7 précité a été introduit afin de mettre fin à la controverse qui existait quant à la question de savoir si l'introduction ou l'ouverture d'une procédure concordataire entraînait ou non un concours entre créanciers.
Au cours des travaux préparatoires, le ministre de la Justice Jo Vandeurzen avait souligné ainsi la nécessité de trancher cette question: “de même que dans la loi actuelle de 1997, l'élément de la 'situation de concours' n'est pas réglé explicitement dans la proposition de loi (art. 25). Il est question d'une situation de concours lorsque plusieurs créanciers font valoir en même temps leurs droits sur le patrimoine de leur débiteur commun. La jurisprudence de la Cour de cassation n'a pas été très claire sur ce point, et cela a donné lieu à des confusions dans la doctrine. Il appartient au législateur de régler cet aspect dans le texte de la loi afin d'éviter de nouvelles discussions et interprétations divergentes tant dans la doctrine que dans la jurisprudence” [10].
L'article 7 vise à répondre à cette préoccupation en disposant que la loi du 31 janvier 2009 n'entraîne aucune dérogation implicite aux droits des créanciers et, par conséquent, qu'elle ne crée pas de concours [11]. Cet article signifie simplement que seules les dispositions expresses de la loi du 31 janvier 2009, telles que la suspension des voies d'exécution et de la compensation, porteront atteinte aux droits des créanciers. Ainsi, en raison de l'absence de concours, la procédure de réorganisation judiciaire n'entraînera notamment pas l'exigibilité des créances à terme.
La portée de l'article 7 ne va pas au-delà. Celui-ci ne signifie nullement que les dispositions expresses de la loi du 31 janvier 2009, telles que la suspension des voies d'exécution, ne peuvent porter préjudice aux dispositions contraires prévues par des lois antérieures.
5. | Conclusion |
Pour les motifs exposés ci-avant, les décisions annotées ne nous paraissent pas pouvoir être soutenues. Elles vont incontestablement à l'encontre de la volonté exprimée par le législateur lors de l'adoption de la loi du 31 janvier 2009 et sont, en outre, contraires au texte même de cette loi.
La responsabilité solidaire prévue par la loi du 27 juin 1969 n'est, en réalité, qu'une sanction appliquée en cas de non-respect de l'obligation principale imposée aux cocontractants des entrepreneurs défaillants de procéder à une retenue et à un paiement direct en faveur de l'ONSS. Elle n'est pas le principe.
Or, cette obligation principale de retenue et de paiement constitue une voie d'exécution sur un actif du débiteur, à savoir ses créances sur ses commettants, laquelle est suspendue par les effets de la procédure de réorganisation judiciaire et c'est donc à tort que l'ONSS considère être en droit de maintenir cette obligation de retenue et de paiement direct nonobstant le sursis.
En outre, à supposer même que la solidarité établie par la loi du 27 juin 1969 soit le principe et non l'exception, il n'en demeure pas moins que cette solidarité ne crée pas une codébition au sens de la loi du 31 janvier 2009 dans la mesure où la retenue s'effectue sur le patrimoine du débiteur et non pas celui d'une autre personne.
On peut espérer que l'ONSS reverra sa position sur ce point dans les prochains mois ou, à tout le moins, que les juridictions qui seraient saisies de cette question confirmeront le principe de l'interdiction du maintien de l'obligation de retenue et de paiement direct au cours du sursis. A défaut, ceci reviendrait à considérer que la procédure de réorganisation n'est pas ouverte à une catégorie spécifique de commerçants, à savoir les entrepreneurs…
[1] | Avocats au barreau de Bruxelles, White & Case LLP. |
[2] | A. Meulder, “La déclaration de créance par le créancier concordataire: obligation ou faculté? L'ONSS ou la force de l'inertie” (note sous Comm. Nivelles 25 mai 2005), RDC 2006, p. 857 ; voy. également N. Thirion, “L'égalité et le droit commercial: un rapport à géométrie variable” (obs. sous Liège 17 janvier 2002), JLMB 2002, p. 1367 qui écrivait: “en matière de concordat judiciaire, l'Etat semble affecté du syndrome de la chauve-souris ('voyez mes oreilles: je suis rat; voyez mes ailes: je suis oiseau'): revêtu des oripeaux scintillants législateur, il érige le redressement et le sauvetage des entreprises en difficulté au rang de principe cardinal, fût-ce au prix du sacrifice, au moins partiel, des créanciers; au contraire, paré des attributs, d'apparence plus terne, de l'administration, en particulier sociale et fiscale, il est le plus souvent enclin à s'opposer aux propositions du débiteur au risque de faire échouer, par son intransigeance, la procédure concordataire”. |
[3] | A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises. Prévention et réorganisation judiciaire des entreprises en difficulté, Anthémis, 2009, pp. 32 et 33; W. David, J.-P. Renard et V. Renard, La loi relative à la continuité des entreprises: mode d'emploi, Kluwer, 2009, pp. 28 et 29. |
[4] | Concernant le caractère d'ordre public des créances de cotisation sociale et l'interdictions de toute réduction de leur montant en principal, voyez la question parlementaire de Madame C. Defraigne, Hand. Senaat, 2009-2010, nr. 4-98, Vr. nr. 4-1252, 8. |
[5] | Cette modification est intervenue suite à l'arrêt du 9 novembre 2006 de la Cour européenne de Justice. |
[6] | Doc.parl. Chambre 2006-07, Doc. 51, 3058/001, p. 144. |
[7] | Voy. sur cette question, Th. Bosly, “Les effets du concordat judiciaire sur l'exercice de l'action directe”, RPS 1998, p. 321; Th. Bosly, “Quatre années d'application de la loi sur le concordat judiciaire” in Faillite et concordat judiciaire: un droit aux contours incertains et aux interférences multiples, Louvain-la-Neuve, Bruylant, 2002, p. 492. |
[8] | A. Zenner, Dépistage, faillites & concordats, Larcier, 1998, p. 458; I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 1998, p. 92; Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, Bruylant, 1965, T. IV, p. 309. |
[9] | Une comparaison intéressante peut être faite à cet égard avec la notion de 'sûreté personnelle' visée par les règles applicables en matière de décharge du failli. Voy. à ce sujet l'étude de B. Inghels, “Petite histoire d'une grande idée: l'excusabilité”, RDC 2007, p. 321 . |
[10] | Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52 0160/005, p. 144. |
[11] | A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Louvain-La-Neuve, Anthémis, 2009, p. 94; Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52 0160/005, pp. 18 et 156 ; Doc.parl. Chambre 2007-08, n° 52 0160/001, p. 22 ; Doc.parl. Sénat 2008-09, n° 4, 995/3, p. 15. |