Tribunal du travail de Liège (Prés)24 juin 2009
CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Droit des créanciers - Attitude de l'ONSS - Publication des entrepreneurs qui ont des dettes sociales en vue de la retenue par le débiteur de 35% sur les factures de l'entrepreneur négligent
Lorsqu'un entrepreneur a des dettes sociales à l'égard de l'ONSS, l'Office mentionne l'identité de celui-ci sur son site Internet. Les débiteurs de cet entrepreneur sont alors tenus d'effectuer les retenues sur les paiements qu'ils font à l'entrepreneur conformément à l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969.
Le litige concerne uniquement les cotisations de sécurité sociale dues pour la période antérieure au dépôt de la requête d'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.
L'article 33 de la loi du 31 janvier 2009 précise que le sursis ne profite pas aux codébiteurs. Le débiteur d'un entrepreneur qui a des dettes sociales peut être assimilé à un codébiteur au sens de cet article. Dès lors, l'inscription prise par l'ONSS sur son site web peut être maintenue pendant la période de sursis, vu qu'il n'y a pas encore de plan d'apurement et que le sursis ne profite pas au codébiteur de celui qui demande à bénéficier de la procédure de réorganisation judiciaire.
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CONTINUITEIT VAN DE ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Rechten van de schuldeisers - Houding van de RSZ - Publicatie van nalatige aannemers met het oog op de inhouding door de schuldenaar van 35% op de facturen van de nalatige aannemer
Wanneer een aannemer sociale schulden heeft ten aanzien van de RSZ, vermeldt deze instantie de identiteit van de nalatige aannemer op haar website. De schuldenaars van deze aannemer zijn vervolgens verplicht om inhoudingen te doen op de betalingen die ze verrichten aan de aannemer overeenkomstig artikel 30bis van de wet van 27 juni 1969.
Het geschil betreft uitsluitend socialezekerheidsbijdragen verschuldigd voor de periode voorafgaand aan de neerlegging van het verzoekschrift om een gerechtelijke reorganisatieprocedure te openen.
Artikel 33 van de wet van 31 januari 2009 stelt dat de opschorting niet ten goede komt aan de medeschuldenaars. De schuldenaar van een nalatige aannemer kan beschouwd worden als een medeschuldenaar in de zin van dit artikel. Bijgevolg mag de vermelding door de RSZ op de website worden behouden gedurende de periode van opschorting, aangezien er nog geen sprake is van een afbetalingsplan en dat de opschorting niet ten goede komt aan de medeschuldenaars van de verzoeker.
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SPRL Afterburner / Office national de sécurité sociale
Siég.: V. Lebe Dessard (président) |
Pl.: Mes M. Delwaide et B. Merckx loco L.P. Marechal |
Vu la législation sur l'emploi des langues en matière judiciaire;
Vu les pièces de la procédure à la clôture des débats prononcée à l'audience du 17 juin 2009 notamment la citation en référé en date du 22 mai 2009;
Vu pour la partie demanderesse les conclusions déposées à l'audience du 10 juin 2009;
Vu pour la partie défenderesse les conclusions déposées le 3 juin 2009;
Vu les dossiers des parties déposés à l'audience du 17 juin 2009;
Entendu les parties en leurs dires, explications et moyens aux audiences des 10 et 17 juin 2009;
Vu l'avis du ministère public donné par écrit à l'audience du 17 juin 2009 par monsieur R.M., stagiaire judiciaire commissionné conformément à l'article 259octies du Code judiciaire;
Entendu la réplique verbale de la partie demanderesse à l'audience du 17 avril 2009, la partie défenderesse ayant renoncé à répliquer.
I. | Les faits |
1. La demanderesse a été placée sous régime de réorganisation judiciaire par décision du tribunal de commerce du 6 mai 2009;
Cette décision précise ce qui suit: “… Déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire et en octroie le bénéfice à la demanderesse… Fixe la durée du sursis à six mois prenants cours ce jour pour se terminer le 6 novembre 2009.
… Fixe au mardi 27 octobre 2009 le vote et les débats sur le plan de réorganisation.”
2. La demanderesse exerce principalement une activité d'entrepreneur dans le domaine de la charpente métallique.
Elle rencontre actuellement des difficultés financières et notamment est redevable de cotisations de sécurité sociale au profit du défendeur.
3. A la suite d'une demande introduite le 16 décembre 2008, la demanderesse a bénéficié d'un accord administratif le 14 janvier 2009 qui prévoyait des versements mensuels de € 2.000 à partir du 15 janvier à valoir sur la dette existante. Cet accord prévoyait également le paiement du solde de la dette ou de nouvelles propositions le 1er juillet 2009 à condition que les cotisations du quatrième trimestre de 2008 soient payées en temps voulu ainsi que les cotisations des trimestres suivants dans les délais légaux.
La demanderesse n'a pu effectuer qu'un seul paiement de 2.000 EUR le 20 janvier 2009 et n'a pas pu faire face à son engagement de payer les cotisations dues pour le quatrième trimestre de 2008 et le premier trimestre de 2009.
4. Fin février 2009, le défendeur a initié le mécanisme de retenues prévues par l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969.
Par courrier du 13 mars 2009, la demanderesse a écrit au défendeur en demandant l'interruption des paiements de 2.000 EUR par mois dès lors que le prélèvement de 35% était effectué.
Par courrier du 25 mars 2009, le défendeur a rappelé à la demanderesse ses obligations et l'a informée qu'à défaut, elle reprendrait les poursuites.
II. | Le litige |
La demanderesse sollicite la suppression de la mention relative à l'obligation de retenues sur le site Internet de l'ONSS, à savoir l'application de l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969.
Elle estime qu'il n'y a pas lieu à retenue en raison du sursis de paiement de six mois qui lui a été accordé par le tribunal de commerce.
Elle considère que le commettant qui, en application de l'article 30bis, paie 35% des sommes revenant à son cocontractant à l'ONSS n'est pas le codébiteur visé par l'article 33, alinéa 1erin fine.
Elle soutient que la retenue sur facture de 35% ne doit plus s'appliquer à partir de la décision du 6 mai 2009 et qu'en conséquence, il y a lieu de supprimer la mention sur le site Internet.
II.a. Thèse de la demanderesse |
La demanderesse estime que dès le prononcé de la décision du tribunal de commerce soit le 6 mai 2009, la retenue de 35% ne pouvait plus être appliquée et qu'il convenait que le défendeur supprime de son site Internet l'information de l'obligation d'effectuer la retenue.
Elle soutient que l'article 33 de la loi nouvelle diffère de l'article 21, § 1, alinéa 4, de la loi ancienne dans la mesure où l'article 33 ne reprend pas l'exception selon laquelle le sursis concordataire ne portait pas préjudice aux dispositions instaurées par des lois particulières.
La demanderesse affirme que l'article 30bis ne rend ses débiteurs ni codébiteurs de sa dette de sécurité sociale ni sûretés personnelles. Selon elle, ce n'est que dans l'hypothèse où les débiteurs n'effectuent pas les retenues prévues à l'article 30bis qu'ils deviennent responsables solidaires.
Elle soutient que l'ONSS ne peut faire état d'un caractère particulier et privilégié de sa créance puisqu'à la différence des créances fiscales et hypothécaires, le plan de réorganisation judiciaire lui est opposable.
La demanderesse s'appuie sur un arrêt de la cour du travail de Mons du 2 juin 2006 (première chambre), qui, bien que rendu sous l'empire de l'ancienne loi, est favorable à sa thèse.
II.b. Thèse du défendeur |
Le défendeur opère une distinction entre le sursis définitif et le sursis provisoire.
S'appuyant sur une décision de la cour du travail de Liège du 10 mars 2006 (10e chambre, RF99/2005), le défendeur estime que les retenues sont justifiées et que la loi nouvelle du 31 janvier 2009 relative à la réorganisation judiciaire ne modifie en rien la jurisprudence invoquée qui trouve encore parfaitement à s'appliquer.
III. | Discussion |
1. L'urgence, au sens de l'article 584 du Code judiciaire n'est nullement mise en cause par les parties et apparaît difficilement contestable dès lors que la décision prise par le tribunal de commerce a une durée brève de six mois et qu'en outre, les retenues opérées sur base de l'article 30bis sont de nature à mettre gravement en péril les chances de redressement de la société demanderesse et créent une discrimination à l'égard des autres créanciers.
2. Lorsqu'un entrepreneur a des dettes sociales à l'égard de l'ONSS, l'Office mentionne l'identité de celui-ci sur son site Internet. Les débiteurs de cet entrepreneur sont alors tenus d'effectuer les retenues visées à l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969.
L'article 30bis, § 3, alinéa 9, ajoute cependant que: “les dettes pour lesquelles le débiteur a obtenu des délais de paiement sans procédure judiciaire ou par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée et fait preuve d'un respect strict des délais imposés, ne sont pas prises en considération pour déterminer s'il existe ou non des dettes”.
Lorsque des délais de paiement sont octroyés à un employeur par l'ONSS, ce dernier n'est plus autorisé à imposer aux débiteurs de cet employeur les retenues visées à l'article 30bis. L'employeur n'est plus considéré comme un débiteur de dettes sociales au sens de cet article.
Le 14 janvier 2009, au moment de l'accord pris entre les parties, l'ONSS ne pouvait maintenir l'inscription sur son site Internet.
Néanmoins, le plan d'apurement a été limité aux cotisations de sécurité sociale relatives au troisième trimestre de 2008. Les cotisations du quatrième trimestre de 2008 et celles de 2009 devaient être versées en temps utile.
Tel n'a pas été le cas en l'espèce.
Par conséquent, dès le 31 janvier 2009, la demanderesse était de nouveau considérée comme débitrice de dettes sociales à l'égard de l'ONSS et le maintien de l'inscription sur le site Internet se justifiait dans ce contexte.
3. Il importe de préciser que le litige soumis actuellement à la juridiction concerne uniquement les cotisations de sécurité sociale dues pour la période antérieure au dépôt de la requête en vue de l'obtention de la procédure de réorganisation judiciaire.
La loi du 31 janvier 2009, relative à la continuité des entreprises instaure une procédure de réorganisation judiciaire qui remplace le concordat.
Trois procédures de redressement judiciaire sont offertes aux débiteurs: la réorganisation par accord amiable, celle par accord collectif ou par un transfert de tout ou partie de l'entreprise ou des activités, sous autorité judiciaire. Il s'agit d'une première innovation.
La seconde “réside en ce que, la vie économique et commerciale continue sauf là où les exceptions sont prévues explicitement”. L'idée est de “maintenir la continuité. Cela signifie qu'il n'existe pas de masse mais simplement une entreprise en activité. Si elle a des dettes, celles-ci sont traitées comme pour n'importe quelle entreprise. Une exception est néanmoins prévue pour les créances visées à l'article 2, b) pour les anciennes dettes parce que l'objectif est précisément d'instaurer un moratoire pour ces dettes” (JT, n° 6348, pp. 237 et s.).
Cette loi ne semble toutefois pas avoir fondamentalement modifié le régime des créances nées antérieurement à l'octroi à une société en difficulté du bénéfice de la réorganisation judiciaire.
Comme le souligne judicieusement le ministère public dans son avis, seul le sort des créances de l'administration fiscale a été modifié puisque cette dernière n'est plus un créancier privilégié et que le plan de réorganisation lui est désormais opposable comme à l'ONSS.
L'article 33 de la loi du 31 janvier 2009 est applicable au sort des créances nées avant l'octroi du bénéfice de la réorganisation judiciaire au cours de l'élaboration de ce plan. Cet article précise en effet que “le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûreté personnelle”.
Or, la demanderesse soutient à propos de l'article 33 que: “ce texte vise comme codébiteur celui qui est tenu à la dette de la même manière que l'autre débiteur et qui doit acquitter celle-ci sur son patrimoine, c'est-à-dire sur ses deniers personnels. Que tel n'est pas le cas du commettant qui, en application de l'article 30bis, paie 35% des sommes revenant à son cocontractant entrepreneur à l'ONSS. Que le commettant ne devient, dans une certaine mesure, codébiteur qu'à partir du moment où il ne s'est pas acquitté de cette obligation de retenue”.
Cependant, comme le relève judicieusement le ministère public dans son avis écrit: “la société demanderesse semble, toutefois, faire une interprétation erronée de l'article 30bis. Le troisième paragraphe de cette disposition précise en effet que: 'le commettant qui, pour les travaux visés au paragraphe premier, fait appel à une entrepreneur qui a des dettes sociales au moment de la conclusion de la convention, est solidairement responsable du paiement des dettes sociales de son cocontractant'. Par conséquent, dès l'instant où le commettant contracte avec un entrepreneur débiteur de cotisations de sécurité sociale, il devient responsable solidaire des dettes sociales de son sous-traitant. Cette solidarité est toutefois limitée au prix total des travaux. Le fait d'effectuer la retenue lors du paiement implique que le commettant n'est plus solidairement responsable du paiement (voir art. 30bis, § 4).”
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la demanderesse, l'article 33 de la loi du 31 janvier 2009, ne confère pas une portée différente au terme codébiteur que celle contenue dans le Code civil par les articles 1200 à 1216.
Le responsable solidaire au sens de l'article 30bis doit être assimilé au débiteur solidaire visé aux articles susdits. L'article 33 de la loi nouvelle ne peut être limité aux codébiteurs tenus à la dette de la même manière que le débiteur principal. Suivant en cela l'avis du ministère public, il est permis de considérer que le législateur emploie indifféremment les termes 'débiteurs solidaires' et 'codébiteurs'. L'article 33 de la loi du 31 janvier 2009 ne contient pas de dispositions permettant de s'écarter de cette interprétation.
C'est également à juste titre, que l'auditorat dans son avis écrit relève que: “la loi de réorganisation judiciaire prévoit bien une suspension de l'ensemble des voies d'exécution au cours de la période d'élaboration du plan de réorganisation. Toutefois, l'article 33 de la loi du 31 janvier 2009, prévoit que le sursis n'affecte pas la situation des codébiteurs. Les commettants sont, en application de l'article 30bis, § 3, de la loi du 27 juin 1969 des codébiteurs visés par l'article 33 de la nouvelle loi.”
La doctrine récente va également dans ce sens (J. Windey, “La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises”, JT, n° 6348, p. 243), en effet, selon cet auteur, les effets de la décision d'ouverture de la réorganisation judiciaire créent un sursis qui n'affecte cependant pas la situation des codébiteurs ni celle des débiteurs de sûretés réelles.
Dès lors que le responsable solidaire peut être assimilé à un codébiteur et que l'article 33 n'affecte en rien les dispositions contenues dans l'article 30bis de la loi du 27 juin 1969, l'inscription prise par l'ONSS peut être maintenue et appliquée.
C'est donc à tort que la demanderesse s'appuie sur un arrêt de la cour du travail de Mons du 2 juin 2006.
Avec la cour du travail de Liège (C.trav. Liège (10e chambre) 10 mars 2006, JLMB 2006/365) pour les mêmes motifs, il est permis de considérer qu'il y a lieu au maintien de l'inscription pendant le sursis provisoire car celui-ci ne contient pas de plan d'apurement et ses effets ne profitent pas au codébiteurs du demandeur en réorganisation.
Actuellement, dès lors qu'il y a maintien possible des procédures particulières, l'organisation légale de la période d'observation sursitaire prévoit, comme au moment de l'arrêt rendu par la cour du travail de Liège que:
- en dépit de son privilège général, l'ONSS n'échappe pas aux effets moratoires du sursis provisoire;
- le sursis ne s'applique toutefois pas aux codébiteurs ni aux cautions;
- le sursis ne porte pas préjudice aux dispositions contraires établies par des lois particulières.
La loi du 27 juin 1969 est une loi particulière qu'il y a lieu de prendre en considération.
Le maintien de l'inscription sur le site est actuellement justifié et ne peut être analysé comme une voie de fait.
S'il est exact que le plan de réorganisation, s'il est accepté par la majorité des créanciers, pourrait imposer à l'ONSS différents abandons en application des dispositions légales qui prévoient que l'homologation du plan de réorganisation le rend contraignant pour tous les créanciers sursitaires, force est de constater qu'actuellement ce plan n'est qu'au stade de l'ébauche et qu'il n'aura pas d'effet rétroactif à la date du jugement du 6 mai 2009.
La demanderesse soutient, sans l'établir à suffisance de droit, que les retenues effectuées à partir du 6 mai 2009 seraient susceptibles de devoir être rétrocédées au moment du jugement que l'homologation d'un plan.
Par ces motifs,
Vu les articles 584 et suivants du Code judiciaire,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi de langues en matière judiciaire et notamment son article 1er dont le respect a été assuré,
Nous, Viviane Lebe Dessart, président du tribunal du travail de Liège statuant comme juge des référés, assisté de notre greffier Jean-Louis Crespin,
Déclarons la demande recevable.
La déclarons non fondée.
Condamnons la demanderesse aux dépens liquidés à l'indemnité de procédure:1.200 EUR.
(…)