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Gestion journalière: la prudence s'impose, R.D.C.-T.B.H., 2009/9, p. 951-955

SOCIETES
Société anonyme - Gestion - Gestion journalière (art. 525 C.soc.) - Réclamation fiscale
L'article 525, 1er alinéa du Code des sociétés dispose que la gestion journalière des affaires de la société, ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne cette gestion, peuvent être déléguées à une ou plusieurs personnes, actionnaires ou non, agissant seules ou conjointement.
Une réclamation fiscale peut être introduite par le délégué à la gestion journalière d'une société dans la mesure où le litige peut être considéré comme relevant de cette gestion. Les actes de la gestion journalière sont ceux qui sont commandés par les besoins de la vie quotidienne de la société et ceux qui, en raison tant de leur peu d'importance que de la nécessité d'une prompte solution, ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration lui-même.
Ne justifie pas légalement sa décision que la réclamation a été valablement introduite, l'arrêt qui considère qu'eu égard à l'ampleur des activités de la société, l'introduction de la réclamation litigieuse était de peu d'importance, mais qui omet d'examiner si cet acte nécessitait une solution d'une promptitude telle qu'il ne pouvait attendre une réunion du conseil d'administration.
VENNOOTSCHAPPEN
Naamloze vennootschap - Bestuur - Dagelijks bestuur (art. 525 W.Venn.) - Bezwaarschrift
Volgens artikel 525, eerste paragraaf van het Wetboek van Vennootschappen mogen het dagelijks bestuur van de vennootschap, alsook de vertegenwoordiging van de vennootschap wat dat bestuur aangaat, worden opgedragen aan een of meer personen, al dan niet aandeelhouders, die alleen of gezamenlijk optreden.
Een bezwaarschrift in belastingzaken kan door de dagelijks bestuurder van een vennootschap worden ingediend voor zover het geschil binnen de perken van het dagelijks bestuur valt. De handelingen van dagelijks bestuur zijn deze welke ingegeven worden door de alledaagse noden van de vennootschap en welke, omwille van hun gering belang en de behoefte voor een snelle oplossing, de tussenkomst van de raad van bestuur zelf, niet rechtvaardigen.
Het arrest dat vaststelt dat het indienen van een litigieus bezwaarschrift, gelet op de omvang van de activiteiten van de vennootschap van gering belang was zonder te onderzoeken of deze akte een zodanig spoedeisend karakter had dat niet kon gewacht worden op een beslissing van de raad van bestuur, verantwoordt niet rechtsgeldig zijn beslissing dat het bezwaarschrift geldig werd ingediend.
Gestion journalière: la prudence s'impose
Eric Pottier [1] et Alexia Bertrand [2]

Par l'arrêt annoté, la Cour de cassation a reçu l'opportunité de se prononcer une nouvelle fois sur la définition de la gestion journalière. C'est toutefois de manière quelque peu fortuite que cette question est intervenue dans le débat judiciaire.

1. Les faits

Le 5 avril 2001, la société Établissements Delhaize Frères et Cie “Le Lion” (“Delhaize”) a introduit une réclamation contre une imposition enrôlée par la commune d'Ixelles sur un emplacement de parcage utilisé par la société. Cette réclamation était signée par le “legal affairs manager” et le “directeur exécutif ventes”, au titre de mandataires spéciaux verbalement mandatés à cette fin par l'administrateur délégué et le président du conseil d'administration, tous deux agissant en leur qualité d'administrateurs. Conformément à sa pratique en la matière, la commune d'Ixelles a demandé à la société de lui fournir la preuve de ce mandat spécial.

Après l'expiration du délai légal de réclamation, le 14 mai 2001, les deux administrateurs concernés de Delhaize ont fait parvenir à la commune d'Ixelles une lettre confirmant l'existence d'un mandat spécial en faveur des deux cadres en question. Il ne ressortait toutefois pas clairement de ce courrier si le mandat existait antérieurement à celui-ci ou si l'objet du courrier était précisément d'octroyer le mandat litigieux, auquel cas cet acte intervenait hors délai. La réclamation de la société à l'encontre de la taxe communale a, en tout état de cause, été déclarée non recevable par le collège. Delhaize a alors introduit un recours devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Celui-ci a donné raison à la commune d'Ixelles en déclarant la réclamation de Delhaize irrecevable à défaut pour celle-ci d'avoir rapporté la preuve, dans le délai légal de réclamation, de l'existence du mandat spécial et du fait que celui-ci existait avant l'introduction de la réclamation.

Delhaize a interjeté appel du jugement, déposant à cette occasion une pièce nouvelle qui a, en fait, introduit dans le litige le concept de gestion journalière. Il s'agit d'une lettre de l'administrateur délégué, agissant dans le cadre de la gestion journalière et confirmant avoir donné, avant l'expiration du délai légal, mandat verbal au “legal affairs manager” et au “directeur exécutif ventes” aux fins d'introduire les réclamations contre les impositions en question. L'administrateur délégué y précise par ailleurs rectifier la “formulation malencontreuse” de la lettre du 14 mai 2001 “pouvant faire croire qu'il s'agissait de donner, à cette date, soit manifestement en dehors du délai de réclamation, mandat aux personnes susvisées d'introduire les réclamations considérées”. Sur cette base, la cour d'appel a réformé la décision du tribunal de première instance, décidant que la réclamation “était valablement introduite et recevable” et que “partant (le) recours fiscal était également recevable”. La cour a en effet considéré qu'eu égard à l'ampleur des activités de Delhaize, l'introduction de la réclamation litigieuse était un acte de peu d'importance, relevant de la gestion journalière. Sur le fond, l'arrêt annule la taxation litigieuse pour défaut de motivation formelle du règlement-taxe adopté par la commune d'Ixelles.

La commune d'Ixelles se pourvoit en cassation, invoquant parmi ses moyens de cassation, l'absence de justification légale de la décision selon laquelle l'octroi d'un mandat verbal aux mandataires spéciaux pour introduire une réclamation contre la cotisation litigieuse relevait de la gestion journalière de Delhaize. Selon la demanderesse, l'arrêt de la cour d'appel viole l'article 525, 1er alinéa du Code des sociétés en ce qu'il ne constate pas, pour établir qu'il ressort de la gestion journalière, que l'acte requérait une prompte solution.

La Cour de cassation casse l'arrêt sur cette base, confirmant à tout égard sa jurisprudence antérieure. En effet, après avoir rappelé qu'une réclamation fiscale peut être introduite par le délégué à la gestion journalière d'une société dans la mesure où le litige peut être considéré comme relevant de cette gestion [3], la Cour répète que les actes de la gestion journalière “sont ceux qui sont commandés par les besoins de la vie quotidienne de la société et ceux qui, en raison tant de leur peu d'importance que de la nécessité d'une prompte solution, ne justifient pas l'intervention du conseil lui-même” [4], confirmant que, pour ce qui concerne la deuxième branche de cette définition, deux conditions cumulatives s'appliquent.

2. Le concept de gestion journalière
2.1. Base légale

L'article 525 du Code des sociétés dispose que “la gestion journalière des affaires de la société, ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne cette gestion, peuvent être déléguées à une ou plusieurs personnes, actionnaires ou non, agissant seules ou conjointement”.

La délégation de la gestion journalière est facultative. Une fois nommé par les statuts ou par le conseil d'administration, le délégué à la gestion journalière est un organe de la société, au même titre que le conseil d'administration ou le comité de direction.

2.2. Définition

Le Code des sociétés ne définit pas la gestion journalière. Une telle définition est toutefois cruciale eu égard à la consécration de l'existence d'une sphère légale de la gestion journalière [5]. L'article 525, 3ème alinéa du Code des sociétés énonce en effet que “la clause en vertu de laquelle la gestion journalière est déléguée à une ou plusieurs personnes, agissant soit seules, soit conjointement est opposable aux tiers dans les conditions prévues par l'article 76”. En d'autres mots, les tiers doivent connaître le contenu de la notion de gestion journalière. La société pourra leur opposer qu'elle n'est pas valablement engagée par les actes du délégué à la gestion journalière qui sortent du cadre de cette gestion. De la même manière, les tiers pourront invoquer que la société n'est pas valablement engagée par ces actes, sauf ratification ultérieure par l'organe compétent [6].

Comme indiqué ci-dessus, la Cour de cassation a décidé, dans son arrêt du 17 septembre 1968, que constituent des actes ou opérations de gestion journalière, les actes d'administration ne dépassant pas les besoins de la vie quotidienne de la société ou ceux qui en raison tant de leur peu d'importance que de la nécessité d'une prompte solution ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration lui-même [7]. La Cour de cassation a ainsi prévu deux catégories distinctes d'actes ressortissant de la gestion journalière, à savoir, d'une part, les actes commandés par les besoins de la vie quotidienne de la société et, d'autre part, les actes de peu d'importance nécessitant une solution rapide ne pouvant attendre l'intervention du conseil d'administration.

La première catégorie vise les actes nécessaires au fonctionnement quotidien de la société. Si la récurrence est une condition suffisante pour qu'un acte relève de la gestion journalière, elle n'est toutefois pas une condition nécessaire [8]. Un acte exceptionnel pourrait tomber dans le champ des compétences du délégué à la gestion journalière. Comme le résume J. Van Ryn: “Tout dépend (…) de la nature de l'entreprise: les nécessités de l'exploitation journalière peuvent, dans certaines sociétés, comporter la conclusion de marchés importants.” [9]. Selon B. Tilleman, il faut, afin que le caractère exceptionnel d'un acte n'exclue pas la qualification de gestion journalière, que cet acte n'entraîne qu'une responsabilité restreinte pour la société [10]. Cette exigence ne nous paraît conforme ni au texte de la formulation de la Cour de cassation, ni à l'esprit de celle-ci. Un acte récurrent pourrait en effet entraîner une responsabilité importante pour la société. L'on ne voit dès lors pas pourquoi il faudrait ajouter cette condition pour les actes exceptionnels dès lors que ceux-ci sont nécessaires au fonctionnement quotidien de la société.

La deuxième catégorie vise les actes qui tant en raison de leur peu d'importance que de la nécessité d'une prompte solution, ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration. Le peu d'importance devra s'évaluer au cas par cas, en fonction de la société en question.

2.3. Critique doctrinale de la définition donnée par la Cour de cassation

La définition restrictive donnée par la Cour de cassation à la gestion journalière a été d'emblée critiquée par la doctrine [11] pour son manque d'adéquation avec la pratique qui, “pour répondre à des besoins de gestion évidents” [12], a tendance à donner une interprétation plus large à la notion. Dans un souci de concilier la réalité avec l'arrêt de principe de la Cour de cassation, une partie de la doctrine a dès lors fait preuve d'une certaine liberté dans la lecture d'une définition qui, dans son libellé, laisse pourtant peu de place à l'interprétation.

C'est ainsi que certains auteurs ont conclu à l'existence de trois catégories d'actes relevant de la gestion journalière plutôt que deux. Selon eux, la gestion journalière engloberait (i) les actes qui sont nécessaires pour les besoins quotidiens de la société, (ii) les actes de peu d'importance et (iii) ceux n'appartenant à aucune de ces deux catégories mais nécessitant une solution rapide ne pouvant attendre l'intervention du conseil d'administration [13]. Ils font ainsi de l'exigence de l'importance limitée de l'opération, d'une part, et de la nécessité d'une prompte solution, d'autre part, des critères alternatifs là où la Cour de cassation les avait rendus cumulatifs.

Dans le même ordre d'idées, B. Tilleman soutient que les actes urgents relèveraient toujours de la gestion journalière, quelle que soit leur importance [14].

Ces interprétations, mues par un certain pragmatisme, ont en quelque sorte atténué la portée de l'arrêt de 1968 tout en contribuant à créer une insécurité juridique autour de la notion de gestion journalière.

Face à ce constat, la doctrine a tenté d'établir, sur la base de la jurisprudence en la matière, une typologie des actes relevant de la gestion journalière [15]. La difficulté de l'exercice réside toutefois dans le fait que, pour déterminer si un acte tombe dans le champ de cette définition, il faut tenir compte de l'objet social de la société, de la dimension de l'entreprise, du capital social, de la particularité de l'organigramme de l'entreprise, de la nature juridique des actes à accomplir et de leur importance économique [16]. La détermination de l'appartenance d'un acte à la sphère de la gestion journalière implique donc une analyse in concreto de la situation, propre à chaque société et devant être réalisée au cas par cas. L'exemple traditionnellement cité est celui de l'achat ou de la vente d'un immeuble qui, ne relevant a priori pas de la gestion journalière, pourrait néanmoins entrer dans le champ de celle-ci s'il s'agit d'une société immobilière [17].

La jurisprudence n'est par ailleurs pas toujours cohérente en la matière. Les décisions contradictoires relatives à la capacité pour le délégué à la gestion journalière d'agir en justice en attestent. Après avoir considéré que l'introduction d'un recours en justice excédait les besoins de la vie quotidienne et ne constituait pas davantage un acte de peu d'importance [18], la majorité de la jurisprudence [19] - à l'exclusion toutefois du Conseil d'Etat [20] - reconnaît aujourd'hui au délégué à la gestion journalière le pouvoir d'agir en justice, pour autant que le litige relève de la gestion journalière [21]. Ceci devra être apprécié au regard de l'importance du litige pour la société en question et de la nécessité d'une prompte solution.

2.4. Arrêt de la Cour de cassation du 26 février 2009

Faisant fi des critiques doctrinales, l'arrêt annoté confirme la définition restrictive de la notion de gestion journalière, donnée par la Cour de Cassation dans ses arrêts du 17 septembre 1968 et du 21 février 2000 [22].

3. Dichotomie entre le caractère restrictif de la définition légale et les besoins de la pratique

La Cour de cassation s'éloigne ainsi de la pratique des affaires, qui n'a pas hésité à faire de l'administrateur délégué un personnage clé de la vie sociétaire.

Comme l'écrivent MM. Van Ommeslaghe et Dieux: “La définition de la gestion journalière, et la limitation de pouvoirs de l'administrateur délégué qu'elle implique, ne répondent ni aux nécessités de la pratique ni aux réalités de la gestion des sociétés: l'administrateur délégué n'est pas un simple exécutant des délibérations du conseil d'administration ni un gestionnaire du quotidien. C'est lui qui, en réalité donne l'impulsion à la politique générale de la société (…).” [23].

En effet, l'administrateur délégué d'une société anonyme se considère généralement comme le “vrai patron” et a, de ce fait, une conception assez extensive de ses pouvoirs.

Cette tendance est confortée par l'approche de la répartition des pouvoirs retenue par les Codes de corporate governance. Ainsi, le Code belge de gouvernance d'entreprise 2009 ne mentionne pas la fonction de délégué à la gestion journalière mais retient celle de Chief Executive Officer (CEO). Ce dernier est notamment chargé de “la responsabilité exécutive de la conduite des activités de la société” [24], [25]. Ces pouvoirs sont, à l'évidence, bien plus étendus que ceux qui résultent de la définition de la gestion journalière consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Bon nombre des sociétés du BEL 20 font d'ailleurs référence à la fonction de CEO, le plus souvent dans leur Corporate Governance Charter (à titre d'exemples AB InBev, Beckaert, Belgacom, Delhaize, Fortis [26], GBL, Mobistar, Umicore,…).

Le concept de CEO n'est toutefois pas défini en droit belge; il s'agit d'un concept d'origine anglo-saxonne. Dans cette tradition, le CEO est le plus haut responsable exécutif de la société.

Les statuts lui attribuent généralement des pouvoirs extrêmement larges. A titre d'exemple, les statuts de JP Morgan Chase énoncent que: “The Chief Executive Officer shall be the chief executive officer of the Corporation and shall have, subject to the control of the Board, general supervision and direction of the business and affairs of the Corporation and of its several officers. In the absence of the Chairman, he shall preside at all meetings of the stockholders and at all meetings of the Board. He shall have the power to execute any document or perform any act on behalf of the Corporation, including without limitation the power to sign checks, orders, contracts, leases, notes, drafts and other documents and instruments in connection with the business of the Corporation, and together with the Secretary or an Assistant Corporate Secretary execute conveyances of real estate and other documents and instruments to which the seal of the Corporation may be affixed. He shall perform such other duties as from time to time may be prescribed by the Board.” [27]. Des clauses similaires se retrouvent dans les statuts de la plupart des grandes sociétés américaines (HSBC, Mirosoft, Time Warner, IBM,…).

En octroyant le titre de CEO à l'administrateur délégué, les sociétés entretiennent l'idée que ce dernier est appelé à jouer un rôle de premier plan dans la gestion en disposant des pouvoirs qui vont de pair avec ce statut.

4. Recommandations pratiques

En définitive, cet arrêt n'a pas changé la définition de la gestion journalière. Il n'a en fait nullement modifié la situation préexistante en la matière, si ce n'est en mettant un terme définitif aux tentatives entreprises par la doctrine pour élargir les contours de cette notion.

Les difficultés pratiques suscitées par la définition restrictive de la Cour de cassation restent donc entières pour toutes les sociétés souhaitant confier à leurs délégués à la gestion journalière des tâches allant au-delà des actes commandés par les besoins de la vie quotidienne. En effet, même pour les actes de peu d'importance, l'administrateur délégué devra établir l'urgence avant de pouvoir agir. A défaut, il excèderait ses pouvoirs en empiétant sur la sphère de compétence du conseil d'administration. De même, l'urgence d'une opération n'est pas suffisante à justifier l'intervention du délégué à la gestion journalière. La conséquence est lourde pour le conseil d'administration qui devrait se réunir non seulement pour approuver des actes de peu d'importance lorsqu'il ne s'agit pas d'actes commandés par les besoins de la vie quotidienne, mais également pour poser des actes urgents importants, ce qui requiert une disponibilité continue des membres du conseil.

Si l'on adopte une attitude plus pragmatique que légaliste, on peut minimiser la portée de cette difficulté. En effet, les cas dans lesquels la validité d'un engagement pris par l'administrateur délégué se verra remettre en cause ne sont pas légion. Il s'agira essentiellement de contestations relatives à la recevabilité d'un recours en justice (comme en témoigne l'abondante jurisprudence sur le sujet) ou d'actes comportant un engagement significatif pour la société.

Que faire pour éliminer complètement ce risque, même limité?

Comme le soulignent plusieurs auteurs [28], il n'y a que peu d'intérêt à énumérer dans les statuts les pouvoirs du délégué à la gestion journalière. En effet, si une telle énumération peut avoir de l'utilité dans l'ordre interne, par la mise en cause de la responsabilité du délégué qui dépasserait les limites de compétence que les statuts lui ont fixées, elle est toutefois inopposable aux tiers. Une délégation qui étendrait la définition de la gestion journalière serait dès lors d'office réduite à la notion légale.

A défaut d'efficacité d'une approche générale de la question, consistant à clarifier dans les statuts les compétences déléguées dans le cadre de la gestion journalière, les sociétés devront adopter une approche plus casuistique des actes relevant de cette dernière. Par prudence, le conseil d'administration devrait ainsi veiller, à tout le moins pour chaque acte de représentation du délégué à la gestion journalière dans un domaine sensible, à lui octroyer mandat à cette fin. De plus, le conseil d'administration devrait s'assurer de ratifier les actes posés par le délégué pour lesquels il existerait un doute quant à leur nature et pour lesquels un mandat spécifique n'aurait pas été octroyé. Une attention particulière doit être accordée ici aux recours en justice, pour lesquels il se recommande de prévoir d'emblée un mandat spécial - cf. infra -, et aux actes entraînant des engagements significatifs dès lors qu'ils ne sont pas récurrents. Ceci implique sans doute la mise en place d'un reporting adéquat et régulier du délégué à la gestion journalière au conseil d'administration sur les actes posés.

Une autre solution pour les sociétés soucieuses d'éviter que leurs conseils d'administration ne doivent connaître sans cesse d'opérations se situant aux confins de la définition de la gestion journalière, est de déléguer par avance certains pouvoirs à des mandataires spéciaux. Au-delà d'actes déterminés, la délégation peut porter sur des types d'opérations (octroi de prêts, ventes ou achats de certains produits,…) et être faite en fonction de départements, branches d'activités ou critères géographiques [29]. Il faudra néanmoins veiller à ce que ces mandats, s'ils sont publiés, ne puissent être confondus avec une délégation de la gestion journalière, comme c'est actuellement parfois le cas [30]. Le mandataire spécial n'est pas un organe de la société mais un mandataire de droit commun. Il devra dès lors justifier d'une procuration spéciale pour accomplir les pouvoirs qui lui sont délégués [31]. La délégation doit en outre rester spéciale, le conseil ne pouvant en aucun cas déléguer l'ensemble de ses pouvoirs [32].

Enfin, une solution plus radicale consisterait à créer un comité de direction au sens de l'article 524bis du Code des sociétés et de charger celui-ci, en plus de ses pouvoirs de gestion et de représentation, de la gestion journalière. La gestion journalière pourrait ainsi être déléguée au comité de direction dans son ensemble ou, ce qui sera souvent plus pratique, à certains ou chacun de ses membres individuellement. La représentation en ce qui concerne cette gestion serait également déléguée. Une telle délégation permettrait d'éviter l'écueil des limitations imposées au délégué à la gestion journalière, les membres du comité de direction pouvant toujours fonder leur pouvoir sur leur pouvoir de représentation plus général [33].

Au-delà de ces solutions pratiques, on ne peut que déplorer le fait qu'en confirmant son interprétation étriquée de la notion légale de gestion journalière, la Cour de cassation ait manqué une occasion de réconcilier la pratique et le droit.

[1] Avocat au barreau de Bruxelles, associé Linklaters LLP, maître de conférences à l'Université de Liège.
[2] Avocat au barreau de Bruxelles, collaboratrice Linklaters LLP, collaboratrice scientifique au sein du CRIDES-Jean Renauld.
[3] Confirmation de Cass. 9 octobre 2000, Rev.prat.soc. 2000, p. 324 et de Cass. 24 octobre 2002, Rev.prat.soc. 2003, p. 209.
[4] Confirmation de Cass. 17 septembre 1968, Pas. 1969, I, p. 61.
[5] C. Bertsch, “La gestion de l'entreprise et la représentation des SA, SPRL et SCRL” in M. Coipel (dir.), Droit des sociétés commerciales, Diegem, Kluwer, 2006, n° 100, p. 619.
[6] M. Van der Haegen, “La responsabilité des administrateurs et la délégation de pouvoir au sein des sociétés anonymes” in X, Le droit des affaires en évolution: les responsabilités de l'entreprise, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 111.
[7] Cass. 17 septembre 1968, Pas. 1969, I, p. 61.
[8] B. Tilleman, L'administrateur de sociétés, Bruxelles, la Charte, 2005, p. 656.
[9] J. Van Ryn, Principes de droit commercial, T. I, Bruxelles, Bruylant, 1954, p. 549.
[10] B. Tilleman, L'administrateur de sociétés, Bruxelles, la Charte, 2005, p. 656.
[11] P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, “Examen de jurisprudence (1979 à 1990)”, RCJB 1992, n° 127, p. 781; J. Lehrer, “La notion de gestion journalière. Recherche d'une méthode”, Rev.prat.soc. 1957, p. 71; A. Benoît-Moury et P. Peltzer, “Représentation de la société anonyme depuis la première directive européenne”, Rev.prat.soc. 1977, p. 86; K. Geens et H. Laga, “Overzicht van rechtspraak. Vennootschappen”, TPR 1993, n° 132, p. 1050; J. Ronse, “Proceshandelingen van en tegen vennootschappen” in G. Van Dievoet (ed.), Actuele problemen van gerechtelijk privaatrecht 1976, p. 92.
[12] Ch. Resteau, Traité des sociétés anonymes, 3ème éd., T. III, Bruxelles, Swinnen, 1982, n° 1106, p. 294.
[13] D. Van Gerven et M. Wyckaert, “Kroniek. Vennootschapsrecht (1999-2000)”, TRV 2000, n° 57, p. 347. Voy. égal. dans ce sens Ph. Malherbe, “Réception de la société anonyme au conseil” in Liber Amicorum Jacques Malherbe, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 709.
[14] B. Tilleman, L'administrateur de sociétés, Bruxelles, la Charte, 2005, p. 531.
[15] O. Caprasse, “Le délégué à la gestion journalière et les délégations particulières de pouvoir” in L'organisation du pouvoir dans la société anonyme, séminaire organisé à Liège le 11 mars 2004, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 102; M. Van der Haegen, “La responsabilité des administrateurs et la délégation de pouvoir au sein des sociétés anonymes” in X, Le droit des affaires en évolution: les responsabilités de l'entreprise, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 111; B. Tilleman, L'administrateur de sociétés, Bruxelles, la Charte, 2005, pp. 556 et s.
[16] Ch. Resteau, Traité des sociétés anonymes, 3ème éd., T. III, Bruxelles, Swinnen, 1982, n° 1106, p. 294; P. Demeur, note sous Civ. Louvain 21 novembre 1952, Rev.prat.soc. 1953, p. 232; J. Lehrer, “La notion de gestion journalière. Recherche d'une méthode”, Rev.prat.soc. 1957, p. 71; A. Benoît-Moury et P. Peltzer, “Représentation de la société anonyme depuis la première directive européenne”, Rev.prat.soc. 1977, p. 86; F. Cleeren, “Het orgaan van dagelijks bestuur”, RW 1996-97, p. 210; P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 503.
[17] O. Caprasse, “Le délégué à la gestion journalière et les délégations particulières de pouvoir” in L'organisation du pouvoir dans la société anonyme, séminaire organisé à Liège le 11 mars 2004, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 101.
[18] Bruxelles 8 avril 1976, RGAR 1976, n° 9.662; Liège 26 septembre 2001, JDSC 2003, p. 200.
[19] Cass. 24 octobre 2002, Pas. 2002, I, p. 2056; Comm. Dinant 20 octobre 2000, JLMB 2002, p. 1378; Cass. 9 octobre 2000, Rev.prat.soc. 2000, p. 324; Bruxelles 5 décembre 2002, JDSC 2005, p. 143; Bruxelles 13 novembre 2003, JDSC 2005, p. 146.
[20] La section administration du Conseil d'Etat considère que le recours en suspension ou en annulation n'est pas un acte de gestion journalière: CE 7 mars 1986, Rev.prat.soc. 1986, p. 253, note A. Benoît-Moury; CE 27 juin 1986, n° 26.798, Arr.RvS 1986; CE 22 septembre 1987, n° 28.494, JDSC 1999, p. 106; CE 20 décembre 1996, n° 63.735, JDSC 1999, p. 192.
[21] Voy. à ce sujet, Ph. Malherbe, “Réception de la société anonyme au conseil” in Liber Amicorum Jacques Malherbe, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 709 et s.; O. Caprasse, “Le délégué à la gestion journalière et les délégations particulières de pouvoir” in L'organisation du pouvoir dans la société anonyme, séminaire organisé à Liège le 11 mars 2004, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 103 et s.; J. Van Compernolle, “L'action en justice des sociétés et groupements”, TPR 1980, p. 104.
[22] Cass. 21 février 2000, JDSC 2001, p. 149. Cet arrêt a par ailleurs confirmé que le conseil d'administration et le délégué à la gestion journalière disposent de pouvoirs concurrents en ce qui concerne cette gestion.
[23] P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, “Examen de jurisprudence (1979 à 1990)”, RCJB 1992, n° 127, p. 781.
[24] Voy. Disposition 1.5. du Code Daems.
[25] Voy. à ce sujet E. Pottier et T. L'Homme, “Le comité de direction et le management exécutif” in Séminaire Vanham & Vanham du 4 juin 2009 sur “Le nouveau Code de corporate governance”.
[26] Le CEO de Fortis est également visé à l'art. 15 des statuts.
[27] Cf. section 4.05 des “By-Laws of JP Morgan Chase & Co”, www.jpmorganchase.com/cm/BlobServer?blobtable=Document&blobcol=urlblob &blobkey=name&blobheader=application/pdf&blobnocache=true&blobwhere=jpmc/governance/bylaws2.pdf , consulté pour la dernière fois le 4 septembre 2009. Traduction libre: “Le Chief Executive Officer sera le chief executive officer de la société et assumera, sous le contrôle du conseil d'administration, la supervision générale et la direction des affaires de la société et de ses directeurs. En l'absence du président, il présidera les assemblées générales d'actionnaires et les réunions du conseil d'administration. Il aura le pouvoir de signer tout document et d'accomplir tout acte au nom de la société, en ce compris mais pas exclusivement, le pouvoir de signer des chèques, des commandes, des contrats, des notes, des projets et autres documents et instruments liés aux affaires de la société, et ensemble avec le secrétaire ou son assistant, d'accomplir des transferts de propriété et tout autre document ou instrument sur lequel le sceau de la société est apposé. Il accomplira tout autre devoir requis, de temps à autre, par le conseil d'administration”.
[28] C. Jassogne (dir.), Traité pratique de droit commercial, T. IV, Diegem, Kluwer, 1998, p. 321; P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 503; O. Caprasse, “Le délégué à la gestion journalière et les délégations particulières de pouvoir” in L'organisation du pouvoir dans la société anonyme, séminaire organisé à Liège le 11 mars 2004, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 102.
[29] P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 512.
[30] O. Caprasse, “Le délégué à la gestion journalière et les délégations particulières de pouvoir” in L'organisation du pouvoir dans la société anonyme, séminaire organisé à Liège le 11 mars 2004, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 113.
[31] Cf. M. Van der Haegen, “La responsabilité des administrateurs et la délégation de pouvoir au sein des sociétés anonymes” in X, Le droit des affaires en évolution: les responsabilités de l'entreprise, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 113.
[32] P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 512.
[33] Cf. E. Pottier et T. L'Homme, “La loi 'corporate governance' du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés”, RDC 2005, nos 69 et s., pp. 328 et s.