Cour d'appel de Bruxelles 14 juillet 2008
DROIT JUDICIAIRE
Droit judiciaire - Action en justice - Intérêt à agir - Intérêt actuel et légitime (oui) - Détournement de procédure (non) - Saisie description (art. 1369bis C. jud.) - Conditions - Mission de l'expert - Confidentialité - Cautionnement (non)
Il ne peut être exigé de celui qui demande une description qu'il prouve la contrefaçon, sa continuation effective et son étendue. La mesure de description doit au contraire lui servir à obtenir cette preuve, raison pour laquelle la loi prévoit qu'une simple menace de contrefaçon suffit pour justifier cette mesure.
Dans le cadre de la saisie-description, la mission de l'expert doit effectivement se limiter à fournir au tribunal les éléments factuels nécessaires pour conclure ou non à la contrefaçon et non de donner un avis sur la réalité de la contrefaçon alléguée.
Il appartient à l'expert lui-même et non à la partie saisie d'apprécier ce qui est pertinent pour l'accomplissement de sa mission en tenant compte, le cas échéant, de la nécessité de protéger les éléments confidentiels.
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GERECHTELIJK RECHT
Gerechtelijk recht - Rechtsvordering - Belang - Actueel en rechtmatig belang (ja) - Afwending van procedure (nee) - Beslag inzake namaak (art. 1369bis Ger. W.) - Voorwaarden - Opdracht van de deskundige - Vertrouwelijkheid - Borgsom (nee)
Degene die verzoekt om een beschrijving in het kader van een beslag inzake namaak kan niet verplicht worden het bewijs te leveren van de inbreuk, haar effectieve voortzetting en haar omvang. De beschrijvende maatregel moet hem net de mogelijkheid geven om dit bewijs te vergaren, reden waarom de wet voorziet dat een eenvoudige dreiging van inbreuk volstaat om deze maatregel te rechtvaardigen.
In het kader van het beslag inzake namaak, moet de opdracht van de deskundige zich effectief beperken tot het aanbrengen van de noodzakelijke feitelijke elementen voor de rechtbank om te oordelen over het al of niet bestaan van een inbreuk. Het behoort dan ook geenszins tot de taak van de deskundige om advies te geven over het bestaan van de beweerde inbreuk.
Het komt toe aan de deskundige en niet aan de beslagene om te bepalen wat relevant is voor het volbrengen van zijn opdracht, waar nodig rekening houdend met de noodzaak tot het beschermen van vertrouwelijke gegevens.
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InfoBase Europe / Coface Services Belgium SA
Siég.: H. Mackelbert (conseiller ff. président), M.-F. Carlier et Y. Demanche (conseillers) |
Pl.: Mes B. Michaux, B. Docquir et J.-L. Lodomez, J. Lodomez |
I. | La décision attaquée |
L'appel est dirigé contre l'ordonnance prononcée le 28 février 2008 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de cette ordonnance.
II. | La procédure devant la cour |
L'appel est formé par citation de InfoBase Europe, ci-après dénommée InfoBase, signifiée le 11 mars 2008.
L'appel incident est introduit, à titre subsidiaire, par conclusions, déposées par Coface Services Belgium, ci-après dénommée Coface, au greffe de la cour, le 28 mars 2008.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III. | Les faits et antécédents de la procédure |
1. En 1990, Help conclut avec ORT (le 11 septembre 1990) et avec le Group Van Hecke (le 22 mai 1990) des conventions similaires dénommées convention InfoBase ayant pour objet la mise à disposition du preneur par le prestataire de la base de données InfoBase.
La convention prévoit en son article IV intitulé Propriété-Usage-Diffusion, que:
Le preneur est propriétaire des records acquis même après renonciation à la convention.
Le prestataire est et reste propriétaire des programmes composant InfoBase et décrits ci-après.
Les éléments gérés par InfoBase sont à l'usage exclusif du preneur.
Toute reproduction, même partielle, diffusion ou mise à disposition de tiers sur tous supports des éléments InfoBase seront considérés comme une concurrence déloyale.
Seule la répercussion des consultations isolées réalisées directement par le preneur ou la mise à disposition en consultation de dossiers réalisés par le preneur au départ des données “InfoBase” sont considérées comme un usage normal par le prestataire.
Dans un courrier du 11 septembre 1990, ORT précise que les éléments d'InfoBase qui seront mis à [sa] disposition seront destinés à être incorporés dans une base de données dont la finalité, entre autres, sera de procéder à des analyses financières et de donner des avis en matière de crédits fournisseurs, ce qui est accepté par Help, le 15 septembre suivant.
Parallèlement, à la même époque, la société Euro DB et Help concluent une convention aux termes de laquelle la première fournit à la seconde des données relatives aux nouveaux immatriculés au registre de commerce.
2. Le 26 novembre 1992, invoquant une méconnaissance dudit article IV de la convention dans le chef de ORT, Help rompt le contrat du 11 septembre 1990.
Help assigne ORT devant le tribunal de commerce de Bruxelles en vue d'entendre prononcer la résolution de la convention aux torts de ORT et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts et d'entendre faire interdiction à ORT de faire encore quelque usage que ce soit des données InfoBase, sous peine d'une astreinte.
ORT introduit une demande reconventionnelle.
Par son jugement du 22 octobre 1996, le tribunal de commerce de Bruxelles désigne M. Golvers comme expert avec pour mission d'analyser la base de données InfoBase de (Help) et la base de données belge de (ORT), de décrire les différences existantes quant au contenu des deux bases de données, de décrire les produits finis commercialisés par chacune des parties, de comparer le contenu de celles-ci et de dire si le produit fini de (ORT) constitue un produit nouveau différent de celui de (Help), de dire si les données d'origine InfoBase se trouvant dans la base de données belge de (ORT) peuvent être encore isolées ou identifiées informatiquement.
Cette procédure est toujours pendante et ne semble pas être diligentée.
3. Suivront encore d'autres procédures.
InfoBase reproche à Euro DB/Coface d'exploiter illicitement sa base de données en l'état au 26 novembre 1992, en violation de la loi du 31 août 1998 sur la protection juridique des bases de données.
InfoBase soutient que Coface s'est appropriée sans autorisation l'ensemble des fichiers composant cette base de données, après avoir été rachetée par ORT qui en détenait, selon elle, une copie illicite.
Elle ajoute qu'il est apparu ultérieurement que la contrefaçon ne portait pas seulement sur un fichier unique “administrateurs”, mais bien sur la totalité des fichiers, notamment “sociétés”, “actes de sociétés”, “accidents de crédit”, etc., c'est-à-dire, à tout le moins, une partie substantielle de la base InfoBase.
Parmi ces procédures, il convient de mentionner:
- une première saisie-description: par une ordonnance du 26 avril 2000, le juge des saisies du tribunal de première instance de Nivelles autorise InfoBase, notamment, à faire procéder à la description des fichiers administrateurs de Euro DB et à la comparaison avec les fichiers administrateurs de InfoBase et désigne M. Golvers à cet effet; la tierce-opposition formée par Euro DB est déclarée non fondée par jugement du 21 mars 2001; par son arrêt du 8 juin 2001, la cour d'appel de Bruxelles confirme la mesure de description mais infirme l'interdiction de dessaisissement faite à Euro DB et le cautionnement ordonné et modifie la mission confiée à l'expert Golvers;
- une deuxième saisie-description: par une ordonnance du 23 septembre 2003, le juge des saisies du tribunal de première instance de Nivelles désigne M. Golvers avec pour mission notamment de décrire et comparer l'ensemble des fichiers qui composent la base de données de renseignements commerciaux, légaux et financiers exploitées par Euro DB avec ceux qui composent la base de données InfoBase; par une ordonnance du 8 juin 2005, il dit non fondée la tierce-opposition d'Euro DB;
- un jugement du 15 novembre 2006: par ce jugement, le tribunal de première instance de Nivelles condamne, notamment, Coface à réparer intégralement le préjudice subi par InfoBase du fait de l'extraction et de la réutilisation d'une partie substantielle de la base InfoBase, à savoir l'intégralité de cette base de données en l'état au 26 novembre 1992, sans le consentement d'InfoBase et de cesser immédiatement et définitivement, dans les quinze jours de la signification du présent jugement, toute atteinte au droit sui generis de la demanderesse sur sa base de données InfoBase; Coface a interjeté appel de cette décision; cette cause est pendante devant la cour d'appel de Bruxelles;
- un litige actuellement pendant devant le juge des saisies de Nivelles dans le cadre de l'exécution du jugement précité.
4. L'expert Golvers a établi différents rapports notamment un, en 2003 et un autre, le 20 janvier 2005.
5. Il est également à noter qu'un différend est survenu entre le Group Van Hecke, InfoBase et Help. Un arrêt a été rendu le 8 avril 2003 par la cour d'appel de Bruxelles déboutant InfoBase de son action en cessation.
6. InfoBase soutient que malgré sa condamnation à cesser de porter atteinte à ses droits, tout indique que Coface commet de nouveaux actes de contrefaçon, aggrave l'ampleur de la contrefaçon et modifie l'apparence des données contrefaisantes pour effacer les traces de la contrefaçon.
Le 5 novembre 2007, InfoBase dépose une requête unilatérale devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles afin d'obtenir l'autorisation de faire pratiquer une troisième saisie-description dans les locaux de Coface.
Par une ordonnance du 7 novembre 2007, il est fait droit à sa demande et M. Golvers est désigné à cet effet. Le président du tribunal de commerce de Bruxelles donne à l'expert pour mission, après s'être fait remettre une copie complète des fichiers composant la base de données actuelle de Coface et de la base de données de InfoBase en l'état au 26 novembre 1992, de:
- examiner la séquence d'encodage des dossiers “administrateur” dans le fichier de InfoBase et dans le fichier de Coface, dire si la séquence du fichier de Coface est identique ou similaire, sur le plan logique ou chronologique, à la séquence du fichier de InfoBase en l'état au 26 novembre 1992 et, dans l'affirmative, dire si cette identité ou cette similitude confirment l'extraction et la réutilisation de la totalité ou d'une partie substantielle du fichier InfoBase par Coface;
- examiner chacun des fichiers de la base de données de Coface à l'heure actuelle, dire si des données ou des enregistrements au sein de ces fichiers portent la trace de modifications y apportées depuis le rapport du 20 janvier 2005, indiquer la date de ces modifications, et dire si celles-ci s'expliquent par des raisons techniques objectivement justifiées;
- en ce qui concerne chacune des données ou des enregistrements qui auront ainsi été modifiés depuis le rapport du 20 janvier 2005, dire si elles ont une origine autre que les fichiers de la base InfoBase en l'état au 26 novembre 1992.
Le président autorise l'expert à se rendre autant de fois qu'il le jugera utile dans les locaux de la société Coface ou dans tout autre lieu qu'il jugera utile pour l'accomplissement de sa mission, et, notamment, en tous lieux où la base de données de Coface pourrait être trouvée.
Il ordonne à Coface de remettre à l'expert tout document, sous forme électronique ou non, que celui-ci jugera utile pour l'accomplissement de sa mission, sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par document non remis et par jour de retard au-delà de 48 heures après la demande de documents de l'expert.
Il dit que l'expert devra déposer son rapport motivé dans les deux mois de la signification de l'ordonnance et donne acte à InfoBase de ce qu'en application de l'article 46 § 4 du Code judiciaire, la notification par pli judiciaire sera remplacée par une signification par exploit d'huissier de justice.
Le 22 novembre 2007, InfoBase fait procéder à la signification de l'ordonnance litigieuse et à la saisie-description dans les locaux de Coface.
Par l'ordonnance entreprise prononcée le 28 février 2008, le président du tribunal de commerce de Bruxelles:
- dit la tierce-opposition formée par Coface recevable et fondée;
- rapporte l'ordonnance rendue le 7 novembre 2007;
- dit que les pièces remises à l'expert Golvers sur le fondement de l'ordonnance du 7 novembre 2007 devront être restituées directement par l'expert lui-même à première demande de Coface;
- condamne InfoBase au paiement à Coface d'une indemnité fixée ex æquo et bono à 2.500 EUR;
- condamne InfoBase aux dépens en ce compris l'indemnité de procédure fixée à 5.000 EUR.
7. En appel, InfoBase demande à la cour de:
- déclarer la tierce-opposition originaire de Coface recevable mais non fondée, et débouter Coface de l'ensemble de ses chefs de demande;
- ordonner à Coface, sur première demande de InfoBase, d'enjoindre à l'huissier Cuyvers de remettre à l'expert judiciaire Golvers l'intégralité des éléments qui ont été déposés par ce dernier à cet huissier à titre de séquestre;
- condamner Coface aux entiers dépens, y compris l'indemnité de procédure, fixée à 10.000 EUR par instance.
Coface poursuit, quant à elle, la confirmation de l'ordonnance entreprise.
À titre subsidiaire, elle forme un appel incident et demande:
sur la nomination de l'expert:
- à titre principal, dire que la désignation de Monsieur Luc Golvers en qualité d'expert ne peut être confirmée et qu'il y a lieu de procéder à son remplacement, en nommant un autre expert;
- à titre encore plus subsidiaire, que la mission soit confiée à un collège de deux experts;
sur le libellé de la mission confiée à l'expert ou aux experts:
- de restreindre le premier point de la mission confiée à l'expert ou au collège d'experts à:
* “examiner la séquence d'encodage des dossiers administrateurs dans le fichier de InfoBase et dans le fichier de Coface, les comparer et, en cas de similitudes objectives, déterminer le volume de ces données qui seraient fournies à la clientèle par rapport au volume du contenu total de la base InfoBase”;
* “examiner les fichiers administrateurs de la base de données de Coface à l'heure actuelle, dire si ces données ou des enregistrements au sein de ces fichiers portent la trace de modifications y apportées, indiquer la date de ces modifications et décrire celles-ci”;
- de restreindre le deuxième point de la mission confiée à l'expert ou au collège d'experts à:
* “examiner les fichiers administrateurs de la base de données de Coface à l'heure actuelle, dire si ces données ou des enregistrements au sein de ces fichiers portent la trace de modifications y apportées, indiquer la date de ces modifications et décrire celles-ci”;
- en tant que de besoin, qu'il ne pourra en aucun cas être fait usage ni état au cours des travaux d'expertise de la procédure de saisie-description décidée par l'ordonnance du 26 avril 2000 en cause des mêmes parties et devenue caduque, ni d'établir un quelconque lien avec les constats et travaux menés au cours de cette précédente saisie-description;
sur les pièces et documents confidentiels qui seront remis par Coface à l'expert:
- d'enjoindre à l'expert ou au collège d'experts qui sera désigné de ne pas produire dans ses courriers, rapports préliminaires, intermédiaires et dans son rapport final tous les éléments susceptibles de porter atteinte au secret d'affaires de Coface, que celle-ci identifiera comme tel en principe lors de leur communication à l'expert et au plus tard avant le dépôt du rapport de l'expert;
d'obliger InfoBase Europe à consigner un montant fixé, sous réserve expresse d'augmentation ou de diminution en cours d'instance et sans reconnaissance préjudiciable, à 25.000 EUR ou une garantie équivalente adéquate destinée à assurer l'indemnisation éventuelle de tout préjudice subi par Coface Services Belgium par le fait de la saisie-description ordonnée;
de condamner InfoBase Europe aux entiers dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure liquidée à 2.500 EUR.
IV. | Discussion |
1. | Sur le principe de la saisie-description sollicitée |
8. L'article 1369bis/1 § 3 du Code judiciaire dispose que:
“Le président, statuant sur une requête visant à obtenir des mesures de description, examine:
- si le droit de propriété intellectuelle dont la protection est invoquée est, selon toutes apparences, valable;
- s'il existe des indices selon lesquels il a été porté atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause ou qu'il existe une menace d'une telle atteinte.”
9. En l'espèce, ces deux conditions sont réunies.
Au regard du jugement du tribunal de première instance de Nivelles du 15 novembre 2006 et de l'arrêt de la cour du 8 juin 2001, et ce, nonobstant l'arrêt de la cour du 8 avril 2003 dans le dossier Group Van Hecke, les droits de InfoBase sur la base de données InfoBase, fussent-ils contestés, sont suffisamment vraisemblables.
De même, Coface ne conteste pas qu'elle utilise des données provenant d'InfoBase. Elle nie par contre la contrefaçon étant, selon la thèse qu'elle défend, légitime propriétaire de ces données qui lui ont été cédées par ORT qui les a elle-même acquises de Help par la convention du 11 septembre 1990.
Il est constant que Coface continue à exploiter sa base de données. Elle précise par ailleurs avoir mandaté ses informaticiens à l'effet de procéder à la modification de sa base de données afin de se conformer - sans aucune reconnaissance préjudiciable - au jugement du tribunal de première instance de Nivelles.
Au regard de cette dernière précision, il ne peut être exclu, comme le soutient InfoBase, que Coface tente en réalité à faire disparaître les indices d'une contrefaçon et non à expurger des données contrefaisantes et commet concomitamment de nouveaux actes de contrefaçons.
S'agissant en outre d'une base de données en ligne (“online”), chaque acte d'utilisation des données d'origine InfoBase est susceptible de constituer un nouvel acte de contrefaçon.
Il importe dès lors de vérifier quelle est la situation en 2008.
Il ne peut être exigé de celui qui demande une description qu'il prouve la contrefaçon, sa continuation effective et son étendue. La mesure de description doit au contraire lui servir à obtenir cette preuve, raison pour laquelle la loi prévoit qu'une simple menace de contrefaçon suffit pour justifier cette mesure.
Il existe dès lors des indices suffisants d'une atteinte actuelle aux droits de propriété intellectuelle de InfoBase.
10. Vainement Coface objecte-t-elle que par le biais de cette troisième demande de saisie-description, InfoBase tente en réalité à obtenir la preuve de l'absence d'exécution du jugement du 15 novembre 2006 par Coface; elle en déduit que, ne s'agissant plus d'obtenir la preuve de la contrefaçon elle-même, InfoBase ne dispose d'aucun intérêt actuel à postuler cette mesure et que seul le juge de l'exécution est compétent pour connaître de l'objet réel de la demande.
La partie au procès qui prétend être titulaire d'un droit subjectif a, ce droit fût-il contesté, l'intérêt et la qualité requises pour introduire une demande en justice; l'examen de l'existence ou de la portée du droit subjectif invoqué relève non pas de la recevabilité mais du bien-fondé de la demande (Cass. 26 février 2004, C.010402.N).
InfoBase ne dispose pas de la description des données, qu'elle qualifie de contrefaites, sous leur présentation actuelle. Or, il ne peut être exclu que Coface se fonde sur la nouvelle apparence de sa base de données qu'elle affirme avoir modifiée pour conclure à l'absence de contrefaçon.
Cette mesure est également de nature à permettre à InfoBase d'établir devant le juge du fond l'ampleur de la contrefaçon alléguée et du préjudice y lié.
Dès lors que Coface conteste la contrefaçon vantée, l'intérêt de InfoBase est toujours actuel.
11. Son intérêt est également légitime, l'objet réel de la demande visant bien à obtenir la désignation d'un expert descripteur à l'effet de se réserver la preuve de la contrefaçon et/ou de sa continuation.
Les accusations de Coface d'espionnage industriel ne reposent, quant à elles, sur aucune preuve.
Ni la taille de InfoBase ni le nombre de saisies-descriptions - du reste autorisées par les juridictions saisies à cet effet - ne permettent de présumer l'existence dans le chef de InfoBase d'une telle politique.
Deux observations s'imposent, en outre, à cet égard.
Il convient, d'une part, de ne pas perdre de vue qu'à l'origine, c'est InfoBase qui se plaint d'être la victime d'une contrefaçon de sa base de données dans le cadre de la rupture de la convention du 11 septembre 1990.
D'autre part, la question du secret des affaires a été envisagée par le législateur à l'article 1369bis/6 du Code judiciaire et sera examinée ci-après.
12. Par identité de motif, c'est en vain que Coface soutient que le président du tribunal de commerce n'était et n'est pas compétent pour statuer sur l'objet réel de cette demande.
13. De même, le fait que la mesure sollicitée pourrait, le cas échéant, permettre à InfoBase de démontrer devant le juge des saisies l'inexécution du jugement du 15 novembre 2006 par Coface n'est pas de nature à la priver de son intérêt à agir et du bénéfice de la mesure de description demandée.
14. L'intentement préalable de la procédure au fond, par ailleurs actuellement au stade de l'appel, ne peut pas davantage, comme tel, faire obstacle à la mesure sollicitée, la loi ne l'interdisant pas.
15. C'est également vainement que Coface reproche à InfoBase de recourir abusivement à la procédure de saisie-description (laquelle implique la saisine du tribunal par la voie de requête unilatérale sans devoir satisfaire aux conditions imposées par le droit commun et du respect du principe du contradictoire) et de porter atteinte à la loyauté qui s'impose aux parties dans le déroulement de l'instruction du procès civil.
Le seul fait que InfoBase dispose d'alternatives à la saisie-description ne fait pas en soi obstacle à cette mesure prévue par le Code judiciaire ni ne la rend déloyale ou prive InfoBase de son intérêt à agir.
Au regard des éléments de la cause, il ne peut être conclu à un abus de droit ou un détournement de procédure.
2. | Sur le remplacement de l'expert Golvers ou la nomination d'un collège d'experts |
16. En raison de ses désignations successives, de la façon dont il s'est acquitté de sa mission jusqu'à présent et de l'attitude, selon elle, partiale qu'il a adoptée dans le cadre de la présente mission, suite à l'ordonnance de rapport de la mesure de saisie-description du 28 février dernier, Coface exprime un doute sur l'aptitude de l'expert à exercer sereinement ses fonctions et sur sa neutralité et son objectivité.
Il convient d'observer que ces motifs relèvent davantage d'une cause de suspicion légitime, telle que visée aux articles 828, 1° et 966 du Code judiciaire, que d'une cause de remplacement d'un expert telle que mentionnée à l'article 979 nouveau du même Code.
Coface ne postule toutefois pas la récusation de M. Golvers mais son remplacement.
Des pièces auxquelles la cour peut avoir égard, il n'apparaît aucun fait concret et objectif permettant de conclure que M. Golvers ne remplirait pas correctement sa mission et qui justifierait son remplacement. Il n'y a dès lors pas lieu à le remplacer.
17. Si Coface estime que les rapports de l'expert sont, en tant que tels, critiquables, il lui appartiendra de développer ses griefs devant le juge du fond, en sorte que ses droits de la défense ne sont pas atteints.
18. De même, il n'y a pas lieu de procéder à la désignation d'un second expert.
Nonobstant et compte tenu de la complexité et de la technicité de la mesure sollicitée, une telle désignation ne ferait que retarder l'exécution de la mission, accroître les frais et porter à la connaissance d'un nouvel intervenant lesdits secrets d'affaires de Coface.
3. | Sur la mission de l'expert |
19. Coface demande également de modifier la mission confiée à l'expert afin de la circonscrire à une unique mission de description des seuls dossiers administrateurs.
Il n'y a toutefois aucun motif de limiter la mission de l'expert aux seuls fichiers administrateurs. La simple menace de contrefaçon de l'ensemble des fichiers suffit à justifier une description de cet ensemble.
20. Coface relève, par contre, à bon droit que dans l'ordonnance querellée du 7 novembre 2007, l'expert s'est vu confier la mission de donner son avis:
- au point 1: dire si la séquence du fichier de Coface est identique ou similaire, sur le plan logique ou chronologique, à la séquence du fichier de InfoBase en l'état au 26 novembre 1992 et, dans l'affirmative, dire si cette identité ou cette similitude confirmant l'extraction et la réutilisation de la totalité ou d'une partie substantielle du fichier de InfoBase par Coface;
- au point 2: dire si [les modifications] s'expliquent par des raisons techniques objectivement justifiées.
Dans le cadre de la saisie-description, la mission de l'expert doit effectivement se limiter à fournir au tribunal les éléments factuels nécessaires pour conclure ou non à la contrefaçon et non de donner un avis sur la réalité de la contrefaçon alléguée.
Il convient dès lors de modifier la mission confiée à M. Golvers et de l'inviter à:
quant au point 1:
- examiner la séquence d'encodage des dossiers administrateurs dans le fichier de InfoBase et dans le fichier de Coface;
- les comparer et décrire les éventuelles identités ou similitudes, notamment sur le plan logique ou chronologique, entre la séquence du fichier Coface et celle du fichier InfoBase en l'état au 26 novembre 1992;
- décrire le volume de ces données qui seraient fournies à la clientèle par rapport au volume du contenu total de la base InfoBase.
• quant au point 2:
- examiner chacun des fichiers de la base de données de Coface à l'heure actuelle, dire si des données ou des enregistrements au sein de ces fichiers portent la trace de modifications y apportées depuis le rapport du 20 janvier 2005, indiquer la date de ces modifications, décrire ces modifications et leurs causes ou justifications.
21. Coface demande également à la cour de dire qu'il ne pourra en aucun cas être fait usage ni état au cours des travaux d'expertise de la procédure de saisie-description décidée par l'ordonnance du 26 avril 2000, en cause des mêmes parties, et devenue caduque, ni d'établir un quelconque lien avec les constats et travaux menés au cours de cette précédente saisie-description.
InfoBase ne s'y oppose pas.
4. | Sur la confidentialité |
22. Sans s'opposer (...) à la communication à l'expert d'éléments relevant de son secret d'affaires, Coface postule (...) une certaine protection afin d'éviter que les informations communiquées ne tombent (...) entre les mains de la concurrence. Elle demande dès lors d'enjoindre à l'expert (...) de ne pas produire dans ses courriers, rapports préliminaires, intermédiaires et dans son rapport final tous les éléments susceptibles de porter atteinte au secret d'affaires de Coface, que celle-ci identifiera comme tel en principe lors de leur communication à l'expert et au plus tard avant le dépôt du rapport de l'expert.
23. Aux termes de l'article 1369bis/6 du Code judiciaire, sans porter préjudice au droit du requérant à la description, l'expert veille, tout au long des opérations de description et dans la rédaction de son rapport, à la sauvegarde des intérêts légitimes du prétendu contrefacteur et du détenteur des objets décrits, en particulier quant à la protection des renseignements confidentiels.
Il appartient dès lors à l'expert lui-même, et non à Coface, d'apprécier ce qui est pertinent pour l'accomplissement de sa mission en tenant compte, le cas échéant, de la nécessité de protéger les éléments confidentiels.
La prise en compte de[s intérêts légitimes du prétendu contrefacteur] ne porte toutefois pas préjudice au droit du requérant à la description de tout ce qui est pertinent pour établir la contrefaçon (Doc. parl. Ch., 51-2943/001 et 2944/001, p. 67).
Du reste, l'article 1369bis/7 § 2 du même code précise que ce rapport ainsi que toutes pièces, échantillons ou éléments d'informations collectés à l'occasion des opérations de description sont confidentiels et ne peuvent être divulgués ou utilisés par le requérant ou son ayant droit que dans le cadre d'une procédure, belge ou étrangère, au fond ou en référé, sans préjudice de l'application des dispositions des traités internationaux applicables en Belgique.
5. | Sur la caution |
24. Coface revendique enfin la constitution d'une caution de 25.000 EUR pour la garantir de l'indemnisation éventuelle de tout préjudice du fait des conséquences de la mesure autorisée.
25. La circonstance que InfoBase est établie au Luxembourg, ne justifie pas l'octroi d'une telle caution.
Il ressort par ailleurs du jugement du 15 novembre 2006, faisant certes l'objet d'un appel, que la thèse défendue par InfoBase n'est pas dépourvue de toute crédibilité.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Coface.
6. | Sur l'indemnité de procédure |
26. InfoBase sollicite le montant maximal de l'indemnité de procédure pour les deux instances.
Coface réclame, quant à elle, 2.500 EUR par instance.
27. Si la présente cause s'inscrit, certes, dans le cadre plus large des nombreuses procédures opposant les parties, elle ne revêt toutefois pas une complexité telle qu'elle justifierait le montant maximal.
Il y a lieu de retenir le montant de 2.500 EUR par instance, admis par Coface elle-même, et de mettre les dépens à charge de Coface.
V. | Dispositif |
Pour ces motifs, la cour,
Reçoit l'appel et le déclare fondé dans la mesure suivante;
Réforme l'ordonnance prononcée le 28 février 2008 sauf en tant qu'elle a reçu la tierce-opposition;
Statuant à nouveau pour le surplus;
Dit la tierce-opposition très partiellement fondée;
Confirme l'ordonnance rendue le 7 novembre 2007, sous la seule émendation qu'il y a lieu de modifier la mission confiée à l'expert Golvers comme suit:
Avec mission, après s'être fait remettre une copie complète des fichiers composant la base de données actuelle de Coface et de la base de données de InfoBase en l'état au 26 novembre 1992, de:
1. examiner la séquence d'encodage des dossiers administrateurs dans le fichier de InfoBase et dans le fichier de Coface; les comparer et décrire les éventuelles identités ou similitudes, notamment sur le plan logique ou chronologique, entre la séquence du fichier Coface et celle du fichier InfoBase en l'état au 26 novembre 1992;
- décrire le volume de ces données qui seraient fournies à la clientèle par rapport au volume du contenu total de la base InfoBase;
2. examiner chacun des fichiers de la base de données de Coface à l'heure actuelle, dire si des données ou des enregistrements au sein de ces fichiers portent la trace de modifications y apportées depuis le rapport du 20 janvier 2005, indiquer la date de ces modifications, décrire ces modifications et leurs causes ou justifications;
3. en ce qui concerne chacune des données ou des renseignements qui ont ainsi été modifiés depuis le rapport du 20 janvier 2005, décrire si elles ont une origine autre que les fichiers de la base de données InfoBase au 26 novembre 1992;
Dit en tant que de besoin, qu'il ne pourra en aucun cas être fait usage ni état au cours des travaux d'expertise de la procédure de saisie-description décidée par l'ordonnance du 26 avril 2000 en cause des mêmes parties et devenue caduque, ni d'établir un quelconque lien avec les constats et travaux menés au cours de cette précédente saisie-description;
Met les dépens de première instance et d'appel à charge de Coface;
Condamne Coface à payer à InfoBase 2.500 EUR (indemnité de procédure de première instance) + 139 EUR + 517,46 EUR + 2.500 EUR (mise au rôle et acte d'appel + indemnité de procédure d'appel).
Renvoie la cause au premier juge pour lui permettre d'exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus par l'article 1369bis/8 du Code judiciaire;
(…)