DROIT EUROPÉEN
Droit européen - Traité CE - Politique de la Communauté - Libre circulation des marchandises - Articles 28 à 30 du Traité CE - Directive 97/7/CE - Article 80 § 3 LPCC - Mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'exportation - Protection des consommateurs en matière de contrats à distance - Délai de rétractation - Interdiction d'exiger du consommateur un acompte ou un paiement avant la fin du délai de rétractation
Même si une interdiction d'exiger un paiement anticipé, comme celle en cause au principal, est applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national, elle affecte toutefois en fait davantage la sortie des produits du marché de l'État membre d'exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre.
Une mesure nationale contraire à l'article 29 du Traité CE peut être justifiée par l'une des raisons énoncées à l'article 30 du Traité CE, ainsi que par des exigences impératives tenant à l'intérêt général, pourvu que ladite mesure soit proportionnée au but légitime poursuivi.
L'article 29 du Traité CE ne s'oppose pas à une réglementation nationale interdisant au fournisseur, dans le cadre d'une vente à distance transfrontière, d'exiger un acompte ou un paiement quelconque de la part du consommateur avant l'expiration du délai de rétractation, mais il s'oppose à ce que, en application de cette réglementation, il soit interdit, avant l'expiration dudit délai, de demander le numéro de la carte de paiement du consommateur.
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EUROPEES RECHT
Europees recht - EG-Verdrag - Beleid van de Gemeenschap - Vrij verkeer van goederen - Artikelen 28 tot en met 30 EG-Verdrag - Richtlijn 97/7/EG - Artikel 80 § 3 WHPC - Maatregelen van gelijke werking als een kwantitatieve uitvoerbeperking - Bescherming van consument bij op afstand gesloten overeenkomsten - Herroepingstermijn - Verbod om vóór einde van herroepingstermijn voorschot of betaling te eisen van consument
Ook al is een verbod om betaling vooraf te verlangen als aan de orde in het hoofdgeding, van toepassing op alle op het nationale grondgebied handelende marktdeelnemers, is dit niettemin nadeliger voor de uitvoer van producten van de markt van de uitvoerende lidstaat dan voor de handel in producten op de nationale markt van die lidstaat.
Een maatregel die in strijd is met artikel 29 EG-Verdrag kan worden gerechtvaardigd door één van de in artikel 30 EG-Verdrag genoemde redenen, en door dwingende eisen in verband met het algemeen belang, mits die maatregel evenredig is aan het nagestreefde legitieme doel.
Artikel 29 EG-Verdrag verzet zich niet tegen een nationale regeling die een leverancier in het kader van een grensoverschrijdende verkoop op afstand verbiedt om vóór het verstrijken van de herroepingstermijn een voorschot of een betaling te vragen van de consument, maar verzet zich wel ertegen dat krachtens deze regeling wordt verboden om vóór het verstrijken van die termijn het nummer van de betaalkaart van de consument te vragen.
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Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes (C.J.C.E.) s'est prononcée [2], sur question préjudicielle de la cour d'appel de Gand, sur la compatibilité de l'article 80 de la loi sur les pratiques de commerce (LPCC) [3] avec le droit communautaire pertinent (les art. 28 à 30 du Traité instituant la Communauté européenne et la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance [4]). Dans le cadre de cet arrêt, la Cour développe une interprétation inédite de l'article 29 du Traité CE qui lui permet de constater la non-conformité partielle de l'article 80 LPCC, tel qu'interprété par les cours et tribunaux belges, avec le droit communautaire.
L'article 80 de la loi belge prévoit un délai de rétractation de l'acheteur dans le cadre d'un contrat conclu à distance. Plus précisément, le § 3 de cet article dispose qu'aucun acompte ou paiement quelconque ne peut être exigé du consommateur avant la fin du délai de renonciation de sept jours. C'est à propos de cet article que la société belge Santurel et son gérant, M. Gysbrechts, sont entrés en conflit avec l'inspection économique belge. Celle-ci reproche à Santurel le non-respect de l'article 80 de la LPCC. Principalement active sur Internet, la société Santurel demande à ses clients la fourniture d'un numéro de carte de crédit, et ce dès la passation de commande. En première instance, la société et son gérant sont condamnés chacun à une amende de 1.250 EUR. Selon le tribunal, lors de la conclusion d'un contrat à distance, le fournisseur ne peut pas exiger du consommateur, en vertu de l'article 80 § 3 LPCC, le numéro de sa carte de crédit, bien qu'il s'engage à ne pas l'utiliser avant l'expiration du délai en question pour encaisser le paiement.
En appel, Santurel soulève devant la cour d'appel de Gand que cette interprétation de l'article 80 § 3 LPCC comporte un risque pour les sociétés établies en Belgique qui vendent à des acheteurs étrangers. En effet, dans un tel cas, le risque de demeurer impayé, d'autant plus que les sommes en cause sont faibles, est plus grand qu'en cas de vente domestique. De facto, l'article 80, s'il est interprété comme interdisant, en cas de vente transfrontalière, d'exiger un numéro de carte de paiement, décourage donc les vendeurs belges à accepter de vendre à distance des produits aux acheteurs établis dans un autre pays européen. La cour d'appel de Gand interroge donc la Cour de justice sur la compatibilité de l'article 80 LPCC avec l'interdiction des mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative, tant à l'importation (art. 28 CE), qu'à l'exportation (art. 29 CE) et la directive 97/7.
La Cour constate tout d'abord que la directive 97/7 n'a pas opéré une harmonisation exhaustive des questions relatives au contrat à distance [5]. En effet, selon une jurisprudence constante, toute mesure nationale qui concerne un domaine qui a fait l'objet d'une harmonisation exhaustive au niveau communautaire doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d'harmonisation, et non pas de celles du droit primaire, c'est-à-dire des règles du traité [6]. Or, l'article 14 de ladite directive autorise les États membres à maintenir des exigences plus strictes que celles prévues par la directive qui n'opère donc, à cet égard, qu'une harmonisation minimale. Cela ne signifie bien entendu pas que les États membres soient totalement libres dans le degré de protection du consommateur. En effet, les législations nationales doivent demeurer conformes aux règles générales relatives, in casu, à la libre circulation des marchandises. La Cour va donc se tourner vers les articles 28 et 29 du Traité CE afin d'évaluer la conformité de l'article 80 LPCC par rapport au droit communautaire.
La véritable nouveauté de cet arrêt tient dans l'interprétation inédite de l'article 29 CE, relatif aux mesures d'effet équivalent aux exportations, proposée par la Cour de justice. Elle considère en effet, à juste titre, que l'article 28 CE, relatif aux mesures d'effet équivalent aux importations n'est pas pertinent en l'espèce [7] et focalise son analyse sur la compatibilité de l'article 80 LPCC avec l'article 29 du Traité CE. Or, si l'article 28 du Traité CE a fait l'objet d'un grand nombre de développements jurisprudentiels dont certains demeurent d'ailleurs parmi les arrêts les plus célèbres de la Cour [8], tel n'est pas le cas de l'article 29 du Traité CE [9].
Jusqu'à présent la Cour de justice avait en effet maintenu, pour des raisons diverses [10], une distinction entre le champ d'application de ces deux articles. Si l'article 28 du Traité CE s'applique tant aux mesures discriminatoires qu'aux mesures indistinctement applicables, l'article 29 du Traité CE ne s'applique quant à lui qu'aux mesures discriminatoires. À suivre donc cette ligne de jurisprudence, constante depuis 1979, et développée par l'avocat général dans ses conclusions sous l'affaire en cause [11], la mesure belge ne pouvait donc subir la censure du juge communautaire: applicable indistinctement tant aux produits nationaux qu'aux produits exportés, elle n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 29 du Traité CE.
Ce n'est toutefois pas la voie que la Cour de justice choisit de suivre. Elle semble au contraire opérer ici, encore qu'à mots couverts [12], un revirement total de sa jurisprudence. À mots couverts, en effet, puisque, dans un premier temps, et très classiquement, elle rappelle la définition des mesures d'effet équivalent au sens de l'article 29 du Traité CE telle que tirée de son arrêt Groenveld, arrêt de référence en cette matière [13]. Toutefois, c'est l'interprétation proposée de cette définition qui est inédite et qui conduit la Cour à considérer que la mesure nationale belge constitue bien une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative. Elle relève que “même si une interdiction, comme celle en cause au principal, est applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national, elle affecte toutefois en fait davantage la sortie des produits du marché de l'État membre d'exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre”.
Ce changement d'interprétation de la Cour est confirmé lors de l'analyse par celle-ci des causes de justification de la disposition en cause. En effet, dans le cadre de l'article 28 du Traité CE, si les mesures discriminatoires ne peuvent être justifiées que par les causes de justification explicitement prévues par le traité en son article 30, les mesures indistinctement applicables peuvent en sus être justifiées par une des “exigences impératives” reconnue par la Cour [14]. Dans le cadre de l'article 29 du Traité CE, cette extension des causes de justification n'avait bien entendu pas eu lieu puisque cet article, comme nous le notions ci-dessus, ne s'appliquait qu'aux mesures discriminatoires. Or, dans l'arrêt en cause, la Cour note, comme s'il s'agissait d'une évidence, qu'une “mesure nationale contraire à l'article 29 du Traité CE peut être justifiée par l'une des raisons énoncées à l'article 30 du Traité CE, ainsi que par des exigences impératives tenant à l'intérêt général, pourvu que ladite mesure soit proportionnée au but légitime poursuivi” [15].
En l'occurrence, la protection des consommateurs, une raison impérieuse d'intérêt général bien établie dans la jurisprudence communautaire [16], est invoquée par le gouvernement belge pour justifier cette mesure. Tout d'abord, la Cour constate en effet que l'article 80 LPCC permet bien d'atteindre un objectif de protection du consommateur [17]. Encore faut-il que celui-ci soit proportionné à l'objectif poursuivi. Il faut pour ce faire remplir deux conditions. Première branche du test de proportionnalité, il faut que les moyens mis en oeuvre soient propres à garantir la réalisation des objectifs poursuivis. À cet égard, la Cour constate que “l'interdiction d'exiger un acompte ou un paiement quelconque avant l'expiration du délai de rétractation, ainsi que l'interdiction de demander aux acheteurs d'indiquer le numéro de leur carte de paiement, est propre à assurer une protection élevée des consommateurs dans le cadre des ventes à distance, notamment en ce qui concerne l'exercice de leur droit de rétractation” [18].
Encore faut-il, deuxième branche du test de proportionnalité, que ces interdictions n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire afin d'atteindre l'objectif légitime postulé. Or, si cette seconde condition est bien remplie concernant l'interdiction générale d'exiger un acompte ou un paiement durant le délai de rétractation, tel n'est pas le cas, selon la Cour, d'une interdiction d'exiger un numéro de carte de paiement en cas de vente transfrontalière. En effet, selon la Cour, si le fournisseur, avant l'expiration du délai de rétractation, utilise le numéro ainsi fourni pour obtenir un paiement, il viole l'article 80 en soi (puisqu'il a obtenu un paiement durant le délai de rétractation) [19]. Dès lors, cette interdiction va au-delà de ce qui est nécessaire afin de garantir le consommateur contre le risque d'encaissement durant la période de rétractation.
En conclusion, si l'article 29 du Traité CE ne s'oppose pas à une réglementation nationale interdisant au fournisseur, dans le cadre d'une vente à distance transfrontière, d'exiger un acompte ou un paiement quelconque de la part du consommateur avant l'expiration du délai de rétractation, il s'oppose à ce que, en application de cette réglementation, il soit interdit, avant l'expiration dudit délai, de demander le numéro de la carte de paiement du consommateur.
[1] | Assistant à la Faculté de Droit de l'Université de Liège (www.ieje.net ). |
[2] | C.J.C.E. 16 décembre 2008, C-205/07, Gysbrechts et Santurel, non encore publié au Recueil. |
[3] | Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (M.B. 29 août 1991, p. 18712) modifiée à de nombreuses reprises et dernièrement par la loi du 5 juin 2007 modifiant la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (M.B. 21 juin 2007, p. 34272). |
[4] | Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance - Déclaration du Conseil et du Parlement européen sur l'art. 6, par. 1 - Déclaration de la Commission sur l'art. 3, par. 1, premier tiret, JO L. 144, 4 juin 1997, pp. 19-27. |
[5] | Toutefois, une importante proposition de directive relative au droit des consommateurs actuellement en discussion pourrait modifier cette approche (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs, Com.(2008) 614 final). Cette proposition de directive constitue une refonte de plusieurs directives préexistantes, dont la directive 97/7, et propose, contrairement à cette dernière, une harmonisation complète des matières qu'elle vise (art. 4). Concrètement, une telle harmonisation interdirait aux États membres de maintenir ou d'adopter des dispositions s'écartant de celles prévues par la future directive. Si celle-ci - sous réserve de son adoption et à considérer qu'elle harmonise complètement l'ensemble des questions touchant à la vente à distance - venait à entrer en vigueur, la question qui se pose immédiatement est celle de la compatibilité de l'art. 80 LPCC avec le texte de la future directive. |
[6] | Point 33 de l'arrêt Gysbrechts. |
[7] | Arrêt, point 37. |
[8] | Que l'on songe seulement aux arrêts “Cassis de Dijon” (C.J.C.E. 20 février 1979, n° 120/78, Rewe-Zentral AG/Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, Rec., p.649) ou “Keck et Mithouard” (C.J.C.E. 24 novembre 1993, C-267/91 et C-268/91, Keck et Mithouard, Rec., I, p. 6097). |
[9] | Tout au plus peut-on comptabiliser une quarantaine d'arrêt sur cet article dont l'arrêt Groenveld (C.J.C.E. 8 novembre 1979, n° 15/79, Groenveld, Rec., p. 2347). |
[10] | Voy., sur ce point, P. Oliver, Free movement of goods in the European Community, London, Sweet and Maxwell, 3rd ed., 1996, § 6.93. |
[11] | Concl. avocat général Vérica Trstenjak sous Gysbrechts et Santurel, précité, points 34 et s. L'avocat général propose dans ses conclusions à la Cour de modifier sa jurisprudence et développe longuement ce point. La Cour de justice, quant à elle, est nettement moins diserte sur la raison de ce revirement. |
[12] | Ce n'est pas une surprise puisque les cas de revirements explicites de jurisprudence de la part de la Cour de justice sont extrêmement rares. Un exemple peut être trouvé dans l'arrêt Keck et Mithouard, précité, où, au début du point 16, la Cour indique que “en revanche, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qui a été jugé jusqu'ici…”. Autre exemple, l'arrêt Hag II où la Cour estime “nécessaire de reconsidérer l'interprétation retenue” dans l'arrêt Hag I (C.J.C.E. 17 octobre 1990, C-10/89, SA CNL-SUCAL NV/HAG GF AG, Rec., I, p. 3711, point 10). |
[13] | Point 40 de l'arrêt: “À cet égard, ont été qualifiées de mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'exportation les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un État membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé, au détriment de la production ou du commerce d'autres États membres.” |
[14] | Cette possibilité a été ouverte par la Cour dans son arrêt Cassis de Dijon, précité. Celui-ci propose une liste non exhaustive de telles justifications comme, par exemple, la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs (point 8). |
[15] | Point 45 de l'arrêt. |
[16] | Notamment, arrêt Cassis de Dijon, précité et C.J.C.E. 23 février 2006, C 441/04, A-Punkt Schmuckhandel, Rec., I, p. 2093, point 27. |
[17] | Point 49 de l'arrêt: “La disposition en cause au principal entend renforcer ainsi la liberté du consommateur de mettre fin aux relations contractuelles, sans avoir à se soucier du remboursement des sommes qu'il a avancées.” |
[18] | Point 52 de l'arrêt. |
[19] | Point 62 de l'arrêt. |