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L''arrêt INTEL: Dilution de la marque ou dilution de sa protection?, R.D.C.-T.B.H., 2009/4, p. 377-382

DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Marque - Étendue de la protection - Marque renommée
L'existence d'un lien entre une marque antérieure renommée et la marque postérieure, d'une part, et l'existence des atteintes visées à l'article 4, alinéa 4, sous a) de la directive d'harmonisation du droit des marques ou le risque sérieux qu'une telle atteinte se produise dans le futur, d'autre part, doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, notamment
- le degré de similitude entre les marques en conflit;
- la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné;
- l'intensité de la renommée de la marque antérieure;
- le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure;
- l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public.
L'article 4, alinéa 4, sous a) de la directive d'harmonisation du droit des marques doit être interprété en ce sens que:
- l'usage de la marque postérieure est susceptible de porter préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure renommée même si cette dernière n'est pas unique;
- un premier usage de la marque postérieure peut suffire à porter préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure;
- la preuve que l'usage de la marque postérieure porte ou porterait préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure suppose que soient démontrés une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l'usage de la marque postérieure ou un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur.
INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Merk - Beschermingsomvang - Bekend merk
De beoordeling van het bestaan van een verband tussen een bekend ouder merk en een jonger merk enerzijds en het bestaan van de in de artikel 4, lid 4, sub a) van de Merkenrichtlijn bedoelde inbreuken of een grote kans dat een dergelijke inbreuk zich in de toekomst voordoet anderzijds, moet globaal worden beoordeeld met inachtneming van alle relevante omstandigheden van het concrete geval, meer bepaald
- de mate van overeenstemming van de conflicterende merken;
- de aard van de waren of diensten waarvoor de conflicterende merken zijn ingeschreven, daaronder begrepen de mate waarin deze waren of diensten gerelateerd zijn dan wel onderling verschillen, alsmede het relevante publiek;
- de mate van bekendheid van het oudere merk;
- het bestaan van verwarringsgevaar bij het publiek.
Artikel 4, lid 4, sub a) van de Merkenrichtlijn dient aldus te worden uitgelegd dat:
- door het gebruik van het jongere merk afbreuk kan worden gedaan aan het onderscheidend vermogen van het bekende oudere merk, ook al is het laatstgenoemd merk niet uniek;
- een eerste gebruik van het jongere merk kan volstaan om aan het onderscheidend vermogen van het oudere merk afbreuk te doen;
- het bewijs dat door het gebruik van het jongere merk afbreuk wordt of zou worden gedaan aan het onderscheidend vermogen van het oudere merk, veronderstelt dat is aangetoond dat het economisch gedrag van de gemiddelde consument van de waren of diensten waarvoor het oudere is ingeschreven, is gewijzigd als gevolg van het gebruik van het jongere merk of dat er een grote kans bestaat dat dit gedrag in de toekomst wijzigt.
L''arrêt INTEL: Dilution de la marque ou dilution de sa protection?
Emmanuel Cornu [1]
§ 1. La protection de la marque renommée ou la reconnaissance de la fonction économique de la marque

La reconnaissance de la fonction économique de la marque constitue sans doute une des évolutions les plus notables de la jurisprudence en droit des marques de ces dernières années.

Jusqu'il y a peu, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes soulignait la fonction première de la marque, qui est sa fonction distinctive ou d'indication de provenance [2]. Elle avait aussi souligné combien sa fonction de garantie ou de qualité y est intimement liée [3].

La jurisprudence communautaire récente souligne qu'au-delà de ces fonctions distinctive et de qualité, la marque peut présenter en soi une fonction économique et tel est spécialement le cas des marques renommées. Déjà dans ses conclusions précédant l'arrêt “Arsenal”, l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer soulignait qu'il était simpliste et réducteur de limiter la fonction de la marque à une simple indication d'origine. L'expérience démontre en effet que les consommateurs ignorent souvent l'identité du fabricant des biens qu'ils consomment tandis que la marque acquiert une “vie propre”: elle exprime une qualité, une réputation et même dans certains cas, une conception de la vie [4]. Aujourd'hui, il se confirme que si la fonction première de la marque consiste incontestablement en une “fonction d'origine”, une marque agit également “comme moyen de transmission d'autres messages concernant, notamment, les qualités ou les caractéristiques particulières des produits ou des services qu'elle désigne, ou les images et les sensations qu'elle projette, telles que le luxe, le style de vie, l'exclusivité, l'aventure, la jeunesse” [5]. En ce sens, la marque possède une valeur économique intrinsèque, autonome et distincte par rapport à celle des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée.

En assurant aux articles 4, paragraphe 4, sous a) et 5, paragraphe 2 de la directive une protection aux marques renommées, le législateur communautaire a visé quatre types d'atteintes: d'une part, l'usage d'un signe ressemblant qui, sans juste motif, porte préjudice au caractère distinctif de la marque; d'autre part, l'usage d'un signe ressemblant qui, sans juste motif, porte atteinte à la renommée de la marque antérieure; enfin, l'usage d'un signe ressemblant qui, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure.

C'est spécialement aux conditions de protection de la marque renommée et à ce premier type d'atteinte, souvent qualifiée de “dilution” que se rapporte l'arrêt annoté.

L'arrêt “Intel” nous offre donc la possibilité de revenir de manière préalable sur les conditions de protection de la marque renommée, que nous avions analysée il y a quelque temps dans cette revue avec Françoise Jacques de Dixmude [6], avant d'aborder spécifiquement ces différents types d'atteintes et la question de la dilution.

§ 2. Les conditions de protection de la marque renommée
2.1. La marque renommée

Ni la directive européenne ni le règlement sur la marque communautaire n'ayant défini la notion de “marque renommée”, l'on dut un temps constater de sensibles divergences dans la manière dont les droits internes des différents États membres avaient reçu cette notion [7]. La Cour de justice a comme on le sait heureusement clarifié cette notion à l'occasion d'une réponse à une question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Tournai dans un litige relatif à la marque “Chévy” du constructeur américain General Motors [8]. Dans son arrêt “Chévy” [9], la Cour de justice a précisé que pour être renommée, la marque enregistrée “doit être connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elle”. Analysant spécialement la situation qui est celle du Benelux, la Cour ajouta que “dans le territoire Benelux, il suffit qu'elle soit connue d'une partie significative du public concerné dans une partie substantielle de ce territoire, laquelle peut correspondre, le cas échéant, à une partie de l'un des pays le composant”.

Comment évaluer cette renommée? Toujours dans le même arrêt “Chévy”, la Cour précisa que “dans l'examen de cette condition, le juge national doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marchés détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir”.

Peut-on avoir recours sur ce point à une preuve par sondage? La Cour ne l'a pas exclu, mais elle précisa que “ni la lettre ni l'esprit de l'article 5, paragraphe 2 de la directive n'autorisent à exiger que la marque soit connue d'un pourcentage déterminé du public ainsi défini”, la Cour refusant ainsi que des niveaux de connaissance déterminés en termes de pourcentage soient arrêtés et utilisés comme seuls critères, comme la pratique allemande avait pu l'enseigner par le passé.

Si la marque invoquée est une marque communautaire, sa renommée devra être établie dans une “partie substantielle” de la Communauté. Une question préjudicielle est cependant pendante quant à savoir si une marque communautaire est protégée dans toute la Communauté en tant que “marque jouissant d'une renommée” au sens de l'article 9, paragraphe 1er, sous c) du règlement sur la marque communautaire, alors qu'elle ne bénéficierait d'une renommée que dans un seul État membre [10].

La renommée devra s'apprécier par rapport au public concerné par la marque antérieure. Celui-ci sera déterminé en fonction des produits ou du service commercialisés, et il s'agira soit du grand public, soit d'un public plus spécialisé, par exemple un milieu professionnel donné [11]. À l'égard de produits ou services destinés à un secteur spécialisé de l'économie, l'on pourra ainsi considérer que la marque est “renommée” au sens de la directive ou du règlement sur la marque communautaire si elle est bien connue de ce secteur, sans qu'il puisse être exigé qu'elle soit connue d'un public plus large. En revanche, à l'égard de produits d'usage courant ou destinés à la grande consommation, le public à prendre en considération sera naturellement plus étendu.

La notion de “marque renommée” contenue dans la directive ou le règlement communautaire constitue ainsi une notion spécifiquement de droit communautaire. Elle s'entend d'une marque plus connue qu'une marque ordinaire, mais qui ne doit pas pour autant atteindre le degré de notoriété de la marque “notoirement connue” au sens de l'article 6bis de la Convention d'Union de Paris et, a fortiori, celui de la marque de “haute renommée” consacrée par la jurisprudence et la doctrine de certains États membres [12].

2.2. Le dépassement de la règle de la spécialité

La protection élargie offerte à la marque renommée permet à son titulaire de déroger à la règle de la spécialité, puisque sa marque se voit protégée également à l'égard de marques déposées ou utilisées pour d'autres produits ou services que ceux pour lesquels la marque renommée a été enregistrée.

La protection spécifique organisée en faveur de la marque renommée peut-elle également être invoquée lorsque la marque ou le signe postérieur attaqué sont destinés à être utilisés pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts pour la marque invoquée? La Cour de justice a répondu à cette question par l'affirmative dans son arrêt “Davidoff/Gofkid” [13]. Selon la Cour, l'article 5, paragraphe 2 de la directive “ne doit pas être interprété exclusivement au regard de son libellé, mais également en considération de l'économie générale et des objectifs dans lesquels il s'insère. Or, en considération de ces derniers éléments, il ne saurait être donné dudit article une interprétation qui aurait pour conséquence une protection des marques renommées moindre en cas d'usage d'un signe pour des produits ou des services identiques ou similaires qu'en cas d'usage d'un signe pour des produits ou des services non similaires” [14].

2.3. La ressemblance ou le “lien” entre les marques

Les dispositions de la directive tout comme celles du règlement sur la marque communautaire visent un signe ou une marque postérieure “identique ou similaire” à la marque renommée antérieure.

Comment apprécier cette condition de “similitude” entre les marques en présence? Dans son arrêt du 23 octobre 2003 “Adidas/Fitnessworld Trading” [15], la Cour de justice des Communautés européennes a répondu à cette question en précisant que la mise en oeuvre de la protection des marques renommées n'exige pas que soit établie l'existence d'un risque de confusion entre la marque et le signe. Selon la Cour : “La protection conférée par l'article 5, paragraphe 2 de la directive n'est pas subordonnée à la constatation d'un degré de similitude tel entre la marque renommée et le signe qu'il existe, dans l'esprit du public concerné, un risque de confusion entre ceux-ci. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque.”

Avec Françoise Jacques de Dixmude, nous avions écrit en 2004 dans cette revue que ce lien résidait selon nous dans “l'association” que le public pourrait établir entre les marques [16]. Nous ajoutions que sans doute la Cour de justice aurait à revenir sur la nature de ce lien entre les marques en litige.

C'est ce que fait la Cour dans l'arrêt annoté.

Le principal enseignement de l'arrêt Intel est de nous confirmer qu'outre la condition de “renommée” visée ci-avant, la seconde condition de protection de la marque renommée est que le public concerné effectue un rapprochement entre les deux marques, c'est-à-dire qu'il établisse un lien entre celles-ci, alors même qu'il ne les confond pas. Certes, et nous y reviendrons, l'existence d'un tel lien ne suffit pas, à elle seule, à conclure à l'existence d'une atteinte à la marque, mais il en constitue un préalable nécessaire: à défaut d'un tel lien dans l'esprit du public, l'usage de la marque postérieure n'est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice [17].

Aux points 41 et 64 de son arrêt, la Cour va énumérer et analyser en détail les facteurs permettant de conclure à l'existence d'un tel lien. Confirmant sa jurisprudence antérieure [18], la Cour souligne que l'existence d'un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. L'arrêt annoté détaille en son point 42 ces facteurs: le degré de similitude entre les marques en conflit; la nature des produits ou des services désignés par les marques en conflit et spécialement leur degré de proximité; l'intensité de la renommée de la marque antérieure; le caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure; l'existence éventuelle d'un risque de confusion. Selon l'enseignement de la Cour, sauf le cas du risque de confusion [19], ce n'est souvent pas un seul de ces facteurs en tant que tel, mais plutôt leur combinaison qui permettra de confirmer l'existence d'un tel “lien” entre les marques en litige, ces différents facteurs ou circonstances étant en quelque sorte complémentaires, voire en partie substituables: la faiblesse de l'un peut être compensée par l'intensité d'un autre.

Selon la Cour, il importe avant tout qu'au regard des circonstances particulières de l'espèce, la marque postérieure évoque la marque antérieure dans l'esprit du consommateur moyen. Ce “pouvoir d'évoquer” la marque antérieure n'est en définitive rien d'autre selon nous que ce qu'au Benelux, on considérait comme le “risque d'association”. Comme l'écrivit S.K. Martens dans une note remarquée [20], l'“association” ne signifie pas autre chose que la possibilité de “se souvenir” de la marque antérieure. Ainsi, la définition que donne le présent arrêt à la notion de “lien” comme un “pouvoir d'évocation” n'est pas sans rappeler pour les praticiens Benelux la vieille notion du risque d'association. Dans son arrêt “Sabel”, la C.J.C.E. avait également défini la notion d'association comme “le rapprochement entre le signe et la marque, la perception du signe éveillant le souvenir de la marque, sans toutefois les confondre” [21]. Ces notions se rejoignent donc.

Grâce à l'analyse très détaillée aux points 43 à 57 des différentes circonstances qui permettent de conclure à un tel pouvoir d'évocation, la décision annotée présente le mérite de souligner les facteurs réellement pertinents pour juger du “lien” entre la marque renommée antérieure et la marque postérieure dont l'annulation ou l'interdiction d'usage sont sollicités. On évitera ainsi les errements que d'aucuns ont à juste titre dénoncés [22].

§ 3. Les différents types d'atteinte à la marque renommée
3.1. Le risque d'une atteinte et le public pertinent

Le législateur communautaire a énuméré les quatre différents types d'atteinte dont peut se plaindre le titulaire d'une marque renommée antérieure. Comme l'a précisé la Cour au point 66 de l'arrêt annoté, ces atteintes, lorsqu'elles se produisent, sont la conséquence d'un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, c'est-à-dire établit un lien ou une évocation entre celles-ci, alors même qu'il ne les confond pas. Plus cette évocation sera immédiate et forte, plus est important le risque que l'utilisation actuelle ou future de la marque postérieure tire un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porte préjudice. Dans son arrêt “Chévy” [23], la Cour de justice avait d'ailleurs déjà jugé que plus le caractère distinctif et la renommée de la marque sont importants, plus l'existence d'une atteinte sera aisément admise.

D'autre part, à l'instar de l'existence du “lien” entre les marques en litige, l'existence de l'une des atteintes visées par la directive ou d'un risque sérieux qu'une telle atteinte se produise s'appréciera globalement en tenant compte des facteurs pertinents énumérés ci-avant et du public pertinent à considérer. S'agissant de ce dernier élément, la Cour souligne très judicieusement que le public à prendre en considération variera en fonction du type d'atteinte allégué par le titulaire de la marque antérieure [24]. Ainsi, s'il s'agit d'une atteinte au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure, celle-ci devra être appréciée par rapport à la perception qu'en a le consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif. En revanche, s'il s'agit d'une atteinte constituée par le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, dans la mesure où ce qui est prohibé est l'avantage tiré de cette marque par le titulaire de la marque postérieure, l'existence de cette atteinte sera appréciée dans le chef du consommateur des produits ou des services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée ou utilisée. On considérera cependant souvent que ces deux publics se confondent, notamment lorsque les produits ou services désignés par les marques en litige sont des produits de consommation courante s'adressant au “large public des consommateurs moyens”.

3.2. La notion de dilution

S'agissant du type d'atteinte possible, les questions préjudicielles posées par la “Court of Appeal” amenèrent la Cour à se focaliser sur l'une de celles-ci, l'atteinte au pouvoir distinctif de la marque antérieure ou le “risque de dilution” de celle-ci. Comme l'observait déjà l'avocat général Jacobs dans ses conclusions prises dans l'affaire “Adidas/Fitnessworld Trading” [25], le premier à articuler la notion de “dilution” a été Schechter, qui la décrivait comme “le grignotage progressif [de certaines marques] ou la dispersion de leur identité et de leur emprise sur l'esprit du public” [26]. Les juridictions des États-Unis d'Amérique semblent ainsi avoir été les premières à protéger les titulaires de marques contre la dilution. Selon l'avocat général Jacobs, la première législation en la matière aurait été adoptée dans le Massachusetts en 1947, suivi par l'Illinois en 1953 et par l'État de New York en 1955. Au niveau fédéral, le Federal Trademark Dilution Act de 1955 a institué une action fédérale relative à la dilution des marques notoires et il définit la dilution comme “la diminution de la capacité d'une marque notoire à identifier et à distinguer des produits ou des services”.

Cette notion de “dilution” est bien connue également des praticiens du Benelux. La Cour de justice Benelux, dans son arrêt “Claeryn” du 1er mars 1975, l'a fort bien définie. La Cour Benelux s'exprimait ainsi:

“Attendu que les avantages que le droit exclusif à la marque assure à son titulaire peuvent comprendre ce que le Hoge Raad appelle dans sa deuxième question le pouvoir de la marque d'inciter à l'achat de la sorte de produits pour lesquels elle est enregistrée;

Que ce pouvoir peut aussi être atteint par le fait que d'autres personnes que les titulaires font usage de la marque ou d'un signe ressemblant pour une autre sorte de produits que ceux pour lesquels la marque est enregistrée;

Que cette atteinte peut consister dans la circonstance que la marque n'est plus susceptible, par la perte de son caractère exclusif, de provoquer dans l'esprit du public l'association immédiate avec les produits pour lesquels elle est enregistrée et utilisée (…).” [27].

Dans l'affaire “Adidas/Fitnessworld Trading”, l'avocat général Jacobs en donnait encore un exemple tiré de Schechter: si l'on tolère des restaurants Rolls Royce et des cafétarias Rolls Royce, ainsi que des pantalons Rolls Royce et des bonbons Rolls Royce, dans dix ans, il n'y aura plus de marque Rolls Royce…

3.3. Le “ternissement”

Le deuxième type d'atteinte à la marque renommée, à savoir l'usage qui porte préjudice à la renommée de la marque, est d'une autre nature. Se rattachant à ce que les anglo-saxons appellent le “tarnishing” [28], ou en français l'“avilissement” ou encore le “ternissement”, cette forme d'atteinte intervient lorsque les produits pour lesquels la marque contrefaisante est utilisée, sont ressentis par le public d'une manière telle que la force d'attraction de la marque en est diminuée. On peut à cet égard se référer à nouveau à l'arrêt “Claeryn” de la Cour de justice Benelux. Les faits à l'origine de ce litige sont célèbres. La société de droit néerlandais “Lucas Bols” était titulaire de la marque “Claeryn” aux Pays-Bas qui désignait un jeune genièvre. Grâce à une intense publicité et aux qualités du produit, le genièvre “Claeryn” jouissait d'une excellente réputation. La société Colgate se proposait de lancer sur le marché un produit de nettoyage, plus précisément un savon liquide, sous la marque “Klarein”. La société Bols entendit s'y opposer et la Cour Benelux devait lui donnait raison dans son principe: il était clair que la marque désignant du genièvre se trouvait atteinte dans son pouvoir d'incitation à l'achat par la survenance sur le marché d'une marque ressemblante caractérisant un détergent liquide. L'association d'idées était évidente [29].

3.4. Le parasitisme

Quant aux troisième et quatrième types d'atteinte, à savoir les usages qui risquent de profiter indûment du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ceux-ci constituent des cas spécifiques de “parasitisme”, c'est-à-dire de ceux où le titulaire de la marque postérieure tente de s'inscrire dans le sillage d'une marque célèbre pour tirer profit de sa réputation, de sa renommée ou de son image positive. Il s'agit donc, ainsi que la jurisprudence communautaire l'a clairement indiqué, du risque que l'image de la marque renommée soit transférée aux produits ou services désignés par la marque attaquée [30]. Ce risque se distingue donc du “risque de confusion”: en effet, le risque de tirer indûment profit de la renommée de la marque antérieure subsiste lorsque le consommateur, sans nécessairement confondre l'origine commerciale du produit ou des services, est attiré par la marque en cause et achète le produit ou le service visé par elle au motif qu'il est revêtu de cette marque, laquelle présente un lien avec la marque antérieure renommée. Il s'agit donc d'un risque de “transfert” et celui-ci sera d'autant plus facilement établi que le public en présence des marques en litige serait le même, ou que le produit visé n'est pas éloigné de la marque antérieure ou encore que le message qu'elle véhicule peut également correspondre au produit revêtu de la marque attaquée.

3.5. Les conditions spécifiques de la dilution

Dans l'arrêt annoté, compte tenu de la nature des questions qui lui étaient posées, la Cour se concentre uniquement sur une seule forme d'atteinte, l'atteinte au pouvoir distinctif de la marque antérieure ou sa “dilution”. Ce risque de dilution, c'est-à-dire ce risque que la marque antérieure ne soit plus en mesure de susciter une “association immédiate” avec les produits pour lesquels elle est enregistrée, est généralement perçu comme moins élevé si la marque antérieure n'est pas unique ou qu'elle consiste en un terme qui est très répandu et fréquemment utilisé [31]. Dans son arrêt “Intel”, la Cour de justice nuance cependant ce constat: même si une marque antérieure renommée n'est pas unique, l'usage d'une marque identique ou similaire postérieure peut être de nature à affaiblir le caractère distinctif dont jouit la marque antérieure. Cela étant, et avec bon sens, la Cour observe que plus la marque antérieure présente un caractère unique, plus l'usage d'une marque postérieure identique ou similaire sera susceptible de porter préjudice à son caractère distinctif. À cet égard, la Cour précise également qu'un simple premier usage d'une marque identique ou similaire postérieure peut suffire à créer un tel préjudice ou au moins à faire naître un risque sérieux qu'un tel préjudice se produise. Comme l'observe A. Folliard-Monguiral [32], “la dilution se caractérise par un effet d'avalanche: le premier usage par un opérateur d'une marque identique ou similaire à la marque renommée sur un marché distinct peut ne pas disperser l'identité de cette marque, mais c'est bien ce premier usage qui, entraînant les autres, peut provoquer l'effondrement de la capacité de la marque renommée à identifier son titulaire”.

En revanche, et il nous faut l'écrire avec fermeté, la Cour nous paraît se tromper quand au point 77 de son arrêt, elle indique que la preuve du risque de préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure suppose que soit démontrée une “modification du comportement économique du consommateur des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l'usage de la marque postérieure ou un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur”. Une telle exigence est en effet exagérée. D'une part, le préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure est, comme la Cour le souligne par ailleurs [33], un risque de dispersion de l'identité de la marque antérieure et de son emprise sur l'esprit du public. Il n'implique donc pas nécessairement un changement du comportement du consommateur. D'autre part, ainsi que le précise le libellé de l'article 4, paragraphe 4, sous a) de la directive, le seul risque de cette atteinte suffit [34]. Il n'est donc pas question de devoir démontrer un préjudice consistant en une perte de parts de marchés, ce qui advient lorsque le consommateur moyen des produits se détourne de la marque renommée, mais il importe seulement d'établir un affaiblissement ou une dispersion de l'identité de cette marque antérieure. La modification du comportement économique du consommateur est un facteur aggravant de l'atteinte [35]: il n'est que la résultante du phénomène de la dilution, mais il n'en est pas la cause. C'est, nous semble-t-il, donc par une confusion des genres que la Cour a ajouté cette exigence.

On peut en outre se demander si l'enseignement de l'arrêt annoté sur ce point précis, s'il devait être suivi, ne vouerait pas à l'échec toute action tendant à éviter la dilution d'une marque renommée. Dans un rapide commentaire de l'arrêt, un annotateur averti [36] citait ainsi l'exemple de la marque “Coca-Cola”, sans doute la plus célèbre et la plus chère au monde: si cette marque était utilisée par un tiers pour des meubles de jardin, l'application de l'arrêt “Intel” imposerait à son titulaire d'apporter la preuve qu'une partie des consommateurs s'est détournée de la boisson “Coca-Cola”. Or, c'est une preuve impossible à rapporter d'autant que l'existence d'une marque identique pour des meubles de jardin n'aurait très vraisemblablement aucune incidence sur les ventes de la célèbre boisson. En revanche, elle causerait bien à cette marque une dispersion de son identité.

On ne peut donc que regretter cette exigence que soit démontrée une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque renommée est enregistrée. Il s'agit-là, hélas, d'une exigence exagérée qui met en péril la protection reconnue par la directive et par le règlement sur la marque communautaire en faveur des marques renommées contre leur risque de dilution. Il appartiendra donc à la Cour de justice de revenir sur cette question.

[1] Avocat au barreau de Bruxelles, Simont Braun.
[2] C.J.C.E. 17 octobre 1990, Hag II, Rec. C.J.C.E. 1990, I, p. 3758; C.J.C.E. 23 mai 1978, n° 102/77, Hoffmann-La Roche, Rec. C.J.C.E., p. 1139; C.J.C.E. 10 octobre 1978, n° 3/78, Centrapharm, Rec. C.J.C.E., p. 1823.
[3] Voy. notamment les conclusions de l'avocat général Jacobs sous l'arrêt Hag II, Rec. C.J.C.E., 1190, I, p. 3732; voy. également A. Braun et E. Cornu, Précis des marques, Larcier, 5ème éd., 2009, pp. 18 à 21.
[4] Point 46 des conclusions de l'avocat général Colomer dans l'affaire Arsenal Football Club (C-206-01), Rec., p. I-10273.
[5] T.P.I.C.E. 22 mars 2007, T-215/03, Sigla/OHMI - Elleni Holdings (marque VIPS), Rec. C.J.C.E., II, p. 711, point 35; T.P.I.C.E. 19 juin 2008, T-93/06, Mülhens/OHMI - Spa Monopole, Rec. C.J.C.E., II, point 26.
[6] E. Cornu et F. Jacques de Dixmude, “La protection de la marque renommée au Benelux (ou le renouveau du risque d'association?)”, R.D.C. 2004, pp. 949 à 957.
[7] A. Braun et E. Cornu, “Sur la marque renommée”, in Intellectuele eigenaardigheden, Kluwer, 1998, pp. 19 et s.
[8] Comm. Tournai 30 octobre 1997, Ing.-Cons. 1997, p. 332.
[9] C.J.C.E. 14 septembre 1999, C-375/97, Chévy, Ing.-Cons. 1999, p. 555, J.T. 1999, p. 732 , Rec. C.J.C.E., I, p. 5921.
[10] Question posée par le Hoberstegerichtshof d'Autriche le 26 juin 2007 dans l'affaire C-310/07, Pago/Tirolmilch Registrierte Genossenschaft.
[11] Arrêt Chévy, point 24.
[12] A. Braun et E. Cornu, in Intellectuele eigenaardigheden, o.c., p. 29; P. Maeyaert, “Bescherming van bekende merken: overzicht van de rechtspraak van het Hof van justitie en het Gerecht van eerste aanleg”, I.R. D.I. 2008, p. 233.
[13] C.J.C.E. 9 janvier 2003, C-292/00, Davidoff et Zino Davidoff/Gofkid, I.E.R. 2003, p. 127 et note Gielen.
[14] Points 23 à 29 de l'arrêt.
[15] C.J.C.E. 23 octobre 2003, Ing.-Cons. 2003, p. 155.
[16] E. Cornu et F. Jacques de Dixmude, o.c., p. 956.
[17] Point 31 de l'arrêt annoté.
[18] C.J.C.E. 23 octobre 2003, Adidas/Fitnessworld Trading, précité et C.J.C.E. 10 avril 2008, C-102/07, Adidas AG et Adidas Benelux/Marca Mode, point 42.
[19] La mise en oeuvre de la protection de la marque renommée n'exigeant cependant pas l'établissement d'un tel risque de confusion (voy. supra), mais s'il existe, il y aura a fortiori un “lien” entre les marques en litige.
[20] B.I.E. 1971, p. 198, voy. également Th. van Innis, Les signes distinctifs, Larcier, 1997, p. 396, n° 519.
[21] C.J.C.E. 11 novembre 1997, C-251/95, Rec. C.J.C.E., point 16.
[22] L. De Gryse, “Over bekende merken en relevante omstandigheden”, R.D.C. 2007, pp. 574 -579; Th. van Innis, “En hoeveel kost dat, Meester?”, I.R. D.I. 2007, pp. 57 à 59; E. Cornu, “Toutes les circonstances de l'espèce ne sont pas pertinentes”, Ing.-Cons. 2007, pp. 84 à 93; V. Pede, “Hof van Cassatie zet deur wijd open voor namaak van bekende merken”, R.W. 2007-08, 1589 à 1593; P. Maeyaert, o.c., I.R. D.I. 2008, pp. 237-238.
[23] Précité, point 30.
[24] Voy. points 33 à 36 de l'arrêt annoté.
[25] Concl. avocat général Jacobs présentées le 10 juillet 2003 dans l'affaire C-408/01.
[26] F.I. Schechter, “The rational basis of trademark protection”, Harvard Law Review 1927, p. 813.
[27] C.J. Benelux 1er mars 1975, Claeryn/Klarein, Ing.-Cons. 1975, p. 73, souligné par nous.
[28] Terminologie utilisée par la loi de réforme de 2006 des États-Unis; voy. les conclusions présentées le 26 juin 2008 par l'avocat général Sharpston dans l'affaire “Intel”.
[29] A. Braun et E. Cornu, “Précis des marques”, o.c., n° 408, p. 464.
[30] T.P.I.C.E. 22 mars 2007, VIPS, précité, point 40; T.P.I.C.E. 19 juin 2008, T-93/06, Mineral Spa, point 37.
[31] En ce sens, A. Braun et E. Cornu, o.c., pp. 469 et s., n° 410ter; T.P.I.C.E. 25 mai 2005, T-67/04, Spa Finders, Rec. CJCE, II, p. 1825; T.P.I.C.E. 22 mars 2007, VIPS, précité, point 38.
[32] A. Folliard-Monguiral, “C.J.C.E., arrêt Intel: que reste-t-il de la dilution?”, Propr. ind. 2009, p. 28.
[33] Au point 76 de son arrêt.
[34] Voy. d'ailleurs le point 38 de l'arrêt annoté. En ce sens également: C.J.C.E. 12 décembre 2008, aff. C-197/07P, Aktieselskabet af 21 november 2001/OHMI et TDK - marque “TDK”, inédit, points 22 et 23.
[35] En ce sens, voy. les conclusions de l'avocat général Sharpston, point 74.
[36] J.-J. Evrard, “Flash Apram” du 2 décembre 2008, n° 124.