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Publicité comparative: faut-il encore se soucier du droit des marques?, R.D.C.-T.B.H., 2009/4, p. 362-368

DROITS INTELLECTUELS
Droits intellectuels - Marque - Étendue de la protection - Restriction au droit exclusif - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1 - Usage d'un signe identique ou similaire à une marque dans une publicité comparative - Limitation des effets de la marque - Publicité comparative - Directives 84/450/CEE et 97/55/CE - Article 3bis, paragraphe 1 - Conditions de licéité de la publicité comparative - Utilisation de la marque d'un concurrent ou d'un signe similaire à cette marque
Les articles 5, paragraphes 1 et 2 de la Première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques et 3bis, paragraphe 1 de la directive 84/450/CEE du Conseil du 10 septembre 1984, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, telle que modifiée par la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 octobre 1997, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée n'est pas habilité à interdire l'usage, par un tiers, dans une publicité comparative qui satisfait à toutes les conditions de licéité énoncées audit article 3bis, paragraphe 1 d'un signe identique ou similaire à sa marque.
Toutefois, lorsque les conditions requises à l'article 5, paragraphe 1, sous b) de la directive 89/104 pour interdire l'usage d'un signe identique ou similaire à une marque enregistrée sont réunies, il est exclu que la publicité comparative dans laquelle ce signe est utilisé satisfasse à la condition de licéité énoncée à l'article 3bis, paragraphe 1, sous d) de la directive 84/450, telle que modifiée par la directive 97/55.
L'article 5, paragraphe 1, sous b) de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée n'est pas habilité à faire interdire l'usage par un tiers, dans une publicité comparative, d'un signe similaire à cette marque pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque a été enregistrée, lorsque cet usage ne fait pas naître, dans l'esprit du public, un risque de confusion, et ce indépendamment du fait que ladite publicité comparative satisfait ou non à toutes les conditions de licéité énoncées à l'article 3bis de la directive 84/450, telle que modifiée par la directive 97/55.
INTELLECTUELE RECHTEN
Intellectuele rechten - Merk - Beschermingsomvang - Beperkingen van het uitsluitend recht - Richtlijn 89/104/EEG - Artikel 5, lid 1 - Gebruik, in vergelijkende reclame, van teken dat gelijk is aan of overeenstemt met merk - Beperking van aan merk verbonden rechten - Vergelijkende reclame - Richtlijnen 84/450/EEG en 97/55/EG - Artikel 3bis, lid 1 - Voorwaarden voor geoorloofdheid van vergelijkende reclame - Gebruik van merk van concurrent of van met dit merk overeenstemmend teken
Artikel 5, leden 1 en 2 van de Eerste Richtlijn (89/104/EEG) van de Raad van 21 december 1988 betreffende de aanpassing van het merkenrecht der lidstaten en artikel 3bis, lid 1 van richtlijn 84/450/EEG van de Raad van 10 september 1984 inzake misleidende reclame en vergelijkende reclame, zoals gewijzigd bij richtlijn 97/55/EG van het Europees Parlement en de Raad van 6 oktober 1997, moeten aldus worden uitgelegd dat de houder van een ingeschreven merk niet gerechtigd is te verbieden dat een derde in vergelijkende reclame die voldoet aan alle in artikel 3bis, lid 1, genoemde voorwaarden voor geoorloofdheid, gebruik maakt van een teken dat gelijk is aan of overeenstemt met zijn merk.
Indien is voldaan aan alle in artikel 5, lid 1, sub b) van richtlijn 89/104 gestelde voorwaarden om het gebruik van een teken dat gelijk is aan of overeenstemt met een ingeschreven merk, te verbieden, kan de vergelijkende reclame waarin gebruik wordt gemaakt van genoemd teken, echter onmogelijk voldoen aan de in artikel 3bis, lid 1, sub d) van richtlijn 84/450, zoals gewijzigd bij richtlijn 97/55, genoemde voorwaarde voor geoorloofdheid.
Artikel 5, lid 1, sub b) van richtlijn 89/104 moet aldus worden uitgelegd dat de houder van een ingeschreven merk niet gerechtigd is te doen verbieden dat een derde in vergelijkende reclame gebruik maakt van een met dit merk overeenstemmend teken voor dezelfde of soortgelijke waren of diensten als die waarvoor het merk is ingeschreven, indien dit gebruik niet leidt tot verwarringsgevaar bij het publiek, en dit ongeacht of de vergelijkende reclame voldoet aan alle in artikel 3bis van richtlijn 84/450, zoals gewijzigd bij richtlijn 97/55, genoemde voorwaarden voor geoorloofdheid.
Publicité comparative: faut-il encore se soucier du droit des marques?
Grégory Sorreaux [1]

1.Depuis plusieurs années, les annonceurs rechignent bien moins que par le passé à utiliser la publicité comparative afin de promouvoir leurs produits ou services. Cette technique de marketing, potentiellement très efficace, est autorisée, sous certaines conditions, par la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, qui codifie la directive 84/450/CEE. Or, la publicité comparative entraîne fréquemment l'usage de la marque d'un concurrent. Parmi les conditions de licéité de la publicité comparative, la directive sur la publicité comparative contient d'ailleurs pas moins de quatre dispositions qui visent à assurer une protection de la marque d'un concurrent. L'article 3bis [art. 4 de la version codifiée] prévoit ainsi que la publicité comparative ne doit pas engendrer de confusion sur le marché entre les marques de l'annonceur et ceux d'un concurrent, entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques d'un concurrent, tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque d'un concurrent ou encore présenter un bien ou service comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service portant sur une marque protégée. Ces dispositions ont été transposées dans la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce à l'article 94/1 § 1.

De leur côté, les dispositions propres au droit des marques sont régulièrement invoquées afin de s'opposer à l'usage d'une marque dans une publicité comparative faite par un tiers. Le droit des marques et les dispositions propres à la publicité comparative entretiennent donc des rapports ambigus qui appellent de nombreuses questions: l'utilisation de la marque d'un concurrent dans une publicité comparative peut-elle être interdite sur base des dispositions propres au droit des marques? Le cas échéant, l'usage de cette marque constitue-t-il un usage à titre de marque ou un usage autrement que pour distinguer des produits ou des services? Est-ce que seule la marque verbale d'un concurrent peut-être utilisée? Cette marque doit-elle être utilisée à l'identique ou peut-elle n'être que similaire? L'usage de cette marque doit-il être indispensable pour effectuer la comparaison entre les produits ou les services de l'annonceur et ceux du concurrent?

Dans son arrêt O2 Holdings prononcé le 12 juin 2008, la Cour de justice a précisément eu l'occasion de clarifier les relations existant entre le droit des marques et les dispositions propres à la publicité comparative [2]. Cet arrêt fera l'objet de notre étude.

Les faits de la cause

2.La société O2 est une société britannique de télécommunications. Pour promouvoir ses services de téléphonie mobile, O2 utilise des images de bulles de nombreuses façons et est titulaire de deux marques figuratives britanniques consistant en une image statique de bulles. En 2004, la société Hutchison 3G (“H3G”), un concurrent d'O2 qui commercialise ses services sous le signe “3”, lance une campagne télévisée pour son service prépayé appelé “Threepay”. À cette fin, H3G compare le prix de ses services avec ceux proposés par O2. Cette publicité débutait par l'utilisation de signes similaires aux marques figuratives de O2, à savoir des images de bulles en noir et blanc en mouvement, puis se poursuivait avec un message indiquant que les services de H3G étaient moins chers.

O2 introduisit une action en contrefaçon de ses marques figuratives devant la High Court, tout en admettant que la comparaison des prix effectuée dans la publicité était exacte et que la publicité n'était pas trompeuse. Par arrêt du 23 mars 2006, O2 fut déboutée de son action. Selon la High Court, l'utilisation des images de bulles constituait certes un usage des marques d'O2 au sens de l'article 5, paragraphe 1, b) de la directive sur les marques [3] (usage d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits identiques ou similaires), mais cet usage respectait les conditions de licéité fixées à l'article 3bis de la directive sur la publicité comparative [art. 4 de la version codifiée] [4]. O2 forma un recours contre cet arrêt devant la Court of Appeal, laquelle posa plusieurs questions à la Cour de justice.

En substance, la Court of Appeal demande à la Cour de justice si:

    • l'usage de la marque d'un concurrent dans une publicité comparative constitue un usage de cette marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) (usage d'une marque enregistrée pour des produits ou services identiques) ou b) (usage d'un signe identique ou similaire à la marque enregistrée pour des produits identiques ou similaires) de la directive sur les marques étant entendu que cet usage ne crée pas de risque de confusion;
    • cet usage doit être indispensable pour être conforme à la directive sur la publicité comparative;
    • dans l'affirmative, cela fait obstacle à l'utilisation d'un signe non pas identique, mais simplement similaire à la marque enregistrée.
    Une publicité comparative peut-elle être sanctionnée par le droit des marques?

    3.Dans les conclusions préalables à l'arrêt, l'avocat général Mengozzi avait bien perçu la nécessité de répondre au préalable à cette question. Avant de décider si l'usage de la marque d'un concurrent dans une publicité comparative constitue un usage de cette marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) ou sous b) de la directive sur les marques, il convient en effet de se demander si le droit des marques offre précisément un fondement juridique permettant au titulaire de marque de s'opposer à l'usage de celle-ci dans une publicité comparative [5].

    La question n'est pas purement théorique quand on connaît les mesures que peut obtenir le titulaire de marque lorsqu'il s'oppose à l'usage de sa marque ou d'un signe similaire par un tiers: saisie-description, cession de bénéfices, destruction de produits contrefaisants,… Autant de mesures que n'offre pas, du moins en Belgique, la loi sur les pratiques du commerce lorsque l'action est fondée sur la violation des dispositions propres à la publicité comparative. La jurisprudence belge reflète d'ailleurs l'hésitation des plaideurs à ce sujet. On constate en effet que tantôt, l'action sera fondée sur le droit des marques, tantôt sur les dispositions relatives à la publicité comparative, tantôt sur les deux [6].

    4.Dans ses conclusions, l'avocat général relève à juste titre que la question de l'utilisation de la marque d'un concurrent dans une publicité comparative est régie de façon exhaustive et spécifique par la directive sur la publicité comparative. Pour lui, seules les dispositions nationales qui assurent la transposition de cette directive peuvent permettre de s'opposer à l'utilisation de la marque du concurrent. L'utilisation d'un signe identique ou similaire à la marque d'un concurrent dans une publicité comparative sort donc du champ d'application de la directive sur les marques: “L'utilisation d'un signe identique ou similaire à la marque enregistrée d'un concurrent dans le cadre d'une publicité comparant les caractéristiques des produits ou des services commercialisés par ledit concurrent sous la marque en question avec celles des produits ou des services commercialisés par l'annonceur est régie de manière exhaustive par l'article 3bis de la directive [sur la publicité comparative - article 4 de la version codifiée] et n'est pas soumise à l'application de l'article 5, paragraphe 1, sous a) ou sous b) de [la directive sur les marques]. [7].

    La solution proposée était selon nous tout à fait correcte. Les champs d'application des deux directives sont certes différents mais les dispositions de l'article 3bis de la directive sur la publicité comparative [art. 4 de la version codifiée] qui sont relatives à l'utilisation de la marque d'un tiers constituent à notre avis une lex specialis. Les dispositions de cet article priment dès lors à notre avis celles de la directive sur les marques quant aux situations qu'elles visent à régir spécifiquement. Cette solution eût en outre clairement simplifié les choses, offrant ainsi une base juridique claire au titulaire de marque souhaitant s'opposer à l'utilisation de sa marque par son concurrent.

    5.La Cour de justice ne va toutefois pas suivre la position de l'avocat général. Pour la Cour, l'utilisation d'un signe identique ou similaire à une marque d'un concurrent dans une publicité comparative est susceptible d'être interdite tant en application de la directive sur les marques que de la directive sur la publicité comparative. En d'autres termes, l'usage d'un signe identique ou similaire à la marque d'un concurrent n'est pas soustrait à l'application de la directive sur les marques du seul fait qu'il survient dans le cadre d'une publicité comparative. Le lecteur souhaitant savoir comment la Cour a motivé sa décision sur ce point sera toutefois déçu puisque la Cour n'en dira pas davantage.

    Usage à titre de marque ou autrement que pour distinguer des produits ou services?

    6.Une fois tranchée la première question, reste à savoir comment qualifier l'usage de cette marque. Dans le Benelux, on considère traditionnellement qu'il s'agit d'un usage “autrement” que pour distinguer des produits ou services. L'article 2.20, 1, sous d. de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (“CBPI”) est dès lors le plus fréquemment invoqué. Il permet au titulaire de marque d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage de sa marque autrement que pour distinguer des produits lorsque cet usage tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. Cette solution a été consacrée par l'arrêt Mercedes-Benz de la Cour de justice Benelux [8]. Pour la Cour, il y avait usage à titre de marque uniquement lorsque l'emploi est perçu par le public comme se rapportant à des produits ou services commercialisés par l'usager du signe de manière telle qu'ils se distinguent des produits ou services d'autrui.

    La faculté de s'opposer à un usage de sa marque fait à des fins autres que celles de distinguer des produits ou services ne figure toutefois qu'à titre facultatif dans la directive sur les marques, celle-ci laissant la liberté aux États membres de la transposer ou non dans leur droit national [9]. Or, le Benelux fait figure d'exception puisqu'il est un des seuls à avoir transposé cette disposition. Il n'est donc pas étonnant que dans l'arrêt de renvoi, la Court of Appeal parte de l'hypothèse selon laquelle l'usage d'une marque dans une publicité comparative constitue un usage à titre de marque, relevant soit de l'article 5, paragraphe 1, sous a), soit de l'article 5, paragraphe 1, sous b) de la directive sur les marques.

    7.La jurisprudence communautaire est d'ailleurs pour le moins hésitante quand il s'agit de qualifier l'utilisation dans une publicité d'un signe identique ou similaire à la marque d'autrui, lorsqu'elle est faite pour distinguer non pas les produits ou services de l'annonceur, mais ceux du titulaire de la marque. S'agit-il d'un usage pour distinguer des produits ou services ou d'un usage autrement que pour distinguer des produits ou services? Pour reprendre les propos, teintés d'une certaine ironie, de l'avocat général Mengozzi dans l'affaire O2, la jurisprudence de la Cour de justice “ne semble pas, du moins à première vue, tout à fait homogène” puisque “l'utilisation de la marque d'autrui faite par un tiers pour distinguer les produits ou les services fournis par le titulaire de la marque et qui ne crée pas de confusion quant à la provenance de ces produits ou services et de ceux du tiers semblerait pouvoir entrer dans le champ d'application de l'article 5, paragraphe 1 de la directive 89/104 [usage à titre de marque] selon l'arrêt BMW, y échapper selon les arrêts Hölterhoff et Adam Opel, tandis que selon [l'arrêt Arsenal], il resterait encore à vérifier, pour apprécier si une telle utilisation rentre ou non dans ledit champ d'application, si elle est propre à porter atteinte à une fonction de la marque autre que celle essentielle de garantie de la provenance” [10].

    8.Dans son arrêt O2, la Cour de justice va suivre la solution dégagée dans l'arrêt BMW/Deenik, en décidant que “l'utilisation par un annonceur, dans une publicité comparative, d'un signe identique ou similaire à la marque d'un concurrent aux fins d'identifier les produits ou les services offerts par ce dernier s'analyse comme un usage pour les produits ou les services mêmes de l'annonceur, au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2 de la directive 89/104” [11]. La manière dont la Cour motive sa décision sur ce point est quelque peu surprenante puisqu'on peut lire: “une publicité par laquelle l'annonceur compare les produits et les services qu'il commercialise avec ceux d'un concurrent vise, à l'évidence, à promouvoir les produits et les services de cet annonceur. Par une telle publicité, l'annonceur cherche à distinguer ses produits et ses services, en comparant leurs caractéristiques avec celles de produits et de services concurrents” [12].

    On pouvait encore comprendre la solution dégagée dans l'arrêt BMW/Deenik, où la Cour de justice avait décidé que constituait un usage à titre de marque l'usage fait par un vendeur de voitures non-concessionnaire de ladite marque afin d'annoncer au public qu'il effectue la réparation et l'entretien de produits revêtus de cette marque. Dans un tel cas, l'usage de la marque est en effet destiné à distinguer l'objet des services rendus. Dans le cas d'une publicité comparative, par contre, l'utilisation de la marque du tiers est faite pour distinguer non pas les produits ou services de l'annonceur, mais ceux du titulaire de la marque, dont l'annonceur veut précisément se démarquer. En adoptant une interprétation aussi large de la notion d'usage à titre de marque, on peine à trouver les cas dans lesquels la marque d'autrui est utilisée autrement que pour distinguer des produits ou services, puisqu'in fine, lorsqu'on utilise la marque d'autrui, ce sera presque toujours pour assurer, ne serait-ce qu'indirectement, la promotion de ses propres produits ou services. Par ailleurs, en déduisant l'usage à titre de marque du fait que l'annonceur, dans une publicité comparative, compare ses produits ou services avec ceux de son concurrent pour assurer ainsi la promotion de ses propres produits ou services, la Cour de justice nous semble méconnaître la notion de publicité comparative. Pour qu'il y ait publicité comparative au sens de la directive, il importe peu, en effet, qu'il existe une comparaison entre les biens et services offerts par l'annonceur et ceux du concurrent [13]. La définition de la publicité comparative est en effet extrêmement large puisqu'il suffit qu'il existe une communication sous forme quelconque faisant, même implicitement, référence à un concurrent ou aux biens ou services qu'il offre.

    La solution dégagée par la Cour présente sans doute l'avantage de permettre aux titulaires de marques d'appréhender l'utilisation de leur marque dans une publicité comparative dans l'ensemble des États membres sur base des dispositions propres au droit des marques mais ceci se fait au prix d'un certain contorsionnisme juridique.

    Limitations des effets de la marque par la publicité comparative

    9.La Cour de justice est ensuite amenée à se prononcer sur les effets qu'entraîne la directive sur la publicité comparative sur la directive sur les marques.

    Elle va à cet égard confirmer et préciser son arrêt Toshiba du 25 octobre 2001. Dans ce dernier arrêt, la Cour avait en effet décidé, en se fondant sur le préambule de la directive sur la publicité comparative [14], que l'utilisation d'une marque n'enfreint pas le droit à la marque lorsqu'elle est faite dans le respect de la directive sur la publicité comparative. La Cour confirme ce point dans son arrêt 02: “Le titulaire d'une marque enregistrée n'est pas habilité à interdire l'usage, par un tiers, dans une publicité comparative qui satisfait à toutes les conditions de licéité énoncées audit article 3bis, paragraphe 1 [art. 4 de la version codifiée], d'un signe identique ou similaire à sa marque.” La Cour confirme ainsi sa position favorable à l'égard de la publicité comparative, laquelle contribue, comme elle l'a déjà décidé, “à mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et à stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l'intérêt des consommateurs” [15]. Pour la Cour, le respect des conditions énoncées dans la directive sur la publicité comparative constitue donc pour l'annonceur un motif valable de défense contre une action fondée sur les dispositions nationales de transposition de la directive sur les marques.

    Dans la mesure où l'usage de la marque dans une publicité comparative constitue un usage à titre de marque, la publicité comparative licite ne constituera donc plus un juste motif au sens de la directive (comme on en avait l'habitude au sein du Benelux), mais bien une limite en tant que telle aux droits conférés par la marque.

    10.La Cour va ensuite opportunément se prononcer sur la notion de risque de confusion. Cette notion est en effet commune aux deux directives, la directive sur la publicité comparative interdisant, pour rappel, la publicité qui engendre la confusion sur le marché entre les marques de l'annonceur et ceux d'un concurrent (art. 3bis, paragraphe 1, sous d) [art. 4, sous h) de la version codifiée]). Pour la Cour, il convient de donner aux deux notions la même interprétation [16]. Cette solution va assurément dans le sens de la sécurité juridique. Le risque de confusion constitue ainsi les deux faces d'une même médaille: d'une part, le titulaire de marque ne pourra pas interdire l'usage par un tiers d'un signe identique à sa marque si les conditions posées par l'article 3bis, paragraphe 1, sous d) de la directive sur la publicité comparative [art. 4 sous h) de la version codifiée] sont réunies. D'autre part, “lorsque les conditions requises à l'article 5, paragraphe 1, sous b) de la directive [sur les marques] pour interdire l'usage d'un signe identique ou similaire à la marque sont réunies, il est exclu que la publicité comparative dans laquelle ce signe est utilisé satisfasse à la condition de licéité énoncée à l'article 3 bis, paragraphe 1, sous d) de la directive [sur la publicité comparative] [17].

    11.Avant l'arrêt O2, certains auteurs considéraient que quelques portes restaient ouvertes aux titulaires de marques. Pour ceux-ci, un recours fondé sur le droit commun, et notamment sur les dispositions en matière de concurrence déloyale restait possible pour le titulaire de marque, comme le prévoyait d'ailleurs le préambule de la directive sur les marques ainsi que l'article 2.20 CBPI [18]. De la même manière, les droits conférés par la marque n'étaient pas, selon cette doctrine, limités par la directive lorsqu'était utilisé par le concurrent, non pas la marque comme telle du titulaire, mais un signe similaire. Force est de constater que l'arrêt O2 ferme définitivement ces portes en décidant que la licéité de l'usage d'un signe identique ou similaire à la marque enregistrée d'un concurrent dans une publicité comparative est régie de manière exhaustive par la directive sur la publicité comparative. Le fait que le signe utilisé soit simplement similaire, et non identique à la marque enregistrée n'a pas d'importance pour la Cour, vu la définition large de la publicité comparative: “une telle limitation des effets de la marque aux fins de favoriser la publicité comparative apparaît nécessaire non seulement en cas d'utilisation, par l'annonceur, de la marque même d'un concurrent, mais également en cas d'utilisation d'un signe similaire à cette marque. En effet, aux termes de l'article 2, point 2bis de la directive [sur la publicité comparative - art. 2, sous c) de la version codifiée], on entend par 'publicité comparative' toute publicité qui, explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou des services offerts par un concurrent” [19]. La solution est tout à fait logique puisque l'utilisation, dans une publicité comparative, d'un signe identique ou similaire à la marque d'un concurrent peut être un moyen de l'identifier, à tout le moins implicitement.

    12.L'usage d'une marque dans la publicité comparative est donc désormais considéré comme un usage pour distinguer des produits ou des services. Par ailleurs, l'action fondée sur l'article 5, paragraphe 1, sous b) de la directive sur les marques (usage d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits identiques ou similaires) sera rejetée à défaut de risque de confusion [20]. Certains auteurs en ont déduit, un peu vite selon nous, que le risque de confusion était devenu la notion centrale en la matière et qu'à défaut de risque de confusion, le titulaire de marque se retrouvait sans armes face à l'utilisation de sa marque ou d'un signe similaire dans une publicité comparative [21].

    C'est toutefois oublier les autres dispositions de la directive sur la publicité comparative qui portent sur l'utilisation de la marque d'un tiers dans la publicité comparative. Et notamment l'article 3bis, sous g) [art. 4, sous f) de la version codifiée], qui interdit de tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque d'un concurrent. Cette disposition est similaire à celle contenue à l'article 5.2. de la directive sur les marques, qui permet au titulaire d'une marque renommée de s'opposer à l'usage d'un signe identique ou similaire à sa marque pour des produits non similaires lorsque l'usage de la marque sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. Le titulaire d'une marque renommée pourra donc parfaitement s'opposer, même sur base du droit des marques, à l'usage de sa marque ou d'un signe similaire lorsque cet usage “tire indûment profit de la notoriété” attachée à sa marque. Au demeurant, il est plus fréquent qu'un annonceur profite de la notoriété attachée à la marque d'un concurrent qu'il ne cherche à créer une confusion entre sa marque et celle de son concurrent. Ce dernier cas de figure se rencontre somme toute assez rarement puisque s'il y a bien quelque chose que l'annonceur recherche, c'est se distinguer de son concurrent…

    L'usage de la marque doit-il être indispensable?

    13.Lorsqu'un annonceur fait usage, dans une publicité comparative, de la marque d'un concurrent, cet usage doit-il être indispensable pour être conforme à l'article 3bis de la directive sur la publicité comparative [art. 4 de la version codifiée]? Telle était également l'une des questions posées à la Cour.

    Il faut dire que le préambule de cette directive entretient le doute à cet égard puisqu'il dispose qu'“il peut être indispensable, afin de rendre la publicité comparative effective, d'identifier les produits ou services d'un concurrent en faisant référence à une marque dont ce dernier est titulaire ou à son nom commercial” [22].

    Dans le Benelux, la jurisprudence ne semble pas exiger cette condition, à tout le moins depuis la transposition en 1999 de la directive sur la publicité comparative. Certains auteurs, toutefois, y voient toujours une condition de licéité de la publicité comparative [23].

    14.On ne peut manquer de faire ici le rapprochement avec la limitation des effets de la marque contenue à l'article 6.1., sous c) de la directive sur les marques. Cette disposition, transposée à l'article 2.23.1., sous c) CBPI autorise les tiers à faire usage, dans la vie des affaires, de la marque lorsqu'elle est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoires ou pièces détachées, ceci pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. La Cour de justice a eu l'occasion de préciser dans son arrêt Gillette comment la condition de nécessité devait être interprétée. Pour la Cour, l'usage de la marque est “nécessaire dans les cas où ladite information ne peut en pratique être communiquée au public par un tiers sans qu'il soit fait usage de la marque dont ce dernier n'est pas le titulaire” et que cet usage “doit en pratique être le seul moyen de fournir une telle information” [24]. Pour plusieurs auteurs, cette exigence de caractère de nécessité aurait pour effet que seul l'usage d'une marque verbale serait autorisé pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service. En revanche, l'utilisation d'une marque figurative ou semi-figurative ne présenterait pas ce caractère de nécessité [25].

    Lorsque la marque d'un concurrent est utilisée dans une publicité comparative, cet usage doit-il également être nécessaire, voire indispensable?

    15.Dans son arrêt O2, la Cour de justice ne répond pas à la question de savoir si l'usage de la marque doit être indispensable. Nous ne pensons cependant pas qu'une telle condition soit requise. La directive sur la publicité comparative opère en effet une harmonisation exhaustive des conditions de licéité de la publicité comparative [26] et aucune de ses dispositions n'exige que l'utilisation de la marque d'un concurrent soit indispensable. D'ailleurs, la Cour de justice a déjà jugé à plusieurs reprises qu'il convient d'interpréter ces conditions de licéité dans le sens le plus favorable à la publicité comparative, ce qui plaide contre l'exigence d'une telle condition [27]. Dans son arrêt Pippig, la Cour de justice avait d'ailleurs souligné que la directive sur la publicité comparative permet l'utilisation non seulement de la marque d'un concurrent, mais également d'autres signes distinctifs, comme par exemple, le sigle et l'image de la façade du magasin du concurrent [28]. Or, on conçoit difficilement que l'utilisation de tels signes distinctifs soit indispensable à l'annonceur.

    Si aucune condition d'indispensabilité n'est requise, il convient néanmoins de garder à l'esprit que la publicité comparative ne peut tirer indûment profit de la notoriété attachée à la marque d'un concurrent (art. 3bis, sous g) de la directive sur la publicité comparative - art. 4, sous f) de la version codifiée). Dans son arrêt Toshiba, la Cour de justice a décidé qu'il n'y a un tel profit indu “que lorsque leur mention a pour effet de créer dans l'esprit du public visé par la publicité une association entre le fabricant dont les produits sont identifiés et le fournisseur concurrent, en ce que le public transfère la réputation des produits du fabricant aux produits du fournisseur concurrent” [29]. On peut se demander, cependant, si une certaine condition de nécessité n'est pas contenue implicitement dans l'article 3bis, sous g) [art. 4, sous f) de la version codifiée]. Certains des attendus de l'arrêt Siemens permettent en effet de se poser la question puisque la Cour estime en effet qu'il n'y a pas de profit indu lorsque la référence aux signes distinctifs d'un concurrent est la condition d'une concurrence effective sur le marché [30]. En outre, pour la Cour, l'avantage que constitue pour les consommateurs la publicité comparative doit également être pris en compte dans l'appréciation du caractère indu [31]. Pour la Cour, il semblerait donc qu'il n'y ait pas de profit indu dès lors que la référence à la marque d'un concurrent est nécessaire. Est-ce à dire que cette référence n'est autorisée précisément que si elle est nécessaire? On devrait vraisemblablement être fixé d'ici peu sur cette question. La Cour de justice vient en effet d'être saisie d'une question préjudicielle par laquelle il lui est demandé de préciser de profit indu tiré de la notoriété attachée à la marque d'un concurrent [32].

    Conclusion

    16.Faut-il encore se soucier du droit des marques en matière de publicité comparative? Plus tellement, serions-nous tentés de dire. L'usage d'un signe identique ou similaire à la marque d'un concurrent n'est pas soustrait à l'application des dispositions transposant en droit national la directive sur les marques du seul fait qu'il survient dans le cadre d'une publicité comparative. Il peut, sous certaines conditions, être interdit sur base de ces dispositions. Libre au demandeur d'agir sur la base de son droit de marque ou sur celle des dispositions transposant la directive sur la publicité comparative. Dans les deux cas, cependant, la licéité de la publicité ne sera examinée qu'à la lumière des critères figurant à l'article 3bis de la directive sur la publicité comparative [art. 4 de la version codifiée]. La situation est désormais clarifiée et un peu plus simple. Compte tenu de la définition large donnée à la publicité comparative et du nombre croissant de conflits entre titulaires de marques et annonceurs, ce ne sont pas ces derniers qui s'en plaindront.

    [1] Avocat, Simont Braun.
    [2] C.J.C.E. 12 juin 2008, C-533/06, O2 Holdings Limited & O2 (UK) Limited/Hutchinson 3G UK Limited.
    [3] Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques.
    [4] Dans son arrêt, la Cour se prononça sur l'interprétation de la directive 84/450/CEE avant qu'elle ne soit codifiée par la directive 2006/114/CE. Nous nous référons dans notre article à la numérotation de la directive 84/450/CE, tout en indiquant entre crochets la disposition correspondante de la directive 2006/114/CE.
    [5] Conclusions de l'avocat général Mengozzi, 31 janvier 2008, C-533/06, O2 Holdings Limited & O2 (UK) Limited/Hutchinson 3G UK Limited.
    [6] Cf. p. ex. Prés. Comm. Bruxelles 24 mars 2004, Ann. prat. comm. 2004, p. 214; Prés. Comm. Louvain 26 mars 2002, Ann. prat. comm. 2002, p. 170; Comm. Termonde 15 octobre 2003, Ann. prat. comm. 2003, p. 635.
    [7] Concl. avocat général Mengozzi, 31 janvier 2008, point 40.
    [8] C.J. Benelux 20 décembre 1993, A 92/5, Daimler-Benz, C.J. Benelux - Jurisp., t. 14, p. 65.
    [9] Art. 5.5. de la directive.
    [10] Concl. avocat général Mengozzi, 31 janvier 2008, C-533/06, O2 Holdings Limited & O2 (UK) Limited/Hutchinson 3G UK Limited, point 26.
    [11] Point 36.
    [12] Point 35.
    [13] C.J.C.E. 25 octobre 2001, C-112/99, Toshiba/Katun, point 31.
    [14] Cf. considérant 15.
    [15] C.J.C.E. 19 avril 2007, C-381/05, De Landtsheer Emmanuel/Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne - Veuve Clicquot Ponsardin, point 62.
    [16] Point 49.
    [17] Point 45.
    [18] S. Debaene,Capita selecta betreffende vergelijkende reclame in België”, Bull. BMM 2007/3, p. 123.
    [19] Points 40 et 41.
    [20] Point 69.
    [21] E. Hoogenraad, note sous l'arrêt O2, Bull. BMM 2008/4, p. 218.
    [22] Considérant 14.
    [23] A. Braun et E. Cornu, Précis des marques, 5e éd., Bruxelles, Larcier, 2009, p. 476.
    [24] C.J.C.E. 17 mars 2005, C-228/03, The Gillette Company, point 35.
    [25] A. Braun et E. Cornu, o.c., p. 491; M.-C. Janssens, “In welke mate kan men zich specialist of gespecialiseerde in automerk X noemen? Een merkenrechtelijke stand van zaken na het arrest BMW/Deenik”, I.R. D.I. 2000, p. 228.
    [26] C.J.C.E. 8 avril 2003, C-44/01, Pippig Augenoptik, point 44.
    [27] C.J.C.E. 25 octobre 2001, précité, pont 37; C.J.C.E. 8 avril 2003, précité, point 42; C.J.C.E. 19 septembre 2006, C-356/04, Lidl Belgium/Colruyt, point 22; C.J.C.E. 19 avril 2007, précité, points 35 et 63.
    [28] C.J.C.E. 8 avril 2003, précité, point 83.
    [29] C.J.C.E. 25 octobre 2001, précité, point 60.
    [30] C.J.C.E. 23 février 2006, C-59/05, Siemens/VIPA Geselchaft für Visualisierung und Prozesautomatisierung, point 15.
    [31] Ibid., point 24.
    [32] Demande de décision préjudicielle présentée par la Court of Appeal le 5 novembre 2007, C-487/07, L'Oréal/Bellure.