Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 12/07/2007, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 53-55

Tribunal de commerce de Bruxelles 12 juillet 2007

DROIT FINANCIER
Institutions et intermédiaires financiers - Gestion de fortune et conseiller en placements - Incompatibilités - Instruments financiers émis par une société du groupe dont le gestionnaire fait partie - Conflit d'intérêts - Approuvé implicitement
Le gestionnaire de fortune, qui acquiert au nom et pour compte de son client des instruments financiers qu'il promeut, n'établit pas qu'il n'aurait aucun intérêt personnel à l'opération.
L'article 79 § 1er de la loi du 6 avril 1995 interdit au gestionnaire de fortune d'effectuer pour compte de ses clients des opérations dans lesquelles il aurait un intérêt personnel. Cette interdiction n'est pas absolue, dès lors que l'opération relèverait de l'intérêt du client ou serait acceptée par lui.
L'absence de réaction du client, investisseur avisé, pendant près de 2 ans constitue un silence circonstancié et emporte renonciation d'engager la responsabilité du gestionnaire de fortune.
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Onverenigbaarheden - Financiële instrumenten die uitgegeven zijn door een vennootschap van de groep waarvan de vermogens­beheerder deel uitmaakt - Belangenconflict - Stil­zwijgende goedkeuring
De vermogensbeheerder, die door hem gepromoveerde financiële instrumenten op naam en voor rekening van zijn klant aankoopt, bewijst niet dat hij geen persoonlijk belang zou hebben in de verrichting.
Artikel 79 § 1 van de wet van 6 april 1995 verbiedt aan de vermogensbeheerder om verrichtingen uit te voeren waarbij hij een persoonlijk belang zou hebben. Dat verbod is niet absoluut, als de verrichting in het belang van de cliënt gaat of door hem aanvaard is.
Het gebrek aan reactie van de klant, die een wel ingelichte investeerder is, betekent een omstandig stilzwijgen en impliceert zijn verzaking om de aansprakelijkheid van de beheerder in het gedrang te brengen.

J. Mounier / SA Fortis Banque

Siég.: Schetter (juge), Thays et Maskens (juges consulaires)
Pl.: Mes P. Vigneron et J.-P. Buyle, B. Dessart

(…)

Origine et objet des demandes

L'action formée par M. Mounier vise à obtenir l'indemnisation du dommage résultant pour lui de différents manquements qu'aurait prétendument commis la défenderesse, la SA Fortis Banque, dans le cadre de l'exécution par elle d'une convention de gestion de fortune, à caractère discrétionnaire, signée le 6 septembre 1993 entre M. Mounier et, à l'époque, le service Private Banking de la Générale de Banque et à laquelle la défenderesse a succédé;

Le demandeur fait plus particulièrement grief à Fortis d'avoir prétendument, en violation non seulement de la législation en vigueur mais également de ses instructions, données à l'époque à la Générale de Banque, effectué des placements dans trois produits Fortis, sans l'en avoir au préalable informé, et d'avoir ultérieurement, pris unilatéralement la décision de revendre ces trois titres, sans en avoir reçu instruction;

De ces manquements découle, selon lui, un préjudice qu'il évalue à 98.951,29 EUR;

La demande de M. Mounier tend ainsi à faire condamner la défenderesse à lui payer:

- la somme totale (après capitalisation des intérêts) de 142.337,96 EUR à titre de dommages et intérêts pour la perte subie sur l'acquisition des trois titres susmentionnés et leur revente, ce montant à majorer des intérêts judiciaires;

- la somme de 5.000 EUR, évaluée ex aequo et bono, à titre de réparation d'un prétendu dommage moral.

- la somme de 12.000 EUR, évaluée ex aequo et bono, à titre de dommages et intérêts pour frais et honoraires d'avocat.

(…)

Discussion

(…)

a) La responsabilité de Fortis pour avoir acquis des instruments financiers “maison”, prétendument en violation de la loi et des dispositions contractuelles

1. M. Mounier fait grief à la défenderesse d'avoir, dans le cadre de la gestion de ses avoirs qui lui avait été confiée, selon convention du 6 septembre 1993 et de ses avenants, acheté trois sicav Fortis, prétendument en violation d'une part de l'article 79 § 1er de la loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement et d'autre part des instructions qu'il avait données à cet égard;

L'article 79 de la loi susmentionnée contraint les entreprises d'investissement et les établissements de crédit qui fournissent des services de gestion de fortune, d'exercer leurs activités dans l'intérêt exclusif de leurs clients et à ne pas effectuer, pour compte de leurs clients, des opérations dans lesquelles ils ont un intérêt personnel de sorte qu'en achetant des instruments financiers Fortis, le demandeur plaide que la défenderesse a violé la disposition légale en question.

2. Celle-ci objecte que cette interdiction n'est pas générale et absolue dès lors que l'intérêt de l'investisseur serait avéré dans l'opération incriminée; elle soutient par ailleurs n'être pas l'émettrice de ces sicav qu'elle ne fait que promouvoir.

3. Toutefois sur ce dernier argument, la défenderesse ne démontre pas qu'en n'étant pas l'émettrice des instruments financiers en question, qu'elle admet cependant avoir promu et qui par leur dénomination indiquent un lien avec elle (Fortis Equity Technology World Cap, Fortis Equity Telecom World Cap et FIM Institutional Equity Euro Cap), elle n'aurait aucun intérêt personnel, même indirect, à l'opération litigieuse.

4. Le gestionnaire doit, dans l'exécution de sa mission, veiller à éviter tout conflit d'intérêt et l'interdiction qui lui est faite par l'article 79 § 1er de la loi de 1995, d'effectuer pour compte de ses clients des opérations dans lesquelles il a un intérêt personnel, ne peut être considérée comme générale et absolue dès lors que pareille opération relèverait de l'intérêt du client ou serait expressément et en connaissance de cause, acceptée par lui;

En l'espèce et comme le plaide le demandeur, bien que la convention de gestion de fortune confie à la défenderesse des pouvoirs de gestion les plus étendus (“tous actes d'administration et de disposition généralement quelconques”), cette dernière s'est cependant engagée à informer préalablement M. Mounier de toute transaction qu'elle se propose de réaliser (v. art. 5.A. de l'avenant du 8 août 1997);

Cet engagement (souscrit certes dans le cas où le demandeur est présent en Belgique, mais ce point ne fait pas l'objet de développements entre parties) est applicable à “toute transaction” et donc a fortiori lorsque l'opération envisagée porte sur des instruments financiers promus par Fortis, non seulement en considération de l'interdiction prévue à l'article 79 précité, mais également en considération de ce que les parties avaient antérieurement convenu et qui ressort de la lettre que M. Mounier adressait à la Générale de Banque le 13 janvier 1994 “... il avait été convenu que pour tout investissement concernant des produits de la Générale de Banque des informations me seraient fournies concernant leurs caractéristiques”;

Contrairement à ce que plaide la défenderesse, la portée de cette lettre est éclairée et précisée par l'article 5.A. de l'avenant du 8 août 1997 qui lui est postérieur ainsi que par ailleurs par l'exécution que les parties en ont donnée tel qu'il ressort de la lettre du 16 mars 1995 par laquelle M. Mounier marque expressément son accord pour la transformation de 9 GIF - German, Dutch & French Bonds en G-Strategy.

5. La défenderesse ne démontre pas que, préalablement à l'acquisition des trois sicav Fortis, elle en aurait avisé M. Mounier, conformément à son engagement; ce faisant elle a donc incontestablement manqué à l'obligation d'information qu'elle avait souscrite.

6. Invoquant la théorie de “l'approuvé implicite”, Fortis objecte ensuite qu'en ne contestant les opérations litigieuses que près de 2 ans après le premier achat, M. Mounier a, en tout état de cause, ratifié l'acquisition de ces trois titres de sorte que sa responsabilité ne saurait être actuellement recherchée;

Elle invoque à l'appui de sa position d'une part la circonstance que le demandeur a été tenu étroitement au courant des transactions qu'elle réalisait, par l'envoi:

(1) après chaque opération des avis de débit et des extraits de compte;

(2) deux fois par mois d'une estimation de son portefeuille.

D'autre part la défenderesse souligne que M. Mounier est un investisseur particulièrement avisé en matière boursière, le silence qu'il a gardé, pendant près de deux ans, sur les opérations litigieuses valant donc ratification.

7. Le demandeur plaide tout d'abord en réponse qu'il a opté de confier son portefeuille en gestion de fortune discrétionnaire en raison de son âge (M. Mounier a actuellement plus de 80 ans) et de son état de santé déclinant afin de pouvoir être dégagé de l'obligation de surveiller l'évolution de son compte et que l'exécution du contrat s'était, pendant 9 années, déroulée à sa satisfaction et dans une relation de confiance;

Il plaide par ailleurs que sa prétendue approbation des opérations litigieuses ne saurait être déduite de son silence, alors que celles-ci résultaient d'une violation par la défenderesse d'une obligation tant légale que conventionnelle.

8. Si la théorie de l'approuvé implicite, telle qu'elle est dégagée en matière d'ordres boursiers, n'est pas transposable à la gestion de fortune notamment au motif que la gestion ne peut être appréciée que dans son ensemble (v. à ce sujet D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placement”, J.T. 1998, p. 399 ), il y a lieu de préciser qu'en l'espèce le manquement reproché à Fortis ne vise pas la gestion du portefeuille du demandeur dans son ensemble, mais uniquement deux actes isolés, accomplis dans le cadre de cette gestion c'est-à-dire l'acquisition, non autorisée, de trois sicav: la première le 1er juillet 1999 et les deux autres le 3 janvier 2000;

La question est donc de savoir si le silence que M. Mounier a gardé lors de l'acquisition de ces titres, est un silence circonstancié qui fait preuve d'un accord implicite sur ces opérations actuellement critiquées.

9. À cet égard il n'est pas contesté que les trois acquisitions en cause ont été portées immédiatement à la connaissance de M. Mounier, par des avis de débit et des extraits de compte et ultérieurement par les estimations bimensuelles de son portefeuille;

Il ressort des pièces versées aux débats par Fortis (pièces nos 1.20. et 1.22. et s. de son dossier) que le demandeur a été informé complètement sur ces opérations;

Il n'est pas davantage contesté que M. Mounier est un investisseur avisé (v. notamment sa lettre du 7 avril 1994 et aussi celle du 17 juillet 2001);

Les achats litigieux ont eu lieu en juillet 1999 et en janvier 2000, soit en pleine période d'euphorie boursière, et ce n'est que deux ans après le premier achat que le demandeur a émis ses premières contestations (probablement lors de la réunion du 11 juin 2001 mais plus certainement par lettre du 17 juillet 2001);

Bien qu'il invoque son âge et une santé déclinante, M. Mounier ne démontre pas ne pas avoir été en mesure de réagir aux rapports qu'il avait reçus sur lesdites opérations et qui établissent clairement l'acquisition d'instruments financiers non autorisés;

Dans ces conditions un silence aussi long ne peut constituer qu'un silence circonstancié, rompu tardivement et à un moment suspect c'est-à-dire en pleine dépression boursière.

10. Il se déduit des considérations qui précèdent que l'absence de réaction de M. Mounier, pendant un aussi long délai, emporte décharge de la défenderesse, sur les opérations litigieuses et donc implicitement, mais de manière certaine, renonciation de sa part d'engager la responsabilité de Fortis.

b) La responsabilité de Fortis à l'occasion de la revente des titres litigieux

11. Le demandeur fait encore grief à la défenderesse d'avoir unilatéralement pris la

décision de vendre les fonds litigieux, sans qu'il n'ait donné instruction pour ce faire;

Or dans son compte rendu de la réunion du 11 juin 2001, contenu dans la lettre de Fortis du 25 juin 2001 à M. Mounier, la défenderesse fait état de ce qu'il avait été convenu d'arbitrer les titres litigieux, “sans frais contre d'autres investissements à convenir” et ce à la suite du souhait exprimé par le demandeur de ne plus investir dans les produits Fortis, la défenderesse s'engageant par ailleurs à ne plus en introduire dans son portefeuille.

12. Non seulement cette revente convenue n'est pas contestée par M. Mounier, dans sa lettre en réponse, du 17 juillet 2001, mais elle fait partie des actes qui relèvent de la gestion discrétionnaire de Fortis.

13. M. Mounier ne démontre donc pas le caractère fautif de la revente des titres en question.

14. Il résulte donc des considérations développées tant dans le cadre du point a) que dans celui du point b) que la demande principale n'est pas fondée.

(…)

Par ces motifs, le tribunal,

(…)

Déclare la demande principale non fondée et en déboute M. Mounier;

(…)