Article

Cour d'appel Bruxelles, 09/02/2007, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 5-7

Cour d'appel de Bruxelles 9 février 2007

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Compte en banque - Anatocisme - Crédit sauf bonne fin
Le compte est une technique propre au droit commercial et soumise à des règles coutumières; la capitalisation des intérêts sort du champ d'application de l'article 1154 du Code civil, lorsqu'elle est la conséquence de la matérialisation des opérations réciproques des parties dans un compte et non le but essentiel du contrat. Ainsi comprise, l'inapplicabilité de l'article 1154 doit être étendue à tous les comptes en banque.
EFFETS DE COMMERCE
Chèque - Encaissement - Faute de la banque
Il ne peut être reproché à une banque d'accepter un chèque d'un pays éloigné tiré sur une banque dont elle ne connaît pas l'existence (et qui s'avèrera inexistante), lorsque ce chèque a toutes les apparences d'un chèque régulier.

BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankrekening - Anatocisme - Krediet onder voorbehoud van goede afloop
De rekening is een techniek eigen aan het handelsrecht en onderworpen aan gewoonterechtelijke regelen. De kapitalisatie van interesten valt buiten het toepassingsgebied van artikel 1154 van het Burgerlijk Wetboek wanneer zij het gevolg is van de veruitwendiging van de wederzijdse verrichtingen van partijen in een rekening, en niet het voornaamste doel van de overeenkomst vormt. Aldus begrepen moet de niet-toepasselijkheid van artikel 1154 uitgebreid worden tot alle bankrekeningen.
WAARDEPAPIEREN
Cheque - Incasso - Aansprakelijkheid van de bank
Een bank kan niet verweten worden een cheque ter incasso te hebben aanvaard, wanneer deze cheque in een ver verwijderd land werd getrokken op een bank waarvan zij het bestaan niet kent (en die niet bestaat), zo het er alle schijn van heeft dat het om een regelmatige cheque gaat.

Brenort - Vandenhaute / SA CBC Banque

Siég.: M. Regout, H. Mackelbert et Y. Demanche (conseillers)
Pl.: Mes J.-P. Buyle et I. Heenen loco P. Van Ommeslaghe
I. Décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 21 février 1994 par le tribunal de première instance de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. En février et juillet 1981, Jean-Pierre Flament a acheté à Jacques Smits un fonds de commerce de services de prêts, financements et assurances et de ventes de biens immeubles et commerces ainsi que l'immeuble dans lequel s'exerçait ce commerce.

(…)

Le 21 août 1981, Jean-Pierre Flament a ouvert deux comptes auprès de CBC, sous les numéros 199-5114520-80 et 199-5114511-81.

4. Les 22 mars et 7 avril 1982, Jean-Pierre Flament a déposé aux guichets de CBC cinq chèques pour un montant total de 139.764 USD.

Ces chèques étaient des chèques bancaires payables à l'ordre de Jacques Smits et tirés sur la Discount and Development Bank Limited aux Philippines.

Le compte de Jean-Pierre Flament a été crédité, sous réserve de bonne fin, de la contre-valeur de ces chèques en francs belges, soit d'un montant total de 7.089.778 FB. Sans attendre que la banque lui confirme la bonne fin des chèques, Jean-Pierre Flament a versé à Jacques Smits la somme de 6.589.778 FB et a retiré le solde à son profit.

Le 6 mai 1982, CBC a écrit à Jean-Pierre Flament qu'elle était dans l'impossibilité de recouvrir les cinq chèques, la Discount and Development Bank Limited n'existant pas. Elle a dès lors opéré la contre-passation de la valeur des chèques.

(…)

6. Le 29 septembre 1989, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné Jacques Smits pour faux et usage de faux au préjudice des consorts Flament.

7. Par citation du 23 août 1991, CBC a assigné Jean-Pierre Flament, Martine Vandenhaute, Jean Flament et Renée Brenort devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Elle demandait au tribunal la condamnation:

- (…)

- de Jean-Pierre Flament et Martine Vandenhaute, solidairement ou in solidum, au paiement de la somme de 8.067.742 FB, à majorer des intérêts conventionnels au taux de 18% à partir du 16 février 1983 et des intérêts judiciaires, cette somme étant le résultat de la contre-passation du montant des cinq faux chèques remis par Jacques Smits.

Dans son jugement du 21 février 1994, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné:

- (…)

- Jean-Pierre Flament et Martine Vandenhaute solidairement au paiement de la somme de 7.089.778 FB, à majorer des intérêts conventionnels au taux de 18% à partir du 16 février 1983 et des intérêts judiciaires.

8. Jean-Pierre Flament, Martine Vandenhaute, Jean Flament et Renée Brenort ont interjeté appel de ce jugement par requête du 11 juillet 1994.

Jean Flament est décédé le 27 février 1997, laissant comme héritiers légaux son fils, Jean-Pierre Flament et son épouse, Renée Brenort.

Jean-Pierre Flament est quant à lui décédé le 23 mai 1997, laissant comme héritiers légaux Martine Vandenhaute et leurs quatre enfants, qui ont tous renoncé à la succession.

Renée Brenort a, seule, accepté les deux successions sous bénéfice d'inventaire.

Par exploit du 7 juillet 2003, CBC a donc cité Renée Brenort en reprise d'instance.

9. Martine Vandenhaute et Renée Brenort demandent à présent à la cour:

- de déclarer que le taux d'intérêt applicable aux relations entre parties est le taux légal;

- d'ordonner la surséance à statuer en ce qui concerne les demandes relatives au crédit et au débit du compte à vue, jusqu'à ce qu'un décompte exact et précis en principal et intérêts des sommes dues soit produit par CBC; de déclarer qu'à défaut les appelantes ne sont redevables d'aucune somme vis-à-vis de la banque;

- à titre subsidiaire, de condamner la banque au remboursement des intérêts qu'elle réclame;

- de déclarer non fondée la demande de remboursement des cinq chèques litigieux en raison d'une faute de CBC dont la réparation doit être compensée avec le montant réclamé.

10. Au terme de ses dernières conclusions, CBC actualise sa demande pour tenir compte de la réalisation de certains biens donnés en garantie et de la prescription des intérêts et réclame la condamnation:

- (…)

- de Martine Vandenhaute et Renée Brenort, solidairement, au paiement d'une somme de 175.751,01 EUR (7.089.778 FB) augmentée des intérêts conventionnels au taux de 18% à partir du 23 août 1986, soit 735.172,69 EUR au 1er août 2005, à augmenter des intérêts conventionnels, soit 86,67 EUR par jour et des intérêts judiciaires.

(…)

IV. Discussion

(…)

b) Le débit du compte de Jean-Pierre Flament

18. Cette demande est dirigée uniquement contre Renée Brenort en sa qualité d'héritière de Jean-Pierre Flament.

(…)

L'anatocisme

20. Le compte ouvert par Jean-Pierre Flament est un compte courant puisqu'il a enregistré des remises réciproques et a présenté successivement un découvert en faveur de l'une ou l'autre partie. L'article 1154 du Code civil ne lui est donc pas applicable.

Cette disposition ne serait pas davantage applicable s'il fallait considérer que ce compte bancaire n'est pas un compte courant.

En effet, dans un compte, les intérêts sont automatiquement capitalisés lors de chaque arrêté périodique; au lendemain de la date de cet arrêté, le compte poursuit son cours et le premier article à y inscrire est la somme reportée à nouveau, qui comprend les intérêts de la période précédente et qui produit à son tour des intérêts. Ce procédé ne répond pas aux conditions de l'article 1154 du Code civil suivant lequel la capitalisation des intérêts échus n'est permise qui si ceux-ci sont dus pour une année au moins et si chaque capitalisation a fait l'objet d'une convention expresse. Sa validité doit cependant être admise à condition que les arrêtés périodiques aient été envoyés par le banquier au client. Cette solution s'explique par le fait que le compte est une technique propre au droit commercial et soumise à des règles coutumières; la capitalisation des intérêts sort du champ d'application de l'article 1154 du Code civil lorsqu'elle est la conséquence de la matérialisation des opérations réciproques des parties dans un compte en non le but essentiel du contrat. Ainsi comprise, l'inapplicabilité de l'article 1154 doit être étendue à tous les comptes en banque (Van Ryn et Heenen, T. III, 2ème éd., n° 438; De Page, T. III, n° 153; P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations”, R.C.J.B. 1988, 127; L. Simont et A. Bruyneel, “Chronique de droit bancaire privé”, Rev. Banq. 1987, p. 34, n° 10).

La banque a donc pu capitaliser les intérêts dus sur ce compte jusqu'à sa clôture.

(…)

c) Les cinq chèques litigieux
En tant que la demande concerne Renée Brenort en sa qualité d'héritière de Jean-Pierre Flament

23. L'appelante reproche à la banque d'avoir commis une faute en créditant le compte de Jean-Pierre Flament sans avoir vérifié auparavant si la banque tirée existait réellement.

Il ne peut être reproché à une banque d'accepter un chèque d'un pays éloigné tiré sur une banque dont elle ne connaît pas l'existence, lorsque, comme en l'espèce, ce chèque a toutes les apparences d'un chèque régulier.

Le fait de consentir un crédit sous réserve de bonne fin à la personne qui présente ce chèque atteste clairement que des vérifications doivent encore être faites. Il incombe dès lors au bénéficiaire du crédit, octroyé sous réserve de bonne fin, de tenir compte de ce délai de vérification. Il n'est pas allégué en l'espèce que la banque aurait tardé à effectuer les vérifications nécessaires.

Jean-Pierre Flament, qui exploitait un commerce de services de prêts et financements ne pouvait ignorer le mécanisme du crédit sauf bonne fin. Il n'aurait eu à supporter aucun dommage s'il avait fait preuve de la plus élémentaire prudence et s'était informé, avant de débiter le compte, de la bonne fin des chèques, et ce d'autant plus qu'il avait eu un différend avec Jacques Smits et que l'opération que celui-ci lui demandait d'effectuer avait un caractère particulier.

Par ailleurs, la banque n'a commis aucune violation de la réglementation en matière de contrôle de change. En toute hypothèse, la déclaration qu'imposait alors l'IBLC n'aurait nullement permis de constater que la banque des Philippines n'existait pas.

La banque n'a commis aucune faute en rapport avec l'encaissement de ces chèques et l'usage que Jean-Pierre Flament a fait de leur montant.

(…)