Article

Observations, R.D.C.-T.B.H., 2009/1, p. 31-32

BANQUE ET CRÉDIT
Droit bancaire - Responsabilité du banquier - Crédit - Société en formation - Article 1178 du Code civil - Rupture des négociations - Banque non chargée d'un service public
L'article 60 du Code des sociétés a une portée générale et vise tant les obligations que les droits nés des engagements pris au nom d'une société en formation.
Celui qui se prévaut d'une convention de crédit doit rapporter la preuve du consentement des parties tant sur le principe de l'octroi du crédit que sur ses modalités.
La liberté contractuelle implique le droit de contracter ou non, de choisir librement son contractant et de subordonner la conclusion d'un contrat au respect de ses propres exigences. La rupture des négociations constitue en principe un droit dont l'exercice ne présente en soi aucun caractère fautif.
Les banques ne sont pas chargées d'un service public leur imposant de réserver suite à ceux qui s'adressent à elles pour financer leurs projets. L'essence même du crédit étant la confiance, le banquier conserve toujours sa liberté d'octroyer ou non le crédit sollicité.

BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankrecht - Aansprakelijkheid bankier - Krediet - Vennootschap in oprichting - Artikel 1178 Burgerlijk Wetboek - Verbreking van de onderhandelingen - Bank geen openbare dienst
Artikel 60 van het Wetboek van Vennootschappen heeft een algemene draagwijdte en viseert zowel de rechten als de plichten voortvloeiend uit de verbintenissen aangegaan door een vennootschap in oprichting.
Diegene die zich beroept op een kredietovereenkomst moet het bewijs leveren van de toestemming van de partijen, zowel met betrekking tot het principe van de toekenning van het krediet als met betrekking tot de modaliteiten ervan.
De contractuele vrijheid impliceert het recht om al dan niet te contracteren, om vrij de contractant te kiezen en om het sluiten van een contract te laten afhangen van de vervulling van de eigen eisen. De verbreking van de onderhandelingen vormt in principe een recht waarvan de uitoefening op zich geen foutief karakter heeft.
De banken zijn niet gehouden tot een openbare dienst die hen oplegt om gevolg te geven aan diegene die zich tot hen richten om hun projecten te financieren. Daar de essentie zelf van een krediet het vertrouwen is, heeft de bankier steeds het recht om het gevraagde krediet al dan niet toe te kennen.

1.Les faits à l'origine de ce litige étaient assez simples. Des clients d'une banque avaient introduit deux demandes de crédit pour le compte de sociétés en formation afin de financer un projet immobilier et l'acquisition de parts sociales. Après avoir donné une réponse partiellement positive, le comité de direction de la banque décida finalement de ne pas octroyer les crédits sollicités.

Les clients soutenaient que la banque se serait engagée à accorder les crédits, sous certaines conditions, et qu'en toute hypothèse, elle aurait commis une culpa in contrahendo en rompant de manière intempestive les négociations et en trompant leur légitime confiance.

2.L'arrêt commenté consacre tout d'abord le principe selon lequel les banques ne sont pas chargées de l'accomplissement d'un service public leur imposant de réserver une suite à ceux qui s'adressent à elles pour financer leur projet.

Bien que le service bancaire présente un intérêt général, il ne s'agit toutefois pas d'un service public imposant à ce titre aux banques des devoirs particuliers envers les tiers ou les clients [1].

Puisqu'il ne repose pas sur les banques les charges du service public, la liberté contractuelle des parties est intacte. En vertu de l'autonomie de la volonté, chacun a droit de contracter ou non, en choisissant librement son cocontractant et en subordonnant la conclusion d'un contrat au respect de ses propres exigences [2].

Il n'existe en conséquence pas de droit au crédit dans le chef d'un particulier ou d'un professionnel. Le banquier ne peut dès lors être contraint d'accorder son soutien financier à un client lorsqu'il ne s'y est pas engagé [3]. Ce principe concerne tant les clients habituels de la banque que ceux qui ne le sont pas encore [4].

De même, un banquier n'est pas tenu de refuser l'octroi d'un crédit parce qu'il en a déjà accordé un à une société concurrente du client [5].

Cette liberté contractuelle présente d'ailleurs une logique économique. La banque à qui des fonds ont été confiés en dépôt, ou qui les a empruntés sur le marché interbancaire, ne doit pas les engager à la légère. Si la solvabilité du client n'est pas jugée suffisante, si la confiance à l'égard de son client n'est pas entière, la banque doit pouvoir librement décider de ne pas apporter son concours. Cette appréciation du risque doit lui appartenir [6]. C'est ce que l'arrêt rappelle à juste titre: “L'essence même du crédit étant la confiance, les conventions d'octroi de crédit sont marquées par l'intuitu personae et le banquier, qui n'est pas en position monopolistique, conserve toujours sa liberté d'octroyer ou non le crédit sollicité”.

La confiance du banquier peut à cet égard reposer tant sur des données objectives que subjectives [7].

3.Tant qu'un contrat n'est pas formé, chacune des parties est libre de rompre les pourparlers. Le droit de rompre des pourparlers constitue l'expression de la liberté de contracter [8].

Le banquier n'est d'ailleurs pas tenu de motiver sa décision de refuser un crédit qui a été sollicité [9].

Le fait que la valeur des garanties offertes est suffisante pour couvrir le montant emprunté ne modifie pas ces principes. Il n'est d'ailleurs pas inutile de rappeler à cet égard que, dans l'appréciation de l'octroi du crédit et de ses risques, les valeurs patrimoniales affectées en garantie doivent garder un caractère secondaire par rapport aux évaluations intrinsèques de l'entreprise [10].

4.Cela étant, le droit de rompre des pourparlers n'autorise pas tous les comportements. À l'instar de tout contractant, le banquier est lui aussi tenu par certaines obligations précontractuelles lorsqu'il entame des pourparlers avec un candidat au crédit, qui lui imposent notamment d'agir de manière loyale et de bonne foi. Une rupture des pourparlers pourra engager la responsabilité précontractuelle si elle est entourée de circonstances établissant un manque de loyauté ou de prudence constitutif d'une faute aquilienne [11]. Tel serait le cas si, au cours des négociations, la partie qui rompt a créé, sciemment ou par négligence, dans le chef de l'autre partie, la croyance légitime que le contrat serait conclu et qu'elle a trompé cette croyance [12].

Le banquier qui viendrait à refuser brusquement un crédit alors que son comportement a légitimement pu laisser croire à son client qu'il était disposé à lui accorder le crédit demandé est susceptible d'engager sa responsabilité [13].

En l'espèce, en raison de plusieurs éléments de fait, la cour a considéré que le banquier n'avait pas créé une quelconque croyance légitime d'octroi de crédits dans le chef du client à l'égard de qui il n'avait pris aucun engagement.

Roland Hardy
[1] Bruxelles 6 septembre 1999, R.D.C. 2000, p. 703, note J.-P. Buyle et M. Delierneux; voy. égal. J.-P. Buyle et O. Creplet, “La responsabilité bancaire”, in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Vol. 1, Kluwer, 2000, p. 41; J. De Lat et Y. De Cock, De aansprakelijkheid van de bankier bij kredietverlening, Swinnen, 1982, p. 24.
[2] Voy. not. B. De Coninck et C. Delforge, “La rupture des négociations et le retrait intempestif de l'offre. Régime et sanctions”, in Le processus de formation du contrat, CUP, 2004, pp. 79 et 80.
[3] J. Cattaruzza et C.-A. Van Oldeneel, “Les contrats de services financiers”, in Le droit des affaires en évolution, Bruylant-Kluwer, 2006, p. 230; voy. égal. J.-P. Buyle et O. Creplet, o.c., p. 41.
[4] J. Cattaruzza et C.-A. Van Oldeneel, o.c., p. 230.
[5] Cass. fr. 19 novembre 2002 (somm.), Rec. Dalloz, Act. Juris. 2003, p. 420.
[6] R. Routier, La responsabilité du banquier, L.G.D.J., 1997, p. 16.
[7] Mons 17 janvier 1994, J.L.M.B. 1994, p. 1032 et note J.-P. Buyle.
[8] Civ. Bruxelles 10 novembre 1994, J.L.M.B. 1995, p. 408; B. De Coninck, Le droit commun de la rupture des négociations précontractuelles, Bruylant, 2002, p. 28, n° 12; S. Stijns et P. Wéry, Les sources d'obligations extracontractuelles, la Charte, 2007, p. 87.
[9] Bruxelles 6 septembre 1999, R.D.C. 2000, p. 708, note J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[10] Rapport CBF, 1966, p. 34; Comm. Bruxelles 12 septembre 2000, R.D.C. 2001, p. 787 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[11] Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, T. III, 2ème éd., p. 29, n° 21; F. T'Kint, “Négociation et conclusion du contrat”, in Les obligations contractuelles, Éd. Conf. Jeune Barreau, 1984, p. 17, n° 30; M. Coipel, Élément de théorie générale des contrats, Kluwer, 1999, p. 35, n° 46; De Bondt, “Precontractuele aansprakelijkheid”, R.G.D.C. 1993, pp. 99 et s.; S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, “Chronique de jurisprudence. Les obligations: les sources”, J.T. 1996, p. 708, n° 46; Civ. Bruxelles 10 novembre 1994, J.L.M.B. 1995, p. 408.
[12] S. Stijns et P. Wéry, Les sources d'obligations extracontractuelles, la Charte, 2007, p. 87 et les références citées not. A. Van Oevelen, “Juridische verhoudingen en aansprakelijkheid bij onderhandelingen over commerciële contracten”, DAOR 1990/14, pp. 48 et 49, n° 7; B. De Coninck et C. Delforge, “La rupture des négociations et le retrait intempestif de l'offre. Régime et sanctions”, in Le processus de formation du contrat, CUP, 2004, pp. 82 à 84.
[13] X. Dieux et D. Willermain, La responsabilité civile et pénale du banquier dispensateur de crédits. Développements récents, Éd. du Jeune Barreau de Liège, 2002, p. 423.