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Les limitations LLMC en cas de pollution par un bateau d'intérieur, R.D.C.-T.B.H., 2008/7, p. 660-661

SCHIP EN SCHEEPVAART
Binnenvaart - Aansprakelijkheidsbeperking - Eigenaar van binnenschip - Verontreiniging
De eigenaar van een binnenschip, die een verontreiniging door koolwaterstoffen veroorzaakt, kan zich beroepen op de aansprakelijkheidsbeperking ingesteld door het LLMC-Verdrag.
NAVIRE ET NAVIGATION
Navigation intérieure - Limitation de responsabilité - Propriétaire de bateau d'intérieur - Pollution
Le propriétaire d'un bateau d'intérieur, auteur d'une pollution par hydrocarbures, peut se prévaloir de la limitation de responsabilité instituée par la Convention LLCM.
Les limitations LLMC en cas de pollution par un bateau d'intérieur
Jacques Libouton

La limitation de responsabilité en matière de créances maritimes est régie par la Convention LLCM du 19 novembre 1976, approuvée par la loi du 11 avril 1989 [1], modifiée par un protocole du 2 mai 1996, non encore ratifié par la Belgique. Le système de la Convention LLMC prévoit, de façon relativement complexe, trois fonds de limitation, selon la nature des dommages, le montant des divers fonds étant déterminé d'après le tonnage du navire.

L'article 3 de la Convention LLCM prévoit que diverses créances échappent aux règles de la Convention LLCM, et notamment selon l'alinéa b), les “créances pour dommages dus à la pollution par les hydrocarbures au sens de la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en date du 29 novembre 1969, ou de tout amendement ou de tout protocole à celle-ci qui est en vigueur” [2].

Cette formulation n'est pas particulièrement heureuse. Dans la version initiale du projet de Convention LLCM, une exception était prévue pour les “créances soumises” à la Convention du 29 novembre 1969 susdite, dénommée “Convention CLC” de 1969, ce qui était parfaitement logique puisque, un régime de limitation particulier étant institué pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par les pétroliers [3], une limitation de responsabilité serait applicable en tout état de cause, à savoir soit celle, générale, instituée par la Convention LLCM, soit celle particulière, prévue pour les pollutions par hydrocarbures causées par les pétroliers. Toutefois, la formulation initiale soulevait des difficultés car divers pays signataires de la Convention LLCM ne comptaient pas signer la Convention CLC, et voulaient régler la limitation de responsabilité pour les dommages dus à la pollution par hydrocarbures dans une législation nationale, que ces pays ne voulaient évidemment pas voir écarter par l'effet de la Convention LLCM. L'on a cherché à répondre à ce souci, certes compréhensible, en prévoyant à l'article 3, b) de la Convention LLCM qu'étaient exclues les créances en matière de pollution par hydrocarbures “au sens de” (“within the meaning of”) la Convention CLC. Ceci est de nature à susciter des doutes et controverses: les mots “au sens de” doivent-ils être interprétés de façon large, pour être étendus à la nature du dommage, en ce compris par exemple le dommage causé, non seulement par les pétroliers, mais également par les navires ordinaires qui, par exemple à l'occasion d'un abordage ou d'une collision, perdent leur carburant, ou faut-il les interpréter de façon restrictive, en les limitant aux créances telles que définies dans la Convention CLC? Il semble que l'interprétation restrictive corresponde mieux à la volonté du législateur international [4].

La Convention LLCM concerne les “navires de mer”, à savoir les “seagoing ship” selon l'article 1 § 2, ce qui ne vise en principe pas les bateaux, dits “bateaux d'intérieur”, à savoir en Belgique, selon les articles 1 et 271 de la loi maritime, les bâtiments de moins de 25 tonneaux de jauge et ceux qui sont habituellement utilisés dans les voies d'eaux intérieures.

Toutefois, l'article 273 § 1, 1° de la loi maritime déclare applicable aux bateaux d'intérieur, les articles 1 à 15 de la Convention LLCM, à l'exception de son article 6 § 5. Les fonds de limitation sont toutefois établis, en matière de navigation intérieure, par l'arrêté royal du 27 novembre 1989, qui retient des limitations plus basses que pour ce qui concerne les navires de mer.

La conséquence de l'article 273 § 1, 1° de la loi maritime est donc, à première vue, de faire bénéficier le propriétaire d'un bateau d'intérieur des limitations de responsabilité LLCM, sauf s'il devait s'agir d'une créance du chef de pollution par hydrocarbures régie par la Convention CLC du 29 novembre 1969. Toutefois, la Convention CLC du 29 novembre 1969 ne s'applique pas aux bateaux d'intérieur et est prévue uniquement pour les navires de mer, et au demeurant les pétroliers. S'est donc posée la question de savoir s'il fallait considérer qu'un propriétaire de bateau intérieur [5] qui, comme dans l'espèce annotée, provoque des dommages par pollution en raison d'un débordement de carburant, bénéficie de la limitation LLCM ou s'il ne bénéficie d'aucune limitation, ni dans le cadre de la Convention LLCM, ni dans celui de la Convention CLC.

Le Havenbedrijf d'Anvers soutenait la thèse de l'absence de possibilité de limitation, par une lecture littérale de l'article 3, b) de la Convention LLMC, sous prétexte qu'il s'agissait de pollution par hydrocarbures. Elle avait sans doute été amenée à soutenir cette thèse en se référant au rapport fait par M. De Decker: “De beperking van aansprakelijkheid in de binnenvaart. I.h.b. het Verdrag van Straatsburg van 4/11/1988 (CLNI)” dans le cadre d'une journée d'étude “Actuele problemen van het Rijn- en Schelderecht”, UFSIA, Antwerpen, 11 mai 2004, dans laquelle cet auteur écrivait:

“Hier verschilt de lijst van het CLNI ten aanzien van de lijst van het LLCM (art. 3), waar immers naast de vier opgesomde categorieën tevens beperking is uitgesloten voor vorderingen ter zake van schade door verontreiniging door olie in de zin van het internationaal verdrag inzake de wettelijke aansprakelijkheid voor verontreiniging door olie. Deze uitsluitingsgrond in het LLCM is ten aanzien van de zeevaart begrijpelijk daar hiervoor afzonderlijke aansprakelijkheidslimieten zijn vastgelegd in genoemd verdrag en de scheeps­eigenaar, naar Belgisch recht, op grond van artikel 47 § 2 van de Zeewet voor dergelijke schade zijn aansprakelijkheid mag beperken overeenkomstig deze limieten. Voor de binnenvaart geldt echter niet een gelijkaardige regeling, en waar de Belgische wetgever de toepassing van artikel 3 LLCM heeft behouden voor de binnenvaart, is in België derhalve beperking van aansprakelijkheid voor dergelijke vordering ook voor de binnenvaart niet mogelijk.”

Le tribunal de commerce d'Anvers, dans le jugement annoté, a, à juste titre, permis au propriétaire du bateau d'intérieur de se prévaloir de la limitation de responsabilité LLCM. Constatant que, selon l'article I, alinéa 1 de la Convention CLC, le “navire” est défini comme “tout bâtiment de mer ou engin marin, quel qu'il soit, construit ou adapté pour le transport des hydrocarbures en vrac en tant que cargaison”, il constate que, en l'espèce, il s'agit d'un bateau d'intérieur, et donc non soumis à la Convention CLC.

Le tribunal retient ainsi que la Convention CLC vise uniquement les navires de mer pétroliers, de sorte que l'exclusion prévue par l'article 3, b) LLMC ne joue pas. Le tribunal aurait d'ailleurs pu ajouter que l'article 2, 1., a) LLCM est rédigé de façon très large et comprend donc en principe les dommages par pollution, et que ni le législateur international, ni le législateur belge, dans la loi du 11 avril 1989, n'ont exprimé l'intention, qui aurait été inique, de priver du bénéfice de la limitation de responsabilité en cas de pollution les bateliers d'intérieur, assurément économiquement plus faibles que les propriétaires de navires et de pétroliers [6].

Il faut relever que, selon toutes apparences, M. De Decker, dont l'autorité en matière fluviale est reconnue, a dû se rendre compte, après la journée d'étude du 11 mai 2004 qui avait inspiré le Havenbedrijf d'Anvers, du caractère inexact de la conclusion qu'il avait exprimée; en effet, lorsqu'il a fait publier ultérieurement le texte de son intervention, il y a fait disparaître la fin de la phrase soulignée ci-dessus (“en waar de Belgische wetgever…”[7].

L'on peut donc sans doute considérer que la doctrine et la jurisprudence s'accordent désormais à faire bénéficier le batelier d'intérieur des limitations LLCM en cas de pollution.

[1] Mon. b. 6 octobre 1989, p. 17.141.
[2] Ce texte est extrait du “Code maritime” par O. Cachard, Codes Larcier thématiques 2006, pp. 87-88.

L'on relèvera que la version française de la Convention LLCM, établie en anglais, espagnol, français et russe, a été publiée de façon tronquée en annexe à la loi du 11 avril 1989; le texte publié au Moniteur du 6 octobre 1989 évoque en effet les “créances pour dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en date du 29 novembre 1969, ou de tout amendement ou de tout protocole à celle-ci qui est en vigueur” (cf. p. 17.163)… La traduction néerlandaise publiée au Moniteur est en revanche exacte.
[3] L'art. I, al. 1 de la Convention CLC de 1969 vise “tout bâtiment de mer ou engin marin, quel qu'il soit, construit ou adapté pour le transport des hydrocarbures en vrac en tant que cargaison”.
[4] Voy. F. Stevens, Beperking van aansprakelijkheid. Zee- en binnenvaart, Bibliotheek Handelsrecht, Larcier, Transportrecht, 2008, nos 180-181.
[5] Quoique le jugement ne le dise pas, le bateau “Jaguar” au centre du litige est un bateau-citerne utilisé pour le transport d'hydrocarbures.
[6] Voy. en ce sens F. Stevens, o.c., n° 367.
[7] T.R.V. 2004, p. 287.