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PRESTATION DE SERVICES – Reconnaissance des qualifications professionnelles, R.D.C.-T.B.H., 2008/6, p. 565-567

PRESTATION DE SERVICES

Reconnaissance des qualifications professionnelles

La loi du 13 décembre 2007 instaurant un nouveau cadre général pour la reconnaissance des qualifications professionnelles CE

1.Le Moniteur belge du 2 avril 2008 publie une loi du 13 décembre 2007 “instaurant un nouveau cadre général pour la reconnaissance des qualifications professionnelles CE” [1]. Cette loi transpose la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles [2], [3]. En Belgique, le nouveau régime remplace celui mis en place, à peine de deux ans auparavant, par la loi du 10 mai 2006 [4].

2.La directive 2005/36/CE vise à simplifier et à remplacer, par un seul acte législatif, 15 anciennes directives, parmi lesquelles plusieurs directives sectorielles (couvrant les professions de médecin, infirmier responsable des soins généraux, dentiste, vétérinaire, sage-femme, pharmacien et architecte) et 3 directives qui avaient mis en place un système général de reconnaissance des qualifications professionnelles couvrant la plupart des autres professions réglementées. La directive s'applique à tout ressortissant d'un État membre voulant exercer une profession réglementée, soit à titre indépendant, soit à titre de salarié, dans un État membre autre que celui dans lequel il a acquis ses qualifications professionnelles.

Comme le souligne J. Pertek, “(…) l'innovation la plus marquante de la directive tient à la création de solutions nouvelles pour la prestation de services, qui produisent leurs effets pour toutes les activités et professions qui étaient régies par le système général et demeurent régies par le régime général de la reconnaissance en vue de l'exercice permanent dans un autre État membre” [5]. La directive, mais également la loi du 13 décembre 2007, portent aussi bien sur la “libre prestation de services” (laquelle présente un caractère temporaire et occasionnel) que sur la “liberté d'établissement” dans un autre État membre pour ce qui concerne les qualifications professionnelles; les exigences en matière de prestation de services sont assouplies par rapport à l'établissement.

3.La Belgique a choisi de transposer de manière distincte (c'est-à-dire de manière “verticale”) les 7 professions reconnues comme “ sectorielles” par l'Union européenne (c'est-à-dire les professions de médecin, infirmier responsable des soins généraux, dentiste, vétérinaire, sage-femme, pharmacien et architecte), quoique celles-ci soient également couvertes par la directive 2005/36/CE. La loi du 13 décembre 2007 ne vise donc pas la prestation de services ou l'établissement en Belgique par/de ces professionnels (art. 4 § 3 de la loi). Elle couvre en revanche toutes les autres professions réglementées par une autorité fédérale (transposition “horizontale”).

4.Constitue une profession réglementée “une activité ou un ensemble d'activités professionnelles dont l'accès, l'exercice ou une des modalités d'exercice est subordonnée directement ou indirectement, en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées (…)” (art. 2, a) de la loi). Nonobstant l'exclusion des 7 professions précitées, un nombre très important de professions sont donc visées par la loi. Dans l'Exposé des Motifs de la loi figure ainsi une liste indicative de ces professions, parmi lesquelles figurent, entre autres [6], les professions paramédicales [7], les professions d'expert-fiscal, de conseil-fiscal, de comptable, de fiscaliste agréé, d'agent immobilier, de psychologue, de géomètre-expert juré, de mandataire agréé en matière de brevets d'invention, de reviseur d'entreprise, les professions d'opticien et de technicien dentaire, les professions réglementées dans le cadre de la loi du 10 février 1998 pour la promotion de l'entreprise indépendante [8], les professions du secteur du gardiennage (ainsi que les entreprises de sécurité et la profession de détective privé), les professions des “gens de mer” (pêche en mer), les professions d'instructeur et de directeur d'écoles de conduite, la profession de courtier (et de commissionnaire) de transport, la profession d'agent de change, la profession de juriste d'entreprise ou encore la profession d'avocat [9].

À cette liste doivent être ajoutées les professions pour la réglementation desquelles sont compétentes soit les communautés (en particulier les professions de l'enseignement), soit les régions (en particulier les professions du tourisme).

5.Les “qualifications professionnelles” dont les autorités compétentes belges font de l'obtention une condition d'accès ou d'exercice de la profession sont, au sens large, aussi bien la réussite d'un cycle d'études (diplôme) que l'accomplissement d'un stage complémentaire ou d'un examen d'entrée ou qu'une pratique professionnelle.

6.À l'image de ce que prévoit la directive, la loi permet au bénéficiaire de qualifications professionnelles d'accéder, en Belgique, à la profession pour laquelle il est qualifié et de l'y exercer dans les mêmes conditions que les personnes de nationalité belge, lorsque cette profession est réglementée.

La libre prestation de services en Belgique (titre II de la loi) ne peut donc pas être restreinte pour des raisons relatives aux qualifications professionnelles si le prestataire est légalement établi dans un autre État membre pour y exercer la même profession; en cas de déplacement vers la Belgique d'un prestataire d'une profession réglementée en Belgique, mais non réglementée dans l'État membre dans lequel ce prestataire est établi, ce dernier doit toutefois justifier qu'il a exercé cette profession dans cet État pendant au moins deux années au cours des dix années qui précèdent la prestation en Belgique (art. 7). Par ailleurs, s'il se déplace vers la Belgique, le prestataire est soumis aux règles de conduites de caractère professionnel, réglementaire ou administratif en rapport direct avec les qualifications professionnelles, ainsi qu'aux dispositions disciplinaires applicables en Belgique aux professionnels qui exercent la même profession (art. 8). L'autorité compétente belge peut également exiger du prestataire étranger qui se déplace vers la Belgique, qu'il lui fournisse un certain nombre d'informations (notamment la preuve des qualifications professionnelles ou la couverture par une assurance de sa responsabilité professionnelle).

En ce qui concerne la liberté d'établissement, la loi du 13 décembre 2007 transpose également de manière fidèle la directive 2005/36/CE (titre III de la loi), sous réserve de l'exclusion des 7 professions dites “sectorielles”. La loi prévoit deux régimes distincts. D'une part le régime général de la reconnaissance des titres de formation, qui s'applique à titre subsidiaire à toutes les professions qui ne font pas l'objet de règles de reconnaissance spécifiques; le principe de base réside dans le fait que lorsque, en Belgique, l'accès à une profession ou son exercice est réglementé, l'autorité belge compétente permet l'accès à cette profession et son exercice aux mêmes conditions que les professionnels belges, dès lors que le demandeur est titulaire d'un titre de formation obtenu dans un autre État membre attestant d'un niveau de formation au moins équivalent au niveau immédiatement inférieur à celui exigé en Belgique [10], [11]. D'autre part, le régime de la reconnaissance automatique de l'expérience professionnelle, qui s'applique à une série d'activités énumérées à l'annexe IV de la loi (activités industrielles, artisanales et commerciales), lorsque l'accès à l'une de ses professions ou son exercice en Belgique est subordonné à la possession de connaissances et d'aptitudes générales, commerciales ou professionnelles. Dans les deux cas, l'autorité compétente belge peut, tout comme en matière de libre prestation de services, exiger du demandeur qu'il lui fournisse un certain nombre d'informations.

7.En résumé, la loi 13 décembre 2007 transpose fidèlement la directive 2005/36/CE et met en place un régime transversal simplifié en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles pour l'établissement, mais surtout pour la prestation de services en Belgique de ou par des prestataires établis dans d'autres États membres de l'Union européenne. L'on peut toutefois regretter que le législateur n'ait pas suivi l'option retenue dans la directive 2005/36/CE, d'englober également dans la loi de transposition les règles de reconnaissance des qualifications applicables aux 7 professions “sectorielles”. La législation belge en eût été simplifiée. Pour ces professions, les transpositions verticales effectuées sous l'ancien régime devront donc sans tarder être adaptées au nouveau régime instauré par la directive 2005/36/CE, sous peine de voir à nouveau l'État belge pointé du doigt par les autorités européennes.

[1] Mon. b. 2 avril 2008, p. 17886.
[2] J.O. L. 255/22 du 30 septembre 2005; cette directive a entretemps été modifiée par la directive 2006/100/CE du Conseil du 20 novembre 2006 portant adaptation de certaines directives dans le domaine de la libre circulation des personnes, en raison de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (J.O. L. 363/141 du 20 décembre 2006).
[3] La directive 2005/36/CE devait en principe avoir été transposée pour le 20 octobre 2007. Sur le régime de la reconnaissance des qualifications professionnelles en Europe, voy. de manière générale J. Pertek, Diplômes et professions en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2008.
[4] Loi du 10 mai 2006 instaurant un cadre général pour la reconnaissance des qualifications professionnelles.
[5] J. Pertek, “Consolidation de l'acquis des systèmes de reconnaissance des diplômes par la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005”, R.M.C. 2008, pp. 122 et s., spéc. p. 122.
[6] Projet de loi instaurant un nouveau cadre général pour la reconnaissance des qualifications professionnelles CE, Doc. parl. Ch. 2007-08, n° 232/1, pp. 8-9.
[7] Logopède, podologue, bandagiste/orthésiste/prothésiste, kinésithérapeute, diététicien.
[8] P. ex., boulanger/pâtissier, coiffeur/coiffeuse, entrepreneur de pompes funèbres, esthéticienne, carreleur, installateur de chauffage central, de climatisation, de gaz et de sanitaire, etc.
[9] En ce qui concerne la profession d'avocat, le titre “libre prestation de services” de la loi (Titre II) n'est pas applicable; en effet, les directives européennes spécifiques relatives à la prestation de services et à l'établissement des avocats (directive 77/249/CEE du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (J.O. L. 78 du 26 mars 1977) et directive 98/5 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (J.O. L. 77 du 14 mars 1998)) ne sont pas touchées par la nouvelle directive 2005/36/CE, car elles ne visent pas la reconnaissance des qualifications professionnelles, mais bien la reconnaissance de l'autorisation d'exercer la profession; en revanche, la reconnaissance des diplômes d'avocats (ancienne directive 89/48/CEE) est bien couverte par la nouvelle directive 2005/36/CE, et donc par la loi du 13 décembre 2007. L'activité d'avocat demeure donc dans le domaine d'application de la directive, “(…) mais seulement lorsque l'intéressé recherche une reconnaissance de la formation en vue d'une intégration immédiate dans la profession de l'État d'accueil (que la directive présente comme une recherche de 'l'établissement immédiat sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil')” (J. Pertek, o.c., spéc. p. 125).
[10] Lorsque la profession n'est pas réglementée dans l'État membre d'origine du demandeur, celui-ci doit, en plus d'un titre de formation, justifier de deux années d'expérience professionnelle au cours des dix années précédant l'établissement en Belgique (art. 15 § 2 de la loi).
[11] L'autorité compétente belge peut par ailleurs exiger du demandeur qu'il accomplisse un stage d'adaptation pendant trois ans au maximum (“mesures de compensation”) dans certains cas particuliers (art. 16 de la loi).