Article

Cour d'appel Liège, 30/04/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/4, p. 335-336

Cour d'appel de Liège 30 avril 2007

SOCIÉTÉS
Sociétés dotées de la personnalité morale - Organes - Responsabilité - Faillite - Article 265 du Code des sociétés - Conditions d'application - Responsabilité personnelle du gérant pour aggravation du passif - Absence de comptabilité
La faute visée à l'article 265 du Code de sociétés doit être grave et caractérisée, en ce sens que le juge ne tiendra compte que de la faute incontestable. Il est pour le surplus seulement requis qu'elle ait contribué à la faillite. L'absence de toute comptabilité depuis la constitution de la société, privant assurément la société de la vision nécessaire à son fonctionnement et l'exposant à des sanctions fiscales, et donc à un alourdissement de ses charges, est constitutif d'une faute grave et est en lien causal avec la faillite, même s'il n'en est pas la cause immédiate.
Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne l'évaluation du dommage, la seule limite étant que le gérant ne peut être condamné à supporter un montant supérieur à celui de l'insuffisance d'actif.
VENNOOTSCHAPPEN
Vennootschappen met rechtspersoonlijkheid - Organen - Faillissement - Artikel 265 W.Venn. - Toepassings­voorwaarden - Persoonlijke aansprakelijkheid van de zaakvoerder wegens verzwaring van het passief - Gebrek aan boekhouding
De fout bedoeld in artikel 265 W.Venn. moet een kennelijk grove fout zijn in die zin dat de rechter enkel een onmiskenbare fout in aanmerking zal nemen. De fout moet enkel hebben bijgedragen tot het faillissement. De afwezigheid van elke vorm van boekhouding sedert de oprichting van de vennootschap, waardoor de vennootschap elke visie noodzakelijk voor haar werking ontnomen wordt en waardoor zij zich aan fiscale sancties, en derhalve aan een verzwaring van haar lasten, blootstelt, maakt dergelijke fout uit en heeft een oorzakelijk verband met het faillissement, zelfs wanneer de fout er niet de rechtstreekse oorzaak van is.
De rechter beschikt over een ruime beoordelingsbevoegdheid inzake de begroting van de schade, die enkel begrensd is door de omvang van het tekort.

M.H. / Catherine Carré q.q. SPRL Artware

Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et M.-Cl. Ernotte (conseillers)
Pl. Me D. Loumaye

(...)

Par requête du 12 avril 2006, M.H. interjette appel du jugement du tribunal de commerce de Huy du 22 mars 2006, qui le condamne à payer à Maître Anne D. en sa qualité de curateur à la faillite de la SPRL Artware la somme en principal de € 19.590,50.

Dans ses conclusions du 20 décembre 2006, la curatelle introduit en réalité, même si elle demande la confirmation du jugement entrepris, un appel incident visant à ce que le montant de la condamnation soit alloué à titre provisionnel et non définitif.

Les faits de la cause ont été succinctement présentés par les premiers juges. La curatelle poursuit la condamnation de M.H., en sa qualité de gérant de la société Artware, pour faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite, celle-ci ayant été déclarée par jugement du tribunal de commerce de Huy du 3 décembre 2003.

Discussion

En cas de faillite de la société et d'insuffisance de l'actif et s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée dans leur chef a contribué à la faillite, tout gérant ou ancien gérant, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des dettes sociales à concurrence de l'insuffisance d'actif (art. 265 C. soc.).

L'appelant ne peut légitimement prétendre au bénéfice de l'exception prévue par l'article 265, alinéa 2 en faveur des sociétés faillies qui ont réalisé, au cours des trois exercices qui précèdent la faillite, un chiffre d'affaires moyen inférieur à € 620.000 hors taxe sur la valeur ajoutée, et lorsque le total du bilan au terme du dernier exercice n'a pas dépassé € 370.000. L'appelant n'est en effet pas en mesure, en l'absence de toute production de la comptabilité de la société faillie, dont il reconnaît d'ailleurs qu'elle est, pour la période relevante, inexistante, de rapporter la preuve qui lui incombe que les critères cumulatifs prévus par cette disposition sont en l'espèce réunis. La seule référence aux déclarations de créances déposées ainsi qu'à l'absence d'activité de la société, par ailleurs non établie pour les trois exercices considérés, est insuffisante.

La faute grave visée à l'article 265 du Code des sociétés est celle qui est voisine du dol sans s'identifier avec le dol. La faute grave est celle, dans ce contexte, qu'un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n'aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société (I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, 2003, n° 1062). La faute doit également être caractérisée en ce sens que le juge ne tiendra compte que de la faute incontestable (...). La faute doit donc être nettement marquée, qu'il s'agisse d'une faute de gestion classique, d'une violation de la loi ou des statuts (I. Verougstraete, o.c., n° 1062). Contrairement à l'appréciation de l'appelant, la précision apportée par la loi du 4 septembre 2002 quant à la fraude fiscale n'a pas pour objet ou pour effet de restreindre la notion de faute grave et caractérisée, mais uniquement de prévoir une hypothèse de présomption irréfragable d'une telle faute (I. Verougstraete, o.c., n° 1063).

Il est pour le surplus seulement requis que la faute ait contribué à la faillite: cette expression indique qu'il faut un lien entre la faute et la faillite mais révèle qu'il n'est pas nécessaire que la faute soit l'unique cause de la faillite. Le juge (...) peut se contenter de constater que la faute est une des causes de la faillite, sans qu'elle n'en soit nécessairement la cause immédiate (I. Verougstraete, o.c., n° 988).

L'intimée souligne que l'appelant n'a tenu aucune comptabilité depuis la constitution de la société en février 1991 jusqu'à la déclaration de faillite en décembre 2003. Cette situation est reconnue par l'appelant lui-même (voir le courrier explicatif adressé à son conseil le 12 avril 2005), même s'il en attribue l'origine à des circonstances extérieures, dont en particulier le départ de sa compagne en 1992 et la profonde dépression qui l'a ensuite accablé. L'absence de toute comptabilité privait assurément la société de la vision nécessaire à son fonctionnement et l'exposait à des sanctions fiscales, et donc à un alourdissement de ses charges: “depuis lors soit 1994, je dois bien avouer que j'ai complètement baissé les bras. Pendant toutes ces années, j'ai reçu des rappels qui se sont soldés par des taxations d'office et des amendes administratives notamment mais j'ai toujours payé car je savais que j'étais en tort” (procès-verbal d'audition du 3 mai 2005 - pièce 3 du dossier de l'appelant). Un tel comportement est constitutif d'une faute grave et est en lien causal avec la faillite, même s'il n'en est pas la cause immédiate.

En ce qui concerne le dommage, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation: il peut le déterminer en toute liberté, sans devoir nécessairement tenir compte des conséquences de la faute (...), la seule limite étant que le gérant ne peut être condamné à supporter un montant supérieur à celui de l'insuffisance d'actif (J.-F. Goffin, Responsabilité des dirigeants de société, 2004, p. 245-246). À cet égard, les éléments suivants doivent être pris en considération: l'activité de la société, en régression depuis l'engagement de l'appelant comme salarié à temps plein en 1998, a cessé définitivement en 2001 (déclaration de la curatelle reprise dans le procès-verbal d'inventaire du 15 janvier 2004 - pièce 2 de son dossier). Le passif de la faillite est limité: la créance de l'administration de la TVA de € 7.103,44 pour amendes a fait l'objet d'une remise (lettre du 27 janvier 2005); il reste une créance de l'INASTI pour € 1.421,98 dont € 441,67 à titre privilégié ainsi que la créance de l'administration des contributions de Liège 6, aujourd'hui admise pour € 18.168,52 dont € 15.520,38 à titre privilégié pour imposition d'office sur les revenus de l'année 1999 (exercice d'imposition 2000), soit un passif total de € 19.590,50. De ce montant, il y a lieu de déduire € 13.430,47 payés en exécution du jugement du 10 mars 2004 pour la libération du solde du capital, soit une insuffisance d'actif de € 6.160,03. Dans ces circonstances, il s'impose de limiter la condamnation à € 2.500, la curatelle n'établissant pour le surplus pas en quoi l'insuffisance dénoncée serait provisionnelle.

Par ces motifs:

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit les appels

Émendant la décision entreprise, condamne l'appelant à payer à l'intimée qualitate qua € 2.500 majorée des intérêts judiciaires depuis le 30 juillet 2004 jusqu'au complet paiement.

(...)