Article

Cour d'appel Liège, 26/04/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/4, p. 331-334

Cour d'appel de Liège 26 avril 2007

CONCORDAT
Créanciers ayant qualité pour participer au vote du plan de redressement - Absence de déclaration ou déclaration tardive - Homologation du plan par le tribunal - Refus du sursis définitif pour manque de garanties de probité et de gestion
La notion de créanciers qui ont “fait la déclaration de leur créance” au sens de l'article 34 de la loi sur le concordat fait référence à l'article 25 de la loi, qui oblige les créanciers à déclarer leur créance “au plus tard le jour déterminé par le jugement qui accorde le sursis provisoire”. Seuls les créanciers ayant fait la déclaration de leur créance dans le délai précité sont admis à prendre part au vote. Les créanciers qui déclarent tardivement, mais avant le dépôt du plan, doivent toutefois être pris en considération dans les répartitions. En revanche, une déclaration postérieure au dépôt du plan ne peut être suivie d'effet que dans la mesure où il n'est pas porté atteinte au plan approuvé.
Lorsque les créanciers ont adopté le plan, le tribunal peut, aux termes de l'article 34, approuver le sursis définitif “si l'ordre public ne s'y oppose pas et si le débiteur offre les garanties nécessaires de probité en la gestion”. L'approbation du tribunal constitue une condition essentielle pour la réalisation de l'accord. Le tribunal doit cependant disposer de motifs particulièrement sérieux et convaincants pour refuser l'approbation, les créanciers restant les mieux placés pour veiller à leurs propres intérêts. Le tribunal doit, dans son appréciation, tenir compte des résultats d'une analyse économique, où les considérations relatives à la rentabilité et à la solvabilité de l'entreprise sont certainement pertinentes. La question de la compétence du débiteur ou de la direction est étroitement liée à cette approche économique.
GERECHTELIJK AKKOORD
Hoedanigheid van schuldeiser om deel te nemen aan de stemming van het herstelplan - Ontstentenis van aangifte of laattijdige aangifte - Goedkeuring van het plan door de rechtbank - Weigering van goedkeuring van definitieve opschorting van betaling wegens gebrek aan nodige waarborgen van eerlijk bestuur
Het begrip “schuldeiser” in de zin van artikel 34 WGA verwijst naar artikel 25 van dezelfde wet, luidens hetwelk de schuldeisers aangifte van hun schuldvordering dienen te doen binnen de termijn bepaald door het vonnis dat de voorlopige opschorting toekent. Enkel de schuldeisers die binnen deze termijn aangifte hebben gedaan mogen aan de stemming deelnemen. De schuldeisers die laattijdig aangifte doen, voor de neerlegging van het plan, dienen in aanmerking te worden genomen voor de verdeling. Schuldvorderingen die pas na de neerlegging van het plan werden aangegeven kunnen enkel in aanmerking worden genomen in zoverre het plan niet wordt benadeeld.
Wanneer het plan werd aangenomen door de schuldeisers, kan de rechtbank, overeenkomstig artikel 34 W.G.A., de definitieve opschorting van betaling goedkeuren indien de openbare orde er niet aan in de weg staat en de schuldenaar de nodige waarborgen biedt voor een eerlijk bestuur. De goedkeuring van de rechtbank is een essentiële voorwaarde voor de uitvoering van het plan. De rechtbank moet echter bijzonder ernstige en overtuigende redenen opwerpen om de goedkeuring te weigeren, nu de schuldeisers het best geplaatst zijn om hun eigen belangen te vrijwaren. De rechtbank moet, in deze appreciatie, rekening houden met de resultaten van een economische analyse, waarbij beschouwingen m.b.t. de rendabiliteit et de solvabiliteit van de onderneming in elk geval pertinent zijn. De competentie van de schuldenaar of van het bestuur is nauw verbonden met deze economische benadering.

SA Maîtrepierre / Christophe Remon q.q., D.D., Y.B. et SA Danyvins

Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et M.-Cl. Ernotte (conseillers)
Pl.: Mes Ch. Bullman, Dascotte et J. de Wilde d'Estmael loco Fr. Davreux

(...)

Par requête du 1er décembre 2006, la SA Maîtrepierre interjette appel du jugement du tribunal de commerce de Namur du 16 novembre 2006, qui refuse l'octroi d'un sursis définitif, donne décharge à Monsieur Remon de son mandat de commissaire au sursis à dater du 19 octobre 2006 et renvoie la cause au 14 décembre 2006 pour que la société s'explique sur les conditions de son éventuelle faillite.

Dans leurs conclusions du 25 janvier 2007, Monsieur D.D., Madame Y.B. et la SA Danyvins interjettent un appel incident quant à la régularité du vote des créanciers.

L'appelante, qui assure la commercialisation des apéritifs de la marque “Maîtrepierre”, obtient le 19 janvier 2006 un sursis provisoire de six mois, prorogé jusqu'au 19 octobre 2006, l'appelante étant invitée à déposer son plan de redressement pour le 26 septembre 2006 et les créanciers étant invités à se réunir en assemblée générale pour voter sur le plan le 19 octobre 2006 (jugement du tribunal de commerce de Namur du 29 juin 2006). Lors de l'assemblée concordataire du 19 octobre 2006, il est acté que “le tribunal est dans l'impossibilité de recueillir les votes au sujet du plan de redressement dès lors que l'audience est remise à la suite des contestations relatives à la détermination des créances de la TVA et des contributions directes”. Sur la demande en réouverture des débats et prolongation du sursis provisoire formée par l'appelante ce même jour, le tribunal, par jugement du 20 octobre 2006, rejette la demande de prolongation, ordonne la réouverture des débats et fixe au 31 octobre 2006 la date à laquelle il sera procédé au vote. Selon le procès-verbal de l'assemblée concordataire, les majorités requises sont atteintes. Dans son jugement du 16 novembre 2006, le tribunal refuse le sursis au motif que l'appelante ne présente pas les garanties de probité requises quant à sa gestion.

Discussion
Le calcul des majorités prévues par l'article 34 de la loi sur le concordat

L'appelante remet en cause la participation au vote de l'ONSS, de l'administration de la TVA et de l'administration des contributions directes pour des montants supérieurs à ceux déclarés en temps utile tandis que les intimés dénoncent la participation au vote du banquier CBC Banque.

Selon l'article 34 de la loi sur le concordat, “lorsque plus de la moitié des créanciers ayant fait la déclaration de leur créance, ayant pris part au vote, et représentant en valeur plus de la moitié des créances, y consentent”, le sursis est admis par les créanciers. Les majorités en nombre et en valeur se calculent sur base des créanciers votants, et non sur l'ensemble du passif déclaré.

La notion de créanciers qui ont “fait la déclaration de leur créance” fait référence à l'article 25 de la loi sur le concordat, lequel oblige les créanciers à déclarer leur créance au plus tard le jour déterminé par le jugement qui accorde le sursis provisoire, soit en l'espèce le 20 février 2006. Seuls les créanciers qui ont fait leur déclaration de créance dans le délai précité sont admis à prendre part au vote (A. Zenner, Faillites et concordats 2002, n° 429). Les créanciers qui déclarent tardivement, mais avant le dépôt du plan, doivent toutefois être pris en considération pour les répartitions. En revanche, conformément à l'article 35, alinéa 2 de la loi sur les faillites, une déclaration postérieure au dépôt du plan ne peut être suivie d'effet que dans la mesure où il n'est pas porté atteinte au plan approuvé.

Selon le procès-verbal des créances du 27 février 2006, l'administration des contributions directes a produit pour € 219,43 à titre chirographaire, € 45.785,73 à titre privilégié et pour un euro provisionnel à titre privilégié. Si une déclaration complémentaire a été réalisée, semble-t-il, le 6 octobre 2006, celle-ci, même si elle a été précédée d'une admission provisionnelle, était tardive car postérieure au dépôt du plan au jour fixé par le tribunal et n'a pas fait l'objet, alors qu'elle était contestée par l'appelante, de la procédure requise pour son admission. Cette déclaration complémentaire doit être rejetée, l'administration des contributions n'étant autorisée à voter que pour € 46.006,16 et non pour € 72.006,44 comme admis par les premiers juges.

En ce qui concerne l'administration de la TVA qui a produit, à titre définitif, pour € 3.592,73 à titre chirographaire et € 18.761,44 à titre privilégié, il est patent que sa déclaration ultérieure ne pouvait, en toute hypothèse, pas être prise en considération pour déterminer son pouvoir votal, aucune réserve n'ayant été formulée lors de sa déclaration originaire. C'est dès lors à tort que l'administration de la TVA a été admise à voter pour € 49.948,22, au lieu de € 22.354,17.

En ce qui concerne l'ONSS, le grief de l'appelante n'est pas objectivé dans la mesure où l'ONSS a pris part au vote pour € 46.302,59 ce qui correspond au montant provisionnel mentionné dans le procès-verbal des créances.

Pour le surplus, selon l'article 32, alinéa 2 de la loi sur le concordat, sans préjudice de l'application de l'article 30, seuls les créanciers à l'égard desquels le plan prévoit un sursis peuvent prendre part au vote.

Or, CBC Banque qui a pris part au vote pour € 143.515 a été placée hors plan, le plan de redressement prévoyant expressément que: “La CBC Banque n'est pas reprise au plan de remboursement en tant que tel. Un accord particulier interviendra sur les bases suivantes (...)” (plan concordataire déposé le 26 septembre 2006, p. 11 et avenant déposé le 31 octobre 2006, p. 3).

Dans la mesure où CBC Banque n'était pas soumise au plan de redressement, elle ne pouvait prendre part au vote. Elle doit dès lors être exclue tant pour le calcul en nombre qu'en valeur.

Compte tenu des développements ci-avant, le nombre des votants s'élève à 46 (le procès-verbal du 31 octobre 2006 fait erronément mention de 48 votants alors qu'il n'y en a que 47), 38 créanciers votant positivement de sorte que la majorité en nombre est acquise.

Par ailleurs, sur le montant total des créanciers votants, lesquels représentent en valeur € 432.240,07, des créanciers pour un montant total de € 226.871,54 ont voté positivement, soit plus de la moitié des créanciers votants (la moitié étant de € 216.120,03).

En conclusion, nonobstant les rectifications opérées, les majorités requises par la loi sont atteintes.

Approbation par le tribunal du sursis définitif

Selon l'article 34 de la loi sur le concordat, “si l'ordre public ne s'y oppose pas et si le débiteur offre les garanties nécessaires de probité en la gestion, le tribunal peut approuver le sursis définitif (...)” lorsque les créanciers l'ont approuvé.

L'ordre public ainsi visé doit s'entendre dans son sens strict en ce qu'il vise les règles essentielles de l'État ou de la collectivité, ou fixe dans le droit privé les bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou social (Doc. parl. Ch. 329/17 - 95/96, p. 84). La condition tenant à la garantie de probité en la gestion se réfère à celle prévue dès l'octroi du sursis provisoire: “les responsables de 'mauvaise foi manifeste' doivent réellement être écartés de la société (...)” (Doc. parl. Ch. 329/17 - 95/96, p. 85). Pour le surplus, “l'erreur ne peut être commise de vouloir moraliser en la matière”, les exemples donnés au cours des travaux préparatoires “concernent tous des faits caractérisant le manque du fiabilité du débiteur au cours de la procédure de concordat. Le juge aura dès lors essentiellement égard à ce comportement, plus qu'au comportement qu'il a adopté avant la période concordataire. Cette appréciation sera ainsi moins subjective, plus vérifiable et moins moralisatrice” (I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, 2003, n° 193).

Ainsi que cela a été mis en exergue au cours des travaux préparatoires, “l'approbation du tribunal constitue une condition essentielle pour la réalisation de l'accord (...) Le contrôle du tribunal empêche que le principe de la majorité mène à des abus lors du vote sur l'accord et tend à préserver les intérêts 'généraux' (l'ordre public) (...) Le projet cite expressément deux critères à la lumière desquels le tribunal doit examiner le plan (...). Les articles 34 et 35 précisent également que le tribunal 'peut' approuver le plan, ce qui implique une marge d'appréciation étendue” (Doc. parl. Ch. 329/17 - 95/96, p. 83). Dans ce cadre, le tribunal est amené à prendre en considération l'intérêt des créanciers, lorsque “le plan de redressement est jugé déraisonnable ou irréalisable (s'il reste au-delà des possibilités du débiteur; s'il permet uniquement à celui-ci d'apurer une part insignifiante du passif)” (Doc. parl. Ch. 329/17 - 95/96, p. 86-87; I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, 2003, n° 198) mais “il va de soi que le tribunal doit disposer de motifs particulièrement sérieux et convaincants pour refuser l'approbation sur cette base” (Doc. parl. Ch., o.c., p. 86) car les créanciers restent les mieux placés pour veiller à leurs propres intérêts. De même, “le tribunal doit juger si l'entreprise n'a pas franchi les limites du concordat. Concrètement, il devra déterminer s'il existe un manque de liquidité 'durable' (faillite) ou non. En d'autres termes, le tribunal doit tenir compte des résultats d'une analyse économique, où les considérations relatives à la rentabilité et à la solvabilité sont certainement pertinentes. Notons que la question de la compétence du débiteur ou de la direction est étroitement liée à cette approche économique (...)” (Doc. parl. Ch., o.c., p. 87).

Le commissaire au sursis subordonnait son intervention, pour la rédaction du plan à déposer pour le 26 septembre 2006, à la production d'une situation comptable au 31 août 2006 donnant une image fidèle des comptes, au paiement des dettes de la période concordataire et à l'établissement de la variation du stock de vin et la preuve du paiement de la moitié des ventes au créancier gagiste (voir notamment mail du 21 septembre 2006). N'ayant pas reçu les assurances en temps utile, le commissaire au sursis n'a pas collaboré à l'établissement du plan de redressement.

Les constatations et conclusions prises par le commissaire au sursis dans son rapport postérieur du 12 octobre 2006 apparaissent nuancées: le commissaire au sursis souligne que l'appelante a bien, durant la période d'observation, recentré ses activités sur le secteur de la grande distribution, diminué ses ventes au secteur Horeca et que le chiffre d'affaires enregistré est acceptable (rapport, p. 4). Le commissaire au sursis rappelle également les mesures prises poux réduire le personnel (rapport, p. 4). Il souligne que “l'activité Maîtrepierre est et reste une activité très rentable et dont la rentabilité peut être améliorée par un changement de fournisseur” (rapport, p. 14).

Toutefois, le commissaire au sursis met en exergue que “malheureusement, cette activité nécessite un besoin permanent de trésorerie que la société ne possède pas actuellement” (rapport, p. 14-15). Il insiste sur ce que “le plan de trésorerie ne tient pas compte du remboursement en capital des emprunts bancaires ni du besoin en fonds de roulement nécessaire à l'exploitation (...)” (rapport, p. 13). L'appelante n'a pas fait, et ne fait toujours pas état, de perspectives fermes de recapitalisation, la simple manifestation d'un intérêt par une société d'investissement étant insuffisante.

Le commissaire au sursis fait également état de ce que “les gestions administrative et comptable de la société laissent à désirer ces derniers mois et que les comptes de la société ne sont pas probants” (rapport, p. 15). Ainsi, jusqu'à ce qu'elle soit dûment interpellée par le commissaire au sursis, l'appelante n'a pas rentré ses déclarations TVA pendant la période concordataire ni payé les dettes y afférentes, la régularisation ayant eu lieu tardivement. Aucune information précise n'est fournie à la cour quant aux dettes nées pendant le concordat à l'égard de l'ONSS. L'appelante a de même tardé à déposer ses comptes. L'épisode tenant à la vente du stock de vins montre de façon incontestée le manque de fiabilité de la comptabilité tenue par l'appelante (rapport, p. 5) ainsi que la lenteur de cette dernière à honorer ses engagements à l'égard du créancier gagiste, la moitié du prix de vente étant versée la veille de la date fixée pour l'assemblée des créanciers. Il en est de même du contrôle AFER opéré pour des exercices toutefois antérieurs. Si le commissaire au sursis a insisté pour que l'appelante recoure aux services d'un comptable extérieur, à nouveau, il n'a été donné suite à cette demande qu'en vue de l'audience relative au sursis définitif. Par rapport à la situation provisoire au 31 août 2006, le commissaire au sursis émet des critiques précises (rapport, p. 9), pour lesquelles l'appelante s'abstient de prendre position.

Pour le surplus, la situation à l'égard du fournisseur s'est fortement dégradée début octobre 2006, celui-ci exigeant dorénavant le paiement à la livraison et supprimant l'encours négocié avec le commissaire au sursis de € 20.000 tandis que, concomitamment, le litige avec la famille D. relatif à l'utilisation de la marque n'a pas été aplani.

Dans ces circonstances, le succès du plan de redressement apparaissait particulièrement précaire, aucune garantie n'étant fournie quant à sa faisabilité économique, notamment en termes de trésorerie, et quant à la rigueur de la gestion, particulièrement sur le plan comptable.

Pour le surplus, à l'heure actuelle, l'appelante reconnaît que ses activités “sont aujourd'hui totalement à l'arrêt. Les crédits ont été dénoncés par la CBC Banque qui a déjà exercé son gage sur fonds de commerce. Le SPF Finances a effectué des saisies sur les comptes factoring et Fortis ainsi qu'auprès de tous les clients de la grande distribution” (conclusions, p. 15). Les perspectives de mise en oeuvre du plan sont définitivement abandonnées de sorte que la mesure de rejet doit être maintenue.

Par ces motifs:

La cour,

Statuant contradictoirement,

(...)

Reçoit les appels,

Confirme le jugement entrepris,

Délaisse aux parties leur dépens d'appel.

(...)