Tribunal de première instance de Verviers 29 mai 2006
B. Engels / SA ING
Siég.: J. Baiverlin (juge unique) |
Pl.: Mes F. Gathoye et L. Defraiteur |
(…)
Les faits et l'objet de la demande |
Suite au décès accidentel de son mari, Madame Engels a perçu un capital de 11.500.000 FB ou 285.077 EUR.
Elle était sans profession, se retrouva seule avec deux enfants mineurs et prit conseil auprès de Monsieur Jean Dome, expert comptable.
Celui-ci prit à son tour contact avec ING pour avoir une proposition de placement.
La demanderesse a signé avec ING une convention de gestion de fortune en date du 7 février 1992.
Par cette convention, elle confie à la défenderesse mandat de gérer les éléments de son patrimoine.
L'article 2 qui concerne les objectifs du client et le type de gestion désirée lui donne le choix entre 3 possibilités:
- I. rendement immédiat maximum principalement au moyen d'obligations et d'actions de rendement;
- II. rendement associé à la valorisation du capital; répartition équilibrée entre actions et obligations;
- III. valorisation maximum du capital principalement au moyen d'actions et d'obligations offrant des possibilités potentielles de plus-value;
- IV. autres (à préciser).
Dans le cas de Madame Engels, c'est la possibilité II qui a été cochée.
C'est Monsieur Manella, le gestionnaire de fortune au sein d'ING, qui a rempli la convention.
Le 28 mars 2000, Madame Engels a mis fin à la convention de gestion de fortune.
Le 6 octobre 2000, accompagnée de son nouveau conseiller financier, elle fait part au directeur financier d'ING Liège, de son étonnement à l'égard des faibles performances de son portefeuille entre 1992 et 1999.
Elle pose une réclamation auprès d'ING faisant valoir que le montant du dommage réclamé s'élève à 2.035.339 FB.
ING conteste avoir commis la moindre faute dans la gestion du portefeuille.
Le 13 décembre 2001, Madame Engels introduit une plainte auprès de l'ombudsman du secteur bancaire qui n'a pas eu de suite.
Par citation du 24 mars 2003, Madame Engels assigne ING en réparation du préjudice subi estimé à 100.000 EUR, à titre provisionnel.
Discussion |
Attendu qu'ING conteste avoir commis la moindre faute dans la gestion de fortune de Madame Engels, considérant qu'elle a géré celle-ci en professionnel avisé.
Attendu qu'elle fait valoir qu'une erreur matérielle a été commise lors de la convention de gestion de fortune quant à la fixation de la répartition des avoirs en gestion.
Qu'ainsi, c'est la case I qui devait être cochée et non pas la case II, à savoir un “risque financier moyen”.
Attendu que la défenderesse invoque à l'appui de son argumentation, qu'après le décès de son mari, elle s'est retrouvée sans emploi avec deux enfants à élever et un capital qui devait lui permettre de subvenir à ses besoins financiers.
Qu'au vu de cette situation délicate, il est certain que Madame Engels ne pouvait se permettre de jouer en bourse et d'hypothéquer son avenir ainsi que celui de ses enfants.
Que c'est sur base de ces considérations et secondée dans ses démarches par Monsieur Jean Dome qu'une proposition a été formulée par ING le 22 novembre 1991 et transmise à Monsieur Dome.
Qu'il ressort de cette proposition que le risque est minimum puisqu'elle est ainsi rédigée: “Nous vous proposons, selon les objectifs définis lors de notre entretien du 8 novembre, d'investir plus ou moins 10% du portefeuille en actions et 90% en obligations et liquidités.
La structure du portefeuille dégage un intérêt net annuel de 729.000 FB réparti sur 8 échéances (soit 60.750 FB sur base mensuelle).”
Attendu que cette attitude paraît conforme à la gestion d'un patrimoine par un bon père de famille dans la mesure où une personne dans la situation de Madame Engels ne pouvait se permettre de prendre un risque quant à une partie importante de son capital.
Attendu qu'il ressort des documents déposés, que la banque a fait valoir auprès de l'ombudsman saisi après rupture de la convention que Monsieur Dome avait déclaré avoir à l'époque des faits:“rencontré différentes banques pour obtenir des propositions de placement rencontrant des objectifs précis”.
Qu'à cet égard, Monsieur Dome est formel: “le mode de placement à envisager devait avoir un caractère essentiellement défensif, assurant une rente à votre cliente et préservant le capital (enfants)” .
Qu'il a également déclaré que: “différentes propositions de répartition ont été présentées, et que c'est volontairement que votre cliente a écarté les propositions présentant un risque plus particulier et a opté pour une répartition 'très' défensive” .
Attendu que la banque peut dès lors être suivie lorsqu'elle fait valoir que c'est une erreur matérielle qui a ponctué le contrat, alors qu'il était bien admis entre parties que c'était un type de rendement prudent qui devait être envisagé soit le rendement numéro I.
Attendu par ailleurs que c'est en vain que Madame Engels tente de minimiser la portée du courrier du 29 novembre 1991 en faisant valoir que Monsieur Dome avait uniquement pour mission limitée de prendre contact avec les différents organismes bancaires.
Attendu en effet qu'il a tout lieu de penser que ce n'est pas à lui qu'ING aurait envoyé son courrier du 29 novembre 1991, mais directement à Madame Engels si celui-ci avait un rôle aussi minime qu'elle tend à le faire croire.
Que de même, Madame Engels soutient que ce serait le gestionnaire de fortune d'ING qui l'aurait convaincue d'effectuer un placement à part égale lors de la signature du contrat alors qu'elle reconnaît que son but était d'avoir le meilleur rendement au moindre risque, ce qui en soi est contradictoire et ne cadre pas avec la stratégie de placement invoquée.
Attendu ensuite que Madame Engels énonce toute une série de dispositions qui auraient été violées par ING et notamment violation des règles d'ordre public stipulées à l'article 36 de la loi du 4 décembre 1990, violation des dispositions de l'arrêté royal du 5 août 1991 sur la gestion de fortune et le conseil en placement et plus spécialement les articles 8 et 79 § 1er et violation de l'article 36 de la loi du 6 avril 1995.
Attendu que toutes ces dispositions veillent à assurer que les intermédiaires servent au mieux les intérêts de leurs clients en se conformant au code de conduite et aux règles applicables à l'exercice de leurs activités financières, de même que la nécessité d'une convention écrite de gestion de fortune qui doit indiquer toute une série de mentions (art. 8 de l'arrêté royal du 5 août 1991).
Attendu tout d'abord que les règles de forme en ce qu'elles prévoient la nécessité d'un contrat écrit ont été respectées et qu'il y a lieu de se référer aux considérations reprises plus haut pour considérer que l'écrit a fait l'objet d'une erreur matérielle quant à la stratégie de placement.
Que l'on ne voit pas en quoi la convention violerait la réglementation précitée.
Attendu qu'ensuite, Madame Engels fait valoir que, quand bien même c'est la stratégie de placement la plus prudente qui devait être retenue, la banque a failli à son devoir de conseil en, au cours de la période de 8 ans durant laquelle la convention a sorti ses effets, ne revoyant pas sa stratégie et n'adoptant pas d'autres produits qui seraient venus sur le marché dans le courant de cette période.
Qu'elle accuse la banque d'inertie pour avoir laissé pendant 8 ans sortir les effets des mêmes produits sans remettre en cause leur efficacité.
Attendu que cependant, toujours dans la perspective d'une gestion prudente, la demanderesse ne démontre pas la faute qu'aurait commise la banque dans sa gestion.
Attendu que la défenderesse rappelle que le capital placé chez ING en 1992 était de 11.500.000 FB.
Qu'au 31 décembre 1999, la valeur du portefeuille était de 12.672.798 FB, et qu'entre ces deux dates, Madame Engels avait effectué des retraits pour 6.336.553 FB.
Qu'ainsi pour une stratégie défensive, il s'agissait d'un très bon résultat.
Que la banque invoque avec raison que d'une part, Madame Engels ne précise pas quels sont les nouveaux produits qui ne lui auraient pas été proposés et qui auraient permis de mieux coller à la réalité qui était la sienne et d'autre part, qu'il est facile de donner une analyse a posteriori de la situation en fonction des données qui étaient évidemment inconnues du gestionnaire au moment où il devait prendre des décisions sans mettre en cause le patrimoine de son client.
Qu'enfin, alors que Madame Engels critique la gestion de son patrimoine pendant 8 ans, force est de constater que, pendant cette période, elle ne s'est pas manifestée et n'a jamais critiqué l'attitude de la banque sur la gestion de son patrimoine.
Qu'elle recevait des bilans complets trois fois par an de sorte qu'elle était à même d'apprécier la situation et l'évolution de son patrimoine.
Qu'invoquant son ignorance dans la gestion financière, il lui appartenait alors d'interpeller soit le gestionnaire lui-même ou toute autre personne susceptible de lui donner des renseignements, ce qu'elle ne prétend pas avoir fait.
Attendu que sur une période de 8 ans, elle n'a jamais remis en cause la qualité de la gestion de la part d'ING, alors qu'ainsi que le fait valoir celle-ci, une période de deux ans est suffisante pour avoir déjà un bon aperçu de la façon dont est géré un capital.
Que lorsqu'elle a résilié le contrat de gestion, elle n'a fait valoir aucun élément critique, et ce n'est que 6 mois après qu'elle a communiqué ses doléances.
Qu'ainsi la demanderesse n'établit pas de quelles carences précises elle a fait l'objet d'autant que la banque était investie d'une obligation de moyen et non de résultat.
Attendu que c'est la demanderesse elle-même qui insiste sur ce que la responsabilité du gestionnaire de fortune doit s'apprécier en fonction d'un résultat global et non opération par opération.
Qu'il a été considéré plus haut que le résultat qu'avait pu obtenir la banque après la gestion était particulièrement satisfaisant.
Qu'encore une fois, il n'est pas possible d'invoquer après coup des cours ou des opérations qui se sont avérées fructueuses, alors qu'au moment où il s'agissait de décider de les appliquer, le succès n'était pas garanti.
Attendu que la demanderesse n'invoque pas de façon précise ce qu'aurait dû faire le gestionnaire de fortune pour accroître son patrimoine sans pour autant manquer à son obligation de prudence, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'en l'espèce, la défenderesse n'a pas failli à son obligation d'information et de conseil à l'égard de sa cliente.
Attendu que compte tenu de ces considérations, l'examen des arguments subséquents (relatifs au dommage) s'avère inutile.
Que l'action sera déclarée non fondée.
Par ces motifs:
Le tribunal,
(…)
Déclare l'action recevable mais non fondée.
(…)