1.Le jugement publié ci-dessus a force de chose jugée.. Il est intéressant car il tranche plusieurs questions examinées ci-après. En outre, il permet opportunément d'évoquer les récentes modifications apportées aux règles de conduite applicables aux intermédiaires financiers que sont, notamment, les conseillers en placements [1].
2.En substance, un client demande à être indemnisé des conséquences d'un investissement en actions proposé par la banque avant la signature d'une convention de conseil en placements. Le document proposant cet investissement mentionne une prévision de rentabilité de 8% en moyenne par an. Les actions sont achetées, sur ordre du client, après la signature de ladite convention. Leur rendement devait notamment permettre au client de rembourser un emprunt. Peu après l'acquisition des actions, celles-ci dévaluent à la suite d'une crise boursière.
3.Le client reproche essentiellement à la banque une “exécrable gestion du portefeuille”. Selon lui, la banque était tenue à une obligation de résultat parce qu'elle aurait garanti un rendement de 8% par an sur les titres conseillés. À juste titre, le tribunal de commerce relève que la convention conclue ne s'assimile pas à une gestion de fortune. En effet, l'engagement de la banque consistait à conseiller certains placements sans gérer ceux-ci.
4.On sait que le conseil en placements englobe tous les services de conseil portant sur un ou plusieurs instruments financiers. Par opposition à la gestion de fortune, le conseil en placements ne comporte ni acte d'administration, ni acte de disposition sur les avoirs du client [2]. Le client prend seul ses décisions sur la base des suggestions et des recommandations de son conseil. Il s'agit de prestations d'ordre intellectuel qui justifient en principe l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage [3]. Le tribunal souligne que le conseiller ne réalise pas spontanément des opérations. En effet, il ne peut poser des actes de disposition qu'avec l'accord explicite du client [4].
5.Depuis l'arrêté royal du 27 avril 2007 [5] qui transpose dans notre droit la directive européenne 2004/39/CE dite “MiFID”, le conseil en placements n'est plus un service d'investissement auxiliaire [6]. Le caractère auxiliaire de ce service a permis de considérer, autrefois, que la seule activité de conseils en placements échappait aux règles de conduite énoncée à l'article 26 [7] de la loi du 2 août 2002 sur la surveillance du secteur financier [8]. En revanche, tel n'était pas le cas lorsque cette activité était exercée par des intermédiaires financiers qui agissaient en tant qu'entreprise d'investissement (notamment les établissements de crédit).
L'arrêté royal du 27 avril 2007 a également élargi la notion de conseil en investissement (ou en placements) aux recommandations appropriées et adaptées au client et qui ne portent pas nécessairement sur l'ensemble d'un portefeuille, ni sur la stratégie du client. Les conseils génériques et impersonnels ne sont cependant pas visés [9].
6.L'entremise d'un intermédiaire financier n'est, à l'évidence, pas une garantie de rentabilité des titres conseillés par ce dernier et acquis par le client. Un investissement financier est, par nature, incertain quant à son rendement. Pour cette raison notamment, il est généralement admis par les auteurs [10] et par la jurisprudence constante [11], que le conseiller est en principe tenu à une obligation de moyens. Le tribunal rappelle à bon droit ce principe dans la décision commentée. Par sa nature, l'obligation de moyens repose, dans l'intention des parties, sur des aléas que son débiteur ne prend pas en charge [12]. Sauf stipulation contraire entre parties, le conseiller s'engage non pas à parvenir à un résultat, mais bien à tenter d'y parvenir en donnant un conseil prudent et diligent. En l'espèce, le document contenant un rendement probable annuel de 8% des titres litigieux ne pouvait être assimilé à un engagement par la banque d'atteindre ce rendement. Ce document n'emporte pas en soi l'existence d'un engagement. La circonstance qu'il s'agissait d'une “probabilité” de rendement excluait toute obtention d'un résultat certain!
7.Le client faisait également valoir la violation par la banque du devoir d'information imposé autrefois à l'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 [13]. En vertu de cette disposition [14], l'intermédiaire devait effectuer des démarches raisonnables pour remettre à ses clients toute information utile, dans une langue compréhensible, afin de permettre à ce dernier de prendre une décision d'investissement. Sous l'empire de cette loi, ce devoir spécifique d'information ne s'imposait que dans le cadre d'une convention de conseil conclue avec le client [15]. La méconnaissance de ce devoir d'information ne pouvait exister que postérieurement à la conclusion d'une telle convention. Dans l'espèce commentée, le défaut d'information reproché était antérieur à la conclusion du contrat de conseil en placements.
8.Le tribunal de commerce de Bruxelles a très bien perçu cette nuance. Il précise que le devoir d'information prévu à l'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 ne peut s'appliquer en l'espèce “car il suppose l'existence d'une transaction sur instrument financier, ce que la conclusion d'un contrat de conseils en placement n'est pas”. Le tribunal exprime ainsi deux considérations.
La première est que la seule conclusion du contrat de conseil en placements n'emporte pas une transaction (achat ou vente) sur instruments financiers. Ce contrat ne se confond donc pas avec le placement lui-même. La deuxième considération est que ce devoir d'information spécifique ne peut être méconnu, dans le cadre d'une convention de conseil, que pour autant qu'il y ait eu un achat ou une vente d'instruments financiers. En effet, sans la réalisation d'une telle transaction, les informations transmises en vue de permettre au client de décider ou non d'investir n'ont pas de conséquence préjudiciable.
9.L'obligation contenue dans l'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 est reprise actuellement à l'article 27 § 3 de la loi du 2 août 2002 [16]. Elle ne se limite plus aux clients conseillés. Les “clients potentiels” sont, à cet égard, expressément visés. En revanche, le devoir de s'informer prévu dans le nouvel article 27 § 4 de la loi du 2 août 2002 demeure limité aux clients “conseillés”. Il s'agit du devoir de due diligence consistant à s'informer notamment de l'expérience, de la stratégie, de la situation du client. Ce devoir doit être accompli, selon cette dernière disposition, lors de la fourniture du conseil en investissement. Les modalités pratiques et les catégories d'informations devant être recueillies auprès des clients sont précisées dans un arrêté royal du 3 juin 2007 [17] qui tend à régler les modalités visant à transposer la directive “MiFID”.
10.Préalablement à la conclusion de la convention de conseil en placement, la responsabilité extracontractuelle pouvait être mise en cause sur la seule base des articles 1382 et 1383 du Code civil, également pour défaut ou pour insuffisance d'information fournie [18]. Cette responsabilité n'a pu, en l'espèce, être retenue dans la mesure où une telle faute n'était pas démontrée [19].
11.Postérieurement à la conclusion de la convention de conseil en placements et à la réalisation de l'investissement, le cours des titres litigieux baissa considérablement. La perte subie conséquemment est comme telle insuffisante pour engager une responsabilité dans le chef de la banque [20]. Le client a dès lors concentré son grief sur le défaut de conseil fournit après la chute boursière.
Dans le cadre de la convention de conseil en placements, la banque devait-elle d'initiative suggérer à son client des solutions destinées à palier cette perte?
Le tribunal répond, à juste titre, par la négative à cette question. Pour ce dernier, “l'immobilisme” de la banque durant cette crise boursière n'est en rien “critiquable”. Effectivement, dans une telle situation de crise, personne n'ignore que le meilleur conseil est d'attendre la hausse des titres en s'abstenant précisément de toute transaction. Exiger du conseiller en placements qu'il transmette des conseils spontanément en cas de crise paraît contraire à l'objet même de sa mission. De tels conseils spontanés supposent qu'il contrôle régulièrement les comptes titres de ses clients, qu'il vérifie la situation de ces comptes et classe les catégories de titres pour formuler ensuite ses “conseils”. De telles interventions relèvent davantage d'une mission de gestion [21] mais non de celle de conseil. Pour certains auteurs [22], la banque, en dehors de toute obligation légale ou conventionnelle, ne peut être tenue à un devoir de vigilance, qui justifierait de telles interventions.
Avocat
Assistante à l'ULB
[1] | Ces modifications sont apportées par l'arrêté royal du 27 avril 2007 (Mon. b. 31 mai 2007) qui tend à transposer la Directive européenne 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, dénommée la “directive MiFID”. La plupart des dispositions dudit arrêté royal sont entrées en vigueur ce 1er novembre 2007. Cet arrêté royal a pour base l'habilitation accordée au Roi par l'art. 146 de loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (Mon. b. 4 septembre 2002). Cette disposition habilite le Roi à coordonner les dispositions légales existantes avec les dispositions nouvelles prises en exécution des directives européennes et des traités internationaux. Sur ce point, consultez les travaux préparatoires à l'arrêté royal du 27 avril 2007, Doc. parl. 2006-07, n° 2834/001, p. 37. Un arrêté royal du 3 juin 2007 détaille les modalités d'application de la transposition de la “directive MiFID” (Mon. b. 18 juin 2007). Pour les mesures transitoires conséquentes à la transposition de la directive “MiFID”, on consultera la circulaire CBFA PPB-2007-8-CPB du 20 juin 2007 et relative à la préparation à l'entrée en vigueur de la “directive MiFID”, disponible sur le site: www.cbfa.be . |
[2] | Voy. not.: Gand 4 avril 2005, DAOR 2005, liv.76, 354, et la note de G. Van Gathem; Comm. Bruxelles 25 juin 1999, R.D.C. 1999, 735, et la note de J.-P. Buyle et M. Delierneux; J.-F. Romain, “La réforme financière de 1990, la gestion de fortune et le conseil en placement”, J.T. 1991, p. 629. |
[3] | Voy. not. Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, R.D.C. 2005, p. 187 ; sur la qualification de louage d'ouvrage, voy. aussi: M. Flamée et T. Tilquin, “La gestion de fortune et le conseil en placements”, Rev. Banq. 1991, p. 575; B. Feron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Larcier, 1997, p. 349. |
[4] | Voy. not. la circulaire de la C.B.F. n° 92/2 du 14 août 1992, p. 4.; voy. aussi B. Feron, “La responsabilité de l'intermédiaire financier en matière d'investissement”, in Questions d'actualité en matière de responsabilité civile liée à l'information et au conseil, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1999, p. 4. |
[5] | Mon. b. 31 mai 2007 précité en note 231. |
[6] | Comme prévu autrefois par l'art. 46, 2°, 6 de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et aux conseillers en placements (Mon. b. 1er août 1995). Depuis ce 1er novembre 2007, le conseil en investissement est un service d'investissement pur et simple qui est donc soumis intégralement aux règles de conduites énumérées autrefois à l'art. 36 de la loi du 6 avril 1995 et énoncées depuis ce 1er novembre 2007 à l'art. 27 de la loi du 2 août 2002 sur la surveillance du secteur financier et aux services financiers. |
[7] | Actuellement, depuis l'entrée en vigueur ce 1er novembre 2007 de l'arrêté royal précité du 27 avril 2007, les règles de conduites sont complétées et énumérées à l'art. 27 de la loi du 2 août 2002. Les modalités d'application de ces règles de conduites sont détaillées dans l'arrêté royal du 3 juin 2007 (Mon. b. 20 juin 2007) qui porte les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers (voy. en particulier les Sections 3 et 4 de cet arrêté royal). |
[8] | Sur ce point, voy. not.: F. Longfils, “La responsabilité des intermédiaires financiers”, in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, 2006, n° 176, pp. 56-57. |
[9] | Art. 46 de la loi du 2 août 2002 tel que modifié par l'art. 37 de l'arrêté royal précité du 27 avril 2007. |
[10] | J.-F. Romain, “La responsabilité des gestionnaires de fortune et des conseillers en placements” (note sous Comm. Bruxelles 9 janvier 1991), R.D.C. 1993, p. 606; X. Dieux, “Questions relatives à l'intermédiation financière en droit positif”, in Les intermédiaires commerciaux, Éd. du Jeune Barreau, 1990, p. 300; M. Flamée et T. Tilquin, “La gestion de fortune et le conseil en placements”, Rev. Banq.1991, p. 582; B. Feron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des marchés financiers, Larcier, 1997, p. 346; J.-P. Buyle et M. Delierneux, obs. sous Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, R.D.C. 2005, p. 187 , spéc. p. 193. |
[11] | Cette jurisprudence concerne tant la matière de conseil en placement que la gestion de fortune, voy. not.: Comm. Bruxelles 2 février 1995, R.D.C. 1996, p. 1072; Sent. arb. Bruxelles 29 mars 1996, R.D.C. 1996, p. 1078; Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, R.D.C. 2005, p. 187 et la note de J.-P. Buyle et M. Delierneux; Gand 5 mai 2004, NjW 2005, liv. 106, p. 413; Comm. Bruxelles 30 septembre 2004, Dr. banc. & fin. 2005, p. 61; Mons 7 octobre 2004, Dr. banc. & fin. 2006, p. 94 avec la note de S. Delaey; Gand 4 avril 2005, DAOR 2005, 354; voy. égal.: Cass. fr. (comm.) 6 juin 2001, Bull. Joly Bourse, novembre-décembre 2001, p. 597, et la note de L. Ruet. |
[12] | Voy. not.: P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974-1982)”, R.C.J.B. 1986, p. 216 et les références citées. |
[13] | L'art. 36 de la “loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et aux conseillers en placements” est abrogé par l'art. 33 de l'arrêté royal précité du 27 avril 2007. Les nouvelles règles de conduites applicables aux intermédiaires financiers sont fixées par l'art. 27 de la loi du 2 août 2002. Elles sont entrées en vigueur ce 1er novembre 2007 (art. 127 de l'arrêté royal du 27 avril 2007). |
[14] | Le devoir d'information contenu à l'époque à l'art. 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 fut repris en termes différents dans l'art. 26, 3° de la loi du 2 août 2002. Actuellement cette règle de conduite figure à l'art. 27 § 3 de la loi du 2 août 2002, tel que modifié par l'arrêté royal du 27 avril 2007 qui transpose la directive “MiFID” précitée. |
[15] | Voy. not.: Gand 10 février 1999, R.D.C. 2000, p. 739; Comm. Mons 22 février 2001, R.D.C. 2003, pp. 63 et s. |
[16] | Tel que modifié par l'art. 22 de l'arrêté royal du 27 avril 2007 transposant la directive “MiFID”. La règle de conduite (le devoir d'information) du nouvel art. 27 § 3 de la loi du 2 août 2002 dispose: “Des informations appropriées sont communiquées aux clients potentiels, sous une forme compréhensible, sur: - l'entreprise réglementée et ses services; - les instruments financiers et les stratégies d'investissement proposées, ce qui devrait inclure des commentaires et des mises en garde appropriés sur les risques inhérents à l'investissement dans ces instruments ou à certaines stratégies d'investissement; - les lieux d'exécution, et les coûts et frais liés pour permettre raisonnablement auxdits clients de comprendre la nature du service d'investissement et du type spécifique d'instrument financier proposé ainsi que les risques y afférents et, par conséquent, de prendre des décisions en matière d'investissement en connaissance de cause. Ces informations peuvent être fournies sous une forme standardisée.” |
[17] | Voy. les art. 13 à 19 de l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers (Mon. b. 18 juin 2007). Cet arrêté royal abroge notamment l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements. Le contenu de la convention de gestion de fortune est à présent réglé à l'art. 20 de l'arrêté royal du 3 juin 2007 précité. |
[18] | Voy.: Comm. Bruxelles 26 mars 1997, R.G. n° 12239/95 cité par B. Feron et B. Taevernier, o.c., p. 350 en note n° 1531; Anvers 16 septembre 1997, R.D.C. 1998, p. 843. |
[19] | L'absence de preuve était largement motivé par les pièces et éléments décrits au titre 3 du jugement auquel nous renvoyons (ce titre est intitulé“Quant à l'information donnée par la banque en phase de négociations fin 1999”). |
[20] | Voy. not.: Bruxelles 12 octobre 2001, D.C.C.R. 2003, liv. 60, p. 49 et notre note; Comm. Bruxelles 9 septembre 2003, R.D.C. 2005, p. 187 et la note de J.-P. Buyle et M. Delierneux. Il en est de même dans le cadre d'une gestion de fortune, voy.: Comm. Bruxelles 2 février 1995, R.D.C. 1996, pp. 1072-1077; Comm. Bruxelles 30 septembre 2004, Dr. banc. & fin. 2005, p. 61. |
[21] | Sur les interventions qui existent en pratique à côté des catégories-types de gestion ou de conseil prévues légalement, il existe la “gestion-conseil” ou la “gestion surveillée” A cet égard, voy. J.-P. Buyle et M. Delierneux, obs. sous civ. Bruxelles 29 avril 2005, R.D.C. 2007, p. 69, spéc. p. 71 . |
[22] | J. Linsmeau, “Les responsabilités du banquier”, T.P.D.C., T. 5, Kluwer, 2007, n° II.587, spéc. n° II.590, pp. 437 et 439; contra:J.-P. Buyle et D. Goffaux, “Les devoirs du banquier à l'égard de l'entreprise”, in La banque dans la vie de l'entreprise, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 2005, pp. 7 et s. |