Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/03/2006, R.D.C.-T.B.H., 2008/1, p. 80-85

Cour d'appel de Bruxelles 23 mars 2006

DROIT FINANCIER
Institutions financières et intermédiaires financiers - Gestionnaire de fortune et conseiller en placements - Devoir d'information - Opérations sur instruments financiers dérivés - Couverture - Devoir de réalisation anticipée du portefeuille
Aucune disposition légale ne prévoit explicitement l'obligation, pour l'intermédiaire financier, de requérir de son client une couverture pour les ordres sur instruments financiers qu'il accepte.
L'exigence éventuelle d'une couverture peut toutefois découler du devoir d'information de l'intermédiaire financier à l'investisseur.
Ce devoir d'information cesse là où le créancier d'information n'en a nul besoin, parce qu'il a connaissance de la teneur de l'opération et des risques qu'elle comporte.
Dans ce cas, il y a interruption du lien de causalité par le fait du client.
Lorsque le client ne remplit pas son obligation d'apurer son solde débiteur, si l'intermédiaire financier s'est réservé la faculté contractuelle de procéder à la réalisation anticipée du portefeuille, il n'en a pas l'obligation.
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Informatieverstrekking - Verrichtingen op afgeleide financiële instrumenten - Dekking - Verplichting om de portefeuille vroegtijdig te realiseren
Geen wettelijke bepaling voorziet uitdrukkelijk de verplichting, voor de financiële tussenpersoon, om een dekking van zijn cliënt te vereisen voor de opdrachten, m.b.t. financiële instrumenten, die hij aanvaardt.
De eventuele verplichting om een dekking te vereisen kan niettemin uit de informatieplicht van de financiële tussenpersoon t.o.v. zijn cliënt voortvloeien.
Die informatieverplichting houdt op waar de informatieschuldeiser er geen nood aan heeft omdat hij kennis van de aard van de verrichting en van haar risico's heeft.
In dat geval wordt het oorzakelijk verband onderbroken door toedoen van de cliënt.
Als de cliënt zijn verplichting niet naleeft om zijn debetsaldo aan te zuiveren, en zelfs als de financiële tussenpersoon zich het contractueel recht voorbehouden heeft tot de vroegtijdige realisatie van de portefeuille over te gaan, is dat geen verplichting in zijnen hoofde.

Carton / SCRL U.B.B.

Siég.: M. Regout (président), H. Mackelbert et E. Herregodts (conseillers)
Pl.: Mes Ph. Cauchies et M. Fyon

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. À une date qui n'est pas précisée - mais qui est en tout cas antérieure au 1er janvier 1999 - Mme Carton ouvre un compte titres sous le n° 92054 auprès de l'agence montoise de la société de bourse U.B.B., gérée par l'un de ses coopérateurs, la société Shiva Invest.

Mme Carton expose dans ses conclusions prises devant le premier juge (pages 28 et 29) que soucieuse de bénéficier d'un accès aux marchés financiers et souhaitant profiter de la vague génératrice de produits financiers dans le secteur de la nouvelle économie et, par conséquent, sur le marché du Nasdaq (où il n 'était pas anormal de réaliser des plus-values de 100 à 300% par an) , elle a confié à U.B.B. un capital de l'ordre de 300 à 400.000 FB. Son conseiller technique, la fiduciaire Cofiren, ajoute qu'elle a participé à des concours et à des clubs d'investisseurs en vue d'acquérir un minimum de savoir que la gestion d'un petit portefeuille requiert pour être réellement profitable (pièce 7 de son dossier).

Au 1er janvier 1999, son compte est créditeur de 49.938 FB. L'extrait de compte pour l'année 1999 (pièce 11 du dossier d'U.B.B.) fait apparaître des crédits pour 9.922.732 FB et des débits pour 10.050.813 FB et un solde débiteur de 128.081 FB au 31 décembre 1999. L'extrait de compte de l'année 2000 (pièce 12) montre que le solde est constamment débiteur, à tout le moins jusqu'au 4 octobre 2000. Les opérations sont constituées par des achats et des ventes de valeurs mobilières et quelques retraits et dépôts d'espèces. Les parties exposent que les ordres concernaient principalement des produits dérivés, à savoir des options call et put.

2. Le 17 juillet 2000, le réviseur d'entreprises d'U.B.B. adresse à celle-ci le rapport du contrôle qu'il a effectué, le 3 juillet 2000, à l'agence BEF Shiva Invest et dont il ressort que:

- plusieurs comptes présentent des soldes débiteurs, dont celui de Mme Carton pour un montant de 16.485 EUR;

- cette cliente présente un risque particulier dans la mesure où elle a émis plusieurs options put, dont 2.400 options LHSP janvier 2001 dont la perte, au moment du contrôle, était déjà de 40.800 USD;

- il recommande de mettre en place une procédure de manière à limiter les risques liés à ces opérations, par:

* la signature de la convention spécifique aux produits dérivés avant toute opération;

* le suivi journalier de la position de chaque client ayant émis ou acheté des options;

* le suivi journalier des garanties requises.

Le 21 septembre 2000, U.B.B. adresse à Shiva Invest la méthode de calcul des couvertures requises pour les opérations sur options call et put, ces dernières nécessitant une garantie de ± 35%. Dans le même courrier électronique, elle attire son attention sur la situation de Mme Carton.

À une date non précisée - mais qui est en tout cas postérieure au 27 septembre 2000 - Mme Carton dresse un calcul du risque lié aux options put qu'elle a émises et qui s'établit à 5.100.000 FB au 21 septembre 2000.

Le 4 octobre 2000, Mme Carton verse sur son compte 12.394,68 EUR, ce qui a pour effet de le rendre créditeur. Les 1er et 6 novembre 2000, elle verse encore 3.088,75 EUR et 3.247,41 EUR.

3. Le 14 novembre 2000, la Commission bancaire et financière adresse à U.B.B. le rapport qu'elle a effectué concernant ses activités en instruments dérivés. Elle met en évidence les points suivants:

- les activités sur instruments dérivés ne sont pas suffisamment encadrées et U.B.B. est dans l'incapacité de mesurer les risques liés à ces transactions;

- U.B.B. présente des lacunes dans l'identification des clients et dans la signature d'une convention ad hoc devant informer le client de ses droits et obligations et lui apporter une information suffisante sur la nature et l'importance des risques liés aux opérations en produits dérivés;

- une insuffisance de couverture, parfois très élevée, a été identifiée pour 24 clients, soit quelque 20% du nombre total de clients actifs en options émises.

À une date toujours non précisée - mais que Mme Carton situe fin novembre 2000 au moment où U.B.B. était en discussion avec la société de bourse Leleux pour sa restructuration - U.B.B. adresse à Mme Carton des documents à signer pour régulariser les ouvertures de compte. Il s'agit d'un contrat de client et d'une convention relative à l'exécution d'ordres sur les marchés d'option et/ou future. Seul le contrat de client est signé par Mme Carton. Cette convention prévoit, notamment, que:

- la firme [U.B.B.] exécute tous les ordres acceptés par elle suivant le mandat qui lui a été donné et pour compte et au risque du client, en tenant compte des règlements et des usages de la place où ils sont exécutés (art. 5);

- pour les opérations à terme et en options, le client déclare accepter tous les risques inhérents à celles-ci (art. 11);

- le client s'engage à régler toute différence à devoir à la firme le lendemain du jour des reports et à compléter la garantie, le cas échéant. La garantie s'élève à 30% de la valeur des positions prises. À défaut, la firme peut procéder, sans mise en demeure préalable, à la liquidation, en tout ou en partie, des engagements du client (art. 12);

- la firme est en droit d'exiger (si c'est souhaitable) une garantie ou un paiement complémentaire et cela à chaque phase du contrat (...). La garantie et/ou complément de couverture pourra, le cas échéant, s'élever à une couverture de 100% des positions ouvertes. Il est signalé que la perte éventuelle à charge du client peut dépasser le montant de la couverture (art. 14).

Est joint une photocopie de la carte d'identité de Mme Carton ainsi qu'un formulaire sur lequel il est précisé qu'il n'y a pas de convention de gestion.

4. Le 27 novembre 2000, U.B.B. adresse à Mme Carton une mise en demeure d'apurer son solde débiteur qui est de 32.849,16 USD. Elle précise qu'à défaut, elle a l'intention de procéder, à partir du 4 décembre 2000, à la vente de son portefeuille et/ou de clôturer les positions courtes en options qu'elle détient pour son compte.

Le 30 novembre 2000, Mme Carton lui répond qu'elle considère que le délai qui lui est imposé pour déposer une couverture de 100% pour les options put lui paraît cavalier eu égard aux bonnes relations qu'elle entretient avec elle et lui demande de lui laisser une quinzaine de jours afin de pouvoir faire face, sans trop de préjudice, à ce recouvrement (ceci étant donné la conjoncture boursière actuelle).

Mme Carton verse 3.247,41 EUR le 6 décembre 2000 et 74.368,06 EUR le 12 décembre 2000, ce qui a pour effet de rendre son compte créditeur à cette date à concurrence de 77.172,05 EUR (cf. pièce 16 de son dossier).

Le 28 décembre 2000, U.B.B. adresse une nouvelle mise en demeure à Mme Carton dès lors que son compte est à nouveau débiteur de plus de 100.000 FB. Elle l'informe du contrôle que vient d'effectuer la Commission bancaire et financière et de l'interdiction d'avoir des clients débiteurs.

Le 30 décembre 2000, Mme Carton confirme les termes d'un entretien qu'elle a eu avec les représentants d'U.B.B. Elle constate qu'en septembre son risque en options put était de ± 4.500.000 FB pour un portefeuille de 300.000 FB et comprend maintenant à quel point cela ne pouvait se faire et qu' il n'y avait pas d'objections de la part d'U.B.B. Elle estime que la responsabilité de cette situation est partagée et rappelle que depuis plusieurs semaines elle essaie par tous les moyens de faire face à ses obligations pour couvrir trois assignations et clôturer quatre contrats. À titre d'arrangement à l'amiable, elle propose à U.B.B. de prendre en charge les cinq positions restantes en option put, constatant avoir perdu, en ce qui la concerne, 2.000.000 FB par manque de règles internes et de rigueur dans le chef d'U.B.B.

5. Considérant qu'U.B.B. a manqué à ses devoirs d'intermédiaire financier, notamment à son devoir d'information, Mme Carton la fait citer devant le tribunal de commerce de Bruxelles, par exploit du 21 mars 2001, en paiement de 3.500.000 FB de dommages et intérêts majorés des frais de l'emprunt qu'elle a dû contracter pour apurer les pertes encourues, soit 192.983 FB.

Par conclusions déposées le 15 janvier 2002, U.B.B. introduit contre Mme Carton une demande reconventionnelle tendant au remboursement de son compte courant débiteur, soit 29.216,87 EUR augmentés des intérêts moratoires. Par exploits des 30 et 31 juillet 2002, elle fait citer Shiva Invest et son gérant, M. Pascal Prévôt, en intervention et garantie.

Suite à un arrangement amiable, U.B.B. se désiste de l'action introduite contre Shiva Invest.

Le premier juge dit la demande de Mme Carton non fondée et fait droit à la demande reconventionnelle d'U.B.B. Par ailleurs, il dit la demande en intervention et garantie dirigée contre M. Prévôt sans objet.

6. Mme Carton interjette appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la cour de:

- réformer le jugement attaqué;

- annuler les opérations contractuelles spéculatives et les paiements en comblement du compte client n° 92054;

- la décharger des condamnations mises à sa charge;

- condamner U.B.B. à lui payer:

* 93.098,89 EUR à titre de remboursement des sommes payées pour combler le passif de son compte client, augmentés des intérêts moratoires;

* 1 EUR à titre provisionnel à titre de remboursement des commissions encaissées sur les ordres de bourse;

* 14.927,33 EUR à titre de remboursement des frais encourus pour conclure un prêt en vue d'apurer son compte débiteur.

IV. Discussion
1. Griefs formulés par Mme Carton

7. Mme Carton soutient avoir conclu avec U.B.B. une convention de gestion de fortune l'obligeant à recueillir son consentement éclairé pour les opérations spéculatives qu'elle lui conseillait, ce qu'elle n'aurait pas fait.

Subsidiairement, Mme Carton met en cause un manquement général d'U.B.B. au devoir d'information que tout professionnel doit à son client, qui, en l'espèce, aurait dû se traduire par l'exigence d'une couverture d'au moins 35% sur les pertes potentielles afin de lui donner la sensation matérielle du risque qu'elle prenait. Elle expose que si une telle couverture lui avait été demandée, elle se serait tenue éloignée de ces transactions boursières spécialement hasardeuses, sans commune mesure avec son état de fortune.

Elle reproche également à U.B.B. de ne pas avoir clôturé plus tôt les positions ouvertes, alors que cette faculté était prévue dans le contrat, avec la conséquence que son dommage s'est aggravé depuis les premières mises en demeure.

2. Sur la nature des relations contractuelles entre parties et l'étendue des obligations d'U.B.B.

8. Contrairement à ce que Mme Carton soutient, les parties n'étaient pas liées par un contrat de gestion de fortune.

Mme Carton ne dépose aucune pièce qui tendrait à prouver qu'U.B.B., et plus particulièrement son agence montoise Shiva Invest, était investie d'une mission de gestion ou de conseil en investissement.

Au contraire, il résulte du contrat de client que Mme Carton a signé que la gestion de fortune a été expressément exclue. U.B.B. n'a d'ailleurs jamais perçu de rémunération spécifique pour ce genre de prestations qu'il y a lieu de distinguer des commissions ordinaires comptabilisées lors de chaque ordre de bourse qui ne rémunèrent que l'exécution de ces ordres et non le conseil en placement (Bruxelles 12 octobre 2001, J.L.M.B. 2002, 1036 ).

Il s'en déduit que l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements n'était pas applicable en l'espèce et que, à défaut d'autres preuves, U.B.B. n'intervenait que dans le cadre d'un simple contrat d'intermédiation financière pour exécuter les ordres de bourse qui lui étaient donnés par Mme Carton. Partant, les dispositions du règlement du marché de la Bourse de Bruxelles sur les obligations pesant sur un membre qui conseille un client ne sont pas non plus applicables au cas d'espèce.

9. Quant aux obligations qui pèsent sur toute société de bourse, elles étaient régies par l'article 36 de la loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements, qui disposait, notamment, que:

§ 1. Dans leurs opérations sur instruments financiers, les intermédiaires visés aux articles 2 § 1er et 34 veilleront:

(...)

2° à servir au mieux les intérêts de leurs clients, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, compte tenu du degré de connaissance professionnelle de ces clients;

3° à se conformer à tous les codes de conduite et les règles applicables à l'exercice de leurs activités concernant les opérations sur instruments financiers, de manière à défendre au mieux les intérêts de leurs clients et l'intégrité du marché;

4° à recueillir d'une manière appropriée auprès des clients qu'ils conseillent, toute information utile concernant la situation financière de leurs clients, leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs de placement qui raisonnablement sont significatifs pour pouvoir réaliser au mieux leurs engagements vis-à-vis de leurs clients en ce qui concerne les services demandés;

5° à faire des démarches raisonnables pour fournir, dans un délai raisonnable, au client qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui lui permet de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause. Sur simple demande du client, ils seront prêts à lui faire rapport de manière complète et honnête de leurs engagements vis-à-vis du client.

(...)

§ 3. Pour les opérations sur instruments financiers inscrits à la cote d'une bourse de valeurs mobilières ou négociés sur un autre marché réglementé, sans préjudice de l'application des autres dispositions de ce livre, l'intermédiaire est présumé satisfaire à l'obligation visée au § 1er, 2°, s'il exécute la transaction sur un marché réglementé conformément aux règles en vigueur sur ce marché, à moins qu'il n'ait reçu d'autres instructions de son client.

Pour le surplus, le règlement du marché de la Bourse de Bruxelles, approuvé par l'arrêté ministériel du 16 avril 1996 prévoyait, en ce qui concerne les obligations pesant sur les sociétés de bourse, notamment, que:

art. 84: Le membre peut soumettre toute exécution d'un ordre d'un investissement à la remise d'une couverture;

art. 86: Le membre veille à tout moment à obtenir de son client les garanties nécessaires à la bonne fin des engagements pris par celui-ci.

3. Sur les fautes alléguées
a. Sur le défaut d'exigence d'une couverture

10. Il est constant, en l'espèce, qu'U.B.B. n'a pas exigé de Mme Carton, au moment où elle entendait effectuer une opération sur le marché des options, qu'elle affecte une certaine somme en couverture de celle-ci.

Ce n'est qu'après l'intervention de son réviseur d'entreprise et le contrôle de la Commission bancaire et financière qu'elle a exigé que Mme Carton apure le solde de son compte qui était devenu débiteur, par le dénouement de certaines positions déficitaires.

Tout au plus, les paiements effectués par Mme Carton, en exécution des mises en demeure qu'elle a reçues, peuvent être qualifiés de couverture a posteriori.

11. La couverture est le montant en espèces ou les instruments financiers exigés par le membre du marché [en l'espèce U.B.B.] à son client ou par l'autorité de marché à son membre et remis à ce dernier, en garantie des risques calculés pour les positions ouvertes en instruments financiers qui découlent des transactions conclues en son nom (B. Féron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des intermédiaires financiers, Larcier, 1997, p. 324).

À l'époque des faits, cette couverture n'était plus imposée légalement suite à l'abrogation de l'arrêté royal n° 10 du 15 octobre 1934 relatif au marché à terme des titres cotés en bourse.

Dans le cadre du règlement du marché de la Bourse de Bruxelles, l'exigence d'une couverture par l'intermédiaire financier n'est pas une obligation. Ce règlement ne sanctionne pas de nullité les opérations qui auraient été conclues sans qu'une couverture ou des garanties suffisantes soient constituées. Il ne précise pas davantage le montant de la couverture ou des garanties qui doivent être exigées et il est laissé à l'appréciation du membre. Toutefois, l'intermédiaire financier doit veiller à obtenir de ses clients les garanties nécessaires à la bonne fin de leurs engagements (Bruxelles 21 mars 2002, R.D.C. 2004, 193 ).

Dès lors que la couverture n'est plus imposée par la loi, son exigence éventuelle ne peut se déduire que du devoir plus général d'information de l'intermédiaire financier à l'investisseur.

Le défaut d'exigence d'une couverture en dehors des cas où la loi ou un instrument équivalent l'impose ne saurait avoir, à lui seul, pour conséquence de déchoir l'intermédiaire de ses droits. L'obligation d'information cesse là où le créancier d'information n'en a en réalité nul besoin parce qu'il a déjà connaissance de la teneur de l'opération qu'il envisage et des risques qu'elle comporte, parce qu'il est, en d'autres termes, un investisseur averti (X. Dieux et Y. Stempnierwky, “La responsabilité civile des intermédiaires de produits dérivés”, in Produits dérivés, Bruylant, 1999, p. 43).

Dans ce cas, le dommage subi par le client en raison des pertes occasionnées par l'opération résulte tout autant de sa témérité à s'y lancer. Il y a donc interruption du lien de causalité par son propre fait. L'obligation d'information vis-à-vis d'un client est fonction de la qualité et de l'expérience de ce dernier et elle n'a pas pour effet de le dispenser de tout effort de discernement quant à la gestion de ses titres. En effet, le spéculateur boursier qui achète et vend dans le seul but de faire des gains à terme supporte seul les risques de telles opérations spéculatives (J.-P. Buyle et M. Delierneux, observations sous Bruxelles 21 mars 2002 et les références citées dont Cass. fr. 8 juillet 2003, R.D.C. 2004, 195 ).

12. La cour observe que:

- Mme Carton reconnaît avoir voulu profiter de gains spéculatifs à court terme; dans ses conclusions (page 7, 3e alinéa), elle emploie d'ailleurs le terme boursicoter;

- le compte titres enregistre un très grand nombre d'opérations, portant sur des montants importants, souvent supérieurs au capital de départ; il n'est même pas rare que des titres aient été achetés et revendus le même jour pour profiter d'une hausse du cours (cf. opérations du 30 septembre 1999 et 28 octobre 1999 sur les titres Alcatel);

- Mme Carton admet avoir participé à des concours et à des clubs d'investisseurs pour parfaire sa connaissance du marché; elle maîtrise en outre parfaitement la consultation de l'évolution des marchés sur Internet (cf. les graphiques produits à la pièce 9 de son dossier);

- la technique de l'option, et plus particulièrement de l'option put, n'est pas inconnue pour Mme Carton qui est capable de calculer elle-même le risque auquel elle s'expose, c'est-à-dire la différence entre le cours de l'action qu'elle doit acheter pour honorer ses obligations et le cours de celle-ci lors de l'émission de l'option;

- Mme Carton n'a mis en cause la responsabilité d'U.B.B. que lorsqu'elle a appris que son réviseur et la Commission bancaire et financière lui reprochaient de ne pas avoir exigé de couverture de ses clients; au contraire, avant cela, elle a spontanément effectué des versements en octobre et novembre 2000 pour remettre son compte à niveau lorsqu'il devenait débiteur par le dénouement défavorable d'options;

- Mme Carton n'a pas voulu signer la convention relative à l'exécution d'ordres sur le marché d'option et/ou future; elle ne peut donc invoquer des dispositions qui lui seraient favorables et rejeter celles qui ne le seraient pas;

- en revanche, elle a signé le contrat de client qui stipule, en son article 11, qu'elle déclare accepter tous les risques inhérents aux opérations à terme et en options.

Il s'en déduit que Mme Carton doit être considérée comme un investisseur averti, ce qui exclut la notion de jeu et, partant, l'existence d'une convention contraire à l'ordre public comme elle le soutient à tort. Elle s'est lancée sur le marché des options en connaissance de cause des gains importants qu'elle pouvait en espérer - dont elle a d'ailleurs profité - et des risques tout aussi importants qu'il comportait, risques qu'elle était par ailleurs capable d'évaluer quotidiennement. Eu égard à l'effet de levier des options put, la hauteur de la perte en rapport avec le capital investi ne constitue pas une preuve ni même une présomption de l'existence d'une faute dans le chef de l'intermédiaire financier.

Il n'est donc pas établi que si U.B.B. avait fait signer préalablement une convention et exigé avant chaque opération une couverture, le niveau d'information de Mme Carton sur les produits dérivés se serait accrû à un point tel qu'elle aurait renoncé à pareille spéculation.

Il n'est pas établi non plus que cette couverture aurait eu un effet dissuasif eu égard à l'impécuniosité alléguée de Mme Carton puisque, à défaut d'éléments probants, il est impossible pour la cour de calculer la couverture qu'elle aurait dû constituer et dire si celle-ci aurait eu un effet dissuasif. En effet, pour ce faire, il y a lieu de ne tenir compte que de la couverture éventuelle à pourvoir au moment de l'émission de l'option et pas de celles exigibles en complément lorsque les cours ont chuté; or, en l'espèce, Mme Carton ne fournit aucun élément sur le cours des valeurs sous-jacentes.

Il n'existe donc pas de lien de causalité entre l'abstention d'U.B.B. d'exiger de Mme Carton une couverture et le préjudice subi par elle.

L'appel sur ce point n'est pas fondé.

b. Sur le retard à réaliser le portefeuille

13. Mme Carton ne peut faire le reproche à U.B.B. de ne pas avoir réalisé son portefeuille et dénoué les opérations sur option immédiatement après lui avoir adressé une mise en demeure d'apurer son solde débiteur et constaté qu'elle n'exécutait pas ses obligations.

Dans sa lettre du 30 novembre 2000, Mme Carton demandait de pouvoir disposer d'un certain délai afin de pouvoir faire face à ses obligations sans trop de préjudice, étant donné la conjoncture de la bourse. C'est donc qu'elle espérait un redressement de celle-ci puisque nul, en ce compris U.B.B., ne pouvait prévoir que la tendance baissière de la fin de l'année 2000 allait s'accentuer en 2001. Il ne peut donc être fait grief à U.B.B. d'avoir accédé à sa demande. De plus, la réalisation forcée du portefeuille ne constitue qu'une faculté dans le chef d'U.B.B. et pas une obligation.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que Mme Carton recevait régulièrement ses extraits de compte. Elle pouvait donc se rendre compte de l'évolution de son portefeuille et, en sa qualité d'investisseur averti, avait toute possibilité pour donner à U.B.B. des instructions précises pour dénouer ses positions en vendant son portefeuille quand bon lui semblait, ce qu'elle n'a pas fait.

L'appel sur ce point n'est pas fondé.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour,

Dit l'appel recevable mais non fondé et en déboute Mme Carton.

(…)