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Cour d'appel Liège, 14/09/2006, R.D.C.-T.B.H., 2008/1, p. 75-78

Cour d'appel de Liège 14 septembre 2006

SÛRETÉS
Sûreté personnelle - Garantie à première demande - Responsabilité du banquier - Devoir d'information et de conseil
L'obligation de la banque d'assister et de conseiller son client en matière de garantie bancaire reste limitée à des questions particulières de caractère technique et ne s'étend pas aux risques liés à la délivrance de garanties bancaires autonomes qui doivent être connus de tout exportateur.
Il ne suffit pas pour être créancier d'une obligation de renseignement d'invoquer son ignorance. Il faut encore que celle-ci soit légitime.
Il n'y a aucune contradiction entre des dispositions qui prévoient le caractère automatique de la dégressivité du montant d'une garantie et la nécessité du respect de certaines formalités pour que celle-ci puisse sortir ses effets.
La banque qui intervient pour faire émettre une garantie par un correspondant à l'étranger le fait pour compte de son client auquel il appartient de suivre l'évolution du marché de façon à ce que puisse jouer la clause de réduction de la garantie.
ZEKERHEDEN
Persoonlijke zekerheid - Garantie op eerste verzoek - Aansprakelijkheid van de bankier - Informatie en adviesverplichting
De verplichting van de bank om haar cliënt bij te staan en die te adviseren in verband met bankgaranties blijft beperkt tot bijzondere kwesties van technische aard en breidt zich niet uit tot de risico's die verbonden zijn met de afgifte van autonome garanties, die door elke exporteur gekend moeten zijn.
Het volstaat niet om zijn onwetendheid in te roepen om schuldeiser te worden van een informatieverplichting. Deze onwetendheid moet ook nog rechtmatig zijn.
Er is geen tegenstrijdigheid tussen de bepalingen die in het automatische karakter van de degressiviteit van het bedrag van een garantie voorzien en de noodzaak om bepaalde formaliteiten te respecteren opdat de degressiviteit haar uitwerking zou kunnen hebben.
De bank, die tussenkomt om een garantie te laten uitgeven via een correspondent in het buitenland, doet dit voor rekening van haar cliënt, aan wie het toebehoort om de ontwikkeling van de markt te volgen, zodat de clausule tot verlaging van de garantie haar rol zou kunnen spelen.

SA Fortis Banque / SA Mathy By Bols

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes S. Collin loco F. Poncelet et M.-E. Materne loco D. Rémy

(…)

Le litige

Dans le cadre d'un marché de l'ordre de 100.000.000 FB conclu en 1998 avec la République Islamique de Mauritanie portant sur la livraison de matériel scolaire soit trente mille tables-bancs, la SA Mathy By Bols, en abrégé M.B.B., a demandé, par l'intermédiaire de sa propre banque, le Crédit à l'Industrie, à la SA Générale de Banque de Charleroi d'émettre par l'intermédiaire d'une banque locale une garantie de restitution d'avances de 29.880.000 FB et une garantie de bonne exécution de 4.980.000 FB.

À cette fin, la Générale de Banque de Charleroi, désignée ci-après par les abréviations G.B.C., s'est adressée à la Générale de Banque de Mauritanie, ci-après G.B.M.

Les garanties sont émises le 30 août 1998; le marché est conduit à bonne fin et il ne sera pas fait appel aux garanties par le bénéficiaire de celles-ci.

Le litige concerne les commissions réclamées par la G.B.M. qui a exigé le 22 septembre 1998 le paiement anticipé de commissions, taxes et frais pour un montant de 831.340 FB tout en marquant son accord pour rembourser la partie des commissions qui ne serait pas justifiée en fonction de l'intervention des diverses libérations prévues pour ce qui concerne la garantie de restitution d'avances.

La lettre de garantie de remboursement prévoit en effet que le montant maximum de la garantie, soit 29.880.000 FB, sera réduit “automatiquement” à concurrence de la valeur des livraisons réceptionnées au port de Nouakchott, à partir du moment où le montant total des acomptes payés, représentant la partie des livraisons exécutées, atteint 50% du montant initial du marché, la garantie cessant ses effets à l'instant où les marchandises réceptionnées provisoirement représenteront 80% du contrat et le 31 décembre 1999 au plus tard.

G.B.M. refusera de rembourser quelque commission que ce soit parce que “durant la durée de validité de la lettre de garantie, elle n'a jamais reçu les procès-verbaux de réception provisoire des marchandises” (lettre du 9 août 2001), ce qui fait que ses engagements à l'égard du bénéficiaire n'ont jamais été réduits.

M.B.B. recherche la responsabilité de G.B.C. à laquelle elle reproche d'avoir manqué à son obligation de conseil pour ne pas lui avoir rappelé, lorsqu'elle l'a informée le 16 octobre 1998 que G.B.M. acceptait de restituer la partie des commissions versées en trop, que celle-ci avait demandé “que lui soient transmis en temps voulu les textes appropriés”.

Le texte de la garantie de remboursement prévoit en effet que

“la preuve des réductions résultera, à notre égard, dès réception, d'une copie des procès-verbaux de réception provisoire relatifs aux livraisons supplémentaires précitées.

Pour information, les réceptions provisoires se font en présence du fournisseur (Mathy By Bols SA) - ou de son représentant dûment mandaté - et par une commission composée de:

- un représentant de la Commission Centrale des Marchés;

- un représentant de la Direction du Financement;

- un représentant du ministère de l'Éducation Nationale”.

Le tribunal se fondant sur la prémisse qui se révèlera erronée que “il n'est pas soutenu, ni démontré, que la demanderesse a reçu copie des lettres de garantie et de contre-garantie, a retenu la responsabilité de l'appelante à laquelle les premiers juges reprochent d'avoir lors de sa réponse du 16 octobre 1998, commis une faute en omettant de préciser l'élément, dont, à ce moment, elle seule connaissait ou devait connaître l'importance pour sa cliente, soit la nécessité d'une transmission des procès-verbaux de réception”.

Les demandes en appel

Fortis Banque conclut au rejet de l'action introduite par M.B.B., demande que soit ordonnée la libération à son profit des fonds consignés à la Caisse des Dépôts et Consignation et la condamnation de M.B.B. au remboursement des frais de la procédure de cantonnement, de ses frais de défense ainsi qu'aux dépens des deux instances.

M.B.B. majore sa demande originaire qu'elle porte à € 12.000,92 en principal; elle introduit également une demande additionnelle et une demande incidente en vue d'obtenir la condamnation de Fortis Banque au remboursement de ses frais de défense et au paiement de dommages et intérêts du chef d'appel téméraire et vexatoire.

Discussion

Le texte même de la garantie de remboursement prévoit donc que la réduction de la garantie consentie par G.B.M. présente un caractère automatique.

C'est pour éviter les problèmes liés au caractère automatique de la dégressivité de la garantie (voy. à ce sujet, C. Martin et M. Delierneux, “Les garanties bancaires autonomes”, R.P.D.B., Compl. VII, nos 112, 113 et 114), qu'il a été prévu que la copie des procès-verbaux de réception provisoire devait être communiquée à G.B.M.

L'appelante justifie de ce que le texte de la garantie de remboursement, seule concernée par le litige, a été soumis préalablement pour accord à M.B.B. qui l'a accepté (dossier F.B., pièce 3). Il est également établi que par courrier du 25 septembre 1998, G.B.C. lui a communiqué la copie des deux lettres de garantie émises par sa correspondante (dossier F.B., pièce 10).

Il faut encore souligner que le texte même du projet de garantie qui fut adressé le 20 août 1998 par le Crédit à l'Industrie, banquier de M.B.B., à G.B.C. (pièce 5) porte aussi la mention que “la preuve des réductions résultera, à notre égard, dès réception d'une copie des procès-verbaux de réception provisoire relatifs aux livraisons supplémentaires précitées” (dossier F.B., pièce 5).

Après avoir soutenu en instance et en appel qu'“(elle) n'a jamais été informée de l'obligation qu'elle aurait pu avoir de transmettre lesdits PV de réception provisoire” (conclusions d'instance, p. 6; conclusions principales d'appel, p. 6, avant-dernier par.), M.B.B. doit bien reconnaître qu'“il est exact qu'elle avait connaissance du libellé de la lettre de garantie...” (conclusions additionnelles d'appel, p. 2).

L'opinion de M. Dohm (Les garanties bancaires, nos 125-129) selon laquelle “l'obligation de la banque d'assister et de conseiller son client reste limitée à des questions particulières de caractère technique, et ne s'étend pas aux risques liés à la délivrance de garanties bancaires autonomes qui doivent être connus de tout exportateur”, partagée par C. Martin et M. Delierneux (o.c., n° 103) doit être approuvée.

“Ainsi, à l'évocation d'un défaut de conseil de la part du banquier, la cour d'appel de Bruxelles a répondu 'qu'il n'est pas établi que le banquier ait failli à ses devoirs envers sa cliente en n'attirant pas son attention sur les conséquences et la portée des engagements qu'elle souscrivait, la lettre de garantie du 15 juin 1956 étant suffisamment explicite à cet égard' (18 décembre 1981, R.B. 1982, 121; voy. égal. Cass. fr. 27 novembre 1984, arrêt Omnium technique, D. 1985, 270 et note Vasseur, eodem loco, 274, n° 1). Comme le souligne Ghestin (Le contrat, n° 495), 'il ne suffit pas pour être créancier d'une obligation de renseignements d'invoquer son ignorance. Il faut encore que celle-ci soit légitime'.

Le banquier agira toutefois prudemment en se ménageant, in tempore non suspecto, la preuve que le client a marqué son accord exprès sur le texte de l'acte de garantie, et a parfaitement compris la nature et l'étendue de ses obligations. Semblable précaution s'indique particulièrement quand, pour rencontrer les exigences du maître de l'ouvrage, le client prétend faire émettre par son banquier un texte de garantie contenant des clauses exorbitantes.” (C. Martin et M. Delierneux, id., o.c.).

En l'espèce, il n'était pas besoin d'explication. Le texte de la garantie sur lequel M.B.B. a marqué son accord est limpide et ne nécessite aucune interprétation. C'est à M.B.B. qu'il appartenait de transmettre en temps utile à G.B.M., soit directement sur place via son représentant, soit par l'intermédiaire de G.B.C., la copie des procès-verbaux de réception provisoire des marchandises.

Il importe peu que dans sa lettre du 16 octobre 1998, G.B.C. n'ait pas rappelé à l'intimée le caractère nécessaire de la communication des procès-verbaux de réception provisoire, tant celui-ci est évident.

C'est à tort que M.B.B. soutient que l'appelante ne peut lui opposer une exception soulevée par G.B.M. sur base d'une convention n'existant qu'entre ces deux banques. Le problème ne doit pas être posé en ces termes. En cette affaire, G.B.C. est intervenue en tant que donneur d'ordre pour compte de M.B.B. Le contenu de l'ordre donné par G.B.C. à G.B.M. a été déterminé de l'accord et selon les instructions de M.B.B.

Celle-ci ne peut dès lors prétendre que le contenu et les modalités de la garantie lui sont étrangers. Dès lors que le champ de la garantie dont M.B.B. devrait finalement répondre avait été clairement défini, c'est à celle-ci qu'il appartenait de faire les diligences et respecter les formalités prévues pour que la réduction automatique de la garantie puisse être opposée à et par la banque garante.

Lorsqu'elle s'adresse à G.B.C. le 11 octobre 1999 et qu'elle lui communique le timing des réceptions provisoires qui révèle que la sixième et dernière livraison est intervenue le 8 juillet 1999, il est trop tard, la garantie est expirée et il ne saurait plus y avoir matière à rétrocession d'une partie des commissions, puisqu'il n'a pas été justifié de la réduction progressive de la garantie à l'égard de G.B.M. qui est ainsi restée tenue jusqu'au terme de la garantie de répondre à la demande du bénéficiaire sans pouvoir lui opposer la réduction du plafond de celle-ci.

C'est encore à tort que M.B.B. fait reproche à G.B.C. d'avoir manqué au principe d'exécution de bonne foi des conventions pour n'avoir pas fait toutes les démarches nécessaires à la bonne suite du dossier et de ne l'avoir pas mise dans les conditions lui permettant de récupérer une partie des commissions.

C'est en effet à M.B.B. et non à G.B.C. qui n'était d'ailleurs pas le banquier habituel de M.B.B. et dont l'intervention s'est limitée à obtenir la délivrance par G.B.M. des garanties exigées par l'importateur des marchandises, qu'il appartenait de suivre l'exécution du marché de façon à ce que puisse jouer la clause de réduction de la garantie.

C'est en vain que M.B.B. invoque encore le caractère prétendument confus du libellé de la garantie de remboursement. Il n'y a aucune contradiction entre les dispositions du texte qui prévoient le caractère automatique de la dégressivité et la nécessité du respect de certaines formalités pour que celle-ci puisse sortir ses effets sans qu'il y ait de problème.

Et le fait qu'il ait été prévu que la garantie de remboursement cessera tous ses effets dès l'instant où les marchandises réceptionnées provisoirement représenteront 80% du contrat n'y change rien, cette disposition étant compatible avec le respect de la formalité de la communication des procès-verbaux de réception provisoire.

G.B.C. n'a commis aucune faute. La simple lecture attentive du texte de la garantie par les responsables de M.B.B. aurait permis d'éviter la réalisation du dommage dont la réparation est postulée. L'ignorance dont l'intimée se prévaut est illégitime.

L'appel interjeté est donc fondé; l'action introduite par M.B.B. doit être rejetée; les fonds consignés doivent être restitués à l'appelante qui doit obtenir le remboursement des frais qu'elle a dû exposer dans le cadre de la procédure de cantonnement.

Le rejet d'une demande n'implique pas nécessairement qu'une faute ait été commise par le demandeur originaire; l'appelante ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par son adversaire qui justifierait que ses frais de défense soient pris en charge par celui-ci (Liège (7e ch.) 14 décembre 2004, J.L.M.B. 2005, 689 ).

Décision

La cour statuant contradictoirement;

Reçoit l'appel et les demandes introduites par les parties en appel;

Réformant le jugement entrepris sauf en ce qu'il reçoit la demande, déclare celle-ci non fondée et rejette toutes les prétentions de la SA Mathy By Bols;

Ordonne la libération au profit de la SA Fortis Banque des fonds cantonnés en exécution du jugement entrepris et des intérêts produits par ceux-ci.

(…)