1.La décision est frappée d'appel.
2.Les faits donnant lieu à la décision sont d'une relative simplicité. Le 11 janvier 1994, la banque octroie un crédit de 6.600.000 francs, utilisable sous la forme d'un crédit de caisse à concurrence de 100.000 francs et d'un crédit d'investissement d'une durée de 15 ans à concurrence de 6.500.000 francs.
Le crédité ne respectant pas les échéances de remboursement du crédit utilisable sous la forme d'un crédit d'investissement, la banque lui adresse, le 10 janvier 2002, une invitation à régulariser, pour le 23 janvier 2002, la situation, comme elle l'avait du reste déjà fait à 2 reprises en 1999.
Les 25 janvier et 5 février 2002, la situation est partiellement régularisée par le crédité. La situation est entièrement régularisée le 6 février 2002.
Par une lettre du 5 février 2002, la banque dénonce le crédit à raison d'un dépassement non autorisé dans le crédit de caisse et d'un arriéré de remboursement dans le crédit d'investissement et sur la “base de l'article 5 du cahier des charges des conditions générales d'application” [1] ainsi qu'à raison de la non-communication d'une attestation “émanant de l'institution financière qui vous a signalé auprès de l'Union Professionnelle de Crédit, que vos problèmes envers ces institutions sont résolus”.
Cette dénonciation est immédiatement contestée par le crédité.
La banque rappelle alors que d'autres avertissements avaient déjà été donnés en 1999, qu'un des administrateurs avait déjà eu trois “faillissements” et avait été signalé à quatre reprises auprès de l'Union Professionnelle de Crédit et que certains documents n'auraient pas été communiqués par le crédité malgré la promesse formulée en ce sens.
Interpellée par le crédité qui ne recevait plus d'extraits de compte relatif au compte courant dans lequel fonctionnait le crédit de caisse, la banque précise, le 11 mars 2002, qu'elle a clos ce compte sur la base de l'unicité des comptes mais qu'elle continuait à recueillir sur ce compte certains paiements qu'elle reversait ensuite sur un autre compte.
Aucun accord ne pouvant être trouvé, la banque demande la condamnation du crédité au remboursement du solde de sa dette, soit 80.762,63 EUR en principal tandis que le client postule reconventionnellement sa réintégration dans ses droits et le maintien des crédits litigieux.
3.La décision examinée présente un intérêt sur le plan de ce qu'est une décision de mettre fin au contrat, de sa motivation, de ses effets et des conséquences d'une rupture irrégulière.
Nous allons examiner chacune de ces questions successivement.
4.En principe, il peut être mis fin à un crédit non réglementé soit en cas d'inexécution fautive [2], soit en application d'une clause résolutoire expresse soit encore moyennant un préavis pour autant alors que le contrat soit conclu pour une durée indéterminée, par chacune des parties même si en pratique, la rupture est le plus souvent le fait de la banque.
Quelle que soit la cause de la rupture, la volonté de la banque doit être exprimée clairement. Il faut que le crédité sache avec précision quelles sont les intentions de la banque (continuer ou rompre le contrat) étant entendu que l'expression de cette volonté n'est assujettie à aucune forme particulière. Il faut mais il suffit qu'elle soit certaine.
Tel n'est pas le cas si la banque se contente de notifier, comme en l'espèce, l'existence d'un dépassement du crédit, d'inviter le crédité à régulariser la situation et d'indiquer qu'à défaut pour le crédité de ce faire, la banque se verra “obligée de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits” [3].
5.Lorsque la banque rompt le contrat sur la base d'une clause résolutoire expresse, comme c'était le cas dans le jugement commenté, elle se doit de motiver sa décision avec précision.
Il appartient en dernier ressort au juge d'apprécier la réalité du motif [4].
Seul celui invoqué dans la dénonciation peut être pris en considération lors de l'appréciation de sa validité [5]. L'évocation ultérieure d'autres motifs est tardive ou non déterminante [6].
Si le tribunal de commerce de Dinant rappelle correctement ces principes, leur mise en oeuvre est plus contestable. En effet, il résulte, à la lecture des constatations réalisées par le tribunal dans son jugement que les motifs évoqués par la banque après la dénonciation, trouvaient un point d'ancrage dans la lettre de dénonciation.
Dans celle-ci, la banque se prévaut d'un défaut de communication de l'attestation “émanant de l'institution financière qui vous a signalé auprès de l'Union Professionnelle de Crédit, que vos problèmes envers ces institutions sont résolus” . Or, ce ne sont que ces “problèmes” - nécessairement bien connue du crédité puisqu'il s'était engagé à délivrer une attestation - qui ont été détaillés, après dénonciation, par la banque.
Le tribunal écarte également ce motif pour deux autres raisons, à savoir d'une part parce qu'il n'était invoqué que de manière incidente dans la lettre de dénonciation du 5 février 2002 et d'autre part, qu'il ne concernait pas le crédité lui-même mais un de ses administrateurs, en sorte que la banque n'a invoqué aucun événement susceptible de ruiner sa confiance, autre que le dépassement non autorisé de la ligne de crédit.
Cette motivation ne convainc pas. Dès lors que la banque demande des renseignements et invoque l'absence de communication de ceux-ci pour dénoncer le crédit, il est permis de croire que ces renseignements ont de l'importance pour elle, et ce même s'ils ne concernent pas directement le crédité. Le fait que ce motif ne soit pas invoqué en premier lieu par la banque n'est pas davantage déterminant dès lors qu'il est invoqué. La motivation de la lettre de dénonciation n'est en effet soumise à aucune forme particulière.
6.La dénonciation est un acte juridique unilatéral réceptice [7].
Elle n'est dès lors parfaite et ne produit ses effets qu'au moment où elle est parvenue à son destinataire et où celui-ci en a pris ou a pu raisonnablement en prendre connaissance [8].
Il s'ensuit que le motif invoqué à l'appui de la dénonciation doit exister non seulement au jour où elle est adressée au crédité mais aussi à celui où celui-ci est susceptible d'en prendre connaissance.
En l'espèce, la lettre de dénonciation est adressée le 5 févier 2002, à un moment où, selon les constatations faites par le jugement, les sommes dues dans le cadre du crédit d'investissement avaient été apurées en grande partie, le solde étant apuré le 6 février 2002, date à laquelle, au plus tôt, la lettre de dénonciation a pu arriver chez son destinataire, le crédité, et partant produire ses effets.
Le motif n'existant plus lorsque la dénonciation produit ses effets, le tribunal de première instance de Dinant a considéré que la rupture était irrégulière.
7.La dénonciation du crédit peut être fautive ou abusive. Dans le premier cas, l'auteur de la rupture ne respecte pas les conditions contractuelles organisant ce pouvoir; dans le second, bien que lesdites conditions soient scrupuleusement respectées, celui qui rompt le contrat commet de la sorte un acte contraire à la bonne foi ou abuse de son droit [9].
Malgré une critique sévère de certains auteurs [10] - critique qui, apparemment, n'a à ce jour pas reçu beaucoup d'écho -, la doctrine et la jurisprudence retiennent, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 1973 [11], que la réparation du dommage résultant de la rupture irrégulière d'un contrat de crédit à durée indéterminée, ne peut avoir lieu en nature mais ne peut consister qu'en l'allocation de dommages et intérêts [12].
En revanche, si le contrat était conclu pour une durée déterminée, la rupture fautive de celui-ci demeure sans effet [13]. De même, en cas de dénonciation abusive, le juge peut ordonner la réparation en nature du dommage et ordonner le rétablissement du crédit [14].
En l'espèce, sans avoir préalablement examiné la durée pour laquelle le contrat de crédit avait été initialement conclu, le tribunal de commerce de Dinant a décidé que la dénonciation réalisée par la banque demeurait sans effet en sorte que le contrat de crédit demeurait en vigueur.
Bien que motivée de manière malheureuse, cette décision est sans doute bien fondée. En effet, les crédits d'investissement sont, en règle, des contrats à durée déterminée en sorte qu'en cas de dénonciation irrégulière, le rétablissement de celui-ci est possible.
Cette solution, appliquée sans nuance, peut, dans certains cas, être particulièrement préjudiciable pour la partie qui a irrégulièrement rompu la convention. En toute hypothèse, elle est interpellante tant au regard de la confiance nécessaire qui doit exister dans un contrat de crédit que des pactes commissoires expresses que les parties ont insérés dans leur convention [15].
Avocat
Maître de conférences invité à l'Université Catholique de Louvain
[1] | La banque n'a, suivant les constatations du jugement, indiqué ni dans sa mise en demeure du 10 janvier 2002 ni dans sa lettre de dénonciation du 5 février 2002, le montant dû dans le cadre du crédit utilisable sous la forme d'un crédit de caisse ni même le dépassement auquel elle faisait pourtant référence dans sa lettre de dénonciation. Le tribunal en a conclu que le compte courant dans lequel le crédit de caisse fonctionnait était créditeur (jugement, point C). |
[2] | Sur la rupture du contrat pour inexécution fautive en l'absence de toute clause résolutoire expresse, voy. S. Stijns, “La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en oeuvre et ses effets”, in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, pp. 425-440; S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, “Chronique de jurisprudence. Les obligations (1985-1995)”, J.T. 1996, pp. 740-742. |
[3] | Jugement commenté, point A, n° 7. Voy. en ce sens en France, Cass. comm. 10 octobre 2000, arrêt n° 1444 F-D qui a décidé que le fait pour une banque de demander à son client de lui indiquer les mesures qu'il entendait prendre pour diminuer le débit de son compte, n'était pas l'expression d'une volonté de rompre le contrat. |
[4] | J. Linsmeau, “Les responsabilités du banquier”, T.P.D.C., V, 2007, p. 462, n° II.626 et p. 465, n° II.629. |
[5] | Comp.: Comm. Bruxelles 12 mai 1980, J.T. 1980, p. 693. Dans cette décision, le tribunal a décidé que “faute de disposition légale ou contractuelle qui imposerait de statuer autrement, la 'mauvaise qualification' donnée par la (banque) au motif de sa décision (…), ne la prive pas du droit d'en invoquer les motifs réels”. En l'espèce, le tribunal a néanmoins jugé, après avoir reconnu l'existence des motifs réels, que la dénonciation était abusive à raison de l'effet de surprise qui en résultait dès lors que les motifs certes réels et de nature à justifier la dénonciation, n'étaient pas énumérés dans le règlement des ouvertures de crédit. |
[6] | J.-P. Buyle, “La dénonciation du crédit”, Rev. Banq. 1988/9, p. 48, n° 11; Bruxelles 11 décembre 2001, Forum financier/Dr. banc. & fin. 2002/4, p. 283, note O. Stevens, “De kortgedingrechter en de eenzijdige beëindiging van een kredietovereenkomst voor bepaalde duur”; J.-P. Buyle, “La motivation de la dénonciation des crédits” (note sous Mons 17 janvier 1994), J.L.M.B. 1994, p. 1036. |
[7] | S. Stijns, “La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en oeuvre et ses effets”, in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, p. 446, n° 45; C. Delforge, “L'unilatéralisme et la fin du contrat. Droit de rétractation, résiliation et résolution unilatérales: quand le pouvoir d'un seul anéantit ce que la volonté commune a édifié”, in La fin du contrat, Liège, CUP, 2001, p. 111, n° 73; S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wery, “Chronique de jurisprudence. Les obligations (1985-1995)”, J.T. 1996, p. 743, n° 153. |
[8] | P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruxelles, PUB, 1985, pp. 374-375; C. Delforge, “L'unilatéralisme et la fin du contrat. Droit de rétractation, résiliation et résolution unilatérales: quand le pouvoir d'un seul anéantit ce que la volonté commune a édifié”, in La fin du contrat, Liège, CUP, 2001, p. 111, n° 74; S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, R.D.C. 1996, p. 153, n° 61. |
[9] | S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, R.D.C. 1996, p. 138, n° 40; O. Stevens, “De kortgedingrechter en de eenzijdige beëindiging van een kredietovereenkomst voor bepaalde duur” (note sous Bruxelles 11 décembre 2001), Forum financier/Dr. banc. & fin. 2002, p. 295, n° 22. |
[10] | F. Glansdorff et Ch. Dalcq, “Du pouvoir du juge en cas de résiliation unilatérale de contrats à durée indéterminée”, in Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 71-90. |
[11] | Cass. 9 mars 1973, Pas. 1973, p. 640. La Cour a alors décidé, dans le cadre d'un litige relatif à la rupture d'un contrat de concession exclusive de vente originairement conclu pour une durée indéterminée, que la résiliation unilatérale d'une convention comportant des prestations échelonnées dans le temps et conclue pour une durée indéterminée, sans juste motif ni préavis, entraîne l'extinction immédiate de la convention et exclut le recours à l'exécution forcée de ladite convention, fût-ce par équivalent. |
[12] | Voy. notamment J.-P. Buyle et X. Thunis, “Jurisprudence commentée en droit bancaire et boursier (1991)” (note sous Comm. Gand (réf.) 31 janvier 1991), R.D.C. 1992, p. 988; Comm. Courtrai (réf.) 18 mars 1993, R.D.C. 1993, p. 1048; Comm. Bruxelles 18 août 1994, J.T. 1994, p. 678; Comm. Furnes (réf.) 17 novembre 1999, R.D.C. 2000, p. 718; Comm. Turnhout (réf.) 10 juillet 1996, R.D.C. 1997, p. 765; Comm. Verviers (réf.) 23 janvier 1998, R.D.C. 1999, p. 712; Comm. Hasselt (réf.) 14 septembre 1999, R.W. 2000-01, p. 244. |
[13] | S. Stijns, “La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en oeuvre et ses effets”, in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, p. 447, n° 46. |
[14] | S. Stijns, “De beëindiging van de kredietovereenkomst: macht en onmacht van de (kortgeding)rechter”, R.D.C. 1996, p. 151, n° 60; O. Stevens, “De kortgedingrechter en de eenzijdige beëindiging van een kredietovereenkomst voor bepaalde duur” (note sous Bruxelles 11 décembre 2001), Forum financier/Dr. banc. & fin. 2002, p. 294, n° 20; Comm. Turnhout (réf.) 6 décembre 1996, R.D.C. 1997, p. 195; Comm. Courtrai (réf.) 26 mai 1997, R.W. 1997-98, p. 617; Comm. Bruges 24 juin 1997, R.D.C. 1998, p. 840. |
[15] | Voy. J.-P. Buyle et M. Delierneux, note sous Comm. Bruges 24 juin 1997, R.D.C. 1998, p. 840; J. Linsmeau, “Les responsabilités du banquier”, T.P.D.C., T. 5, p. 466, n° 631. |