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Loi du 8 juin 2008 – Sociétés – Société anonymes – Restructuration – Fusion – Directive 2005/56/CE (“Dixième Directive”) – Transposition – Fusions transfrontalières – Nouvelle réglementation (art. 772/1 et s. C. soc.)., R.D.C.-T.B.H., 2008/10, p. 928-931

LOI DU 8 JUIN 2008

Sociétés - Société anonymes - Restructuration - Fusion - Directive 2005/56/CE (“Dixième Directive”) - Transposition - Fusions transfrontalières - Nouvelle réglementation (art. 772/1 et s. C. soc.).

Transposition de la réglementation européenne concernant les fusions transfrontalières

1.La Dixième Directive. Suite à la constatation que les fusions transfrontalières de sociétés de capitaux de différents États membres de l'Union européenne étaient confrontées à de nombreuses difficultés aux niveaux juridique et administratif et que, compte tenu de leur besoin de coopération et de regroupement et en vue de l'achèvement et du bon fonctionnement du marché intérieur, une réglementation européenne était nécessaire aux fins de faciliter la réalisation de fusions transfrontalières entre ces sociétés, la directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières de sociétés de capitaux (ci-après la “Dixième Directive”) a introduit une telle réglementation.

La Dixième Directive repose notamment sur les principes suivants [1]:

    • la législation des États membres doit autoriser la fusion transfrontalière d'une société de capitaux nationale avec une société de capitaux d'un autre État membre si la législation nationale des États membres concernés permet la fusion entre ces types de sociétés;
    • afin de faciliter les opérations de fusion transfrontalière, il convient de prévoir que, à moins que la Dixième Directive n'en dispose autrement, chaque société participant à une fusion transfrontalière, ainsi que chaque tiers concerné, reste soumis aux dispositions et formalités de la législation nationale qui serait applicable à la fusion nationale;
    • les dispositions et formalités de la législation nationale ne peuvent introduire des restrictions à la liberté d'établissement ou à la libre circulation des capitaux, à moins que ces restrictions ne puissent être justifiées conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment par des exigences d'intérêt général, et qu'elles soient à la fois nécessaires pour satisfaire à de telles exigences impératives et proportionnelles à celles-ci.

    2.Droit belge. Les dispositions de la Dixième Directive devaient être transposées par les États membres dans leur droit interne pour le 15 décembre 2007. En Belgique, cette transposition est entretemps (enfin) intervenue via l'article 77 de la loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses [2], qui a introduit, dans le livre XI du Code des sociétés (“Restructuration des sociétés”), un nouveau Titre Vbis intitulé “Règles spécifiques concernant les fusions transfrontalières et opérations assimilées”. Les dispositions de ce titre sont entrées en vigueur le 26 juin 2008.

    Avant l'entrée en vigueur de l'article 77 de la loi, il était généralement admis par la doctrine qu'une société belge puisse, à certaines conditions, fusionner avec une société étrangère et vice versa. En l'absence de dispositions spécifiques relatives à ce type d'opérations en droit belge des sociétés, les petites et moyennes entreprises [3] désireuses de procéder à une telle fusion étaient toutefois contraintes de développer des constructions (juridiques) complexes et coûteuses pour parvenir à leurs fins [4]. Afin de rencontrer les exigences de la pratique et accroître la sécurité juridique, le nouveau Titre Vbis du Livre XI du Code des sociétés, tel qu'introduit par l'article 77 de la loi, introduit en droit belge des sociétés, conformément à la Dixième Directive, une série de dispositions spécifiques visant à faciliter les fusions transfrontalières.

    3.Champ d'application et portée. La nouvelle réglementation s'applique uniquement aux fusions. Les scissions transfrontalières, apports ou transferts transfrontaliers de branches d'activité ou d'universalité ne sont pas visés. Selon l'article 772/1 du Code des sociétés, la nouvelle réglementation relative aux fusions transfrontalières s'applique à toutes les formes de sociétés qui peuvent fusionner sur le plan national, à l'exception des sociétés d'investissement publiques à capital variable visées aux articles 10 et 14 de la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d'investissement et des sociétés en liquidation. Le champ d'application de la réglementation belge est donc plus large que celui de la Dixième Directive, qui n'organise qu'un régime de fusions transfrontalières pour les sociétés de capitaux. La réglementation belge s'applique tant aux opérations de fusion par absorption qu'aux opérations de fusion par constitution d'une société nouvelle et aux opérations assimilées à la fusion par absorption.

    Sous quelques réserves, les nouveaux articles 772/1 à 772/14 du Code des sociétés s'inspirent très largement des dispositions existantes du Code des sociétés relatives aux fusions. L'article 772/1 nouveau du Code des sociétés prévoit en effet que les dispositions concernant les fusions nationales sont applicables aux fusions transfrontalières, sauf dérogations expresses prévues au Titre Vbis.

    4.Procédure. Tout comme les fusions domestiques, les fusions transfrontalières sont soumises à une procédure spécifique. Cette procédure est décrite dans les nouveaux articles 772/6 à 772/14 du Code des sociétés et est très largement similaire à la procédure applicable aux fusions domestiques. Ainsi, la procédure de fusions transfrontalières suppose-t-elle les étapes suivantes:

      • la préparation, par les organes des sociétés appelés à fusionner, d'un projet commun de fusion qui doit contenir certaines informations minimales et qui peut prendre soit la forme d'un acte authentique, soit la forme d'un acte sous seing privé (art. 772/6 C. soc.);
      • le dépôt, par chaque société concernée, du projet commun de fusion au greffe du tribunal de commerce où les sociétés concernées par la fusion transfrontalière ont leur siège social, ainsi que la publication par extrait de celui-ci aux annexes du Moniteur belge et cela au moins six semaines avant l'assemblée générale appelée à statuer sur la fusion transfrontalière (art. 772/7 C. soc.);
      • l'établissement par les organes de gestion des sociétés appelées à fusionner d'un rapport écrit et circonstancié à l'attention des associés qui expose la situation patrimoniale des sociétés appelées à fusionner et qui explique et justifie, du point de vue juridique et économique, l'opportunité, les conditions et les modalités de la fusion transfrontalière, les conséquences de la fusion transfrontalière pour les associés, les créanciers et les salariés, les méthodes suivies pour la détermination du rapport d'échange des actions ou des parts, l'importance relative qui est donnée à ces méthodes, les valeurs auxquelles chaque méthode parvient, les difficultés éventuelles rencontrées, et le rapport d'échange proposé (art. 772/8 C. soc.);
      • l'établissement dans chaque société appelée à fusionner (sauf en cas d'opération assimilée à une fusion par absorption ou lorsque tous les associés de chacune des sociétés participant à la fusion y renoncent) d'un rapport écrit sur le projet de fusion par le commissaire ou, lorsqu'il n'y en a pas, par un réviseur d'entreprises ou un expert-comptable externe, désigné par les organes de gestion. L'examen du projet commun de fusion peut aussi être réalisé par un ou plusieurs commissaire(s), réviseur(s) d'entreprises ou expert(s)-comptable(s) désignés, sur demande conjointe de ces sociétés, désignés ou approuvés à cet effet par le président du tribunal de commerce, conformément à l'article 588, 17° du Code judiciaire. Dans ce cas, ce ou ces expert(s) indépendant(s) établi(ssen)t un rapport écrit unique destiné à l'ensemble des associés (art. 772/9 C. soc.);
      • l'établissement d'un état comptable arrêté dans les trois mois de la fusion transfrontalière envisagée lorsque le projet de fusion est postérieur de six mois au moins à la fin de l'exercice auquel se rapporte les derniers comptes annuels (art. 772/10 § 2, 5° C. soc.);
      • l'annonce, dans l'ordre du jour de l'assemblée générale des sociétés appelées à fusionner qui doit statuer sur la fusion, de la possibilité pour les actionnaires et associés d'obtenir une copie sans frais des documents relatifs à la fusion transfrontalière proposée (art. 772/10 § 1er C. soc.);
      • la mise à la disposition des actionnaires ou associés des sociétés appelées à fusionner des documents précités au siège de la société (art. 772/10 § 2 C. soc.); et
      • la tenue, dans chacune des sociétés appelées à fusionner, d'une assemblée générale devant notaire pour décider de la fusion transfrontalière (art. 772/11 § 7 C. soc.).

      5.Approbation. L'approbation de la fusion transfrontalière par l'assemblée générale des sociétés concernées est soumise, en ce qui concerne les sociétés belges concernées par une fusion transfrontalière, aux mêmes conditions de quorum et de majorité que celles applicables pour les fusions nationales (soit celles applicables pour une modification des statuts) par l'article 772/11 § 1er du Code des sociétés. En ce qui concerne le droit de vote, une disposition spécifique est toutefois prévue pour les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés coopératives à responsabilité illimitée.

      Le nouveau régime des fusions transfrontalières prévoit également des dispositions visant à protéger les détenteurs d'actions ou de titres représentatifs ou non du capital des sociétés appelées à fusionner lorsque la fusion est de nature à entraîner une modification des droits attachés à leurs titres (art. 772/11 § 2 C. soc.). Comme en matière de fusions internes, il prévoit également des règles protégeant les associés chaque fois que leurs responsabilités ou leur lien personnel avec la société pourraient être aggravés par l'effet de la fusion (art. 772/11 § 3 et 4 C. soc.). Enfin, l'article 772/11 § 5 permet, conformément à la Dixième Directive, à l'assemblée générale de chacune des sociétés qui fusionnent, de subordonner la réalisation de la fusion à l'entérinement exprès des modalités décidées pour la participation des travailleurs dans la société issue de la fusion.

      6.Rôle du notaire. Une particularité de la procédure relative aux fusions transfrontalières réside dans le fait que le notaire instrumentant est tenu de vérifier et d'attester l'existence et la légalité tant interne qu'externe, des actes et formalités incombant à la société auprès de laquelle il instrumente. À cette fin, il doit délivrer sans délai un certificat attestant de façon incontestable de l'accomplissement correct des actes et des formalités préalables à la fusion transfrontalière prévus dans la section du Code des sociétés y relative (art. 772/12 C. soc.). Le notaire doit contrôler que les sociétés qui fusionnent ont approuvé le projet commun de fusion et, le cas échéant, que les modalités relatives à la participation des travailleurs ont été fixées conformément aux dispositions prises en exécution de l'article 16 de la Dixième Directive.

      7.Effets juridiques. La fusion transfrontalière prend effet à la date à laquelle le notaire instrumentant constate la réalisation de la fusion à la requête des sociétés qui fusionnent sur présentation des certificats et autres documents justificatifs de l'opération. Lors de la fusion transfrontalière par constitution d'une société nouvelle, la nouvelle société doit en outre être constituée. Cet acte est déposé et publié par extrait aux annexes du Moniteur belge et, le cas échéant, les actes modifiant les statuts de la nouvelle société doivent être déposés et publiés de la même manière (art. 772/14 C. soc.). Il est donné pouvoir au Roi d'arrêter les modalités de notification de la prise d'effet de la fusion transfrontalière auprès du registre étranger où la société étrangère a déposé ses actes. Les fusions transfrontalières ont les mêmes effets que les fusions internes. Une particularité réside toutefois par rapport à une fusion interne dans le fait qu'une fusion transfrontalière ayant pris effet ne peut être déclarée nulle (art. 772/5 C. soc.).

      [1] Pour une description de cette directive, voy. notamment K. Byttebier, Fusies en overnames, Brugge, die Keure, 2006, pp. 300 et s.; K. Byttebier et T. Van De Gehuchte, “De Richtlijn 2005/56/EG betreffende grensoverschrijdende fusie van kapitaalvennootschappen: een eerste verkenning”, T. Fin. R. 2006, liv. 3, pp. 1422 à 1438; E. Janssens, “Fusions transfrontalières: transposition de la 10ème directive”, Bilan 2008, liv. 562, 2-4; M. Evrard et E. Van Der Vaeren, “Les fusions transfrontalières: un pas de plus vers une Europe harmonisée”, DAOR 2007, liv. 81, pp. 103 à 123.
      [2] Mon. b. 16 juin 2008, ci-après la “Loi”.
      [3] Les grandes entreprises peuvent en effet depuis le 8 octobre 2004 recourir à la société européenne (SE).
      [4] Voy. notamment à ce sujet l'Exposé des Motifs de l'article 77 de la loi: Doc. parl. Chambre, Doc. n° 1012/001, p. 53 et Doc. parl. Chambre, Doc. n° 1012/007, p. 5.