Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 18/11/2008, R.D.C.-T.B.H., 2008/10, p. 902-912

Tribunal de commerce de Bruxelles 18 novembre 2008

SOCIÉTÉS
Société anonyme - Gestion - Compétence du conseil d'administration - Charte de bonne gouvernance - Caractère obligatoire - Référence à la charte dans les statuts - Pleins pouvoirs du conseil d'administration - Dépassement de pouvoir (non) - Effet purement interne - Intérêt social - Référé - Balance des intérêts - Sociétés cotées - Actionnaires minoritaires - Droit à l'information - Collège d'experts
1. Une charte de bonne gouvernance comme celle de Fortis SA/NV établie conformément aux Codes belge et néerlandais de gouvernance d'entreprise, ne contient que des dispositions de soft law, c'est-à-dire des principes directeurs ou normes de conduite qui ne revêtent nullement le même caractère obligatoire ou contraignant que des normes légales ou statutaires. Le fait que les statuts de la société fassent référence à une telle charte ne saurait avoir pour effet d'incorporer celle-ci dans les statuts, ni de lui conférer le caractère d'une norme statutaire.
Des lors, l'absence d'approbation préalable des décisions de cessions d'actifs par l'assemblée générale des actionnaires de Fortis SA/NV, approbation qui est prévue par la charte de bonne gouvernance de celle-ci, ne peut invalider les cessions litigieuses.
2. Les décisions de cession d'actifs du groupe Fortis qu'a prises le conseil d'administration de Fortis SA/NV relèvent de la compétence générale que la loi lui confère (article 522 § 1er, du Code des sociétés). De plus, en cette matière, le droit des sociétés opère, pour la S.A., une distinction fondamentale entre la gestion interne de la société et le pouvoir de représentation externe des organes légaux de celle-ci. Le dépassement de pouvoir dont les demandeurs font grief au Conseil d'administration de Fortis SA/NV n'ayant qu'un effet purement interne à la société, il ne saurait être question d'autre chose que de la mise en cause de la responsabilité du conseil d'administration vis-à-vis de la société.
3. Le conseil d'administration de Fortis SA/NV n'a jamais été mis hors jeu par les interventions gouvernementales dans le dossier. Eu égard aux circonstances auxquelles l'organe de représentation s'est trouvé irrémédiablement confronté lors de chaque opération de cession d'actifs, les résolutions du conseil d'administration de Fortis SA/NV semblent conformes à l'intérêt social de cette société.
4. Notamment dans une société cotée, il y a lieu d'insister sur le principe de l'égalité des droits de tous les actionnaires devant l'information. Dans le présent cas, il est manifeste que le défaut de transparence qui a entouré le déroulement de l'ensemble des opérations de cessions stratégiques a rendu très difficile l'appréciation par les actionnaires -et en particulier les actionnaires minoritaires- de la situation réelle du groupe et de la valeur des actifs cédés. Afin d'informer les actionnaires sur ces opérations de cessions stratégiques et sur la continuité de la société, il y a lieu d'ordonner à titre conservatoire la désignation d'un collège d'experts.
RÉFÉRÉS
Généralités
Le juge des référés doit effectuer une balance des intérêts économiques et financiers en présence. L'accueil des mesures sollicitées par les demandeurs, dès lors qu'elles pourraient entraîner un préjudice définitif et irréparable pour la sous-filiale de Fortis SA/NV, Fortis Banque SA, est susceptible d'aller directement à l'encontre du caractère provisoire qui s'attache à la saisine du juge des référés. A l'inverse, dans la mesure où il découle de la diminution de valeur de leurs actions Fortis SA/NV, le préjudice prétendument subi par les demandeurs est et restera purement pécuniaire et sera par conséquent toujours réparable.
VENNOOTSCHAPPEN
Naamloze vennootschap - Bestuur - Bevoegdheden van de raad van bestuur - Corporate governance charter - Bindende kracht - Verwijzing in statuten naar charter - Volheid van bevoegdheid raad van bestuur - Overschrijding van bevoegdheid - Louter intern effect - Vennootschapsbelang - Kort geding - Afweging van belangen - Genoteerde vennootschap - Minderheidsaandeelhouders - Recht op informatie - College van experts
1. Een corporate governance charter zoals dat van Fortis SA/NV, dat opgesteld is overeenkomstig de Belgische en Nederlandse corporate governance codes, bevat slechts soft law, dat wil zeggen richtinggevende principes en gedragsnormen die geenszins hetzelfde verbindend karakter hebben als wettelijke of statutaire normen. Een verwijzing in de statuten van de vennootschap naar dergelijk charter heeft niet tot gevolg dat dit charter geacht wordt deel uit te maken van de statuten noch dat het de aard van een statutair beding verwerft.
Bijgevolg kon het gebrek aan voorafgaande goedkeuring door de algemene vergadering van de overdracht van activa waarrond het geding draait, voorafgaande goedkeuring die in het governance charter van Fortis SA/NV voorzien is, de geldigheid van die overdracht niet aantasten.
2. De beslissingen over de overdracht van activa die de raad van bestuur van Fortis SA/NV genomen heeft, vallen binnen zijn volheid van bevoegdheid (art. 522 § 1 W. Venn.). In het vennootschapsrecht wordt voor de NV bovendien een fundamenteel onderscheid gemaakt tussen het aspect intern bestuur van de vennootschap enerzijds en de externe vertegenwoordiging door organen anderzijds. De overschrijding van bevoegdheid die eisers inroepen, zou hoogstens een louter intern effect kunnen hebben, zodat hoogstens de aansprakelijkheid van de raad van bestuur tegenover de vennootschap aan de orde zou kunnen zijn.
3. De raad van bestuur van Fortis SA/NV is nooit buitenspel gezet door interventies van regeringen in het dossier. In het licht van de omstandigheden waarvoor de raad van bestuur zich noodgedwongen geplaatst zag bij de verschillende overdrachten van activa, lijken de beslissingen van de raad van bestuur conform aan het vennootschapsbelang.
4. In het bijzonder in een genoteerde vennootschap, is het principe van de gelijke behandeling van aandeelhouders op gebied van (toegang tot) informatie belangrijk. In onderhavig geval is duidelijk dat een gebrek aan transparantie rond het verloop van het geheel van strategische overdrachten het voor de aandeelhouders en in het bijzonder voor de minderheidsaandeelhouders erg moeilijk heeft gemaakt de werkelijke situatie van de groep en de waarde van de overgedragen activa te evalueren. Teneinde de aandeelhouders te informeren over deze strategische overdrachten en de continuïteit van de vennootschap stelt de rechtbank ten bewarenden titel een college van experten aan.
KORT GEDING
Algemeen
De rechter in kort geding moet een belangenafweging doorvoeren van de verschillende economische en financiële belangen die in het spel zijn. Het inwilligen van de verlangens van eisers zou definitieve en onherstelbare schade aan Fortis Bank NV, kleindochter van Fortis SA/NV, kunnen toebrengen en in die zin rechtstreeks ingaan tegen het voorlopig karakter dat de maatregelen van de rechter in kort geding kenmerkt. Daar staat tegenover dat het nadeel dat eisers beweerdelijk geleden hebben, in de mate dat dit voortvloeit uit een waardedaling van hun aandelen, louter pecuniair is en bijgevolg altijd herstelbaar zal zijn.

A et consorts / SA Fortis, SA Société Fédérale de Participations et d'Investissement (SFPI), BNP Paribas (société de droit étranger), en présence de F., S. et consorts, D. et consorts, R. et en présence de P. Dhaeyer, Substitut du Procureur du Roi

Siég.: Fr. De Tandt (présidente du tribunal de commerce)
Pl.: Mes M. Modrikamen, O. Bonhivers, L. Arnauts, J.M. Nelissen-Grade, F. Lefevre, E. Pottier, J. Verbist, T. Tilquin, H. Boularbah, V. Simonart, X. Dieux, D. Willermain, J. Meyers, L. Ruzette, A. Cox, L. Ruzette, D. Mallien loco G. Lenssens
N°: R.K. 212/2008

(….)

Attendu que la citation en référé du 13 octobre 2008 introduite par 140 actionnaires de Fortis et les demandes des parties en intervention volontaire, Messieurs D. et consorts, ainsi que Monsieur V. et consorts, complétées en conclusions, tendent à:

Vu l'urgence,

1. Suspendre les résolutions des 3, 5 et 6 octobre 2008 prises par le conseil d'administration de la SA Fortis visant à la cession des actifs de Fortis aux Pays-Bas, à la SFPI et à BNP Paribas; suspendre tout acte juridique en ce compris les résolutions et décisions des filiales et sous filiales ou sociétés liées de FORTIS et toute convention prises en exécution de ces résolutions.

2. Nommer un mandataire ad hoc avec pour mission de convoquer et présider une assemblée générale de la SA Fortis (et de Fortis NV) dans les six semaines avec pour ordre du jour l'approbation ou la non approbation des transactions des 3, 5 et 6 octobre 2008;

Dire que le mandataire ad hoc devra rechercher, par des contacts avec les tiers intéressés, une solution négociée et la présenter à l'assemblée générale avec l'assistance de représentants des actionnaires, dont les conseils des concluants;

Dire que les frais et honoraires du mandataire ad hoc seront supportés par Fortis.

3. Suspendre pour cette assemblée les droits de vote de tout actionnaire agissant de concert ou sur instruction de l'Etat Néerlandais, BNP Paribas, la SFPI et/ou l'Etat Belge;

Suspendre la cotation de l'action Fortis jusqu'à la tenue de l'assemblée générale énoncée ci-avant.

4. Interdire à l'Etat Hollandais de céder les actions Fortis Banque Nederland et Fortis Insurance Nederland sous peine d'une astreinte de 5 milliards d'Euros;

Interdire tout processus d'intégration d'ABN AMRO et Fortis Bank Nederland.

5. Interdire à la SFPI de se départir des actions Fortis Bank sous peine d'une astreinte de 5 milliards d'Euros;

Alternativement placer les actions Fortis Banque sous le séquestre du mandataire ad hoc.

6. Dire que les mesures 4 et 5 seront maintenues jusqu'à 10 jours après le vote de l'assemblée générale des actionnaires de FORTIS et en cas de rejet par l'assemblée jusqu'à une décision coulée en force de chose jugée statuant sur la demande d'annulation de ces transactions.

7. Désigner un collège de 3 experts-vérificateurs composés d'une personnalité académique, d'un réviseur et d'un juriste avec pour mission d'établir un rapport complet sur la situation financière de Fortis en termes de solvabilité et de liquidité depuis le 1er septembre 2008 jusqu'au 31 octobre 2008 inclus;

Etablir la valeur de la SA Fortis Banque lors de l'augmentation de capital du 2 septembre 2008 et la valeur de marché des actifs cédés par Fortis au jour de leur cession les 3 et 5 octobre 2008 aux Pays-Bas, à la SFPI respectivement et BNP Paribas;

Etablir la situation exacte des filiales bancaires de Fortis aux Pays-Bas entre le 29 septembre 2008 et le 3 octobre 2008 en termes de financement, statut légal et concours de tiers;

Faire rapport à l'assemblée générale sur ces questions;

Dire que le rapport sera rendu public afin de faire respecter le principe d'égalité de traitement des actionnaires.

8. Condamner Fortis à prendre en charge l'intégralité des honoraires et frais des experts, lesquels pourront s'entourer de toute personne qu'ils jugeront utile et notamment de banquiers d'affaires quant à la valorisation de Fortis.

Attendu que la requête en intervention de M. F du 14 octobre 2008 tend à intervenir dans l'affaire principale R.K. 212/2008 en tant qu'actionnaire de Fortis et demande e.a. de débouter les demandes avancées par Maître M.

Attendu que la requête en intervention des parties S déposée le 20 octobre 2008 tend également à intervenir dans la cause principale R.K. 212/2008 en tant qu'actionnaire important de Fortis afin qu'ils puissent estimer si les mesures provisoires sont en concordance avec leurs objectifs et de formuler leur opinion sur ces mesures.

Attendu que la requête en intervention de M. R. tend à complèter la mission de l'administrateur ad hoc comme demandée par les demandeurs au principal.

Attendu que la SA Fortis, défenderesse sub. 1, conclut comme suit:

- ordonner que les débats se déroulent en chambre du conseil,

- A titre principal: déclarer les demandes principales et les demandes en intervention irrecevables;

- A titre subsidiaire: dire qu'il n'y a pas lieu à référé;

- A titre très subsidiaire: désigner en tant qu'expert vérificateur une société de réviseurs internationale, qui disposerait ainsi des compétences nécessaires eu égard au caractère international des activités de Fortis, avec pour mission d'établir un rapport complet sur la situation financière de Fortis, ainsi que de ses activités bancaires néerlandaises, en termes de liquidité depuis le 1er septembre 2008 jusqu'au 6 octobre 2008 inclus;

- Condamner les demandeurs aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure;

Attendu que la SFPI, défenderesse sub. 2, conclut comme suit:

I. Quant aux demandes des demandeurs au principal.

Quant à la demande de comparution personnelle:

Donner acte aux demandeurs au principal qu'ils se désistent à ce stade de leur demande de comparution personnelle introduite par leurs conclusions du 16 octobre 2008.

Quant à la demande principale:

A titre principal

Déclarer la demande principale irrecevable.

A titre subsidiaire

Se déclarer sans compétence pour ordonner la désignation d'experts-vérificateurs sur pied de l'article 168 du Code des Sociétés;

Déclarer les demandes principales non fondées.

Dans tous les cas

Donner acte à la SFPI qu'elle se réserve le droit de demander réparation du dommage causé par les initiatives prises par les demandeurs à l'encontre du plan de sauvetage de Fortis Banque, ainsi que par la médiatisation donnée par eux à ces mêmes initiatives;

Condamner les demandeurs au principal aux dépens en ce compris l'indemnité de procédure au montant maximum de 10.000 Euros.

II. Quant à la demande en intervention volontaire agressive de MM. D et Consorts.
A titre liminaire

Donner acte à la SFPI qu'elle se réfère à justice quant à la qualité d'actionnaire de MM. D & Consorts.

A titre principal

Déclarer la demande en intervention volontaire agressive irrecevable.

A titre subsidiaire

Se déclarer sans compétence pour ordonner la désignation d'experts-vérificateurs sur pied de l'article 168 du Code des Sociétés;

Déclarer la demande en intervention volontaire agressive non fondée.

Dans tous les cas

Donner acte à la SFPI qu'elle se réserve le droit de demander réparation du dommage causé par les initiatives prises par les intervenants volontaires à titre agressif à l'encontre du plan de sauvetage de Fortis Banque, ainsi que par la médiatisation donnée par eux à ces mêmes initiatives;

Condamner les intervenants volontaires à titre agressif aux dépens en ce compris l'indemnité de procédure au montant maximum de 10.000 Euros.

III. Quant à la demande en intervention volontaire agressive de M. F.

Déclarer la demande d'enquête sollicitée par M. F et sa demande en intervention volontaire agressive irrecevables et, à tout le moins, non fondées;

Condamner M. F aux dépens en ce compris l'indemnité de procédure au montant maximum de 10.000 Euros.

Attendu que la SA BNP Paribas, défenderesse sub. 3, conclut comme suit:

- A titre principal: déclarer irrecevables l'intégralité des demandes formulées dans la citation introductive d'instance, telles que modifiées par les conclusions des Demandeurs du 28 octobre 2008, à défaut d'objet et d'intérêt, et en débouter les Demandeurs;

- A titre subsidiaire, écarter les demandes des Demandeurs au motif qu'elles ne répondent pas aux conditions du référé, et en débouter les Demandeurs;

- Condamner les Demandeurs aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure, à fixer, en raison de la complexité de l'affaire, au montant maximum autorisé par l'article 3 de l'arrêté royal du 26 octobre 2007, soit 10.000 Euros;

- Déclarer la requête en intervention volontaire de M. F irrecevable ou à tout le moins dépourvue de tout fondement.

I. Les faits

Attendu qu'il ressort des dossiers des parties et de leurs explications à l'audience:

- que les demandeurs sont actionnaires de Fortis;

- que Fortis était un acteur européen majeur dans le secteur bancaire et des assurances;

- que les dirigeants de Fortis ont entrepris en avril 2007, conjointement avec Santander et Royal Bank Of Scotland, de participer au rachat d'ABN AMRO à concurrence de plus de 24 milliards d'Euros, en ce qui concerne Fortis;

- que cette acquisition a été financée par une augmentation de capital de Fortis couvrant une partie du prix d'acquisition, soit 13,2 milliards d'Euros, le solde devant être financé par diverses cessions d'actifs non stratégiques et autres opérations non encore précisées à l'époque;

- qu'entre-temps, nonobstant les difficultés de financement de la reprise d'ABN AMRO, la crise dite du “subprime” a frappé aux Etats-Unis et a commencé à contaminer l'ensemble des institutions financières de la planète, en ce compris Fortis via la présence d'actifs financiers structurés dits “toxiques” logés dans certaines de ses filiales;

- que fin juin 2008, Fortis a annoncé qu'elle avait procédé à une nouvelle augmentation de capital de 1,5 milliards d'Euros par la procédure du capital autorisé;

- que dans la foulée, Fortis a annoncé une série d'autres mesures de cessions d'actifs, de refinancement et de suppression du dividende intérimaire baptisé “accélération de la mise en oeuvre de son plan de solvabilité”;

- que dès septembre 2008, les rumeurs ont commencé à circuler dans le marché sur les problèmes de liquidité du groupe;

- que Fortis éprouvant des difficultés croissantes à se refinancer sur le marché interbancaire à des conditions acceptables, le cours de l'action a connu une chute continue au mois de septembre jusqu'à coter un peu plus de 5 Euros;

- qu'en date du 28 septembre 2008, sur fond d'une situation de manque de liquidités à court terme chez Fortis et de retraits en hausse parmi les déposants, une réunion des gouvernements belge, hollandais et luxembourgeois au sujet de la recapitalisation du pôle bancaire par les Etats Benelux, a décidé e.a. que:

• le gouvernement belge, à l'intervention de la SFPI, prenait une participation de 4,7 milliards d'Euros dans Fortis Banque;

• le gouvernement hollandais prenait une participation de 4 milliards d'Euros dans Fortis Bank Nederland;

• le gouvernement luxembourgeois prenait une participation de 2,5 milliards d'Euros dans Fortis Banque Luxembourg;

• ces états obtenaient 49,9% du capital des filiales bancaires de Fortis;

• ABN AMRO serait revendue par Fortis;

• de nouvelles réductions de valeurs sur les actifs financiers “toxiques” étaient actées chez Fortis pour 5 milliards d'Euros;

- qu'ensuite,en date du 3 octobre 2008, le gouvernement hollandais a proposé de racheter ABN AMRO, Fortis Bank Nederland et Fortis Insurance Nederland pour un prix de 16,8 milliards d'Euros;

- que suite à cette cession des actifs susmentionnés à l'Etat hollandais, le groupe Fortis s'est trouvé dans une position de solvabilité et de liquidité plus confortable que le 3 octobre 2008;

- qu'un accord est finalement intervenu le 5 octobre 2008 consacrant le passage de la branche belgo-luxembourgeoise de Fortis sous tutelle française;

- que cette phase finale s'est écrite en deux temps:

• d'abord le rachat immédiat pour 4,7 milliards d'Euros par l'Etat belge via la SFPI des 50% qu'elle ne détenait pas encore dans Fortis Banque;

• ensuite la cession, encore à réaliser, en fin d'année, de 75% de Fortis Banque au groupe BNP Paribas en échange d'une participation de 11,6% de l'Etat belge au capital de BNP Paribas;

- que cette importante transaction s'est accompagnée de deux autres dispositifs complémentaires:

• le rachat par BNP Paribas de Fortis Insurance Belgium pour un montant de 5,7 milliards d'Euros au Fortis Groupe;

• l'extraction des crédits structurés jugés les plus “toxiques”, soit près de 10,4 milliards d'Euros;

- que ces 10,4 milliards d'Euros seront logés dans une structure, supportée à 66% par Fortis Groupe, à 24% par l'Etat belge et à 10% par BNP Paribas;

- qu'en découle pour les demandeurs, le constat que l'importante transaction passée entre BNP Paribas et l'Etat belge a fini de vider Fortis sous le nez de ses actionnaires;

- que de même, selon les demandeurs, à aucun moment, le conseil d'administration n'a été en mesure d'exercer ses pouvoirs;

- que c'est dans de telles circonstances, qu'ils s'estiment contraints d'agir en référé.

II. Discussion
Intérêt

Attendu que c'est à tort que les défenderesses contestent l'intérêt des demandeurs au principal au motif que la suspension des délibérations des conseils d'administration de la SA Fortis n'aurait plus d'effet sur la réalisation ultérieure de la vente des titres de la SA Fortis Banque à la BNP Paribas dans la mesure où la cession préalable desdits titres par la SA Fortis à la SFPI serait déjà parfaite;

Qu'à l'étude des pièces et en particulier du procès-verbal du conseil d'administration de Fortis des 5 et 6 octobre 2008 (pièce 13 du dossier Fortis), il appert que la convention du 10 octobre 2008 entre Fortis et la SFPI est indissociablement liée à la convention conclue entre la SFPI et BNP Paribas;

Qu'en d'autres termes, la cession des titres à la SFPI n'est opérée que dans le but d'une cession de ces titres à BNP Paribas;

Qu'en outre la convention ne sera pleinement exécutée que dans la mesure où la création et la capitalisation de la société Newco seront réalisées conformément aux termes de la convention;

Qu'il paraît donc inexact prima facie de dire que la vente était parfaite au 10 octobre 2008 et que Fortis aurait été un tiers à la convention entre la SFPI et BNP Paribas;

Qu'au demeurant, il n'est pas contesté que le closing final de la vente n'aura lieu qu'en février 2009;

Que la demande en suspension des délibérations susmentionnées et des demandes annexes qui en découlent présentent dès lors un intérêt pour les actionnaires de Fortis;

Attendu que c'est à juste titre que les défenderesses contestent l'intérêt à agir de Monsieur F.;

Qu'en faisant état de sa qualité de “minoritaire FORTIS et citoyen” sans apporter le moindre élément de preuve à l'appui de sa qualité d'actionnaire de Fortis, Monsieur F. n'indique pas davantage à quelle date il aurait acquis une ou plusieurs actions Fortis;

Que du reste, sa qualité de citoyen ne suffit pas à créer un intérêt direct et personnel;

Qu'en conséquence, son intervention est sans intérêt;

Attendu que c'est à juste titre que les défenderesses contestent l'intérêt à agir de Monsieur R.;

Qu'en intervenant volontairement dans le cadre de la présente procédure sur base d'achat d'actions Fortis acquises le 10 novembre 2008, Monsieur R. a créé lui-même les conditions pour intervenir tardivement;

Que dans cette mesure, son intérêt à l'action ne présente qu'un caractère purement spéculatif;

Qu'en effet, rien n'obligeait Monsieur R. à se porter acquéreur d'actions Fortis suite aux transactions litigieuses, et en particulier après le 6 octobre 2008;

Que dès lors c'est en pleine connaissance de cause qu'il a agi dans le seul but de pouvoir participer à l'action;

Attendu qu'en aucun cas, les tribunaux n'ont pour mission de trancher des litiges créés artificiellement;

Qu'en conséquence, Monsieur R. n'a pas d'intérêt légitime à agir.

Qualité

Attendu que c'est à tort que les défendeurs contestent la qualité à agir des demandeurs aux motifs que ceux-ci ne seraient pas actionnaires de la SA Fortis Brussels, société cédante des actifs belges du groupe Fortis;

Qu'en effet les demandeurs sont actionnaires de la SA Fortis et la NV Fortis;

Que les deux holdings de tête sont les seules sociétés cotées du groupe Fortis, l'ensemble des autres filiales étant détenues à 100% par la SA Fortis et la NV Fortis à l'exception de Fortis Banque qui, pour des raisons historiques,connaît la présence d'actionnaires minoritaires en son sein;

Que les décisions litigieuses des Conseils d'administration de Fortis ont été prises au niveau des holdings de tête;

Que si les conseils d'administration se sont réunis, par la suite également au sein des filiales de Fortis, c'est dans le cadre des mesures d'exécution prises par les sociétés mères;

Qu'à cet égard, le procès-verbal du 3 octobre de Fortis Banque (pièce 1 dossier Demandeurs au principal) est révélateur dans le mesure où il fait explicitement référence à une convention déjà signée au niveau de la société mère;

Qu'en conséquence, la qualité à agir des demandeurs est établie.

Urgence

Attendu que c'est à tort que les défenderesses contestent le caractère urgent des demandes;

Que dans la mesure où les demandeurs fondent la légitimité de leur action sur le fait que les opérations litigieuses se sont passées jusqu'à ce jour sans que les actionnaires n'aient été en possession des informations utiles leur permettant le cas échéant de faire usage de leurs droits d'actionnaires de Fortis, l'urgence à rechercher lesdites informations se justifie pleinement dans le cadre du présent référé au vu de l'évolution des transferts d'actifs de Fortis Banque toujours en cours;

Apparence de droits

Attendu que, s'agissant de la régularité des décisions litigieuses, les demandeurs soutiennent que le Conseil d'administration de Fortis n'avait pas autorité pour céder les filiales bancaires et d'assurances sans l'accord préalable de l'assemblée générale des actionnaires;

Que ceux-ci invoquent à l'appui de leur thèse l'article 14, a) des Statuts de Fortis (pièces 2 et 37 du dossier des demandeurs);

Que cet article dispose que “le conseil d'administration est tenu, dans l'exercice de ses compétences, de respecter les règles définies par le Fortis Governance Statement”;

Que l'article II.3.2 du Fortis Governance Statement prévoit que doivent être soumis à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires toutes les décisions d'une portée telle qu'elles affectent l'identité de la société, notamment:

• le transfert à un tiers d'une partie importante de l'entreprise de Fortis, ou l'une de ses filiales, désengageant Fortis des activités de banque et d'assurance;

• l'acquisition ou la cession par Fortis ou l'une de ses filiales d'une participation dans le capital d'une société modifiant de plus de 33% le montant des capitaux propres au sens strict de Fortis publié dans ses derniers comptes annuels;

Que ces dispositions constituent dès lors, selon la thèse des demandeurs, une limitation statutaire au pouvoir du conseil d'administration de Fortis;

Qu'ainsi, les cessions litigieuses devaient obligatoirement être cédées par l'assemblée générale de Fortis;

Attendu que c'est à tort que les demandeurs déduisent de la référence dans les statuts de Fortis, au Fortis Governance Statement, que l'absence d'approbation préalable des décisions de cessions d'actifs par l'assemblée générale des actionnaires de Fortis invaliderait les cessions litigieuses;

Que le Fortis Governance Statement n'a pas prima facie de valeur normative;

Que si le Fortis Governance Statement constitue une charte de gouvernance d'entreprise établie conformément aux Codes belge et néerlandais de gouvernance d'entreprise (également appelés respectivement “Code” Lippens et “Tabaksblatt”) et qui a pour vocation d'être un document de référence décrivant les “standards”, principes et pratiques de gouvernance d'entreprise que le conseil d'administration se propose de suivre, il est unanimement admis que de telles chartes ne contiennent que des dispositions de soft law, c'est-à-dire des principes directeurs ou normes de conduite qui ne revêtent nullement le même caractère obligatoire ou contraignant que des normes légales ou statutaires;

Que le fait qu'il soit fait référence au Statement dans les statuts de Fortis ne saurait avoir pour effet d'incorporer le Statement aux statuts, ni de conférer au Statement le caractère d'une norme statutaire;

Qu'il est en outre admis, en vertu du Code des sociétés, que les statuts d'une société ne peuvent être modifiés que moyennant une décision de l'assemblée générale délibérant et décidant à des conditions de quorum et de majorité renforcée, que ladite décision doit également être adoptée par un acte authentique (article 66 § 3 du Code des sociétés ) et faire l'objet des mesures de publicité prescrites particulières;

Que cela étant, il ressort du texte même de l'introduction du Fortis Governance Statement que ce document est rédigé par le conseil d'administration lui-même;

Que celui-ci a également le pouvoir de le modifier sans que ces modifications ne doivent être approuvées par une assemblée générale statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour modifier les statuts et sans qu'elle prennent la forme authentique;

Que sur ce point précis, l'article 14 a) des statuts de Fortis fait d'ailleurs référence au Fortis Governance Statement “modifié de temps à autre, conformément à ses dispositions”;

Qu'il en découle que le Statement n'a donc pas prima facie la force obligatoire d'une disposition statutaire;

Qu'il contient au mieux une référence à un acte sous seing privé comportant des règles de bonne gouvernance que le groupe Fortis entend promouvoir dans la gestion de ses affaires;

Qu'en ce sens, il est utile de relever que lorsque Fortis Entend conférer à une règle particulière la force obligatoire d'une norme statutaire, cette règle semble figurer à la fois dans le Fortis Governance Statement et dans les statuts;

Que tel est par exemple le cas de la règle permettant aux actionnaires détenant 10% du capital émis de demander la convocation d'une assemblée générale extraordinaire qui figure à la fois au point II.3.1 du Statement et à l'article 19 b) des statuts;

Que cependant, le fait que les cessions importantes d'actifs constituent l'un des sujets normalement soumis à l'assemblée générale des actionnaires (point II.3.2 du Statement) ne figure précisément pas dans les statuts;

Que si le but eut été pour Fortis de faire de chaque disposition du Fortis Governance Statement une véritable norme statutaire; il aurait fallu la reproduire dans les statuts;

Attendu que par ailleurs, il a été dit, tant en termes de conclusions qu'au cours des plaidoiries que l'Etat belge avait négocié les principes du rachat par la SFPI de 50% plus une action de Fortis Banque ainsi que l'apport ultérieur de cette participation à BNP Paribas;

Qu'il a été répété par contre que Fortis n'avait que peu été impliquée dans les discussions entre l'Etat belge et BNP Paribas;

Que se pose dès lors la question de l'examen de l'existence d'une éventuelle délégation par le conseil d'administration de Fortis de la négociation des accords litigieux;

Attendu que sur ce point précis, il n'apparaît pas prima facie que Fortis ait mandaté l'Etat belge, et plus généralement qui que ce soit;

Que davantage, les conseils d'administration de Fortis n'ont pas délégué un quelconque pouvoir à l'Etat ou à ses représentants;

Que par ailleurs, les conseils d'administration n'ont rien ratifié les 5 et 6 octobre 2008;

Qu'ainsi, il ressort de l'examen des procès-verbaux des conseils d'administration de Fortis des 5 et 6 octobre 2008 (pièce 13 du dossier de Fortis), de Fortis Brussels (pièce 55 du dossier de Fortis) et de NV Fortis Insurance (pièce 56 du dossier de Fortis), que Fortis a effectivement délibéré sur les propositions faites par l'Etat belge et pris une décision formelle d'approbation des cessions d'actions intervenues;

Que de plus, si les décisions de principe ont été prises le 5 et 6 octobre 2008, la Convention de cession et le protocole n'ont été rédigés et signés que le 10 octobre 2008 par des personnes détenant le pouvoir de représentation de Fortis;

Attendu qu'en tout état de cause, les décisions de cessions d'actifs du groupe Fortis que le conseil d'administration de Fortis a prises relèvent de la compétence générale que la loi lui confère (article 522 § 1er du Code des sociétés);

Qu'il convient de rappeler qu'en cette matière, le droit des sociétés opère une distinction fondamentale entre la gestion interne de la société et le pouvoir de représentation externe des organes légaux de celle-ci;

Que le dépassement tel qu'invoqué par les demandeurs de ses pouvoirs par le conseil d'administration de Fortis n'ayant un effet que purement interne à la société, seul l'engagement de la responsabilité du conseil d'administration vis-à-vis de la société devrait le cas échéant être invoqué;

Attendu que s'agissant de l'intérêt social de Fortis c'est à tort que les demandeurs contestent la régularité de l'ensemble des décisions litigieuses en prétendant qu'elles ont été imposées de manière illégitime et illégale à Fortis par les autorités gouvernementales;

Qu'il importe pour s'en convaincre de tenter d'examiner à l'aune des circonstances extrêmement difficiles de chacune des opérations de cession d'actifs, le rôle potentiel de Fortis;

Qu'ainsi, et pour rappel, la journée du 25 septembre a été très difficile pour le cours de l'action Fortis;

Que le cours du titre Fortis chuta fortement, pour atteindre un niveau de 6,53 Euros à la clôture (pièce 36 dossier Fortis);

Qu'après consultation avec les régulateurs, il a été décidé par Fortis de publier un communiqué de presse démentant les rumeurs répandues sur le marché selon lesquelles la Banque Centrale Néerlandaise aurait demandé à la Rabobank d'apporter un support de liquidités à Fortis (pièce 20 Fortis);

Que le même jour, en soirée, la Commission Bancaire ET Financiere (ci- après CBFA) conseilla à Fortis de revoir immédiatement ses options stratégiques, y compris de s'adjoindre le support d'un partenaire extérieur fort, en raison de la tourmente qui régnait sur les marchés et qui affectait Fortis plus spécifiquement;

Que ladite recommandation fut réitérée le matin du 26 septembre par la CBFA à M. L (pièce 9, procès-verbal du conseil d'administration du 26 septembre);

Que le même 26 septembre à midi, MM. D et V ont tenu une conférence de presse, au cours de laquelle ils ont confirmé la mise en oeuvre du plan renforcé de solvabilité qui avait été mis sur pied à la fin du mois de juin 2008;

Que ces derniers y précisèrent qu'il avait été décidé d'élargir les activités et les actifs à céder (pièces 9 et 21, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 26 septembre 2008 et communiqué de presse du 26 septembre 2008 );

Qu'au cours de l'après-midi de ce vendredi 26 septembre 2008, le Conseil d'administration de Fortis a dû constater qu'il était extrêmement urgent de prendre des mesures sérieuses;

Qu'en effet, Fortis a anticipé à ce moment précis qu'à la clôture des marchés, elle ne disposerait plus du collatéral pour obtenir du crédit sur le marché interbancaire (en ce compris auprès des banques centrales);

Qu'en réaction, le Conseil d'administration a pris, toujours dans l'après-midi du vendredi 26 septembre, les décisions de désignation de M. D. en remplacement de M. V. comme nouveau Chief Executive Officer ainsi que celle de la banque Morgan Stanley comme conseiller financier externe (pièce 9 dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 26 septembre 2008);

Que M. D. s'est vu alors confié tout pouvoir pour explorer toutes les options possibles, en ce compris des contacts avec des partenaires stratégiques potentiels au rang desquels figuraient ING, BNP Paribas, mais également le gouvernement belge;

Que le conseil de Fortis a autorisé également ces partenaires potentiels à procéder à une due diligence limitée au cours du week-end des 27 et 28 septembre 2008;

Que la situation s'est accélérée pendant la soirée du 26 septembre 2008;

Qu'il est apparu en effet, que Fortis avait connu un “vendredi noir” en perdant e.a l'accès au marché interbancaire dans lequel Fortis, en temps normal, obtenait 15 à 20 milliards d'Euros de liquidité;

Que le risque était grand de voir le pôle bancaire de Fortis en situation de discontinuité si aucune solution concrète n'était trouvée;

Que durant le week-end des 27 et 28 septembre 2008, plusieurs contacts ont été noués par Fortis, tant avec les investisseurs qu'avec les autorités publiques;

Que le samedi 27 septembre 2008, plusieurs investisseurs potentiels parmi lesquels ING, BNP, AEGON, ainsi que la SFPI ont visité le data room qui avait été mis à disposition par Fortis;

Que l'Etat belge a informé Fortis que seules ING et BNP avaient fait part d'indications verbales;

Que lesdites indications n'ont jamais été confirmées par écrit et dès lors ont été écartées par les autorités (pièce 10 dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 28 septembre 2008);

Que devant l'échec de la recherche d'une solution par Fortis dans le secteur privé, la situation d'extrême urgence a nécessité une intervention coordonnée et immédiate des Etats du Benelux;

Que cette intervention des trois Etats s'imposait pour restaurer la confiance dans le groupe Fortis, mais aussi et prioritairement pour préserver la continuité de ses activités, dans l'intérêt non seulement des actionnaires, mais aussi de manière essentielle des milliers de clients et déposants de Fortis;

Qu'un Conseil d'administration de Fortis s'est tenu le dimanche 28 septembre 2008 à minuit au sujet du résultat des négociations et du fait qu'un communiqué avait déjà été publié par les autorités, mentionnant les détails de l'accord conclu;

Que les modalités de l'intervention des trois Etats ont été examinées par Fortis et dûment acceptées par son conseil d'administration le 29 septembre 2008 à 01 h 47;

Qu'il y a été notamment relevé que, dans les circonstances de l'espèce ce scénario permettait aux actionnaires de FORTIS de conserver de la valeur à leurs actions, tout en ayant un effet positif sur les clients et les autres contreparties (pièces 10 et 22 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 28 septembre 2008 et communiqué de presse de Fortis du 28 septembre 2008);

Que la valorisation y effectuée a été dûment justifiée dans le rapport du conseil d'administration de Fortis et approuvée par le rapport des commissaires (pièce 45 dossier Fortis);

Que sur de telles bases et en particulier l'examen prima facie des PV du Conseil d'administration des 26 et 28 septembre, on ne peut prétendre, comme le suggèrent les demandeurs, que le conseil d'administration de Fortis ait été au moment de la première intervention des Etats Benelux “mis hors jeu dans le cadre des négociations cruciales menant à son démantèlement”;

Attendu qu'ensuite, le mercredi 1er octobre, l'accord avec l'Etat néerlandais n'a cependant pu être mis en oeuvre, compromettant ainsi le plan arrêté d'une intervention coordonnée des trois Etats Benelux pour sauver Fortis;

Qu'il a fallu constater dans le même temps que l'action Fortis continuait à chuter à un cours de clôture le 29 septembre de 3,97 Euros;

Qu'au niveau de la liquidité, la situation de Fortis a été très incertaine au point de devoir renégocier de nouvelles conditions avec la Banque Nationale De Belgique (ci-après la BNB) et obtenir un ELA (Emergency Liquidity Agreement) auprès de la Banque Centrale Néerlandaise (pièce 11 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 1er octobre 2008);

Que par ailleurs, les retraits par les clients institutionnels et par d'importantes sociétés ont augmenté de manière substancielle (pièce 12 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 3 octobre 2008);

Qu'au soir du 1er octobre 2008, l'ELA de la BNB a déjà été utilisé à hauteur de 51,3 milliards d'Euros sur 57,6 milliards d'Euros disponibles;

Qu'ayant analysé la situation, le Conseil d'administration a envisagé plusieurs scénari de cessions des activités d'ABN AMRO, de Fortis Bank Nederland, tout en indiquant vouloir conserver ses activités d'assurance (pièce 11 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 1er octobre 2008);

Que le jeudi 2 octobre, le prêt d'urgence de la BNB a été utilisé à hauteur de 51,7 milliards d'Euros et l'ELA susmentionné a été complètement utilisé, ce qui n'a laissé quasiment plus de marge de manoeuvre à Fortis;

Que le même jour, une réunion de crise a eu lieu à la CBFA en présence des autorités belge et néerlandaise ainsi que de Fortis;

Qu'ensuite, l'Etat belge a fait savoir, dès le lendemain, à Fortis que la Banque Centrale Néerlandaise avait annoncé qu'elle comptait procéder à la mise sous curatelle des activités bancaire et d'assurance néerlandaise de Fortis, (pièce 13 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 5 & 6 octobre 2008);

Qu'il a été craint que les répercussions sur le marché auraient été telles que le sauvetage de la partie belge des activités de Fortis aurait été mis en danger (pièce 12 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 3 octobre 2008);

Que les autorités belges ont informé Fortis de ce que l'Etat néerlandais proposait comme seule alternative à sa menace de mise sous curatelle le rachat de la bancassurance néerlandaise de Fortis;

Que Fortis a indiqué que le prix proposé lui paraissait beaucoup trop bas étant donné que Morgan Stanley avait estimé la valeur des activités néerlandaises à un prix sensiblement plus élevé (pièce 11 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 1er octobre 2008);

Qu'après d'âpres négociations, un prix d'acquisition a été fixé et un Term Sheet signé le 3 octobre 2008 (pièce 4 du dossier Fortis);

Que le conseil d'administration s'est prononcé sur cette cession à l'Etat néerlandais lors de sa réunion du 3 octobre 2008;

Qu'après avoir examiné les composantes de l'opération, le conseil d'administration de Fortis, à l'unanimité, décida que toute transaction était soumise à la condition sine qua non que la faillite des sociétés mères puisse être évitée (pièce 12 du dossier Fortis, procès-verbal du conseil d'administration de Fortis du 3 octobre 2008);

Que le conseil a constaté que la position de Fortis en matière de liquidité, ne lui laissait pas de marge de manoeuvre dans la mesure où, si elle n'acceptait pas la solution qui lui était proposée, le risque de discontinuité des activités bancaires devenait très important;

Que le conseil a examiné ensuite la manière de préserver le maximum de valeur pour les actionnaires et a constaté que les actifs ne pouvaient pas être cédés à un prix inférieur à 16,8 milliards d'Euros;

Que le conseil décida par conséquent, après avoir mis en balance les intérêts des différents stakeholders d'accepter la transaction proposée;

Que le conseil a constaté que Fortis était confrontée à une situation dans laquelle elle ne disposait pas d'autre choix, eu égard aux circonstances;

Que dans les circonstances de l'espèce et de l'intervention de l'Etat néerlandais, le contrat de cession des actifs néerlandais de Fortis a été conclu et signé par l'organe investi du pouvoir de représenter les entités du groupe Fortis concernées par ces cessions;

Attendu que sur base de la cession des activités néerlandaises à l'Etat néerlandais, Fortis a dû reconsidérer ses options:

• continuer sur une base stand alone avec l'Etat belge comme actionnaire minoritaire de la banque;

• trouver un partenaire stratégique pour Fortis Banque et pour tout ou partie des autres activités de Fortis;

• vendre les 51% restant de la banque belge à l'Etat, avant une cession possible à un investisseur privé;

Que si du point de vue de la solvabilité, le scénario du stand alone était possible, la clef se trouvait au niveau de la liquidité;

Que la CBFA et la BNB ont au même moment attiré l'attention de Fortis sur le fait qu'elles s'attendaient à d'énormes problèmes sur les marchés financiers le 6 octobre 2008 eu égard au risque d'interventions d'urgence des banques nationales et européennes à destination de plusieurs institutions financières à travers l'Europe;

Que l'Etat belge a particulièrement insisté pour l'option de cession des activités à un tiers (pièce 13, procès-verbal du conseil d'administration des 5 et 6 octobre );

Que le flux important de liquidité attendu de la part de l'Etat néerlandais n'a toutefois pas résolu prima facie le problème de liquidité immédiat auquel Fortis Banque était confrontée;

Qu'il a été du reste difficile d'évaluer si et pour quel montant Fortis Banque aurait encore besoin du secours d'urgence de la Banque Nationale pour la semaine à venir;

Qu'après cette date Fortis ne disposait elle-même plus d'informations quant au “funding” qui aurait été requis pour assurer la continuité des activités de la banque;

Qu'au cours des discussions qui ont eu lieu tout au long du week-end des 4 et 5 octobre 2008, Fortis a été informée des valorisations qui circulaient dans les discussions entre BNP Paribas et l'Etat belge et est arrivée à la conclusion que, si la transaction s'opérait sur ces bases, elle aurait pour conséquence - si elle permettait de sauver Fortis Banque - d'entraîner la faillite des sociétés mères;

Que Fortis a fait porter à la résidence du Premier Ministre une lettre adressée à celui-ci et au Ministre des Finances pour leur faire savoir que le prix devait assurer la continuité des sociétés mères (pièce 14 du dossier Fortis, lettre du 5 octobre 2008);

Que l'Etat belge a poursuivi ses discussions avec BNP Paribas;

Qu'une solution globale a été annoncée par communiqué de presse du gouvernement belge le 5 octobre 2008 vers 23 h;

Que le conseil d'administration de Fortis s'est réuni le 6 octobre à 2 h du matin pour prendre position sur la solution proposée;

Qu'au cours de ce conseil, Morgan Stanley a évalué la valeur théorique de l'action de Fortis après la réalisation de ces opérations à un montant de 4 à 5 Euros, tout en indiquant que le cours de la bourse serait probablement inférieur à ce montant et que la marché serait très volatile;

Qu'il y fut indiqué que le gouvernement ne voyait pas de solution alternative et que la transaction proposée assurait la continuité des activités bancaires et d'assurances, ce qui répondait à la préoccupation majeure des autorités publiques;

Que le conseil constata que sur la base des informations disponibles, la transaction permettait:

• que les sociétés mères demeurent des sociétés solvables;

• qu'il reste de la valeur pour les actionnaires;

• que les sociétés mères disposent de suffisamment de liquidités pour continuer à opérer;

Que le conseil d'administration de Fortis a dû constater que, dans le contexte économique du moment, il n'était possible de sauvegarder les activités bancaires qu'en acceptant de les céder à des tiers solides intéressés;

Que pour rappel, au soir du 3 octobre 2008, 54 milliards d'Euros avaient été utilisés sur la ligne de crédit de l'ELA et l'intégralité de l'ELA néerlandais était épuisé;

Que le conseil d'administration de Fortis accepta donc la solution proposée par l'Etat belge à 3 h du matin (pièce 13, procès-verbal du conseil d'administration des 5 et 6 octobre);

Attendu qu'il résulte prima facie de ce qui précède qu'en ce qui concerne la seconde intervention de l'Etat belge via la SFPI concernant l'adossement de Fortis Banque au groupe BNP Paribas, les décisions finales du conseil d'administration de Fortis semblent avoir été requises dans l'intérêt de la continuité des activités bancaires de Fortis et de lui permettre de faire face à ses obligations;

Que par ailleurs, la cession des activités d'assurance belges paraissait également devenue nécessaire, BNP Paribas désirant poursuivre le concept de bancassurance de Fortis;

Que l'intervention de l'Etat belge a eu quant à lui, prima facie, pour but de restaurer la confiance interbancaire ainsi que celle de plusieurs composantes de l'intérêt social de Fortis;

Qu'en conséquence, les résolutions semblent avoir été conclues valablement par le conseil d'administration de Fortis et apparaissent se conformer à l'intérêt social de Fortis eu égard aux circonstances dans lesquelles l'organe de représentation s'est trouvé irrémédiablement confronté lors de chaque opération de cessions d'actifs;

Attendu que par ailleurs, s'agissant du grief du sacrifice des demandeurs et actionnaires minoritaire par rapport à l'intérêt préservé des déposants, des épargnants, des employés du groupe FORTIS, ce grief doit être confronté à l'hypothèse où le plan de sauvetage du pôle bancaire de FORTIS n'aurait pas été mis en place comme il l'a été;

Qu'ainsi, en cas de disparition probable de Fortis, la conséquence en aurait été l'anéantissement total et définitif de l'entièreté de leurs propres investissements;

Que pareille situation aurait eu également des effets incalculables sur les déposants et les épargnants, et par voie de conséquence sur l'économie belge tout entière;

Qu'en d'autres termes, quelque compréhensible qu'il puisse être, le sentiment pour les demandeurs de n'avoir pas directement bénéficié du plan de sauvetage ne pourrait justifier que l'on s'écarte des principes et des priorités que le plan de sauvetage de Fortis a commandé in concreto;

Attendu que s'agissant de la balance des intérêts, les demandeurs ont insisté sur l'urgence à obtenir les mesures sollicitées en raison de la prétendue gravité des griefs et de l'importance du préjudice allégué par ceux-ci;

Que cependant, l'accueil du présent référé est susceptible prima facie de créer un préjudice bien plus grave à Fortis Banque;

Qu'en effet, dès lors qu'elle vise à bloquer les cessions des actions de Fortis Banque et de Fortis Insurance Belgium, la présente action en référé peut avoir pour conséquence potentielle de faire apparaître, aux yeux des marchés financiers et des créanciers, clients et employés de Fortis Banque, l'impossibilité de l'adossement ultime de Fortis Banque à BNP Paribas;

Que cela étant, cet adossement est garant unique de la survie actuelle de Fortis Banque;

Qu'en effet, comme il a été précisé dans les faits, c'est précisément grâce aux cessions d'actifs que Fortis et Fortis Banque ont pu être sauvées dans le contexte aggravé de crise décrit ci-dessus et faire face à leurs obligations;

Qu'il est à craindre qu'une telle méfiance, si elle devait se faire jour, ne se traduise par une érosion de la base de la clientèle et des dépôts de Fortis Banque;

Que tel comportement entraînerait un préjudice majeur et susceptible d'être irréversible pour Fortis Banque;

Qu'il est acquis que Fortis Banque risquerait de se retrouver dans une situation reproduite d'absence de liquidité, mettant en péril immédiat la continuité de ses opérations stratégiques;

Qu'il appartient dès lors au Tribunal de céans, en effectuant l'indispensable balance des intérêts économiques et financiers en présence, de considérer prima facie que le préjudice qui résulterait de l'accueil de la moindre des demandes telles que formulées par les demandeurs serait inévitablement de nature à constituer un péril pour le sauvetage des activités de Fortis Banque dans les conditions de marché actuellement toujours difficiles, et par incident, pour la protection de ses épargnants et employés;

Attendu qu'en outre, l'accueil des mesures sollicitées par les demandeurs, dès lors qu'elles pourraient entraîner un préjudice définitif et irréparable pour Fortis Banque, est susceptible d'aller directement à l'encontre du caractère provisoire qui s'attache à la saisine du juge des référés;

Qu'à l'inverse, dans la mesure où il découle de la diminution de valeur de leurs actions Fortis SA/NV, le préjudice prétendument subi par les demandeurs est et restera purement pécuniaire et sera par conséquent toujours réparable;

Que par conséquent, l'accueil des demandes telles que postulées par les demandeurs est susceptible d'octroyer à ceux-ci le bénéfice de sanctions auxquelles ils ne peuvent avoir droit que dans le cadre d'actions en responsabilité portées devant le juge du fond;

Attendu en revanche, qu'à titre de mesures conservatoires, et en suivant l'avis du Ministère Public, il y a lieu d'insister sur le principe de l'égalité des droits de tous les actionnaires de Fortis devant l'information;

Que Fortis est une société cotée sur le premier marché d'Euronext Brussels et sur le Segment Officiel d'Euronext Amsterdam;

Qu'à ce titre Fortis est soumise aux réglementations particulières en matière de transparence et d'information des actionnaires;

Qu'ainsi, Fortis est en principe tenue de mettre à la disposition du public toutes les informations nécessaires à la transparence, à l'intégrité et au bon fonctionnement des marchés;

Qu'une telle information doit être fidèle, précise et sincère;

Qu'elle doit permettre aux détenteurs des titres et au public d'apprécier la situation des activités et résultats de Fortis;

Attendu particulièrement que dans le présent référé, il est manifeste que le défaut de transparence qui a entouré le déroulement de l'ensemble des opérations de cessions stratégiques de Fortis a rendu très difficile l'appréciation par les actionnaires - et en particulier les actionnaires minoritaires - de la situation réelle du groupe et de la valeur des actifs cédés, en particulier de la valeur de Fortis Banque;

Qu'en vertu du principe de transparence dans la gestion des sociétés cotées et afin d'informer les actionnaires sur les opérations et la continuité de Fortis, il y a lieu d'ordonner a titre conservatoire la désignation d'un collège d'experts comme indiqué au dispositif ci-après:

PAR CES MOTIFS,

Nous, Francine De Tandt, présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant à l'audience publique des référés, rue de la Régence, 4 à 1000 Bruxelles, assistée de G. Van Hamme, greffier adjoint délégué;

Statuant contradictoirement et vu l'urgence,

Vu l'avis partiellement conforme du Ministère Public;

Déclarons les demandes en intervention de Monsieur F. et Monsieur R. irrecevables à défaut d'intérêt;

Déclarons les demandes principales et en intervention recevables mais uniquement fondées dans l'exacte mesure ci-après:

Désignons en qualité d'experts le Collège suivant:

1. Monsieur Jean-François Cats,

Réviseur d'entreprises,

Président honoraire de l'Institut des Réviseurs d'Entreprise (...)

2. Monsieur le Professeur Eric Debodt, (…)

3. Monsieur Dirk Smets,

Réviseur agréé par la CBFA pour les établissements de crédit,(…)

Lesquels reçoivent comme mission:

1. ordonner à Fortis et à la SFPI la production de l'ensemble des rapports et correspondances (y compris la correspondance électronique) échangées entre elles et entre la SFPI et BNP Paribas et concernant et justifiant de la valeur d'acquisition:

- tant dans un premier temps des 49, 93% d'actions de Fortis Banque par la SFPI,

- tant du rachat par la SFPI du solde de la participation de Fortis Banque, à savoir 50% + 1 action,

- tant de la revente par la SFPI de 75% des actions de Fortis Banque à BNP Paribas;

2. éclairer le Tribunal sur base de quels documents et diligences les vendeurs ont pu déterminer que le prix de vente des actions était adéquat;

3. éclairer le Tribunal sur la manière dont a été déterminé le prix de revente des actions à BNP Paribas;

4. éclairer le Tribunal sur le fait de savoir si les parties ont procédé aux diligences normales, dans les circonstances rencontrées, lors des cessions des actions;

5. éclairer et donner un avis au Tribunal sur les méthodes de valorisation utilisées pour la fixation du prix de cession des actions;

Disons que Messieurs les experts devront se conformer aux articles 962 et suivants du Code judiciaire;

Fixons la reunion d'installation le vendredi 28 novembre 2008 à 12 heures en chambre du conseil (…);

Disons qu'ensuite de cette réunion une ordonnance déterminera les modalités pratiques de l'exercice de leurs missions;

Réservons les dépens.