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Petite histoire d'une grande idée: l'excusabilité, R.D.C.-T.B.H., 2007/4, p. 307-331

Petite histoire d'une grande idée:
l'excusabilité

Bénédicte Inghels [1]

TABLE DES MATIERES

Introduction

Section I. Avant la loi du 8 août 1997

Section II. L'excusabilité du failli A. L'excusabilité du failli dans la loi du 8 août 1997 1° Les conditions de fond

2° Les limites à l'excusabilité

3° Le champ d'application de l'excusabilité

4° Les effets de l'excusabilité à l'égard du failli

B. L'excusabilité du failli revue et corrigée (?) par la loi du 4 septembre 2002 1° Les conditions de fond

2° Les limites à l'excusabilité

3° Le champ d'application de l'excusabilité

4° Les effets à l'égard du failli

C. L'excusabilité du failli à nouveau révisée par la loi du 20 juillet 2005 1° Les conditions de fond

2° Les limites à l'excusabilité

3° Le champ d'application de l'excusabilité

4° Les effets de l'excusabilité à l'égard du failli

Section III. La décharge de la caution du failli A. Les effets de l'excusabilité du failli à l'égard de la caution dans le cadre de la loi du 8 août 1997

B. La décharge de la caution de bienfaisance prévue par la loi du 4 septembre 2002 1° Observation préalable

2° Le sort des cautions de bienfaisance

C. La décharge de la sûreté personnelle prévue par la loi du 20 juillet 2005 1° Les textes

2° La notion de “sûreté personnelle à titre gratuit”

3° Les conditions de forme

4° Le moment du débat sur la décharge

5° Les conditions de fond

6° Les effets de la décharge

Section IV. La libération du conjoint du failli A. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 8 août 1997

B. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 4 septembre 2002

C. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 2 février 2005

En guise de conclusion temporaire…

RESUME
La loi du 8 août 1997 relative aux faillites fêtera bientôt son dixième anniversaire. Il nous a semblé utile à cette occasion de retracer l'histoire de l'excusabilité.
Il y a dix ans, cette mesure semblait révolutionner le sort des faillis et de nombreux espoirs étaient permis. Mais, les attaques successives que le régime de l'excusabilité a connues depuis dix années ont conduit à d'importantes réformes, avec la loi du 4 septembre 2002 d'abord, celle du 20 juillet 2005 ensuite.
La bonne idée de l'excusabilité coexiste à présent un régime de décharge des cautions qui soulève de nombreuses questions et laisse chancelant le sort incertain du conjoint du failli.
C'est à ces nombreuses étapes d'un parcours législatif chaotique que nous vous invitons.
SAMENVATTING
De faillissementswet van 8 augustus 1997 viert binnenkort zijn tiende verjaardag. Het lijkt ons dan ook nuttig om de geschiedenis van de verschoonbaarheid te schetsen.
Tien jaar geleden leek het erop dat deze maatregel het lot van de gefailleerden radicaal zou veranderen en de verwachtingen waren dan ook groot. Maar de voortdurende aanvallen die de regeling van de verschoonbaarheid in die tien jaar te verduren kreeg, hebben geleid tot ingrijpende veranderingen, eerst met de wet van 4 september 2002 en daarna met de wet van 20 juli 2005.
Het goede idee van de verschoonbaarheid bestaat momenteel naast een regeling van bevrijding van de borgen die talloze vragen doet rijzen en het onzekere lot van de echtgenoot van de gefailleerde in het ongewisse laat.
Bij deze nodigen wij u dan ook uit om de verschillende etappes van een chaotisch wetgevend parcours door te lopen.
Introduction

1.Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 1997 relative à la faillite, tous les auteurs et les praticiens s'accordent sur un point: l'excusabilité est sans doute une des matières qui a fait couler le plus d'encre.

Certes, les débats sont nourris et les questions multiples. Mais ne résultent-ils pas d'un manque de réflexion globale sur cette matière et sur les effets de pareille mesure pour chacune des parties concernées, le failli, son créancier, sa caution, ou encore son conjoint?

C'est notre postulat de départ: la matière n'a-t-elle pas davantage évolué sous les coups et critiques successifs apportés par la doctrine et la jurisprudence, en particulier de notre cour constitutionnelle, qu'à la suite d'une réflexion profonde sur les fondements et les enjeux de la matière?

C'est pourquoi nous avons choisi de l'aborder sous un angle double: d'une part, nous examinerons successivement la situation de trois acteurs concernés par l'excusabilité et ses effets: le failli, sa caution et son conjoint. D'autre part, cette analyse sera chronologique: nous rappellerons brièvement les textes successifs et évoquerons les interrogations et controverses qu'ils pouvaient susciter.

Cette façon de procéder, par étape, nous conduira à aborder des questions certes résolues depuis mais elle nous donnera aussi l'occasion de développer les méandres parfois nébuleux d'une matière en constante évolution. Si l'angle chronologique n'évite pas toujours l'écueil de la répétition, nous croyons aussi qu'il permet de simplifier les raisonnements face à des textes dont la qualité de rédaction laisse parfois à désirer…

C'est donc une étude qui retracera le parcours de l'excusabilité sur une période de près de dix années. Classiquement, nous terminerons chaque section par l'analyse de la loi du 20 juillet 2005.

Si la nécessité d'une réforme législative ne faisait aucun doute pour ce qui concerne le sort des cautions du failli, son contenu et sa survenance en auront toutefois surpris plus d'un. En effet, les travaux préparatoires démontrent que la loi du 20 juillet 2005 s'est faite sans véritable concertation et était conçue en réaction à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage. Cette façon de légiférer ne va pas sans poser de questions, nous le verrons.

2.Préalablement, nous souhaiterions formuler deux observations:

    • l'objet de la présente étude tend à cerner l'évolution des questions de fond relatives au sort du failli excusable ou des effets de la mesure pour ses cautions ou son conjoint. Les questions de formes, nombreuses, suscitées par la modification législative de 2005 ne seront pas abordées dans ce cadre;
    • la loi du 20 juillet 2005 se singularise par une exceptionnelle complexité linguistique: malheureusement, la rédaction déplorable du texte renforcera les questions et doutes.
    Section I. Avant la loi du 8 août 1997

    3.En guise de préambule, nous devons rappeler que le concept d'excusabilité est très ancien.

    On ne le sait parfois plus, mais la loi sur les faillites de 1851 évoquait déjà la notion d'excusabilité. Ce terme recouvrait alors un régime totalement différent de l'acception que les praticiens du droit en ont aujourd'hui.

    À l'époque, une décision d'excusabilité permettait à celui qui en bénéficiait d'être soustrait à la contrainte par corps.

    La prison pour dettes a été abolie en matières civile et commerciale par une loi du 27 juillet 1871.

    Dans cette mesure, l'excusabilité “ancienne” n'avait plus de sens et est tombée en désuétude. Elle était soit prononcée, de façon automatique, et n'avait guère plus d'impact qu' “un brevet platonique d'honnêteté” [2], soit les décisions de clôture de la faillite ne l'évoquaient plus guère.

    Nous pourrions l'évoquer pour l'anecdote et pourtant…

    D'emblée, d'aucuns ont déploré la confusion des genres par l'utilisation malencontreuse d'un même terme. Ch. Matray soulignait ainsi le vocable, source d'ambiguïté car “il comporte une connotation morale alors que c'est dans l'ordre économique que les textes semblent puiser leur inspiration et produisent leurs effets”. Au-delà de cette connotation morale, il ne faisait guère de doutes que les deux régimes étaient sensiblement différents et que l'utilisation d'un vocable unique procédait davantage d'une maladresse du législateur que du souci de ressusciter un régime défunt.

    C'était sans compter sur l'énergie et l'imagination des plaideurs. Constatant qu'un jugement de clôture de faillite antérieur à 1998 ne statuait pas sur l'excusabilité, voire réservait à statuer sur ce point, certains faillis ont tenté d'être libérés de leurs dettes anciennes par le biais de la “nouvelle excusabilité”.

    Ils n'ont pas été entendus à la cour d'appel de Bruxelles, dans une cause où le jugement de clôture omettait de statuer sur l'excusabilité [3].

    Ils ont eu davantage de chance devant la cour d'appel de Liège qui, dans un arrêt publié du 15 janvier 2004, leur a donné raison [4]. Cette jurisprudence nous paraît toutefois ignorer la nature totalement différente des régimes désignés par ce même vocable. Il nous semble certain que si le législateur avait opté pour une autre terminologie, les débats n'auraient même pas eu lieu.

    Une jurisprudence de la Cour de cassation existe en cette matière [5] et semble confirmer la thèse de la cour d'appel de Bruxelles. Mais les motifs de l'arrêt ne permettent pas de dire s'il s'agit d'un arrêt de principe, puisque la Cour de cassation ne devait pas se prononcer sur cette question précise [6].

    C'est donc plutôt pour l'anecdote que nous évoquons ce régime ancien.

    Section II. L'excusabilité du failli

    Mue par la volonté de permettre à l'acteur économique malheureux mais fiable de redémarrer, l'excusabilité est une bonne idée qui a cependant connu de nombreuses mutations au cours de ces dernières années.

    A. L'excusabilité du failli dans la loi du 8 août 1997

    4.Dans le cadre de la profonde réforme du droit de la faillite organisée par la loi du 8 août 1997, le législateur a instauré l'excusabilité du failli, mécanisme qui lui permet d'être libéré de ses dettes pour l'avenir.

    L'article 81 interdisait de déclarer excusables “les faillis ou la personne morale faillie dont les administrateurs ont été condamnés pour infraction à l'article 489ter du Code pénal, pour vol, pour faux, pour concussion, escroquerie ou abus de confiance…”

    L'article 82 de la loi était rédigé dans les termes suivants: “Si le failli est déclaré excusable, il ne peut plus être poursuivi par ses créanciers. Si le failli n'est pas déclaré excusable, les créanciers recouvrent le droit d'exercer individuellement leur action sur ses biens.”

    L'article 83 poursuivait: “La décision d'inexcusabilité d'une personne morale faillie prononcée conformément à l'article 80 met une fin immédiate à son existence.”

    Le but du législateur était complexe: il était d'abord animé par le souci constant qui a présidé à l'élaboration de la loi nouvelle, à savoir celui d'humaniser la faillite. La faillite n'est plus perçue comme la conséquence d'un comportement “coupable”, sauf exceptions. Il convenait ensuite d'assurer au failli honnête et expérimenté la possibilité de redémarrer, si l'intérêt général et l'équité l'y autorisent.

    La rédaction générale de l'article 82 définit les contours de la notion et comporte en soi les difficultés qui se révèleront dans son application. Nous mettrons en évidence quatre questions, dans la mesure où elles ont conduit à une intervention de la Cour d'arbitrage ou suscité les modifications de la loi:

    1° Les conditions de fond

    5.Si le principe de l'excusabilité paraît clair, en ce qu'il libère le failli de ses dettes, le texte de l'article 82 tel qu'il est rédigé en 1997 ne prévoit pas les conditions auxquelles l'excusabilité pouvait être accordée. Or, à l'époque, l'excusabilité était conçue par beaucoup comme une mesure de faveur.

    Avec l'appui des travaux préparatoires, doctrine et jurisprudence ont développé des critères qui retenaient essentiellement l'expérience du failli en tant qu'opérateur économique. Partant de l'idée que le failli devait pouvoir réaliser un redémarrage de son activité, deux conditions étaient généralement admises:

      • il fallait que les circonstances de la faillite soient indépendantes de sa volonté;
      • le failli devait en outre présenter certaines garanties pour l'avenir.

      C'est donc tant l'expérience en tant qu'acteur économique que sa capacité à redevenir un partenaire fiable pour l'avenir qui était examinée, même s'il convenait selon certains auteurs d'examiner le passé uniquement pour évaluer son utilité future pour l'intérêt général, abstraction faite de son éthique ou même de sa collaboration lors de la liquidation de la faillite [7].

      La jurisprudence a révélé que les cours et tribunaux avaient une vision extrêmement large dans l'appréciation de l'excusabilité. La jurisprudence à l'époque fut abondante et nourrie, notamment en raison de l'attitude systématique de l'ONSS estimant que le non-paiement des cotisations sociales constituait un obstacle majeur à l'excusabilité d'un failli. Le texte était pourtant clair, et toutes les dettes, qu'elles soient fiscales ou sociales, subissaient un sort identique en cas d'excusabilité du failli. On sait ce que les cours et tribunaux ont fait de la position sans nuances de l'ONSS.

      Cette appréciation aura sans aucun doute influencé le législateur en 2002, lorsqu'il reverra le régime de l'excusabilité.

      2° Les limites à l'excusabilité

      6.Une limite certaine était toutefois apportée à l'excusabilité: l'article 81 de la loi interdisait de faire bénéficier de l'excusabilité le failli ou la personne morale qui avait subi certaines condamnations pénales. Il s'agissait des hypothèses où le failli ou les organes de la personne morale ont été condamnés pour infraction à l'article 489ter du Code pénal, pour vol, pour faux, pour concussion, escroquerie ou abus de confiance.

      Cette disposition soulevait un certain nombre de questions, que nous abordons dans ce cadre puisque, pour l'essentiel, elles trouvent encore toute leur justification:

      a. L'article 81 exigeait une condamnation, par un jugement coulé en force de chose jugée: l'attitude du parquet s'en trouve réduite, à juste titre, tant que certains faits font l'objet d'une information pénale. L'exception de l'article 81 devait être interprétée limitativement.

      Il n'en reste pas moins que certains faits, pénalement sanctionnés, peuvent aussi résulter d'autres éléments, tels le rapport du curateur, et être soumis à la contradiction dans le cadre d'un débat sur l'excusabilité.

      b. L'article 81, tel qu'il était rédigé en 1997, excluait toute excusabilité, de façon automatique, lorsque le casier judiciaire présentait une condamnation visée à l'article 81.

      D'aucuns ont soulevé la contrariété qu'il pouvait y avoir à exclure automatiquement le condamné du bénéfice de l'excusabilité pour des faits parfois mineurs ou forts anciens, alors que la mesure était à l'inverse mue par le souci d'humaniser la faillite et de redonner une seconde chance.

      La Cour d'arbitrage a été saisie de cette question, et s'est prononcée dans plusieurs arrêts, d'abord sur question préjudicielle, en annulation ensuite puisque la formulation sera reprise dans la loi du 4 septembre 2002. Dans son arrêt du 22 janvier 2003, elle estime que l'exclusion illimitée, absolue et automatique du failli condamné pour un des délits visés, quelle que soit l'époque où le délit a été commis, sans pouvoir donner le moindre pouvoir d'appréciation au juge, va au-delà de ce qui est requis par l'objectif du législateur [8].

      Cet arrêt sanctionne donc l'exclusion, en ce qu'elle est automatique et sans nuance. A contrario, il ne signifie pas que ce type de comportement ne puisse pas justifier une décision refusant l'excusabilité, lorsqu'il s'agit de faits graves, récents, liés à l'activité économique. Dans le même ordre d'idées, il implique aussi que d'autres comportements pénalement sanctionnés pourraient mener à une décision refusant l'excusabilité.

      c. Si le failli ou les organes de la faillite ont commis des délits pour lesquels ils ont été réhabilités - au sens pénal du terme -, il ne sera pas tenu compte de ces infractions.

      La réhabilitation pénale ne doit pas être confondue avec la réhabilitation civile telle qu'elle est prévue à l'article 110 de la loi sur les faillites: le failli déclaré excusable est réputé réhabilité.

      L'article 109 prévoit quant à lui que le failli déclaré non excusable qui a intégralement acquitté en principal, intérêts et frais, toutes les sommes “par lui” dues peut obtenir sa réhabilitation. La procédure est décrite aux articles 111 et suivants.

      3° Le champ d'application de l'excusabilité

      7.L'excusabilité peut bénéficier à la personne physique et à la personne morale.

      Si les avantages étaient manifestes pour les personnes physiques, ils semblaient moins clairs dans le chef des personnes morales. En effet, en principe, la faillite ne met pas fin à la personne morale: la faillite ne liquide que son patrimoine, sans porter atteinte à l'existence même de la personne morale qui, du fait de son existence, reste titulaire de droits et d'obligations, fiscales ou comptables par exemple. Comme le soulignait I. Verougstraete, “cet état de chose avait comme conséquence que beaucoup de personnes morales menaient une vie en léthargie après que la faillite ait été liquidée, les administrateurs ne prenant pas la peine de faire les frais d'une dissolution” [9]. La situation était pour le moins paradoxale.

      La loi sur les faillites de 1997 apportait une solution à ce paradoxe, en prévoyant à l'article 80 que la décision d'inexcusabilité d'une personne morale mettait fin immédiatement à son existence. Il était prévu que l'article 180 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales de l'époque trouvait à s'appliquer.

      Avec cette disposition, on pouvait penser que l'inexcusabilité de la personne morale serait la règle, la décision d'excuser une société paraissant purement théorique puisqu'il s'agissait alors d'une coquille vide, dont l'actif avait été intégralement liquidé. Les auteurs y trouvaient toutefois un certain intérêt dans des circonstances exceptionnelles, et de citer l'hypothèse où “la société a bénéficié de licences ou autres avantages de longue durée non transmissibles qui auraient été préservés pendant la liquidation de la faillite, sans pouvoir être réalisés, ou encore, lorsque la société présente des pertes fiscales récupérables non neutralisées par l'effet positif de l'effacement des dettes fiscales impayées à la clôture de la faillite” [10].

      Les débats auraient donc pu rester relativement théoriques, si l'on n'avait vu surgir un acteur nouveau dans les procédures relatives à l'excusabilité de personnes morales: la caution personnelle de cette personne morale. Nombre de gérants, conjoints ou parents du gérant d'une SPRL s'étaient souvent porté garants de la bonne évolution de celle-ci et, par l'effet de l'excusabilité, espéraient se dégager de leurs engagements. Nous verrons ci-après dans quelle mesure cet espoir était vain, dans l'état du texte de 1997, mais il reste qu'il a ouvert la porte à un débat plus passionné sur l'intérêt pour une personne morale de bénéficier de la mesure de faveur.

      Le débat était entier, mais il faut bien reconnaître que la fiction de la personne morale atteignait ses limites tant il était difficile de dégager les “circonstances de fait justifiant du malheur et de la bonne foi” de la personne morale - et non pas de ses dirigeants - et de s'assurer des “garanties pour l'avenir” que pouvait présenter la personne morale - distincte de ses dirigeants. Mues aussi par le souci de ne pas laisser subsister sur le marché des coquilles vides inutiles, certaines juridictions ont invité les parties à justifier de l'intérêt concret pour une personne morale de survivre à sa faillite, par le dépôt d'un plan prévisionnel et de la preuve de sa capacité à subsister. Les débats se clôturaient alors assez rapidement…

      Et le débat est vite devenu stérile lorsqu'il s'est confirmé que les cautions personnelles ne pouvaient pas bénéficier de l'excusabilité. La loi dite de réparation de 2002 apportera un terme à ce débat. Nous y reviendrons.

      4° Les effets de l'excusabilité à l'égard du failli

      8.L'article 82 était clair: le failli est libéré de ses dettes, toutes ses dettes. Le législateur de 1997 avait pris l'option de n'exclure aucune dette du bénéfice de l'excusabilité.

      La question a fait l'objet de nombreuses critiques dans le chef de l'ONSS, organisme qui a systématiquement pris part aux débats sur l'excusabilité en s'y opposant au motif que sa créance présentait une nature particulière, proche de l'ordre public, notamment parce que le non-paiement des cotisations sociales est passible de sanctions pénales. La jurisprudence a réservé un sort défavorable à cette argumentation et s'est appuyée sur le choix clair du législateur, qui avait évoqué expressément le sort des dettes fiscales [11].

      La Cour d'arbitrage a d'ailleurs décidé, dans un arrêt du 13 décembre 2000 [12], que le régime n'est pas contraire au principe constitutionnel d'égalité dès lors que l'excusabilité, qui peut avoir pour effet d'empêcher le recouvrement de dettes fiscales, fait l'objet d'une décision de justice motivée.

      9.L'effet de l'excusabilité a d'emblée suscité la perplexité lorsqu'il s'agissait d'un certain type de dette: l'on songe ici à la dette résultant de la responsabilité du failli dans un accident, par exemple, ou encore aux créances alimentaires du failli. Si injuste qu'elle puisse paraître, la disposition de l'article 82 ne permettait aucune interprétation en faveur de ce type de créanciers.

      En bout de course, l'innovation majeure de la loi de 1997 soulevait d'innombrables questions et se trouvait amputée par la Cour d'arbitrage. Une intervention du législateur s'imposait: ce fut l'occasion de la première loi de réparation, la loi du 4 septembre 2002.

      B. L'excusabilité du failli revue et corrigée (?) par la loi du 4 septembre 2002

      10.La loi du 4 septembre 2002 a profondément remanié la matière de l'excusabilité.

      L'article 73 est d'abord modifié pour assurer la possibilité, déjà reconnue par la jurisprudence, de prononcer une mesure d'excusabilité en cas de clôture de faillite pour insuffisance d'actif, pour autant que le failli réponde aux conditions de l'article 80.

      L'article 80 fut rédigé comme suit [13]:

      “Sur le rapport du juge commissaire, le failli dûment appelé par pli judiciaire contenant le texte du présent article, le tribunal ordonne la clôture de la faillite, après avoir tranché le cas échéant les contestations relatives au compte et redressé celui-ci s'il y a lieu.

      Le juge commissaire présente au tribunal, en chambre du conseil, la délibération des créanciers relative à l'excusabilité du failli et un rapport sur les circonstances de la faillite. Le curateur et le failli sont entendus en chambre du conseil sur l'excusabilité. Sauf circonstances graves spécialement motivées, le tribunal prononce l'excusabilité du failli malheureux et de bonne foi. La décision sur l'excusabilité est susceptible de tierce opposition de la part des créanciers individuellement…”.

      Selon la nouvelle version de l'article 81:

      “Ne peuvent être déclarés excusables:

      1° la personne morale faillie;

      2° la personne physique faillie qui a été condamnée pour infraction à l'article 489ter du Code pénal, pour vol, pour faux, pour concussion, escroquerie ou abus de confiance…”.

      La rédaction du nouvel article 82 témoigne du souci constant du législateur de rencontrer les situations injustes nées de l'application des anciennes dispositions. L'article 82 de la loi sur les faillites fut rédigé comme suit:

      “L'excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues cautions de ses obligations.

      Le conjoint du failli qui s'est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

      L'excusabilité est sans effet sur les obligations alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute.”

      Un grand nombre des questions déjà soulevées ont connu une évolution, sans toutefois qu'une solution définitive leur ait été apportée. Nous allons reprendre l'examen des quatre questions déjà évoquées ci-dessus.

      1° Les conditions de fond

      11.Pas plus qu'elles ne l'étaient dans la première rédaction de l'article 82, les conditions d'octroi de l'excusabilité ne furent définies dans la loi du 4 septembre 2002.

      L'approche est cependant fondamentalement modifiée, et les travaux préparatoires soulignent que “l'excusabilité est en principe accordée au failli qui répond aux conditions de malheur et de bonne foi (…) sauf à relever l'existence de circonstances particulières qui justifient le refus du tribunal. Lesdites circonstances particulières devraient être spécialement motivées par le tribunal” [14]. Désormais, l'excusabilité ne peut plus être conçue comme une mesure de faveur mais elle est certainement devenue un droit [15].

      Il reste que ce droit est un droit conditionnel.

      Comme le souligne I. Verougstraete, “comme les personnes physiques concernées relèvent souvent du petit commerce et incitent à la compassion, tandis que les créanciers dont les intérêts ne sont pas pris en compte sont moins présents que le failli, le choix s'explique même si, sur le plan économique, il peut paraître excessif” [16].

      12.Ce droit est cependant tempéré par le libellé de l'article 82:

      a. Le failli doit être malheureux et de bonne foi: alors que le législateur de 1997 avait entendu humaniser la faillite et en ôter toute connotation morale, le législateur de 2002 a réintroduit cette approche moralisatrice du failli qui doit désormais montrer qu'il est malheureux et “de bonne foi”. Certes, cette perception pouvait revenir à l'occasion de l'examen des “circonstances indépendantes de la volonté du failli” que les juridictions devaient rencontrer auparavant. Mais l'introduction dans le texte de la notion de bonne foi est plus révélatrice.

      b. Le tribunal peut refuser de prononcer l'excusabilité s'il constate des circonstances graves et qu'il les motive spécialement. La jurisprudence a progressivement défini cette notion en “toute faute grave ayant contribué à la faillite ou à l'aggravation du passif de la faillite”. Cette définition se retrouve à d'autres endroits, dans la législation sur les faillites, notamment dans les questions relatives à l'interdiction professionnelle.

      Seule l'existence d'une faute grave et caractérisée peut conduire à un refus d'accorder l'excusabilité. Il n'est pas requis que cette faute présente un lien direct avec les créanciers. Le texte ne prévoit en tout cas pas l'obligation pour le tribunal de mettre en balance le droit du failli avec les intérêts des créanciers. La jurisprudence témoigne d'une très grande souplesse dans l'appréciation de l'excusabilité.

      L'excusabilité devient de la sorte pratiquement automatique et il faut observer que les intérêts des créanciers ne paraissent pas peser bien lourd.

      2° Les limites à l'excusabilité

      13.Nous avons déjà évoqué l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 22 janvier 2003 annulant l'article 81, en ce qu'il excluait automatiquement et sans limites le failli condamné pénalement pour certains faits. Nous nous référons à ce qui a déjà été exposé, sachant que cette jurisprudence sera intégrée dans la modification législative de juillet 2005.

      3° Le champ d'application de l'excusabilité

      14.La loi du 4 septembre 2002 a modifié l'article 81 en excluant la personne morale du bénéfice de l'excusabilité.

      Compte tenu des difficultés exposées ci-avant, il est vraisemblable que le législateur a intégré le côté artificiel de la réflexion et le peu d'utilité de la mesure.

      Le choix législatif est clair. Et il a suscité des interrogations par rapport au principe d'égalité.

      La question qui s'est posée tient à la différence de traitement qui pouvait exister entre la caution d'une personne physique et la caution d'une personne morale. Dans la mesure où cette interrogation suppose que l'on examine le système de la décharge de la caution instauré par la loi du 4 septembre 2002, nous exposerons les risques d'inégalité pour la caution par après, dans la section consacrée à la caution.

      Mais nous pouvons déjà indiquer que, dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour d'arbitrage s'est prononcée en retenant la légalité de principe de l'exclusion relative à la personne morale faillie [17].

      La Cour d'arbitrage motive sa décision comme suit: “Il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires précités que le législateur a d'abord estimé que pouvaient être excusées tant les personnes morales que les personnes physiques, puis a considéré que seules celles-ci étaient excusables. Le choix entre ces deux options relève de l'appréciation du législateur sans que l'une ou l'autre puisse, en soi, être considérée comme discriminatoire.

      En ce qui concerne plus particulièrement l'option prise par le législateur dans la loi du 4 septembre 2002, (…) la différence de traitement se fonde sur un critère objectif.

      À la différence de la personne physique, qui reste sujet de droit à l'issue de la déclaration de faillite, la personne morale peut être dissoute. C'est en ce sens que l'article 83 de la loi du 8 août 1997 dispose que 'la décision de clôture des opérations de la faillite d'une personne morale la dissout (...)'.

      Le critère est également pertinent à la lumière des objectifs précités de la mesure d'excusabilité.

      Si une personne physique peut se trouver exclue du circuit économique parce que la charge de ses dettes la dissuade de recommencer une activité commerciale, il n'en est pas de même d'une personne morale puisque, après sa faillite, son fonds de commerce peut faire l'objet d'une cession. Le souci de permettre 'un nouveau départ' peut, sans violer le principe d'égalité, être réservé aux personnes physiques.”

      Ce choix est désormais acquis et nous semble parfaitement adéquat.

      4° Les effets à l'égard du failli

      15.Selon le texte de la loi du 4 septembre 2002, l'excusabilité éteint, sauf exception, les dettes du failli. La notion est claire. Si un paiement est fait, après l'excusabilité, par le débiteur, ce paiement serait un paiement indu [18].

      L'extinction de la dette aurait pu susciter une interprétation extensive. La dette est éteinte, ses accessoires auraient pu suivre son sort… Il n'en fut rien, et la rédaction du texte de la loi du 20 juillet 2005 a mis un terme à tout doute. Nous y reviendrons brièvement plus tard dans cette contribution.

      La loi du 4 septembre 2002 répare une injustice: l'excusabilité est sans effet sur les obligations alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute.

      On aurait pu imaginer que l'excusabilité serait sans effet sur d'autres dettes: les travaux préparatoires révèlent en effet que plusieurs options pouvaient s'envisager. Ainsi, il fut question de laisser au juge le soin d'accorder une mesure d'excusabilité partielle. Cette possibilité a été écartée, heureusement sans doute tant elle aurait pu conduire à une très grande insécurité juridique. Mais il est vrai que la rigueur de la mesure ne permet par contre aucune prise en compte de la situation des créanciers du failli.

      Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que l'excusabilité porte sur les dettes civiles et commerciales existant au jour de la faillite et qu'il importe peu que le créancier ait introduit ou non sa déclaration de créance.

      Excusabilité pour une personne morale, extinction totale des dettes du failli, certains doutes pouvaient subsister. La loi du 20 juillet 2005 va mettre un terme aux dernières interrogations relatives à l'excusabilité.

      C. L'excusabilité du failli à nouveau révisée par la loi du 20 juillet 2005

      16.Avant de formuler quelques commentaires, il convient de mettre en exergue les textes relatifs à l'excusabilité tels qu'ils ont été modifiés par la loi récente.

      L'article 73 est à nouveau modifié pour permettre que, lorsqu'il se prononce sur la clôture pour insuffisance d'actif, le tribunal puisse également statuer sur l'excusabilité du failli et la décharge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli.

      L'article 80 est modifié comme suit: “Sur le rapport du juge commissaire, le failli, les personnes qui ont fait la déclaration visée à l'article 72ter et les créanciers visés à l'article 63 alinéa 2, dûment appelés par pli judiciaire contenant le texte du présent article, le tribunal ordonne la clôture de la faillite, après avoir tranché le cas échéant les contestations relatives au compte et redressé celui-ci s'il y a lieu.

      Le juge commissaire présente au tribunal, en chambre du conseil, la délibération des créanciers relative à l'excusabilité du failli et un rapport sur les circonstances de la faillite. Le curateur et le failli sont entendus en chambre du conseil sur l'excusabilité et sur la clôture de faillite. Sauf circonstances graves spécialement motivées, le tribunal prononce l'excusabilité du failli malheureux et de bonne foi. La décision sur l'excusabilité est susceptible de tierce opposition de la part des créanciers individuellement ….”

      La suite du deuxième alinéa reste identique. Après deux alinéas consacrés à la décharge de la sûreté personnelle, l'alinéa 5 prévoit que: “Six mois après la date du jugement déclaratif de faillite, le failli peut demander au tribunal de statuer sur l'excusabilité. Il est procédé comme prévu à l'alinéa 2.”

      Le dernier alinéa, relatif à la publicité du jugement ordonnant la clôture de faillite et prononçant l'excusabilité, reste inchangé.

      L'article 81 est rétabli dans la rédaction suivante: “la personne morale faillie ne peut pas être déclarée excusable”.

      L'article 82 redevient:

      “Si le failli est déclaré excusable, il ne peut plus être poursuivi par les créanciers.

      Le conjoint du failli qui (s') est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

      L'excusabilité est sans effet sur les obligations alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute.”

      Des dispositions transitoires ont été adoptées dans un article 10 de la loi du 20 juillet 2005. Elles ont conduit la majorité des tribunaux de commerce à postposer tout débat sur la clôture d'une faillite et sur l'excusabilité dans l'attente de l'expiration des délais de transition. Nous n'aborderons pas ces mesures transitoires qui sont venues à expiration, mais elles expliquent aussi le fait que les décisions permettant de lever le voile sur les premières applications de la loi du 20 juillet 2005 ont tardé à être publiées.

      Pour la clarté de l'étude, nous allons aborder successivement chacun des quatre points évoqués dans les chapitres précédents: cette méthode peut certes nuire à l'équilibre du texte, car certains points n'ont subi aucune modification et n'appellent pas de commentaire supplémentaire, mais elle a le mérite de recadrer chaque question dans son évolution chronologique.

      1° Les conditions de fond

      17.Les critères d'octroi sont inchangés par rapport à la loi du 4 septembre 2002. Nous renvoyons le lecteur à notre commentaire ci-dessus.

      2° Les limites à l'excusabilité

      18.Suivant l'enseignement de la Cour d'arbitrage, dans ses arrêts successifs, le législateur a supprimé l'exclusion automatique des faillis ayant été condamnés sur pied de certaines infractions.

      Si la suppression pure et simple rencontre l'objection de la Cour d'arbitrage, elle fait aussi l'impasse totale sur les objectifs poursuivis par le législateur de 1997 qui, en insérant ce type d'exclusion, entendait quand même prémunir les créanciers des auteurs des comportements les plus graves.

      Il n'est pas sûr que les tribunaux pourront intégrer ce risque dans la notion de “failli malheureux et de bonne foi”. Il conviendra en tous cas que le parquet continue à jouer son rôle et ne se dispense pas de la consultation du casier judiciaire du failli. Dans l'hypothèse d'une condamnation, quelle qu'elle soit puisque désormais, il n'y a plus d'exclusion limitative, il veillera à se procurer la copie du jugement de condamnation pour s'assurer que celle-ci n'est pas liée à l'activité économique du failli et ne témoigne pas d'une faute grave et caractérisée dans le chef de celui-ci. Nous songeons par exemple à des condamnations prononcées suite à des infractions au droit pénal social qui pourraient être révélatrices de la mauvaise foi du failli.

      3° Le champ d'application de l'excusabilité

      19.Par sa formulation claire, l'article 81 confirme que les personnes morales ne peuvent être déclarées excusables. Le législateur s'était il est vrai vu conforter dans cette option par l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 30 juin 2004.

      Dans la mesure où la loi de 2005 a scindé l'excusabilité du failli et la décharge des cautions, ce choix du législateur ne semble plus devoir être remis en cause.

      4° Les effets de l'excusabilité à l'égard du failli

      20.La loi du 20 juillet 2005 restaure le texte originaire: le failli excusable ne peut plus être poursuivi par ses créanciers. La dette n'est donc plus éteinte.

      L'excusabilité porte sur toutes les dettes du failli, même privées, mais elle est sans effet sur les obligations alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute.

      21.L'excusabilité porte sur toutes les dettes civiles et commerciales existant au jour de la faillite. Il importe peu que le créancier ait introduit ou non sa déclaration de créance.

      L'excusabilité porte-t-elle sur des dettes, privées ou commerciales, postérieures? Les dettes contractées après le jugement accordant l'excusabilité sont bien évidemment exclues [19]. Mais qu'en est-il des dettes contractées entre le jugement déclaratif de faillite et celui accordant l'excusabilité? Pour la majorité des auteurs [20], ces dettes ne bénéficient pas de l'excusabilité. Selon I. Verougstraete, le principe de cristallisation du passif impose que ce choix soit fait.

      22.D'aucuns ont longtemps déploré l'impact que pouvait avoir la durée de la procédure collective sur la situation financière du failli. C'est pourquoi le législateur a permis de scinder le débat sur l'excusabilité de la clôture de la faillite.

      Désormais, le failli peut demander au tribunal de statuer sur son excusabilité six mois après la date du jugement déclaratif de faillite.

      D'aucuns considèrent que ce délai de six mois est “raisonnable car il est compréhensible que le législateur ait souhaité que le tribunal soit en possession de suffisamment d'éléments d'information pour statuer quant à l'excusabilité, à savoir la détermination des causes de la faillite, le degré de collaboration du failli, la bonne tenue des livres comptables, le respect des obligations légales en général,…” [21].

      Ce double délai nous amène cependant à formuler quelques observations critiques:

        • l'objectif constant du législateur, lorsqu'il a remanié profondément la matière des faillites en 1997, était d'accélérer le traitement des faillites. Dans cette mesure, la possibilité de dissocier le débat sur la clôture de celui sur l'excusabilité devrait être conçue comme une exception puisque, en principe, la clôture doit intervenir dans les plus brefs délais;
        • il n'est en effet pas si bon de dissocier les deux questions: lors de la clôture, le tribunal reçoit une vision globale de la faillite, il en a un aperçu complet, l'ensemble de l'actif et du passif de la faillite est figé. Le fait de distinguer les deux débats constitue une étape supplémentaire dans la mise à l'écart des créanciers dans les questions importantes dans la faillite;
        • en acceptant un débat anticipé sur la faillite, le tribunal court le risque que le failli n'ait plus le même souci de poursuivre une parfaite collaboration avec le curateur. La tâche de celui-ci risque d'en être encore plus complexe et, de ce fait, ralentie.

        En conclusion, nous suggérons que cette dissociation reste, dans les faits, exceptionnelle. Elle doit être limitée aux hypothèses où l'information du tribunal peut être parfaite et où, quoi que la faillite soit virtuellement en voie de clôture, cette clôture ne peut être envisagée à brève échéance pour des raisons objectives, par exemple parce que des procédures judiciaires sont en cours. Il est permis de s'interroger sur le type d'actions que pourrait introduire un créancier “lésé” par une décision anticipée accordant l'excusabilité au failli alors que la poursuite de la liquidation de la faillite révèlerait ensuite des circonstances excluant que le failli soit encore considéré comme malheureux et de bonne foi…

        Le sort du failli semble donc désormais réglé: les conditions d'octroi de l'excusabilité sont acceptées largement, seul le failli personne physique peut bénéficier d'une mesure qui a pour effet de suspendre les poursuites de ses créanciers. En près de dix années, l'excusabilité nouvelle semble s'être bien installée dans le paysage économique et juridique belge et a sans aucun doute suscité un regain d'intérêt pour l'activité économique développée en personne physique.

        Cependant, le sort de la caution du failli reste quant à lui bien indécis.

        Section III. La décharge de la caution du failli

        Entre 1997, où la caution voyait son sort aggravé par l'excusabilité du failli, et 2005, où la décharge de la caution la dissocie du sort du failli, que d'hésitations, que de controverses, quel chemin chaotique…

        A. Les effets de l'excusabilité du failli à l'égard de la caution dans le cadre de la loi du 8 août 1997

        23.Le failli déclaré excusable ne peut plus être poursuivi par ses créanciers. Il ne subsiste donc qu'une obligation naturelle. Mais le texte est clair: la dette ne disparaît pas.

        Ce choix du législateur a eu des conséquences pour les cautions. D'emblée, la doctrine soulignait que le doute n'était pas permis: les cautions ne bénéficiaient pas de l'excusabilité du failli [22]. C'est logique: la caution est un accessoire de la dette principale. Si celle-ci subsiste, et que seules les poursuites individuelles sont suspendues, l'engagement de la caution n'est pas éteint.

        Un auteur éminent [23] avait évoqué l'article 2036 du Code civil selon lequel “La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette. Mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.” Et concluait “Il reste donc peut-être matière à débat, ne serait-ce que sur l'interprétation du silence du législateur.”

        La jurisprudence a toutefois fait une stricte application des principes, et conclut à ce que la caution puisse être actionnée. Ainsi, selon la Cour de cassation [24], l'excusabilité était accordée par le tribunal de commerce pour des raisons tenant à la personne et à la conduite du failli. Elle ne constituait donc pas une exception inhérente à la dette mais une exception purement personnelle au débiteur, au sens de l'article 2036 du Code civil. Par conséquent, la caution ne pouvait s'en prévaloir.

        Le mécanisme était injuste, à un double titre: d'une part, la caution pouvait être actionnée par les créanciers du failli, et d'autre part, il lui était impossible de se retourner ultérieurement contre le failli lorsque, du fait de son paiement, elle se retrouve subrogée dans les droits des créanciers.

        La nécessite de revoir la situation s'est très vite faite sentir.

        B. La décharge de la caution de bienfaisance prévue par la loi du 4 septembre 2002

        24.Il n'est pas faux de prétendre que le législateur de 2002 a focalisé son attention sur le sort des cautions, puisqu'il modifie le texte de l'article 82 dans les termes suivants: “L'excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues cautions de ses obligations.”

        Il faut souligner d'emblée que le texte parle désormais d'excusabilité pour le failli et de décharge pour les cautions. Le vocable est acquis et fut repris dans la loi du 20 juillet 2005.

        1° Observation préalable

        25.Nous passerons en revue les interrogations les plus communément répandues, dans la mesure où elles nous éclairent sur la modification intervenue en 2005.

        Cependant, elles auraient perdu toute leur pertinence si l'on avait adopté une autre lecture de l'article 82. En effet, le texte de l'article 82 est clair: l'excusabilité éteint la dette du failli. La disparition de la dette aurait-t-elle pu produire des effets pour les cautions, accessoires de la dette?

        L'incidence sur le sort des cautions aurait été naturelle: la caution personnelle constitue un engagement accessoire à la dette principale. Si la dette principale disparaît, l'engagement accessoire pourrait suivre le même sort.

        Nous avons déjà indiqué que, pour la Cour de cassation [25], l'excusabilité telle qu'elle était conçue en 1997 était une exception personnelle au débiteur, et donc que la caution ne pouvait l'opposer au créancier. Le texte de l'arrêt démontre cependant que la Cour a pris en compte dans son raisonnement le fait que seules les poursuites étaient suspendues, et donc qu'il n'y avait pas d'extinction de la dette. Cette jurisprudence aurait peut-être pu évoluer compte tenu de la rédaction du texte telle que proposée par la loi du 4 septembre 2002. Puisque selon ce texte “l'excusabilité entraîne l'extinction de la dette”, ne peut-on raisonnablement parler d'une dette inhérente à la dette?

        Ce serait donc de façon apparemment paradoxale que le législateur de 2002 a réservé un sort différent à la caution personnelle.

        Nous avons dès lors repris les travaux préparatoires préalables à l'adoption de la loi de 2002. Et cette lecture n'a fait que renforcer notre perplexité. A priori, il semble bien que l'on ait voulu réserver l'extinction de la dette au seul failli excusé, et c'est logique. Cependant, dans son rapport, on peut lire que “le premier principe, à savoir celui selon lequel l'excusabilité éteint les dettes du failli est maintenu. Cela signifie que l'extinction de l'engagement principal emporte en principe l'extinction de la caution. Par dérogation au caractère subordonné de la caution, les personnes qui, à tire professionnel, se sont rendues caution d'une obligation du failli ne sont pas déchargées de leur obligation par l'effet de l'excusabilité qui éteint l'obligation principale pour laquelle elles se sont portées caution” [26].

        Ainsi donc, les effets généraux de l'extinction de la dette étaient-ils bien perçus et seul le sort des cautions professionnelles devait être conçu différemment. Si telle était l'intention du législateur, pourquoi avoir rédigé le texte tel quel, semant le trouble sur les effets éventuels de l'excusabilité sur les accessoires de la dette du failli?

        Il n'y a pas eu, à notre connaissance, de jurisprudence fondamentale sur ce point. Un auteur éminent la suscitait pourtant: “Le texte est incohérent, en ce sens que les cautions, quelles qu'elles soient, devraient être déchargées dès la clôture de la faillite, puisque la dette est éteinte selon les termes de la loi. En soi, cette solution s'impose si le législateur considère que la caution est l'accessoire de la dette. Ce n'était pas le but du législateur qui ne voulait la décharge des cautions que dans les cas de la caution de bienfaisance, mais le texte est tel qu'il est. Il faudra attendre sans doute une nouvelle loi ou des arrêts de cassation pour en préciser la portée” [27].

        Il faut d'ailleurs observer que, lorsqu'elle se penche sur le sort des cautions et des conjoints dans son arrêt du 12 mai 2004, la Cour d'arbitrage prend la peine de préciser dans son considérant B.6. que “La Cour examine l'article 82 dans l'interprétation des juges a quo selon laquelle la déclaration d'excusabilité a pour effet que les dettes ne s'éteignent que dans le chef du failli, de certaines cautions et de certains codébiteurs.”

        Ainsi donc, une autre lecture était imaginable…

        La doctrine majoritaire n'a pas suivi cette interprétation [28].

        Il faut dire que cette interprétation enlève tout sens aux autres interrogations sur le sort des cautions à titre personnel et qui ont conduit à la saisine de la Cour d'arbitrage et, ensuite, à la réforme de la loi. Nous les passerons brièvement en revue dans la mesure où elles sont le reflet d'une doctrine et d'une jurisprudence majoritaires et surtout parce que ces questions ont indéniablement pesé sur les choix du législateur de 2005.

        2° Le sort des cautions de bienfaisance

        26.La première question tient à l'acception qu'il faut donner aux termes “caution à titre gratuit”.

        Cette notion entend distinguer la caution personnelle de la caution dite professionnelle. Ainsi, il est certain que le banquier rémunéré pour émettre sa garantie n'est pas concerné par la décharge.

        Les travaux préparatoires de l'époque précisaient ainsi: “Il y a lieu de faire la distinction entre les cautions professionnelles, lesquelles se sont engagées moyennant rémunération à pallier à la défaillance du débiteur principal et dont on doit s'attendre à ce qu'elles respectent leurs obligations, et celles qui sont constituées par des particuliers pour des motifs de bienfaisance, sans parfois mesurer toutes les conséquences de leur décision. La position négative des créanciers à l'égard de l'excusabilité de leur débiteur ne sera pas renforcée dès lors qu'ils conservent l'avantage de la caution rémunérée.” [29].

        D'aucuns considèrent que la simple absence de rémunération suffit à emporter la décharge [30].

        D'autres auteurs soulignent cette interprétation: “les administrateurs qui ont cautionné leur société constitueront un bon test. S'ils l'ont fait pour préserver leur source de revenus mais sans recevoir de rémunération en contrepartie, la caution sera encore censée gratuite”. Et de conclure “les institutions de crédit feront alors appel à d'autres techniques telles les garanties abstraites ou les obligations solidaires” [31].

        Certaines juridictions ont considéré que le gérant d'une société ne s'était pas engagé à titre gratuit, considérant qu'en choisissant une activité en société, il n'avait engagé qu'un patrimoine limité et qu'il ne sera tenu que dans les limites de son cautionnement [32].

        C'est finalement la Cour d'arbitrage qui précisera la notion: “la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, direct ou indirect, que la caution peut obtenir grâce au cautionnement”  [33].

        27.La caution à titre gratuit ne bénéficie de l'excusabilité qu'à partir de l'extinction de la dette.

        Si le créancier a agi à l'égard de la caution et a obtenu paiement avant la clôture de la faillite, le créancier ne subira pas les effets de l'excusabilité.

        Par contre, la caution actionnée les subira de plein fouet. C'est ainsi que l'on a vu se développer ce que l'on nomme “la course à la caution”, le créancier actionnant au plus vite la caution de son débiteur déclaré en faillite, tandis que celle-ci tentait, par tous les moyens, de ralentir les procédures pour se soustraire au paiement.

        Comme il fallait s'y attendre, cette pratique a conduit à une nouvelle saisine de la Cour d'arbitrage, fondée sur l'éventuelle discrimination qui existe entre le failli qui bénéficie dès le jugement déclaratif de faillite de la suspension des voies d'exécutions, alors que la caution personnelle n'en profitait pas. L'arrêt de la Cour d'arbitrage du 27 avril 2005 [34] a conclu à cette discrimination, tant à l'égard de la caution que du conjoint du failli, dans la mesure où ils ne bénéficiaient pas de la suspension des voies d'exécution.

        Cette jurisprudence est critiquée par Fr. T'Kint et W. D­erijcke qui soulignent que la Cour d'arbitrage perd de vue que la procédure de faillite est en elle-même une grande procédure d'exécution [35].

        28.Une troisième question concerne la discrimination éventuelle existant entre la sûreté personnelle et la sûreté réelle.

        La Cour d'arbitrage s'est prononcée dans un arrêt du 25 janvier 2006 [36]. Selon cet arrêt, rendu au sujet de l'article 82 tel qu'il était modifié par la loi du 4 septembre 2002, “lorsque, spécialement en matière économique, le législateur estime devoir sacrifier l'intérêt de créanciers au profit de certaines catégories de débiteurs, cette mesure s'inscrit dans l'ensemble de la politique économique qu'il entend poursuivre. La Cour ne pourrait censurer les différences de traitement qui découlent des choix qu'il a fait que si ceux-ci étaient manifestement déraisonnables. La différence de traitement critiquée repose sur un critère objectif: la personne qui donne un immeuble en garantie ne risque de perdre que ce bien”. La Cour souligne en outre les exigences formelles de ce type d'engagement susceptibles, selon elle, de prévenir le risque pour les personnes qui s'engagent.

        Il reste que cette disposition constituera un frein certain dans l'accès au crédit: il est probable, compte tenu de l'évolution de la législation, que les institutions de crédit veilleront désormais à consentir des prêts aux personnes capables d'apporter en garantie une sûreté réelle.

        29.La dernière interrogation concerne la discrimination qui pouvait surgir entre la caution personnelle, à titre gratuit, d'une personne physique et la caution personnelle, à titre gratuit, d'une personne morale.

        Dans les faits, il faut souvent observer que, dans les petites et moyennes structures, ce sont les gérants ou des proches ou membres de la famille de celui-ci qui ont cautionné les engagements de la société. Ces personnes ne subissent-elles pas une discrimination par rapport à la caution du petit commerçant, personne physique, puisque la personne morale était exclue du champ d'application de l'excusabilité?

        La Cour d'arbitrage a été saisie de cette question.

        Elle s'est prononcée dans un arrêt du 30 juin 2004 [37] qui a laissé de nombreux observateurs perplexes, fut-ce parce qu'il maintenait à titre transitoire l'article 82 jusqu'au 31 juillet 2005 alors même qu'il en annulait la disposition jugée discriminatoire...

        La Cour d'arbitrage rappelle d'une part qu'il n'y a pas de violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'excusabilité ne peut être accordée à une personne morale, ce choix reposant sur des critères objectifs. Nous l'avons déjà évoqué.

        Par contre, elle stigmatise la discrimination résultant de la possibilité de décharger la caution d'une personne physique déclarée excusable alors que cette possibilité n'existe pas pour les cautions de personnes morales. La Cour d'arbitrage indique ainsi que “Si, au cours des débats qui ont précédé le vote de la loi du 4 septembre 2002, l'extension de l'excusabilité au bénéfice de la caution à titre gratuit a été critiquée soit dans son principe, soit parce qu'elle risquait de devenir automatique (Doc. parl. Chambre, Doc. 50-1132/013, p. 96), aucune justification n'a été donnée de la différence de traitement qui allait découler, en ce qui concerne ces cautions, de l'adoption de l'article 81, 1°. Pourtant, les personnes qui ont donné leur caution à titre gratuit au bénéfice d'un parent exerçant le commerce sous la forme d'une société se trouvent, en cette qualité, dans une situation qui n'est pas essentiellement différente de celle des parents - d'un failli personne physique (c'est nous qui rectifions). Leur situation est même plus mauvaise que celle des cautions d'une personne physique non excusée puisque, la faillite de la personne morale entraînant désormais sa dissolution, la caution qu'il a payé ne pourra jamais exercer l'action subrogatoire prévue par l'article 2028 du Code civil.”

        C'est pourquoi la Cour d'arbitrage conclut, s'agissant de la caution des personnes morales: “Bien qu'en lui-même l'article 81, 1°, ne soit pas discriminatoire, ainsi qu'il a été dit en B.4.8., il n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il a pour effet, sans justification raisonnable, que la caution à titre gratuit d'une personne morale faillie ne peut jamais être déchargée de son engagement alors que la caution à titre gratuit d'une personne physique faillie est automatiquement déchargée si le failli est déclaré excusable.”

        Dans la foulée, la Cour d'arbitrage invite le législateur à une réflexion approfondie sur les enjeux de l'excusabilité, de la libération des conjoints et de la décharge des cautions:

        “Le failli est, par hypothèse, une personne qui a exercé le commerce et qu'il ne faut pas dissuader de reprendre une activité commerciale. Il doit en plus être malheureux et de bonne foi, ce qui permet au tribunal d'examiner la manière dont il a exercé son commerce. Enfin, la faculté est donnée au tribunal de refuser l'excusabilité si des circonstances graves font obstacle à ce qu'elle soit accordée.

        La caution à titre gratuit est, au contraire, une personne qui n'est pas considérée comme agissant en qualité de commerçant et pour laquelle le souci de permettre la reprise d'une activité commerciale est généralement absent. Elle se voit pourtant, dans tous les cas où le failli est excusé, dégagée de son engagement, quelle que soit sa situation de fortune, les conditions de malheur et de bonne foi n'étant pas exigées en ce qui la concerne.

        En étendant automatiquement à la caution à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité qui n'est accordée qu'à certaines conditions au failli, le législateur est allé au-delà de ce qu'exigeait le principe d'égalité. Il a imposé aux créanciers un sacrifice qui n'est pas raisonnablement proportionné au but qu'il poursuit.

        En outre, en excluant les personnes morales du bénéfice de l'excusabilité, le législateur a introduit un second automatisme qui aboutit à créer une discrimination parmi les cautions à titre gratuit.”

        30.La Cour d'arbitrage suggère au législateur une réflexion approfondie sur la portée économique de ses options.

        Nous l'avons déjà relevé: les effets très larges de l'excusabilité sont extrêmement généreux pour le failli et les intérêts des créanciers ne semblent pas avoir pesé bien lourd dans la balance, même si ce choix du législateur était parfaitement justifié selon la Cour d'arbitrage [38].

        Le débat sur les cautions, s'il est compréhensible de leur point de vue, a cependant précipité le législateur dans une voie qui conduit à restreindre encore les droits des créanciers. L'invitation à un débat de fond était claire, et la Cour d'arbitrage avait laissé une année au législateur pour le mener.

        C. La décharge de la sûreté personnelle prévue par la loi du 20 juillet 2005

        Il n'est pas faux de dire que la loi du 20 juillet 2005 a pour unique objet de remédier aux vides juridiques résultant des divers arrêts de la cour constitutionnelle. Nous allons épingler brièvement les textes modifiés.

        1° Les textes

        31.Un article 24bis est inséré dans la loi sur les faillites. Il stipule que: “A compter du même jugement - c'est-à-dire le jugement déclaratif de faillite - sont suspendues jusqu'à la clôture de la faillite les voies d'exécution à charge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli.”

        L'article 63, relatif aux déclarations de créances, se voit complété par un deuxième alinéa: “Tout créancier jouissant d'une sûreté personnelle l'énonce dans sa déclaration de créance ou, au plus tard, dans les six mois de la date du jugement déclaratif de faillite, sauf si la faillite est clôturée plus tôt, et mentionne les nom, prénom et adresse de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli, faute de quoi cette personne est déchargée.”

        Un chapitre distinct est inséré dans la loi sur les faillites, relatif à la déclaration des personnes qui se sont constituées sûreté personnelle du failli. Il comprend un article 72bis: “Pour bénéficier de la décharge, les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont constituées sûreté personnelle du failli sont tenues de déposer au greffe du tribunal de commerce une déclaration attestant que leur obligation est disproportionnée à leurs revenus et à leur patrimoine. À cette fin, les personnes sont averties par la publication au Moniteur belge et par une lettre recommandée avec accusé de réception que les curateurs leur adressent aussitôt que ces personnes sont connues, contenant le texte du présent article et celui des articles 72ter et 80.”

        L'article 72ter poursuit “La déclaration de chaque personne mentionne son identité, sa profession et son domicile. La personne joint à sa déclaration:

        1° la copie de sa dernière déclaration à l'IPP;

        2° le relevé de l'ensemble des éléments actifs ou passifs qui composent son patrimoine;

        3° toute autre pièce de nature à établir avec précision l'état de ses ressources et les charges qui sont les siennes.

        Elle est versée au dossier de la faillite.”

        L'article 73 est modifié pour permettre que, lorsqu'il se prononce sur la clôture pour insuffisance d'actif, le tribunal puisse également statuer sur l'excusabilité du failli et la décharge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli.

        L'article 80 est modifié comme suit: “Sur le rapport du juge commissaire, le failli, les personnes qui ont fait la déclaration visée à l'article 72ter et les créanciers visés à l'article 63 alinéa 2, dûment appelés par pli judiciaire contenant le texte du présent article, le tribunal ordonne la clôture de la faillite, après avoir tranché le cas échéant les contestations relatives au compte et redressé celui-ci s'il y a lieu.

        Le juge commissaire présente au tribunal, en chambre du conseil, la délibération des créanciers relative à l'excusabilité du failli et un rapport sur les circonstances de la faillite. Le curateur et le failli sont entendus en chambre du conseil sur l'excusabilité et sur la clôture de faillite. Sauf circonstances graves spécialement motivées, le tribunal prononce l'excusabilité du failli malheureux et de bonne foi. La décision sur l'excusabilité est susceptible de tierce opposition de la part des créanciers individuellement…”

        La suite du deuxième alinéa reste identique. Est ensuite inséré un troisième alinéa:

        “Le failli, les personnes qui ont fait la déclaration visée à l'article 72ter et les créanciers visés à l'article 63 alinéa 2, sont entendus en chambre du conseil sur la décharge. Sauf lorsqu'elle a frauduleusement organisé son insolvabilité, le tribunal décharge en tout ou partie la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli lorsqu'il constate que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine.

        Si plus de douze mois se sont écoulés depuis la déclaration visées à l'article 72ter, la personne qui a effectué celle-ci dépose au greffe du tribunal de commerce une copie de sa plus récente déclaration à l'IPP, un relevé à jour de l'ensemble des éléments actifs ou passifs qui composent son patrimoine et toute autre pièce de nature à établir avec précision l'état de ses ressources et les charges qui sont les siennes.

        Six mois après la date du jugement déclaratif de faillite, le failli peut demander au tribunal de statuer sur l'excusabilité. Il est procédé comme prévu à l'alinéa 2.

        Les créanciers visés à l'article 63 alinéa 2, et les personnes qui ont fait la déclaration visées à l'article 72ter peuvent, six mois après la date du jugement déclaratif de faillite, demander au tribunal de statuer sur la décharge de ces dernières. Il est procédé comme prévu aux alinéas 3 et 4.”

        Le dernier alinéa, relatif à la publicité du jugement ordonnant la clôture de faillite et prononçant l'excusabilité, reste inchangé. Par conséquent, dans l'hypothèse où la question de la décharge de la sûreté personnelle serait évoquée préalablement à la clôture et distinctement de la question de l'excusabilité du failli, il semble qu'il ne connaisse pas de formalité de publicité particulière. Concernant l'appréciation des délais de recours, ils seront réglés par le droit commun puisque le créancier et la caution sont deux parties à la procédure.

        Le législateur a donc posé un choix de principe: désormais, le sort de la sûreté personnelle est distinct de celui du failli. Les nouvelles dispositions sont complexes et d'une rare illisibilité. Nous allons examiner le régime des cautions en décrivant le champ d'application de la mesure, les conditions de forme, le moment du débat, les conditions de fond et l'effet de la décharge.

        2° La notion de “sûreté personnelle à titre gratuit”

        32.Le champ d'application de la mesure a été considérablement élargi puisque désormais les sûretés personnelles de tous les faillis, qu'ils soient personnes physiques ou sociétés commerciales, peuvent demander un débat sur la décharge. Il convenait de répondre à l'objection soulevée par la Cour d'arbitrage dans son arrêt du 30 juin 2004 déjà évoqué, qui jugeait discriminatoire la différence de traitement existant entre la caution d'un failli personne physique et la caution d'une personne morale. Nous en avons déjà parlé.

        33.Il semble que l'élargissement considérable de la mesure a amené certains à s'interroger sur la compétence du tribunal de commerce qui deviendrait “LE juge de la caution” et pourrait connaître de questions relatives à l'existence même de la caution, de sa validité, des montants garantis.

        Selon nous, il faut relativiser les choses: le tribunal de commerce n'est “juge de la caution” que dans la mesure où il doit se prononcer sur la décharge de celle-ci. Il n'a pas à connaître de litiges sur le montant de la dette, sur le fondement des poursuites entamées contre la caution, sur des saisies pratiquées par les créanciers, etc. et qui relèvent de la compétence naturelle du juge du fond.

        Une question récurrente consiste dès lors à savoir lequel, du tribunal de première instance ou du tribunal de commerce, doit se prononcer en premier lieu. La pratique révèle en effet que les parties ont tendance à demander au juge du fond de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur la décharge éventuelle de la caution. À l'appui de cette thèse, les parties invoquent une économie de la procédure et soutiennent qu'il est inutile de débattre du fond si, in fine, la caution est déchargée par le tribunal de commerce.

        Nous ne partageons pas ce point de vue et pensons que la procédure au fond doit se poursuivre. D'une part, si le tribunal de commerce refuse la décharge, au motif par exemple que la caution a été constituée à titre onéreux, le juge du fond devra quand même se prononcer et les parties n'auront pas gagné le temps escompté. D'autre part, et plus fondamentalement, le tribunal de commerce doit examiner si l'obligation de la sûreté personnelle est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine, ce qui suppose que la validité de l'obligation et la hauteur de celle-ci soient définitivement connues.

        34.Le texte exclut donc les sûretés réelles, telles que le tiers affectant hypothécaire ou le tiers qui a affecté un bien en garantie. La même observation vaut pour le tiers gagiste.

        Si des personnes physiques ont apporté ce type de garantie réelle à la dette du failli, elles ne pourront pas demander de débat sur leur décharge éventuelle, selon la nouvelle loi, peu importe qu'elles aient garanti le failli à titre gratuit et que leurs obligations soient disproportionnées à leurs revenus et à leur patrimoine.

        Un débat sur une discrimination éventuelle a déjà commencé, d'autant que la Cour d'arbitrage avait eu à connaître de questions similaires posées dans le cadre de l'article 82 “version 2002” et s'était prononcée dans un arrêt du 25 janvier 2006 [39].

        Certains auteurs croient voir dans la rédaction nouvelle de la loi la confirmation de l'absence de discrimination [40].

        Certes, la nature de l'engagement et surtout, “l'assiette” sur laquelle le créancier pourra récupérer son paiement diffèrent. Mais la réalité de la vie commerciale atteste du fait que les circonstances de l'engagement sont parfois identiques: il ne faut pas oublier en effet que, dans les faits, ce seront souvent les parents du jeune entrepreneur qui, au lieu de s'engager en qualité de caution, apporteront leur immeuble en garantie à la demande d'un organisme bancaire.

        C'est pourquoi d'aucuns considèrent à l'inverse qu'en instaurant un régime conditionnel à la sûreté personnelle, “il ne dépend que de la volonté du législateur de soumettre la sûreté réelle au même régime de décharge. Il est douteux que son abstention de le faire soit fondée sur un critère objectif et raisonnable qui s'oppose à ce que le juge apprécie, comme pour la sûreté personnelle, la disproportion de l'engagement d'une sûreté réelle” [41].

        Ainsi donc le débat n'est-il peut-être pas clos, même si l'on peut douter d'un revirement de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage.

        Nous l'avons déjà écrit: ce choix va indéniablement constituer un frein dans l'accès au crédit puisque les organismes de crédit chercheront désormais garantir leur prêt par des garanties réelles. Et un grand nombre de jeunes entrepreneurs ne seront pas capables d'y faire face. Il ne semble pas que le législateur ait vraiment intégré ce risque économique...

        35.Dans l'appréciation du champ d'application de la mesure, la question récurrente est la suivante: qu'entend-on par “sûreté personnelle”?

        Le texte de l'article 72bis est clair: ce sont les personnes physiques qui se sont constituées sûreté personnelle du failli. Le texte ne vise que la sûreté personnelle, personne physique, à l'exclusion de toute personne morale, se fut-elle constituée sûreté personnelle à titre gratuit. Certes, cette hypothèse paraît relever du cas d'école, même s'il n'est pas inconcevable qu'un administrateur engage en qualité de sûreté personnelle une autre entité juridique dont il serait l'administrateur, sans que cette dernière en retire un quelconque avantage.

        36.Il faut un acte de la volonté de la personne physique, puisque la personne physique doit s'être constituée sûreté personnelle. L'engagement doit donc résulter de l'effet de sa volonté, les travaux préparatoires sont clairs.

        N'est donc pas visé par le texte le coobligé par l'effet indirect d'une loi.

        Par contre le texte de la loi vise entre autres les garanties indépendantes [42].

        37.L'hypothèse du codébiteur solidaire, qui a contracté une dette qui lui est propre, est loin d'être certaine.

        La Cour d'arbitrage a déjà eu l'occasion de souligner que, dans ce cas, la dette lui est personnelle et qu'il ne peut être question de lui faire bénéficier d'une mesure d'excusabilité sans restreindre de manière disproportionnée les droits des créanciers [43].

        Mais les travaux préparatoires relèvent qu'une telle personne a pu s'engager en qualité de sûreté personnelle. Le texte ne limite en effet plus son application à l'hypothèse de la caution. Selon les travaux préparatoires, il pourrait s'agir de “toute personne qui, par l'effet de sa volonté, est obligée à la dette du failli, alors même qu'elle n'a pas un intérêt personnel au paiement de celle-ci: c'est-à-dire notamment la caution, mais encore le codébiteur qui agit en qualité de sûreté personnelle” [44].

        La doctrine abonde en ce sens. Fr. T'Kint et W. Derijcke évoquent “toutes les constructions, fondées sur la solidarité qui auraient pour but ou pour effet d'amener une personne physique à se constituer, à titre gratuit, sûreté personnelle du failli” [45].

        Il pourrait s'agir de l'administrateur ou gérant d'une société qui a souscrit un prêt à ce titre alors que les fonds sont destinés à la personne morale. L'on songe également aux parents qui s'engageraient solidairement avec le failli pour l'apurement d'une de ses dettes commerciales.

        38.Fr. T'Kint et W. Derijcke excluent sans aucun doute l'aval cambiaire, qu'il serait artificiel selon eux de réduire à une sûreté au sens civil du terme.

        Certes, le mécanisme cambiaire est fondamentalement différent de celui d'une caution. Alors que celle-ci est un accessoire de la dette principale, la vocation du mécanisme cambiaire tend à désincarner la dette de son rapport originaire.

        Cependant, il faut bien constater d'une part que la loi du 20 juillet 2005 n'évoque plus la caution personnelle de bienfaisance, mais la sûreté personnelle à titre gratuit, ce qui revêt une acception plus large.

        En outre, la Cour de cassation a atténué la rigueur cambiaire dans un arrêt du 30 septembre 1977 [46] selon lequel “l'engagement du tiré accepteur, tout comme celui des signataires d'une lettre de change, a un caractère abstrait et est indépendant des rapports extra-cambiaires préexistants; toutefois, entre les parties cambiaires directement impliquées, comme le tiré accepteur et le tireur, tous les moyens de défense tirés de leurs rapports sous-jacents restent opposables”.

        Il n'est pas inconcevable de penser qu'une personne physique se soit engagée en qualité d'aval dans une lettre de change émise par un failli au profit d'un de ses créanciers, et que cet engagement, à titre gratuit, soit disproportionné aux revenus et au patrimoine de l'aval.

        Entre les parties cambiaires directement impliquées, l'aval cambiaire ne bénéficie a priori pas de la possibilité de débattre d'une décharge totale ou partielle de la dette. Dans les faits, sa situation sera cependant fort proche de celle d'une sûreté personnelle: ne risque-t-on pas d'y voir une discrimination? Il n'est pas exclu que la Cour d'arbitrage soit un jour interrogée.

        39.La sûreté personnelle doit s'être constituée “à titre gratuit”, ce qui laisse intact le débat sur la portée de ces termes “à titre gratuit” qui s'était noué sous l'empire de la loi de 2002.

        Or, le législateur avait été expressément invité à définir cette notion “de caution de bienfaisance”, pour davantage de sécurité juridique [47].

        Ainsi, d'aucuns soulignaient qu'il serait préférable que cette notion soit fixée légalement. La ministre leur a répondu “que la sûreté personnelle à titre gratuit n'est effectivement pas définie dans le projet. Il en résulte que la définition générale du Code civil s'applique, définition au terme de laquelle le contrat à titre gratuit n'est pas synallagmatique (ou bilatéral).”

        Le peu de débats nourris sur ce sujet au cours des travaux préparatoires est d'autant plus extraordinaire que ces mêmes parlementaires avaient évoqué la loi sur les faillites quelques mois plus tôt, lors des travaux préalables à l'adoption de la loi du 2 février 2005. Et l'on trouve dans les documents relatant ces travaux préparatoires certaines informations sur ce qu'est ou pourrait être la caution “à titre gratuit” [48].

        Les premières décisions commencent à préciser les contours de cette notion. À notre connaissance, elles se réfèrent pour l'essentiel à la définition de la Cour d'arbitrage donnée dans son arrêt du 30 juin 2004: “la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, tant direct qu'indirect, que la caution peut obtenir grâce à un cautionnement” [49].

        La Cour d'arbitrage avait, il est vrai, précisé la portée de son appréciation en rajoutant que “le critère est pertinent à la lumière des objectifs du législateur. En libérant de leurs obligations les seules personnes qui ne poursuivent aucun avantage économique par le biais de leur caution, le législateur a entendu protéger la catégorie des cautions la plus désintéressée et la plus vulnérable”.

        Nous pouvons examiner cette définition dans les applications qui suivent.

        40.La première hypothèse concerne le gérant ou administrateur de la société faillie qui est, par ailleurs, engagé en qualité de sûreté personnelle pour la société.

        Le cas est évidemment fréquent. Les premières décisions prononcées vont dans le même sens: le gérant ou l'administrateur d'une société n'est pas considéré comme une sûreté personnelle “à titre gratuit” puisqu'il bénéficie de revenus directs ou indirects de la société. Une jurisprudence abondante concerne le gérant rémunéré par la société [50]. La doctrine rejoint ce point de vue et souligne que le gérant “connaît nécessairement les risques qu'implique son engagement personnel aux côtés de sa société et en tire ses revenus” [51].

        Une certaine jurisprudence va plus loin, et considère que même si le gérant n'a pas bénéficié de revenus, il a eu l'espoir d'en retirer et cet avantage potentiel suffit à exclure le caractère gratuit de son engagement [52]. Faut-il admettre ce point de vue ou retenir au contraire que l'avantage, direct ou indirect, doit être concret: admettre que l'avantage peut être simplement “potentiel” ou “espéré” revient à rejeter automatiquement et sans possibilité de nuance toute demande de décharge introduite par un gérant ou un administrateur…

        41.Certains vont plus loin, se fondant sur le critère de l'avantage “potentiel” direct ou indirect: l'actionnaire d'une société ne pourrait être considéré comme caution à titre gratuit s'il s'était engagé en cette qualité pour cette société, quand bien même l'activité de celle-ci n'aurait-elle généré aucun dividende [53]. Faut-il analyser cette question avec automaticité ou convient-il que le juge soit, dans tous les cas, attentif aux circonstances de l'engagement?

        42.La question fut même posée au sujet du conjoint du gérant ou de l'administrateur de la société. Ce conjoint, engagé en qualité de caution, pouvait-il être considéré comme une personne désintéressée dès lors qu'il espère “potentiellement” que l'activité générera un revenu susceptible d'alimenter le patrimoine commun. Le tribunal de commerce de Termonde a tranché dans ce sens. Nous ne partageons pas nécessairement ce point de vue [54].

        43.Les exemples énoncés ci-avant posent la question du pouvoir d'appréciation des juridictions de fond. La jurisprudence citée tend à conclure automatiquement que le gérant, l'administrateur, l'actionnaire sont ipso facto considérés comme des sûretés onéreuses. Cette appréciation pose la question du moment où il faut apprécier le caractère “gratuit ou non” de la sûreté personnelle: est-ce au moment de l'engagement en qualité de caution que celle-ci doit être désintéressée ou au moment où le tribunal de commerce se prononce sur sa décharge? La jurisprudence évoquée plus haut tend à démontrer que cette appréciation se fait au moment de l'engagement en qualité de caution, puisque l'espoir de retirer un avantage direct ou indirect de l'activité s'apprécie à ce moment-là. L'avantage potentiel, direct ou indirect, constituerait le critère de référence. Cela paraît logique dans le principe.

        Le tribunal de commerce de Liège s'était ému de l'automaticité de ce lien entre le gérant ou l'administrateur de la société et le caractère onéreux de l'engagement. Il s'interrogeait notamment sur la discrimination éventuelle qui pouvait exister entre celui-ci et le failli, personne physique, qui bénéficie quant à lui des règles en matière d'excusabilité. Par un jugement prononcé le 12 juin 2006, il interroge la Cour d'arbitrage comme suit: “Les articles 72bis, 72ter et 80 de la loi du 8 août 1997, tels que modifiés (…) par la loi du 20 juillet 2005… violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution (…) en ce que, interprétés dans le sens qu'une personne, gérant, actionnaire, administrateur d'une société commerciale qui s'est porté sûreté personnelle des engagements de cette dernière ne serait pas une sûreté à titre gratuit et ne pourrait pas bénéficier de la décharge de ses engagements alors que le failli personne physique se trouvant dans la même situation patrimoniale et de revenus, tant avant qu'après la faillite, bénéficierait quant à lui en principe de l'excusabilité le libérant des poursuites des créanciers?” [55].

        Si nous partagions la préoccupation exprimée, il ne nous paraissait pas acquis que la question posée soit pertinente. En effet, le texte légal n'exclut pas le gérant, l'administrateur ou l'actionnaire de la qualité de sûreté personnelle à titre gratuit et peut-être est-ce l'automaticité observée dans la jurisprudence précitée qui doit être dénoncée. Peut-être faut-il laisser la porte ouverte au débat individuel, dans certaines circonstances exceptionnelles.

        44.C'est en ce sens que l'on peut comprendre selon nous l'arrêt du 29 novembre 2006 de la Cour d'arbitrage [56] qui rappelle que c'est au juge du fond “qu'il appartient d'apprécier si la personne qui demande à bénéficier de l'article 80 alinéa 3 de la loi sur les faillites est une caution à titre gratuit au sens de ces dispositions”. Le pouvoir d'appréciation du juge du fond nous paraît rappelé, ce qui exclut tout automatisme.

        Par contre, la Cour d'arbitrage conclut que quelle que soit la réponse que donne le juge du fond à cette question, la caution à titre onéreux ne peut pas être utilement comparée au failli.

        La Cour d'arbitrage rappelle que le failli qui est en état de cessation de paiement, se trouve dans une situation de concours et que le législateur lui a accordé la faveur de pouvoir reprendre ses affaires sur une base assainie. À l'inverse, le gérant, l'administrateur ou l'actionnaire d'une société commerciale n'est pas nécessairement en situation de concours. La Cour d'arbitrage précise que s'ils devaient cesser leurs paiements, deux situations sont possibles: soit ils sont commerçants à titre personnel, et ils peuvent être déclarés en faillite et bénéficieront d'une mesure d'excusabilité aux mêmes conditions, soit ils n'ont pas la qualité de commerçant et ils pourront obtenir un règlement collectif de dettes.

        La réponse de la Cour d'arbitrage était prévisible sur le plan des principes. Elle n'enlèvera pas aux praticiens un certain malaise à voir coexister un régime d'excusabilité extrêmement favorable au failli et un régime de décharge soumis à des conditions plus strictes, surtout dans l'état actuel de la jurisprudence.

        3° Les conditions de forme

        45.Pour pouvoir engager un débat sur la décharge, la personne physique qui s'est constituée sûreté personnelle doit déposer au greffe du tribunal de commerce une déclaration attestant que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine.

        L'information de ces personnes est prévue à l'article 72bis, qui prévoit une double information: par la publication au Moniteur belge et par une lettre recommandée avec accusé de réception.

        La responsabilité qui pèse sur les curateurs est lourde, sur un plan administratif d'abord (la publication du jugement déclaratif de faillite au Moniteur belge et la publication dans deux journaux périodiques ne pouvaient-elles suffire?), mais aussi quant aux conséquences qui pourraient leur être imputées dans l'hypothèse où une sûreté personnelle n'aurait pu demander un débat sur la décharge faute d'avoir bénéficié de cet avertissement. Certains se sont déjà exprimés, et concluent à une obligation de moyen dans le chef des curateurs [57].

        Était-ce en outre nécessaire, alors que l'on sait que les documents joints à l'aveu de faillite sont souvent incomplets voire inexacts et que le législateur a par ailleurs, et logiquement, mis une obligation de déclaration à charge du créancier bénéficiaire de la sûreté personnelle, sans toutefois lui imposer de se charger de l'avertissement de sa sûreté personnelle?

        46.Le contenu de la déclaration est décrit à l'article 72ter: “La déclaration de chaque personne mentionne son identité, sa profession et son domicile. La personne joint à sa déclaration:

        1° la copie de sa dernière déclaration à l'IPP;

        2° le relevé de l'ensemble des éléments actifs ou passifs qui composent son patrimoine;

        3° toute autre pièce de nature à établir avec précision l'état de ses ressources et les charges qui sont les siennes.”

        Nous regrettons certaines incohérences du texte, qui désigne spécialement des pièces telles que la copie de la dernière déclaration à l'IPP, alors qu'il eut paru judicieux d'exiger aussi le dépôt du dernier avertissement-extrait de rôle, par exemple.

        Par contre, le texte n'impose pas le dépôt de pièces sur la situation matrimoniale de la sûreté personnelle, et ne l'invite pas à informer le tribunal sur le patrimoine commun s'il est marié sous un régime de communauté légale ni sur le patrimoine du conjoint ou du cohabitant, alors que ces informations sont requises lors du dépôt d'une demande en règlement collectif de dettes. Il y a fort à parier que les tribunaux s'inquiéteront de cette situation et exigeront une information, s'agissant “d'éléments de nature à les éclairer avec précision sur la situation de fortune de la sûreté personnelle”.

        47.Le texte prévoit que la déclaration est déposée au greffe et versée au dossier de la faillite. D'aucuns se sont déjà inquiétés des risques que ce dépôt fait encourir à la protection de la vie privée, puisqu'il est prévu par ailleurs que le dossier du greffe peut être consulté gratuitement par tout intéressé. Certes, le texte ne vise que la déclaration, mais où seraient déposées les pièces jointes s'il fallait les exclure de l'obligation de dépôt?

        Le dépôt des pièces au greffe au moment de la déclaration nous paraît en outre parfaitement inutile en soi: par contre, il importe que ces pièces soient déposées auprès du tribunal qui statuera sur la décharge. Il eut été de loin préférable pour le législateur de souligner, à l'article 82, les pièces qui doivent être déposées devant le juge, ce qui aurait d'ailleurs permis au législateur d'éviter de prévoir une obligation d'actualiser les pièces “périmées” si le débat sur la décharge se noue plus de douze mois après la déclaration…

        4° Le moment du débat sur la décharge

        48.Le moment où se noue le débat sur la décharge de la sûreté personnelle n'est pas précisé. Il faut toutefois mettre en parallèle plusieurs textes.

        L'article 80 de la loi prévoit que la sûreté personnelle et le créancier peuvent demander au tribunal qu'il statue sur la décharge six mois après le jugement déclaratif de faillite. C'est à nouveau la conséquence de la rupture du sort entre le failli et sa sûreté personnelle.

        Le débat sur la décharge de la sûreté personnelle peut donc être largement anticipé sur la clôture de la faillite.

        Nous émettons d'ailleurs moins de réserves sur cette possibilité que nous en avions formulées sur l'anticipation du débat sur l'excusabilité du failli.

        Par contre, cette possibilité soulevait des questions en rapport avec les voies d'exécution. En effet, l'article 24bis de la loi stipulait que “À compter du même jugement - c'est-à-dire le jugement déclaratif de faillite - sont suspendues jusqu'à la clôture de la faillite les voies d'exécution qui à charge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli.”

        Cet article vient régler la question de la “course à la caution” que nous avons évoquée plus haut. La sûreté personnelle est protégée contre les mesures d'exécution dès le jugement déclaratif de faillite. Nous observons que le texte ne vise que les mesures d'exécution, et non les mesures provisoires qui pourront toujours être prises contre la sûreté personnelle.

        On comprend dès lors que les créanciers auront tout intérêt à ce que le débat sur la décharge de la sûreté personnelle soit réglé au plus vite.

        Cependant, la rédaction même de l'article 24bis dans la loi du 20 juillet 2005 laissait à désirer puisqu'il précisait que les voies d'exécution sont suspendues jusqu'à la clôture de faillite, et non pas jusqu'au jugement définitif qui statuerait sur la décharge. Par conséquent, le créancier bénéficiant d'un jugement refusant la décharge était freiné dans ses mesures d'exécutions, ce qui semblait absurde.

        Une rectification de la loi a été faite par la loi du 20 juillet 2006 portant des dispositions diverses. Désormais, l'article 24bis doit être lu comme suit: “A compter du même jugement - c'est-à-dire le jugement déclaratif de faillite - sont suspendues les voies d'exécution qui à charge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli. Lorsque la sûreté personnelle n'est pas totalement déchargée de son obligation par le tribunal, les créanciers recouvrent le droit d'exercer individuellement leur action sur ses biens.”

        49.À l'inverse, le tribunal peut-il clôturer la faillite avant de s'être prononcé définitivement sur le sort de la sûreté personnelle?

        En cas de clôture pour insuffisance d'actif, l'article 73 prévoit que le tribunal se prononce sur la clôture, sur l'excusabilité et sur la décharge de la personne physique qui s'est constituée sûreté personnelle. L'hypothèse paraît claire et il semble bien que les débats soient concomitants pour aboutir à une décision sur chaque point dans un même jugement.

        L'article 80 de la loi témoigne également du souci du législateur que, en principe, le débat sur la décharge intervienne au moment de la clôture.

        Et pourtant, si l'on prend toutes les dispositions de la loi nouvelle, le doute est permis.

        En effet, l'article 63 prévoit l'obligation pour les créanciers jouissant d'une sûreté personnelle de le signaler soit en introduisant leur déclaration, soit au plus tard dans les six mois du jugement déclaratif de faillite. À défaut, ils subissent une sanction extrêmement lourde: la décharge automatique de la sûreté. Mais l'article 63 prévoit une exception: lorsque la faillite est clôturée plus tôt, la sanction de la décharge automatique ne s'applique certainement pas.

        Ce serait un argument de texte en faveur de la possibilité de clôturer avant qu'il soit statué sur la décharge de la sûreté personnelle.

        Le texte ne prévoit pas de délai de forclusion pour la demande de décharge de la sûreté personnelle. C'est un des effets de la dissociation voulue par le législateur entre le sort de la sûreté personnelle et celui du failli.

        Le débat sur la décharge pourrait ainsi être postérieur à la clôture selon certains et certaines juridictions ont adopté ce point de vue dans un premier temps.

        Avant la modification législative du 20 juillet 2006, une telle attitude paraissait inacceptable. En effet, il nous semblait certain que le tribunal de commerce n'a compétence à connaître du sort de la sûreté personnelle que dans le cadre de la faillite. D'autre part, la clôture anticipée de la faillite, avant que le tribunal de commerce ne se soit prononcé sur la décharge, pouvait avoir des effets désastreux sur le sort de la sûreté personnelle puisque, dès la clôture, les créanciers retrouvaient le droit de reprendre leurs mesures d'exécution.

        Le libellé nouveau de l'article 24bis met un terme à cette préoccupation: dès le jugement déclaratif de faillite, les mesures d'exécution sont suspendues et le créancier individuel ne retrouve son droit d'exercer son action que lorsque la sûreté personnelle n'est pas totalement déchargée. Il reste acquis, selon l'esprit et la lettre de cette loi, que le débat se noue à l'occasion de la faillite.

        5° Les conditions de fond

        50.Le tribunal décharge la sûreté personnelle, en tout ou partie, lorsqu'il constate que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine, les deux sont cumulatifs.

        Le tribunal ne procèdera donc pas à un examen des intérêts de toutes les parties en présence [58], mais il devra uniquement vérifier si l'engagement de la sûreté personnelle est raisonnable au regard de sa situation financière.

        L'intérêt du créancier n'est pas mis dans la balance et ne doit pas asseoir la conviction du juge, quand bien même la situation de ce créancier serait particulièrement précaire du fait de la faillite de son débiteur principal.

        Les travaux préparatoires nous indiquent que “l'appréciation du tribunal s'inscrit dans le cadre d'un examen de proportionnalité: la décharge doit être prononcée si et dans la mesure où l'engagement est disproportionné aux revenus et aux patrimoines. Cette solution apporte plus d'équilibre entre les intérêts des créanciers et ceux des personnes qui ont conforté le crédit du failli” [59]. Les travaux préparatoires poursuivent “s'agissant du mécanisme de proportionnalité, il y a lieu de constater que cette solution est la seule de nature à rencontrer les exigences de la Cour d'arbitrage.”

        L'on voit mal, dans cette appréciation, où se trouve la prise en compte des intérêts du créancier. Ils paraissent d'ailleurs avoir été de peu de poids, si l'on poursuit la lecture des travaux préparatoires: “Le fondement de la décharge reste toutefois constant. En garantissant les engagements d'un commerçant, la personne concernée a conforté le crédit dudit commerçant, lui a permis de poursuivre ses activités économiques et a ainsi contribué au dynamisme économique du pays. Il serait donc excessif de ne pas lui permettre de bénéficier d'une décharge totale ou partielle lorsque les événements l'ont placé dans une situation personnelle difficile. Dès lors, le tribunal sera habilité à intervenir pour réparer les graves conséquences humaines qui pourraient résulter d'une stricte exécution des engagements contractuels de la personne.” (o.c., p. 6).

        Cette interprétation, dégagée par la doctrine à la lecture des travaux préparatoires [60], peut susciter une certaine émotion du côté des créanciers: l'évolution de la matière de l'excusabilité et de la décharge des cautions y atteint un nouveau pallier, excluant toute prise en compte des intérêts du créancier, de l'incidence de la créance sur son propre patrimoine ou encore des circonstances d'obtention du prêt assorti de la sûreté personnelle.

        La Cour d'arbitrage a cependant confirmé cette interprétation, dans un arrêt du 29 novembre 2006 [61]. Elle estime que “le législateur a pu, compte tenu des objectifs qu'il poursuit, prévoir une possibilité de décharge conditionnelle de la caution de bienfaisance, et qu'il l'a limité à l'hypothèse où l'obligation est disproportionnée, ce qui préserve au mieux les droits de créanciers. L'on ne saurait dès lors lui reprocher de ne pas avoir prévu que le juge doive, en outre, examiner la situation financière du créancier en détail puisque, dès lors que le législateur a pu légitimement choisir de privilégier la protection de la personne qui s'est portée inconsidérément caution à titre gratuit, l'examen de la situation financière détaillée du créancier ne pourrait l'amener à adopter une décision différente de celle qu'il doit prendre pour atteindre l'objectif poursuivi”.

        51.Une simple disproportion suffit: le projet de loi prévoyait qu'il fallait une disproportion manifeste, cette exigence a disparu suite à une observation du Conseil d'État qui estimait que cela était de nature à restreindre le pouvoir d'appréciation du juge en matière de décharge.

        Selon les travaux préparatoires, pour éviter une inconstitutionnalité, “il faut mais il suffit que la décharge soit soumise à l'examen d'un juge, et que cette décharge soit liée à l'examen de fortune de la caution, nécessairement au regard du montant de son obligation. La décharge ne saurait donc être subordonnée à la condition que la disproportion existant entre l'obligation et la condition de fortune soit manifeste. La simple constatation par le juge d'une disproportion suffit à fonder le droit à la décharge” [62]. À nouveau, la situation du créancier paraît de peu de poids.

        52.La disproportion doit exister au moment du prononcé du jugement: la nécessité d'actualiser les documents à joindre aux débats témoigne de cette exigence.

        La disproportion devait-elle exister auparavant, au moment de la déclaration de faillite? Certains le pensent, ce qui expliquerait l'obligation faite à la caution de déposer les pièces justificatives tant au moment de sa déclaration qu'au moment de l'audience. Il faut bien dire que les travaux préparatoires font cette distinction, en estimant qu'il faut remplir la condition au moment de la déclaration de caution et jusqu'à la décision, et ce pour justifier l'actualisation des documents fiscaux.

        53.Une question importante concerne l'incidence du règlement collectif dont bénéficierait la sûreté personnelle lors du débat sur la décharge.

        La sûreté personnelle est, selon le texte et par définition, une personne physique. Elle peut à ce titre connaître des difficultés financières telles qu'elle a bénéficié par ailleurs d'un jugement lui accordant le bénéfice du règlement collectif. Quelle est l'incidence de cette décision sur l'appréciation du tribunal de commerce dans le cadre du débat sur la décharge?

        Deux thèses peuvent s'opposer: pour la première, cette décision fait la preuve, à l'évidence, de la disproportion entre les revenus et le patrimoine de l'intéressé et la décharge doit être accordée. À l'inverse, la seconde thèse considère que le plan organisé dans le cadre d'un règlement collectif de dette suppose une certaine capacité de remboursement et exclut donc toute disproportion, ce qui empêcherait la décharge de la caution. Cette interprétation ne résiste pas, selon nous, après la lecture des travaux préparatoires selon lesquels une simple disproportion entre l'obligation et la condition patrimoniale suffit à justifier la décharge. Il ne faut donc pas une incapacité totale de paiement, et le fait de bénéficier d'un règlement collectif de dettes ne constitue pas, en soi, un obstacle à la décharge, que du contraire...

        Ne risque-t-on pas d'ailleurs de voir se développer des jurisprudences concurrentes entre le juge du règlement collectif de dettes et le tribunal de commerce, puisque les critères et les modalités d'application de ces deux régimes sont distincts? C'est évidemment regrettable.

        54.Enfin, le texte organise une exclusion: si la sûreté personnelle a frauduleusement organisé son insolvabilité, elle ne pourra pas prétendre à la décharge.

        L'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est pas autrement définie, mais on aurait pu supposer que le législateur se réfère à la définition que nous en donne le droit pénal. C'est d'ailleurs cette thèse qui justifie la présence du parquet lors du débat sur la décharge dans certains arrondissements, quoi qu'il s'agisse d'une matière non communicable selon nous.

        Nous ne partageons toutefois pas cette interprétation, qui supposerait d'ailleurs le dépôt d'un jugement définitif condamnant la sûreté personnelle du chef d'organisation frauduleuse d'insolvabilité.

        Une définition traditionnelle de l'organisation frauduleuse d'insolvabilité énonce que: “L'insolvabilité frauduleuse est commise dès lors que la situation de fortune est organisée de manière telle que ce que l'on possède, en fait ou juridiquement, est soustrait à l'exécution forcée de la part des créanciers.”. Nous pouvons nous y rallier pour les éléments matériels.

        Quant à une intention particulière, les textes légaux sur le règlement collectif de dette auraient pu nous inspirer, puisqu'ils excluent également du bénéfice de cette mesure le débiteur qui a manifestement organisé son insolvabilité. Mais dans cette hypothèse, la loi prévoit qu'il doit avoir “manifestement” organisé son insolvabilité, tandis que la loi sur les faillites vise bien “l'organisation frauduleuse d'insolvabilité” qui renvoie à un élément intentionnel plus précis.

        Les travaux préparatoires ne nous sont d'aucun secours pour répondre à cette question.

        Nous ne pensons cependant pas qu'il faille se référer à un quelconque élément moral au sens pénal du terme, dès lors que les conditions matérielles de l'organisation d'insolvabilité sont réunies. Il faut, mais il suffit, que la sûreté personnelle ait volontairement soustrait tout ou partie de son patrimoine à l'exécution forcée de son créancier. A titre d'exemple, l'on peut songer à une sûreté personnelle qui aurait fait la promesse d'affecter le produit de vente d'un immeuble au remboursement du créancier pour freiner des mesures d'exécution et dissiperait ensuite les fonds reçus.

        6° Les effets de la décharge

        55.Le texte prévoit la possibilité d'une décharge totale ou partielle.

        Il sera concrètement difficile de jauger de la proportion adéquate de la décharge. La jurisprudence nous éclairera sur l'opinion des tribunaux à l'avenir.

        La dette de la caution disparaît au moment où le juge statue. La décharge n'a donc d'effet que pour l'avenir. A contrario, le créancier ne devra pas rembourser un paiement partiel qui est intervenu avant un jugement définitif de décharge.

        56.La loi du 20 juillet 2005 a considérablement élargi les possibilités de débattre de la décharge des personnes physiques qui se sont engagées en faveur du failli. Cependant, en dissociant leur sort de celui du failli, n'a-t-elle pas ouvert la porte à d'autres risques de discrimination: nous songeons au sort du conjoint qui, lui aussi, a vu son sort évoluer au gré des modifications législatives.

        Section IV. La libération du conjoint du failli

        Le failli, au terme de la procédure de liquidation collective, reçoit la possibilité d'être excusé, c'est-à-dire d'être libéré de ses dettes pour l'avenir. Mais il existe des dettes dont les effets seront communs au failli et à son conjoint dont le sort ne fut pas immédiatement réglé.

        A. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 8 août 1997

        57.L'article 82 était clair: les poursuites à l'encontre du failli étaient suspendues à partir de la décision d'excusabilité. Le législateur n'avait pas prévu d'étendre les effets de l'excusabilité à son conjoint.

        Or, si le failli (personne physique ou personne morale, selon le texte de l'époque) est déclaré excusable, la dette subsiste, et seules les poursuites individuelles sont suspendues.

        L'engagement du conjoint n'est donc pas éteint. La difficulté provient du fait que non seulement le patrimoine commun des époux se trouve engagé par ce biais, mais également le patrimoine propre du conjoint.

        Quelle était la situation visée? Il faut rappeler que le créancier d'une dette peut agir contre le patrimoine du failli mais aussi contre le patrimoine commun. Si le conjoint s'est co­obligé, le créancier pourra alors agir également contre le patrimoine propre du conjoint non failli. Si le failli est déclaré excusable, le créancier pourrait alors agir contre le patrimoine personnel du conjoint non failli, et encore sur le patrimoine commun par le biais de l'imputation de la dette au conjoint cette fois-ci.

        58.Cet effet indirect ne pouvait qu'amener les plaideurs à soumettre, tôt ou tard, cette question à la Cour d'arbitrage. Cette dernière s'est prononcée dans un arrêt du 28 mars 2002: “L'article 82 - ancien - de la loi sur les faillites établit une différence injustifiée entre le failli, d'une part, le conjoint de celui-ci et la caution, d'autre part; en permettant au tribunal d'excuser le failli sans prévoir aucune possibilité de décharger de leurs obligations le conjoint ou la caution du failli déclaré excusable, le législateur a pris une mesure qui n'est pas raisonnablement proportionnée par rapport à son objectif qui est de tenir compte de manière équilibrée des intérêts en présence lorsqu'il y a faillite et d'assurer un règlement humain qui prenne en considération la situation de toutes les parties intéressées.” [63].

        Une réforme était attendue.

        B. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 4 septembre 2002

        59.En 2002, la loi prévoit l'extinction des dettes du failli par une décision d'excusabilité.

        Interrogé sur le sort du conjoint, le ministre de l'époque précisait dans les travaux préparatoires que “l'excusabilité éteint les dettes du failli. Le conjoint ne peut donc plus être poursuivi ni faire l'objet d'aucune saisie sur ses biens propres ou sur le patrimoine commun qu'il possède avec son conjoint. La situation est toute autre lorsque le conjoint s'est engagé personnellement pour ce qui est des dettes du failli, ce qui est très fréquent” [64].

        La question se posait légitimement à l'égard du conjoint du failli qui s'était obligé des engagements de son époux. Il est fréquent en pratique qu'un conjoint se soit porté caution des engagements commerciaux de son époux, voire de la société de son époux.

        La loi prévoit donc que le conjoint qui s'est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

        L'objectif du législateur était d'éviter que le redémarrage du failli soit compromis par les poursuites engagées par les créanciers contre le patrimoine personnel du conjoint.

        D'emblée, des critiques ont été soulevées, contestant que le législateur ait bien rencontré ses objectifs. Nous en ferons part dans la mesure où elles ont conduit à une saisine de la Cour d'arbitrage.

        60.La doctrine soulignait d'emblée que cette libération supposait un engagement personnel du conjoint, mais qu'elle ne s'appliquait pas nécessairement aux textes fiscaux qui font peser des obligations précises sur le conjoint. Évoquant les taxes de circulation ou le précompte professionnel, elle concluait que ces taxes resteraient dues [65].

        Le mécanisme légal de la solidarité fiscale entre les conjoints accusait un effet pervers: en effet, puisqu'il ne “s'était” pas personnellement engagé pour ces dettes fiscales mais qu'il y était tenu par un mécanisme légal, le conjoint restait tenu à la dette alors même que son époux failli en était libéré par l'effet de l'excusabilité.

        La Cour d'arbitrage a été saisie de cette question et s'est prononcée sur question préjudicielle, d'abord, par un arrêt du 12 mai 2004 [66]: la Cour d'arbitrage a conclu à la discrimination car le texte ne permet pas au juge de libérer de son obligation le conjoint du failli déclaré excusable en tant qu'il est obligé à une dette d'impôt de son époux.

        Cette jurisprudence a été confirmée par un second arrêt, du 12 janvier 2005 [67], qui portait sur la dette d'impôt des personnes physiques et du précompte immobilier pour l'habitation familiale.

        61.Une autre problématique fut soumise à la Cour d'arbitrage: elle concernait “la course” qu'engageaient les créanciers pour obtenir des mesures d'exécution rapides contre le patrimoine du conjoint, pendant le temps de la procédure de faillite.

        D'aucuns se sont émus de la discrimination qui pouvait exister entre le failli, qui voyait les mesures d'exécution suspendues par l'effet de la faillite, et son conjoint contre lequel les créanciers pouvaient adopter toute poursuite individuelle.

        L'arrêt de la Cour d'arbitrage a tranché cette question dans un arrêt du 27 avril 2005 [68] et considère qu'il existe une discrimination tant à l'égard de la caution que du conjoint du failli dans la mesure où ils ne bénéficiaient pas de la suspension des voies d'exécution [69].

        Concernant le conjoint, la nécessité d'une loi de réparation à la loi du 4 septembre 2002, dite de réparation, s'imposait donc…

        C. Le sort du conjoint du failli dans la loi du 2 février 2005

        62.Dans la foulée des deux arrêts de la Cour d'arbitrage, le législateur a modifié l'article 82 alinéa 1 par une loi du 2 février 2005. Désormais, le conjoint du failli qui “est” personnellement obligé à la dette de son époux est libéré par l'excusabilité de celui-ci.

        L'ambiguïté de texte que nous avions relevée semble levée. Le conjoint est libéré de l'ensemble des dettes du failli auxquelles il est tenu personnellement, soit volontairement, soit indirectement du fait des dispositions légales.

        Mais en réalité, de multiples questions restent ouvertes et se trouvent renforcées par le fait que, à l'inverse du conjoint, le sort de la caution est totalement distinct de celui du failli.

        Le conjoint du failli qui “est” personnellement obligé à la dette de son époux est donc libéré par l'excusabilité de celui-ci. Cette disposition appelle quelques commentaires.

        63.Cette libération vaut-elle à l'égard de tous ses engagements, y compris lorsqu'il s'est engagé comme caution de son époux?

        Certains s'interrogent sur le régime applicable dans ce cas: devra-t-il se soumettre aux formalités prévues aux articles 72ter et suivants et sera-t-il soumis à un débat sur sa décharge ou est-il libéré par l'excusabilité de son conjoint, y compris pour les dettes pour lesquelles il s'est engagé en qualité de caution?

        Historiquement, la loi du 4 septembre 2002 avait visé le conjoint qui “s'est personnellement engagé”. Les travaux révélaient qu'était visé le conjoint-caution du failli. D'où l'inégalité qui en est résultée pour les dettes fiscales auxquelles le conjoint est personnellement tenu, sanctionnée par la Cour d'arbitrage dans son arrêt du 12 mai 2004 déjà évoqué.

        C'est à cette discrimination qu'a entendu répondre la loi du 2 février 2005. Les travaux préparatoires de la loi sont clairs, et notamment l'exposé introductif de la ministre de la Justice ne prête guère à discussion: “Le projet de loi a pour objet de porter remède à l'inconstitutionnalité de l'article 82 alinéa 2 de la loi sur les faillites.”  [70]. Ainsi donc, le conjoint du failli qui “est” personnellement obligé à la dette de son époux est libéré par l'excusabilité de celui-ci.

        Cependant, le conjoint-caution du failli “n'est” pas personnellement obligé à la dette de son époux, il “s'est” personnellement obligé à la dette de son époux. La terminologie est malencontreuse, car tout porte à croire que le législateur n'a évidemment pas voulu revenir sur la portée antérieure de l'article 82.

        Dans son exposé introductif, la ministre précisait d'ailleurs que “La décharge du conjoint du failli s'applique ainsi à l'ensemble des dettes du failli auxquelles il est personnellement obligé, que ce soit par l'effet de dispositions légales ou par sa propre volonté.” [71].

        Mais il reste que cette explication n'est pas forcément acquise compte tenu de la rédaction douteuse du nouvel article 82 alinéa 2. La question avait d'ailleurs été posée, au cours des travaux préparatoires, se demandant “si le conjoint qui s'est rendu caution volontairement et à titre gratuit peut également être considéré comme libéré de ses obligations”, le parlementaire poursuivant “qu'il conviendrait de préciser la portée de la disposition”. La réponse fournie par la ministre est la suivante: “les mots précis du projet de loi sont les suivants: 'le conjoint du failli qui est personnellement obligé'. En l'occurrence, la manière dont il est devenu obligé est moins importante” [72].

        Il appartiendra sans doute aux cours et tribunaux d'indiquer que le législateur n'a pas permis aux créanciers de prendre appui sur la qualité de caution de l'époux et d'admettre que le conjoint-caution est libéré par l'excusabilité de son époux. Mais il n'est pas certain que l'on puisse éviter le débat, d'autant qu'il apparaît après quelques audiences que les créanciers se fondent quant à eux sur l'engagement en qualité de sûreté personnelle pour déplacer le débat sur d'autres bases…

        Et l'on peut aussi s'interroger sur la qualité des parties au moment de l'engagement comme caution. Comment traitera-t-on le compagnon ou la compagne, qui s'engage en qualité de caution alors qu'il n'est pas marié avec le failli, mais qui a contracté le mariage avant que le tribunal statue sur l'excusabilité?

        64.Le conjoint est libéré des dettes fiscales auxquelles il est tenu. Or, notre arsenal législatif comporte une possibilité pour les concubins ou les cohabitants de remplir une déclaration commune. Ils peuvent en outre être propriétaires d'un immeuble en commun. Quelle est la nature de leur dette fiscale? Le cohabitant peut être codébiteur d'une dette du failli et ne pourra pas bénéficier de l'excusabilité de celui-ci, dans l'état actuel des textes. Il ne pourrait davantage être considéré comme une sûreté personnelle à titre gratuit, puisque son engagement solidaire résulte de la loi mais n'est pas un engagement en qualité de sûreté personnelle du failli. Il ne pourra donc pas davantage demander sa décharge.

        Dans cette mesure, n'y a-t-il pas un risque de discrimination entre les conjoints mariés et les cohabitants légaux, d'une part, entre les sûretés personnelles et les cohabitants légaux, d'autre part? Le souci du législateur, qui voulait éviter des poursuites sur le patrimoine du conjoint et empêcher d'hypothéquer ainsi les chances de redressement du failli, ne peut-il être rencontré dans ce cas? Il ne faut pas généraliser et comparer deux régimes, la cohabitation et le mariage, qui témoignent d'engagements de nature différente et présentent des effets juridiques distincts. Mais il faut avoir à l'esprit que dans certaines hypothèses, où la communauté de vie est réelle et a conduit à des engagements communs, les situations de fait peuvent être comparées et sont susceptibles de créer des inégalités.

        65.Le sort du conjoint paraît réglé. Mais qu'en est-il de l'ancien conjoint? En d'autres termes, faut-il être “conjoint” au moment de la naissance de la dette ou au moment où l'on statue sur l'excusabilité, voire les deux? La question peut être aiguë s'agissant des dettes fiscales.

        En effet, le mariage pourrait avoir été dissout entre le moment où la dette est née et celui où le tribunal doit se prononcer sur l'excusabilité du failli. L'ancien conjoint est toujours tenu solidairement des dettes fiscales de son ex-époux. Dans la rigueur des principes, l'article 82 ne lui est pas applicable, puisqu'il n'a plus la qualité de conjoint et il pourrait être tenu de ces dettes alors même que son ancien conjoint a été excusé.

        L'ancien conjoint pourrait-il se prévaloir de l'excusabilité de son ancien conjoint, au motif que la dette est née dans le cadre du lien du mariage? Cette interprétation est séduisante, mais elle n'est pas permise, notamment parce qu'elle s'oppose à un argument de texte.

        L'ancien conjoint serait-il alors exclu du bénéfice de l'article 82 de la loi sur les faillites? Dans cette interprétation, ne peut-on y voir un risque de discrimination entre le sort du conjoint, qui bénéficie de l'excusabilité du failli pour les dettes auxquelles il est obligé par l'effet de la loi, et l'ancien conjoint, qui ne pourrait bénéficier de l'excusabilité du failli pour ces mêmes dettes?

        Allons plus loin: dans l'hypothèse où l'ancien conjoint ne pourrait pas bénéficier de l'excusabilité du failli pour des dettes auxquelles il est personnellement obligé par l'effet de la loi, pourrait-il retomber dans l'hypothèse visée à l'article 82 et demander sa décharge comme sûreté personnelle? Nous ne le croyons pas puisque son engagement solidaire résulte de la loi. Il ne pourra donc pas davantage demander sa décharge. Dans cette mesure, ne peut-on relever une éventuelle discrimination entre les anciens conjoints, tenus à la dette du failli par l'effet du lien matrimonial aujourd'hui dissout, et les sûretés personnelles?

        Ces risques de discrimination sont autant d'arguments qui laissent penser que la disposition de l'article 82 alinéa 2 devrait s'appliquer au conjoint et à celui qui avait cette qualité de conjoint au moment où la dette fiscale est née, mais la solution n'est pas certaine. Une question préjudicielle a été posée par le tribunal de commerce de Namur [73].

        66.Le sort du conjoint, même actuel, laisse enfin perplexe par rapport au sort des sûretés personnelles. En effet, nous avons déjà assez souligné combien celles-ci voyaient leur sort nouvellement réglé, indépendamment du sort du failli. La dissociation des deux débats autorise d'ailleurs à examiner la décharge d'une caution d'une personne morale.

        Or, le conjoint qui est personnellement obligé à la dette du failli par l'effet de la loi est intimement lié au sort du failli. Si ce dernier bénéficie d'une mesure d'excusabilité, c'est fort bien pour son conjoint qui verra la mesure étendre ses effets à son profit.

        Mais si le failli ne remplit pas les conditions de l'excusabilité, le conjoint ne bénéficiera donc pas de celle-ci.

        Est-ce vraiment justifié par comparaison avec la sûreté personnelle? Celle-ci a pris un engagement personnel, a posé un acte positif en faveur du failli, dans le cadre de son activité commerciale. En confortant son crédit, la sûreté personnelle a indirectement autorisé des choix, en terme de gestion, dans l'activité du failli. Si elle remplit les conditions de la loi et qu'il y a une disproportion avec ses revenus et son patrimoine, la sûreté personnelle pourra se voir déchargée de tout ou partie de la dette, que le failli soit déclaré excusable ou pas.

        Par contre, le conjoint peut être dans les faits totalement étranger à l'activité professionnelle du failli mais, en cas de décision refusant l'excusabilité au failli, il resterait tenu de ses dettes sans égard à sa propre situation patrimoniale déjà obérée par la faillite.

        Le malaise s'accroît du constat suivant: l'expérience révèle en effet que la faillite d'une personne physique est souvent liée à une séparation du couple, qu'elle en soit la cause ou l'effet, ce qui rend particulièrement aigu le lien étroit entre le sort des deux parties.

        La question mérite d'être posée… [74].

        67.Enfin, il faut bien déplorer que l'article 24bis, qui prévoit la suspension des voies d'exécution à charge des cautions et permet d'éviter la “course à la caution”, ne s'applique pas au conjoint du failli.

        L'arrêt de la Cour d'arbitrage du 27 avril 2005 [75] avait pourtant retenu une discrimination tant à l'égard de la caution que du conjoint du failli dans la mesure où ils ne bénéficiaient pas de la suspension des voies d'exécution. La loi du 20 juillet 2005 a manifestement omis de régler la question et laisse ainsi un trou béant, ouvrant la porte à d'autres recours.

        En guise de conclusion temporaire…

        68.À grande idée, petite et piètre histoire…

        Le régime initié en 1997 avait sa cohérence, malgré des imperfections certaines.

        Les modifications ajoutées par la loi du 4 septembre 2002 ont profondément bouleversé le régime de l'excusabilité, quant à ses conditions et ses effets, au point de faire le grand écart entre une extinction totale de la dette à l'égard du failli et la volonté apparente d'en maintenir certains effets pour les coobligés ou les cautions dites “professionnelles”.

        Le régime est à présent totalement écartelé entre le sort extrêmement favorable réservé au failli malheureux et de bonne foi et celui, plus indécis, de ses sûretés personnelles à titre gratuit ou encore celui, toujours plus incertain, de son conjoint, voire de son ex-conjoint. Et que faut-il penser du sort des créanciers du failli, dont les possibilités de recouvrement de la dette se trouvent réduites à la mesure de ces incertitudes?

        Ne serait-il pas temps de réfléchir globalement au sort de ces dettes du failli et des garanties qui les entourent?

        N'est-il pas possible de repenser un système qui intégrerait, de façon équilibrée, les intérêts de l'ancien failli, auquel il faut laisser la chance de relancer une activité économique, mais aussi aux intérêts de sa caution et de son conjoint, en proposant un mode de libération totale ou partielle de la dette équilibré et soumis à des conditions similaires? Est-il envisageable de sortir du régime de l'excusabilité tel qu'il est conçu aujourd'hui en soupesant les intérêts de chacun, en ce compris celui du créancier, à l'instar de ce qui existe en matière de règlement collectif de dette par exemple?

        De lege ferenda, un travail législatif en profondeur où tous seraient consultés mériterait d'être entamé.

        Le régime de l'excusabilité témoigne malheureusement de la difficulté pour un législateur confronté à des choix dictés par l'urgence d'appréhender une telle problématique de façon globale, de poser un choix politique clair mais équilibré et de le couler dans un texte limpide. Certes, le plaisir intellectuel de la doctrine consiste à déceler les failles d'un texte et à en élargir les brèches, le travail des plaideurs consiste à utiliser ces failles et à en tirer le meilleur parti dans l'intérêt de la partie qu'il représente, et les magistrats se doivent d'examiner leurs arguments avec rigueur et compétence.

        Mais le législateur pouvait-il ignorer que derrière ces termes “excusabilité du failli”, “décharge des cautions” et “libération du conjoint” se cachent souvent les situations parmi les plus sensibles qu'ait à connaître le droit commercial?

        [1] Juge de complément, tribunal de commerce de Namur.
        [2] Ch. Matray, “L'excusabilité du failli”, R.R.D. 1998, p. 261.
        [3] Bruxelles 12 février 2004, J.T. 2004, p. 452 .
        [4] Liège 15 janvier 2004, J.L.M.B. 2004, p. 558 .
        [5] Cass. 24 mars 2005, RG, www.juridat.be .
        [6] En ce sens, P. Coppens et Fr. T'Kint, “Chronique de jurisprudence. Faillite (1997-2004)”.
        [7] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 2003, n° 1050.
        [8] C.A. 22 janvier 2003 et commentaires in R.D.C. 2003 p. 318.
        [9] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, 1998, n° 977.
        [10] I. Verougstraete, o.c., Kluwer, 1998, n° 975.
        [11] Doc. parl. 1996-97, 1-498/11, pp. 150, 151 et 227.
        [12] C.A. 13 décembre 2000, n° 132/2000.
        [13] Pour la facilité du lecteur, les modifications au texte sont insérées en caractère gras.
        [14] Exposé des motifs, Doc. parl. Ch. repr. 2000-01, 50-1132/001, p. 12.
        [15] G.A. Dal, “L'excusabilité”, J.T. 2002, p. 58 .
        [16] I. Verougstraete, o.c., éd. 2003, n° 1050.
        [17] C.A. 30 juin 2004, n° 114/2004.
        [18] I. Verougstraete, o.c., éd. 2003, n° 1051.
        [19] Cette position est confirmée par la Cour d'arbitrage, dans un arrêt du 5 mai 2004, n° 76/2004.
        [20] I. Verougstraete, o.c., éd. 2003, n° 1051; G.A. Dal, o.c., J.T. 2003, p. 636 .
        [21] P. Henfling et J. Willems, “Excusabilité du failli et décharge de la caution”, in Droit des faillites - Actualité 2005, Liège, Éd. du Jeune Barreau, 2005, p. 33.
        [22] I. Verougstraete, o.c., éd. 1998, n° 979.
        [23] Ch. Matray, “L'excusabilité du failli”, R.R.D. 1998, p. 270.
        [24] Cass. 16 novembre 2001, R.D.C. 2002, p. 318.
        [25] Cass. 16 novembre 2001, R.D.C., o.c.
        [26] Doc. parl., o.c., p. 81.
        [27] I. Verougstraete, o.c., éd. 2003, n° 1053.
        [28] S. Jacmain, note sous J.P. Bruges 16 octobre 2003, R.D.C. 2004, p. 626 ; G.A. Dal, “L'excusabilité de la loi du 4 septembre 2002, réparation ou bricolage?”, J.T. 2003, p. 637 ; Fr. T'Kint et W. Derijcke, “Une caution n'est pas l'autre: sévérité jurisprudentielle passée dans l'attente d'une bienveillance législative à venir (?)”, R.D.C. 2002, p. 419; A. Cuypers, “L'excusabilité du failli et la position de l'épouse et des cautions dans la loi de réparation sur les faillites”, R.D.C. 2003, pp. 267 et s.
        [29] Doc. parl. Ch. repr., Doc. 50-1132/001, p. 17.
        [30] Fr. T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Larcier, 2004, p. 366.
        [31] I. Verougstraete, o.c., éd. 2003, n° 1054.
        [32] Civ. Arlon 13 mars 2003, DAOR 2003, p. 78; Civ. Turnhout 21 octobre 2003, R.W. 2003-04, p. 913.
        [33] C.A. 30 juin 2004, arrêt n° 114/2004.
        [34] C.A. 27 avril 2005, arrêt n° 77/2005.
        [35] Fr. T'Kint et W. Derijcke, La faillite, Larcier, 2006, n° 536.
        [36] C.A. 25 janvier 2006, J.L.M.B. 2006, n° 18.
        [37] C.A. 30 juin 2004, arrêt n° 114/2004.
        [38] C.A. 30 juin 2004, o.c., note 37.
        [39] C.A. 25 janvier 2006, o.c., note 35.
        [40] P. Henfling et J. Willems, o.c., p. 40.
        [41] J. Caeymaex (note sous C.A. 25 janvier 2006), J.L.M.B. 2006, n° 18.
        [42] Sur ces notions, voy. Fr. T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 4e éd., Larcier, nos 836 et s.
        [43] C.A. 12 mai 2004, arrêt n° 78/2004.
        [44] Exposé des motifs, Doc. parl. Ch. repr. 2004-05, 1811/007, p. 4.
        [45] Fr. T'Kint et W. Derijcke, La faillite, Larcier, 2006, n° 260-1.
        [46] Pas. 1978, p. 130.
        [47] Doc. parl. Ch. repr. 2004-05, 1811/007, p. 5 par exemple.
        [48] Doc. parl. Ch. repr. 2004-05, 1320/002, pp. 9 et 10.
        [49] Liège 4 octobre 2005, J.L.M.B. 2006, n° 18; Comm. Liège 10 mars 2006, R.G. A/06/63, inédit.
        [50] Comm. Hasselt 9 février 2006, R.D.C. 2006, 868 ; Trib. Liège 18 novembre 2005, R.G. 04/4280, inédit; Trib. Tournai 29 septembre 2005, 04/346, inédit; Trib. Mons 9 novembre 2005, R.G. 05/12703, inédit; en sens contraire toutefois, la décision prononcée par le tribunal de commerce de Verviers le 16 novembre 2006, www.cass.be .
        [51] P. et T. Cavenaille (obs. sous Liège 4 octobre 2005), ibid.
        [52] Liège 4 octobre 2005, R.G. 04/161, inédit; Comm. Termonde 12 décembre 2005, R.G. 05/514, inédit.
        [53] Dans le sens de cette interprétation concernant l'actionnaire, Liège 4 octobre 2005, o.c., note 52.
        [54] Contra, P. et T. Cavenaille, o.c.
        [55] Comm. Liège 26 juin 2006, R.G. 06/270, inédit.
        [56] C.A. 29 novembre 2006, arrêt n° 187/2006.
        [57] P. Henfling et J. Willems, o.c., p. 43.
        [58] C'est l'occasion de souligner que le débat sur la décharge de la caution se noue entre le créancier et la caution, et en présence du failli suivant l'art. 80 al. 2 de la loi. Par contre, le curateur n'y participe formellement pas selon la loi. Les pratiques des différents tribunaux de commerce diffèrent sur ce point. À Namur, par exemple, nous pensons que la présence du curateur s'indique pour éclairer le tribunal sur les circonstances de fait, sur le montant de la créance, sur des ventes d'immeuble et sur les remboursements éventuels du créancier, que peut ignorer la caution. Ailleurs, certains considèrent que le curateur ne doit pas être entendu.
        [59] Doc. parl. Ch. repr. 2004-05, 1811/001, p. 6.
        [60] Voy. Henfling et Willems, ibid.
        [61] C.A. 29 novembre 2006, arrêt n° 179/2006.
        [62] Doc. parl., o.c., p. 10.
        [63] C.A. 28 mars 2002, et note de Lebon, R.D.C. 2002.
        [64] Doc. parl. Sénat 2001-02, 2-878/8, p. 80
        [65] I. Verougstraete, o.c., éd. 2004, n° 1054.
        [66] C.A. 12 mai 2004, arrêt n° 78/2004.
        [67] C.A. 12 janvier 2005, arrêt n° 6/2005.
        [68] C.A. 27 avril 2005, arrêt n° 77/2005.
        [69] Pour une critique du raisonnement de la Cour d'arbitrage, voy. Fr. T'Kint et W. Derijcke, La faillite, o.c., n° 536.
        [70] Doc. parl. Ch. repr. 2004-05, 1320/002, p. 3.
        [71] Doc. parl., o.c., p. 4.
        [72] Doc. parl., o.c., p. 8.
        [73] Comm. Namur 8 mai 2006, inédit.
        [74] Elle l'a été dans ce même jugement du tribunal de commerce de Namur du 8 mai 2006.
        [75] C.A. 27 avril 2005, arrêt n° 77/2005.