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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 09/11/2006, R.D.C.-T.B.H., 2007/3, p. 303-304

Cour de justice des Communautés européennes 9 novembre 2006

DROIT DE LA CONSTRUCTION
Enregistrement des entrepreneurs - Opérateurs étrangers non enregistrés - Responsabilité solidaire du commettant - Retenues sur paiement - Contraires à la libre prestation de services - Condamnation de la Belgique

Commission / Belgique

Sièg.: Jann (président de chambre), Levits (rapporteur), Cunha Rodrigues (juge)
M.P.: Tizzano (avocat général)
Aff.: C-433/04

Les entrepreneurs de construction et d'autres travaux immobiliers sont soumis en Belgique à des mesures particulièrement contraignantes, destinées à lutter contre les pourvoyeurs de main-d'oeuvre qui organisent le travail au noir et contre les pratiques frauduleuses, spécialement les cas de fraude aux prélèvements sociaux et fiscaux dans ce secteur d'activité. L'une de ces mesures réside dans la subordination de la fourniture des services dans le secteur de la construction à l'obligation de s'enregistrer en qualité d'“entrepreneur” auprès de l'une des commissions provinciales d'enregistrement compétentes. Les entrepreneurs non enregistrés en Belgique ne sont pas exclus de l'accès au marché belge de la construction. Cependant, si le cocontractant (maître de l'ouvrage ou entrepreneur principal) contracte avec un entrepreneur qui n'est pas enregistré pour la classe de travaux à réaliser, deux règles spécifiques sont applicables. D'une part, le cocontractant est érigé en débiteur solidaire envers les pouvoir publics des dettes fiscales (art. 403 CIR 1992) et sociales de l'entrepreneur non enregistré, pour un montant maximum correspondant à 85% du coût total hors TVA des travaux. D'autre part, lors de chaque paiement à l'entrepreneur non enregistré, le cocontractant est tenu de retenir sur le prix et de verser à l'administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale respectivement 15% du montant hors TVA des travaux. En cas d'absence de paiement des sommes faisant l'objet de la retenue, le cocontractant peut se voir infliger une amende administrative égale au double de la retenue.

Les mesures précitées (qui ne s'appliquent pas lorsque le maître de l'ouvrage est une personne physique qui fait exécuter des travaux à usage strictement privé) ont un effet fortement dissuasif, de sorte que nul n'a intérêt à recourir aux services d'un entrepreneur non enregistré. Dès lors, lorsqu'un entrepreneur étranger désire réaliser en Belgique des constructions à usage professionnel, il est en pratique contraint d'obtenir son enregistrement comme entrepreneur en Belgique, ce qui suppose le respect des multiples conditions préalables à cet enregistrement. À défaut d'enregistrement, l'entrepreneur étranger aura bien difficile de trouver des clients belges acceptant de prendre les sérieux risques liés à l'absence d'enregistrement du professionnel auquel ils auront fait appel. L'obligation de retenue dissuade en outre cet entrepreneur étranger puisque, que ce dernier soit ou non effectivement débiteur du fisc belge, il ne pourra disposer immédiatement d'une partie non négligeable de ses revenus et ne pourra les récupérer qu'au terme d'une procédure administrative spécifique durant laquelle il aura dû apporter la preuve de l'inexistence de la moindre dette fiscale à l'égard des autorités belges; un tel retard de paiement automatique est susceptible d'avoir une influence sur la décision d'opérateurs étrangers non enregistrés de fournir leurs services en Belgique.

Pour les motifs précités, la Commission européenne a formé un recours devant la Cour de justice, invitant celle-ci à constater que, par la règle de “l'obligation de retenue” et par celle de “la responsabilité solidaire” pour les dettes fiscales, la Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 50 du Traité CE. Ces dispositions exigent la suppression par les États membres des restrictions à la libre prestation de services au sein de l'Union européenne.

Dans son arrêt du 9 novembre 2006 [1], la Cour de justice, suivant les conclusions de l'avocat général Tizzano, constate le manquement de la Belgique aux obligations énoncées aux articles 49 et 50 du Traité CE.

La Cour rappelle d'abord que l'article 49 du Traité CE vise la suppression de toute restriction à la libre prestation de services, même si la restriction établie dans un État membre s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités des prestataires des autres États membres qui, dans leur État membre d'origine, fournissent légalement des services analogues [2]. En l'espèce, selon la Cour, “les inconvénients que l'obligation de retenue représente pour les prestataires non enregistrés et non établis en Belgique sont (…) susceptibles de les dissuader d'accéder au marché belge afin d'y fournir des services dans le secteur de la construction” [3]. La disposition rendant le cocontractant de l'entrepreneur non enregistré solidairement responsable pour toutes les dettes fiscales de celui-ci présente également un effet similaire.

Pour sa défense, le gouvernement belge estimait ainsi que les deux mesures litigieuses s'imposaient au nom de la lutte contre la fraude fiscale dans le secteur de la construction, laquelle constituerait une raison impérieuse d'intérêt général. Cependant, une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne saurait suffire à justifier une mesure portant atteinte aux objectifs du traité [4]. Or, en l'espèce, force est de constater que certains entrepreneurs étrangers, non enregistrés, doivent subir la retenue opérée par leur cocontractant alors qu'ils peuvent même ne pas être redevables d'un quelconque impôt à l'égard du fisc belge, spécialement lorsque le temps de leur intervention sur le chantier n'excède pas une certaine durée. Dès lors, la nécessité de combattre la fraude fiscale est insuffisante pour justifier l'application de l'obligation de retenue et la responsabilité solidaire de manière générale à tous les entrepreneurs non établis et non enregistrés en Belgique, alors qu'une partie d'entre eux ne sont même pas redevables d'impôts en Belgique [5].

Ayant manqué à ses obligations en vertu du droit communautaire, la Belgique est désormais tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à cet arrêt. À ce jour, le système actuel de l'obligation de retenue et de la responsabilité solidaire n'a pas encore été modifié par le législateur belge. Dans une communication du 15 décembre 2006, le ministre de l'Emploi indiquait cependant qu'une modification de la procédure d'enregistrement dans son ensemble devait être envisagée; s'agissant des deux mesures condamnées par la Cour de justice, il suggérait une réforme aux termes de laquelle “le donneur d'ordre devra contrôler si son entrepreneur est enregistré sur un site web. S'il est enregistré, il ne risque rien. Sinon, il doit vérifier s'il a des dettes. Dans ce cas, il doit réclamer une attestation relative au montant des dettes. Ensuite, le donneur d'ordre doit, lors de chaque paiement à son entrepreneur, prélever la moitié et verser ce montant au fisc ou à l'ONSS. En agissant de la sorte, il n'est plus solidairement responsable pour les dettes de l'entrepreneur. S'il n'effectue pas les prélèvements, il est solidairement responsable à part entière.” [6]. Pareil système nous paraît répondre à la critique de la Cour de justice. Fin janvier 2007, les projets de loi réformant le système actuel n'avaient toutefois pas encore été déposés au Parlement.

[1] J.O. C. 300 du 4 décembre 2006; l'arrêt n'est pas encore publié au Recueil; pour un commentaire plus approfondi de cet arrêt, voy. notre note: “La responsabilité solidaire en cas de défaut d'enregistrement des entrepreneurs étrangers: la Belgique condamnée”, à paraître prochainement dans la J.L.M.B.
[2] Voy. le point 28 de l'arrêt. La Cour cite les précédents suivants: arrêts du 25 juillet 1991, C-76/90, Säger, Rec., p. I-4221, point 12; du 7 février 2002, C-279/00, Commission/Italie, Rec., p. I-1425, point 31; du 13 février 2003, C-131/01, Commission/Italie, Rec., p. I-1659, point 26; du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, Rec., p. I-885, point 30 et du 15 juin 2006, C-255/04, Commission/France, inédit, point 37.
[3] Point 30 de l'arrêt.
[4] Arrêt commenté, point 35.
[5] Voy. le point 37 de l'arrêt commenté.
[6] Communication du 15 décembre 2006 du ministre de l'Emploi Vanvelthoven (disponible sur le site www.kafka.be (10 janvier 2007)).