Article

Cour de cassation, 23/12/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/3, p. 245-247

Cour de cassation 23 décembre 2005

SÛRETÉS
Sûretés réelles - Gage sur fonds de commerce - Cautionnement - Crédit tiers - Validité
Il ressort du cadre légal, applicable dans ce cas, en vigueur avant la loi du 22 mars 1993 et l'A.R. du 7 octobre 1995, que le gage sur un fonds de commerce ne peut être consenti qu'à des banques ou établissements de crédit agréés conformément à l'article 7 de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage d'un fonds de commerce, et seulement comme sûreté pour des opérations de crédit sur fonds de commerce comme prévu par l'article 2 de l'A.R. du 12 février 1936. Il se déduit de ces dispositions déjà modifiées, que le gage sur fonds de commerce ne peut constituer la sûreté d'un cautionnement consenti à une banque pour le crédit que celle-ci a accordé à un tiers.
ZEKERHEDEN
Zakelijke zekerheden - Pand op handelszaak - Borgtocht - Bank - Krediet aan een derde - Geldigheid
Onder het in casu toepasselijke wettelijk kader zoals dat gold voor de wet van 22 maart 1993 en het K.B. van 7 oktober 1995, kon het pand op een handelszaak enkel worden gegeven aan bepaalde toegelaten banken of krediet­instellingen volgens artikel 7 van de wet van 25 oktober 1919 betreffende de inpandgeving van de handelszaak, en enkel als zekerheid voor bepaalde kredietverrichtingen op handelszaken zoals bepaald door artikel 2 van het K.B. van 12 februari 1936. Hieruit volgt dat, onder gelding van die, inmiddels gewijzigde, wetsbepalingen, een handelszaak niet in pand kon worden gegeven als zekerheid voor een borgtocht die aan een bank werd verleend voor het door haar aan een derde verstrekte krediet.

T.J., Belginfo e.a. / CBC Banque en présence de Fortis Banque

Siég.: Ph. Echement (président de section), D. Batselé, A. Fettweis, Ch. Matray et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: Ph. De Koster (avocat général délégué)
Pl.: Mes J. Kirkpatrick et F. T'Kint
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 juin 2004 par la cour d'appel de Mons.

II. La procédure devant la Cour

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.

III. Les moyens de cassation

Les demandeurs présentent deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants:

1. Premier moyen
Dispositions légales violées

- article 7 de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l'escompte et le gage de la facture ainsi que l'agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation, dont l'intitulé a été modifié par l'arrêté royal n° 282 du 30 mars 1936 (telle que cette loi était en vigueur avant sa modification par l'art. 132, 1° de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit);

- article 2 de l'arrêté royal du 12 février 1936 concernant l'agréation d'établissements de crédit autorisés à pratiquer le crédit professionnel en faveur de la petite bourgeoisie commerçante et industrielle (avant l'abrogation de cet arrêté royal consécutive à la modification de l'art. 7 de la loi précitée du 25 octobre 1919 par l'art. 132, 1°, de la loi précitée du 22 mars 1993).

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté que “par acte du 18 mars 1991, (la défenderesse) a consenti à (la demanderesse sub 6) un complément d'ouverture de crédit de 20 millions de francs moyennant l'affectation en gage en premier rang (de son) fonds de commerce, en garantie du paiement de toutes les sommes dont celle-ci était ou viendrait à être redevable envers elle, de quelque chef que ce soit; que ce gage fut inscrit le même jour au bureau des hypothèques de Charleroi; que le 23 septembre 1992, (la défenderesse) a par ailleurs accepté de porter à 33.495.660 francs au lieu de 24.495.660 francs les crédits qu'elle avait accordés à la société anonyme Marci Frais International, moyennant notamment la caution solidaire et indivisible de (la demanderesse sub 6) à concurrence de 9.000.000 francs; que par acte du 9 septembre 1993, ce cautionnement fut complété par un cautionnement supplémentaire de 11.000.000 francs; que la société anonyme Marci Frais International a été déclarée en faillite le 3 novembre 1993”; qu'après avoir mis en demeure la demanderesse sub 6) de lui payer le montant de ces cautionnements, la défenderesse fit réaliser ce gage; qu'un conflit étant survenu entre la défenderesse et l'appelée en déclaration d'arrêt commun, elle-même créancière de la demanderesse sub 6) à la suite de crédits qu'elle lui avait consentis moyennant la constitution d'un gage sur son fonds de commerce, le produit de la réalisation du fonds de commerce fut consigné jusqu'à la solution du litige entre les deux banques, l'arrêt attaqué décide que le gage sur fonds de commerce constitué au profit de la défenderesse par la demanderesse sub 6) garantit valablement l'engagement pris par elle de cautionner envers la défenderesse les engagements de la société anonyme Marci Frais International.

L'arrêt attaqué fonde cette décision sur les motifs suivants:

(1) “L'article 8 de l'acte d'ouverture de crédit avec mise en gage du fonds de commerce signé par (la défenderesse) et (la demanderesse sub 6)) le 18 mars 1991 énonce que le gage est affecté au paiement de toutes les sommes dont (la défenderesse) se trouvera créancière envers la créditée du chef de l'ouverture de crédit consentie le même jour 'et en outre de toutes les autres sommes qui lui sont ou seraient dues de quelque chef que ce soit' par la créditée (...). Les sûretés peuvent être, en vertu de l'article 1130 alinéa 1er du Code civil, constituées pour la garantie de dettes conditionnelles ou futures sous la seule réserve qu'elles soient déterminées ou déterminables au moment de la constitution de la sûreté (...).

En l'occurrence, au moment de l'exécution du gage, celui-ci, selon les termes exprès du contrat, couvrait toutes les sommes dont (la demanderesse sub 6)) était redevable envers (la défenderesse), 'de quelque chef que ce soit', ce qui inclut ses engagements envers (la défenderesse) en sa qualité de caution de Marci Frais International.”

(2) “La loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce n'énonce aucune restriction autre que celle prévue à son article 7, à savoir que le gage sur fonds de commerce ne peut être consenti qu'à des banques ou établissements de crédit agréés par le gouvernement et se soumettant, pour ce genre d'opérations, aux conditions déterminées par l'arrêté d'agréation. L'arrêté d'agréation ainsi visé n'est pas celui précité du 12 février 1936 mais bien, en l'occurrence, l'arrêté royal du 17 mars 1958 qui a agréé (la défenderesse) aux fins de faire des opérations de crédit sur fonds de commerce. Il est donc sans importance que l'arrêté royal du 12 février 1936 n'ait pas repris les opérations de cautionnement dans son énumération des opérations de crédit. D'une part, il n'est pas précisé que cette énumération serait limitative et, d'autre part, un arrêté royal ne peut restreindre la portée d'une loi. En outre, il ne se justifierait pas que le gage sur fonds de commerce soit admis pour des opérations d'aval, mais non pour des opérations de cautionnement.”

Griefs

Ladite loi du 25 octobre 1919 a institué le gage sur fonds de commerce en vue de faciliter l'accès des commerçants au crédit en leur permettant de constituer un gage sans dépossession sur leur fonds de commerce au profit des banques et des établissements de crédit agréés à cette fin.

Aux termes de l'article 7 de cette loi, “le gage sur fonds de commerce ne peut être consenti qu'à des banques ou établissements de crédit agréés par le gouvernement et se soumettant pour ce genre d'opérations aux conditions déterminées par l'arrêté d'agréation.”

“L'arrêté d'agréation” visé par cet article est l'arrêté royal du 12 février 1936 concernant l'agréation d'établissements de crédit autorisés à pratiquer le crédit professionnel en faveur de la petite bourgeoisie commerçante et industrielle et non l'arrêté individuel d'agréation de la banque ou de l'établissement de crédit. Cet arrêté du 12 février 1936 énumère les obligations administratives à respecter par les banques et établissements de crédit au moment où ils sollicitent l'agréation (art. 1er) et ultérieurement (art. 3 et 4); par ailleurs, en son article 2, il limite les opérations qui peuvent être garanties par un gage sur fonds de commerce: “les opérations de crédit sur fonds de commerce comportent, outre les avances, les ouvertures de crédit ou avances en compte courant, le crédit d'escompte, le crédit d'acceptation et les opérations d'aval”.

À peine de vider cette disposition de toute portée, il faut admettre que l'énumération qu'elle comporte est limitative.

Il résulte de l'article 2 précité qu'une banque agréée peut se faire consentir un gage sur fonds de commerce pour sûreté d'un crédit consenti par elle, tel un crédit d'aval d'une traite tirée par le crédité sur un tiers, mais non pour sûreté d'un cautionnement consenti à ladite banque par le propriétaire du fonds de commerce pour sûreté d'un crédit consenti par la banque à un tiers.

Dès lors, l'arrêt attaqué n'a pu légalement décider que le gage consenti à la défenderesse par la demanderesse sub 6) sur le fonds de commerce de celle-ci garantissait valablement l'engagement de celle-ci de cautionner, vis-à-vis de la défenderesse, les obligations d'un tiers, la société anonyme Marci Frais International (violation des deux dispositions visées au moyen).

IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen

Attendu que dans sa version applicable aux faits, l'article 7 de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l'escompte et le gage de la facture ainsi que l'agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation dispose que le gage sur fonds de commerce ne peut être consenti qu'à des banques ou établissements de crédit agréés par le Gouvernement et se soumettant pour ce genre d'opérations aux conditions déterminées par l'arrêté d'agréation;

Attendu que dans sa version applicable aux faits, l'article 2 de l'arrêté royal du 12 février 1936 concernant l'agréation d'établissements de crédit autorisés à pratiquer le crédit professionnel en faveur de la petite bourgeoisie commerçante et industrielle énonçait que les opérations de crédit sur fonds de commerce comportaient, outre les avances, les ouvertures de crédit ou avances en compte courant, le crédit d'escompte, le crédit d'acceptation et le crédit d'aval;

Attendu qu'il se déduit de ces dispositions que le gage sur fonds de commerce ne peut constituer la sûreté d'un cautionnement consenti à une banque pour le crédit que celle-ci a accordé à un tiers;

Attendu que l'arrêt constate que la défenderesse a consenti à la demanderesse sub 6) diverses ouvertures de crédit moyennant la mise en gage de son fonds de commerce et qu'elle a, par ailleurs, accordé d'autres avances à une société Marci Frais International moyennant la caution solidaire et indivisible de la demanderesse sub 6); que la société Marci Frais International a été déclarée en faillite; qu'à défaut d'obtenir de la demanderesse sub 6) le paiement de son cautionnement, la défenderesse a pratiqué saisie conservatoire sur le fonds de commerce gagé et que celui-ci fut ensuite vendu;

Que l'arrêt qui admet la validité du gage sur fonds de commerce pour garantir le cautionnement litigieux viole les dispositions précitées;

Et attendu que la cassation de la décision relative à ce gage entraîne la cassation de celle, qui en est la suite, de réformer le jugement entrepris en tant qu'il désigne un expert avant de statuer sur les différentes demandes de dommages et intérêts à charge de la défenderesse.

Sur les autres griefs

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue;

Et attendu qu'il y a lieu de déclarer l'arrêt commun à la partie appelée devant la Cour à cette fin;

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il décide que le gage garantit la caution litigieuse et qu'il réforme le jugement entrepris qui désigne un expert avant de statuer sur les différentes demandes de dommages et intérêts à charge de la défenderesse;

Déclare l'arrêt commun à la société anonyme Fortis Banque;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de la décision partiellement cassée;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.

(...)