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Quel régime juridique pour l'ambush marketing?, R.D.C.-T.B.H., 2007/3, p. 221-226

Quel régime juridique pour l'ambush marketing?

Paul Van den Bulck et Marie de Bellefroid [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Première partie: définition, formes d'ambush marketing, distinctions essentielles et licéité A. Définition de l'ambush marketing

B. Exemples d'ambush marketing

C. Distinctions entre les formes d'ambush marketing

D. Licéité des pratiques d'ambush marketing

III. Deuxième partie: quel régime juridique pour l'ambush marketing? A. Législations ad hoc mises en place à l'occasion de grands événements sportifs

B. L'ambush marketing comme violation d'un droit de marque ou d'un droit à l'image sur l'événement sportif

C. L'ambush marketing comme acte de concurrence déloyale

IV. Conclusion

RESUME
L'ambush marketing désigne une pratique de marketing souvent utilisée par les entreprises commerciales, entre autres lors de grands événements sportifs. Au moyen de diverses techniques, en effet, les entreprises qui ne sont pas répertoriées parmi les sponsors officiels de ces événements parviennent néanmoins à y associer leur image. Au plan juridique comme au plan éthique, l'ambush marketing fait couler beaucoup d'encre. C'est que sa licéité, premièrement, pose question et avec elle, s'impose la nécessité d'une définition précise du phénomène. Entre autres, il conviendrait de savoir si toutes les pratiques d'ambush marketing sont répréhensibles et, dans le cas contraire, de déterminer celles qui doivent être sanctionnées. C'est, ensuite, que sa qualification juridique est controversée, et qu'on ne sait pas réellement à quel régime de droit le rattacher. La présente contribution tentera de faire le point sur ces différentes questions.
SAMENVATTING
De term “ambush marketing” verwijst naar een bepaalde marketingmethode die commerciële vennootschappen er vaak op nahouden, onder meer tijdens grote sportevenementen. Op deze manier slagen vennootschappen die niet tot de lijst van officiële sponsors behoren, er via verschillende technieken toch in om hun imago aan deze sportevenementen te verbinden. Zowel op juridisch als op ethisch vlak brengt ambush marketing veel pennen in beweging. Haar wettelijkheid roept vragen op, hetgeen de noodzaak aantoont van een nauwkeurige definitie van het fenomeen. Zo moet men bepalen of alle praktijken van ambush marketing strafbaar zijn of, indien niet, welke praktijken dan wel moeten worden bestraft. Haar juridische kwalificatie wordt eveneens betwist en men weet niet precies welk juridisch kader toe te passen op ambush marketing. Huidige bijdrage probeert een antwoord te bieden op een aantal van deze vragen.
I. Introduction

1.Tout événement sportif d'importance majeure est, aujourd'hui, le théâtre de multiples actions de marketing, sponsoring ou autres campagnes publicitaires. Il est clair, en effet, que l'enjeu de ce type d'événements ne réside plus uniquement dans la victoire sportive, mais également dans ses retombées économiques, que les entreprises se disputent.

2.À ce niveau, la technique du “sponsoring” d'un événement sportif est connue de tous. Elle consiste dans un contrat de “parrainage”, conclu entre une société commerciale et l'organisateur de l'événement, et au terme duquel ladite société sera autorisée à associer son image audit événement, moyennant le paiement de droits de parrainage.

Au fil du temps et de l'imagination des acteurs économiques concernés, on a vu se développer d'autres techniques de marketing, dont la forme la plus discutée est actuellement ce que l'on appelle l'“ambush marketing”, parfois traduit en français par “marketing à l'embuscade”. La notion est explicite, car c'est réellement d'une embuscade dont est victime la société qui, sponsorisant officiellement un événement, se voit doublée par ses concurrentes, lesquelles, sans payer de droits de parrainage et donc sans l'autorisation de l'organisateur de l'événement, parviennent, elles aussi, à associer leur image à celle de l'événement, et donc à profiter de son impact médiatique.

3.On ne s'étonnera pas de la prolifération de discussions éthiques et juridiques relatives à l'émergence de cette nouvelle stratégie publicitaire. Mais si, sur le plan éthique, la technique de “l'embuscade” des sponsors officiels est souvent condamnée, il n'en reste pas moins que sur le plan juridique, elle laisse encore une profonde incertitude et coule actuellement des jours heureux à la faveur des controverses qui l'entourent.

La technique, en effet, est controversée, d'une part au point de vue de sa licéité, et d'autre part, au point de vue de savoir quelle branche du droit permet de l'appréhender dans son intégralité, et donc de savoir quel régime juridique lui est applicable [2]. La deuxième partie de cette contribution portera sur ces nombreuses incertitudes. Dans un premier temps, cependant, nous nous attacherons brièvement à définir la notion d'ambush marketing et à en donner quelques exemples.

II. Première partie: définition, formes d'ambush marketing, distinctions essentielles et licéité
A. Définition de l'ambush marketing

4.Appliqué aux événements sportifs, l'ambush marketing est généralement défini comme la stratégie publicitaire mise en place par une entreprise afin d'associer son image commerciale à celle d'un événement sportif, et donc de profiter de l'impact médiatique dudit événement, sans s'acquitter des droits de parrainage y relatifs, et sans avoir obtenu, au préalable, l'autorisation de l'organisateur de l'événement [3]. Terme anglo-saxon, l'ambush marketing se voit attribuer aujourd'hui une panoplie de dénominations telles le “commerce à l'embuscade”, le “marketing parasitaire”, le “guet-apens commercial” ou encore le “marketing pirate”.

B. Exemples d'ambush marketing

5.Les techniques d'ambush marketing sont nombreuses et diversifiées. Les “ambushers”, d'ailleurs, font preuve d'une ingéniosité de plus en plus grande, afin de s'adonner au “marketing pirate” en contournant les lois en vigueur [4]. Les deux exemples célèbres suivants permettent de le démontrer et de mieux comprendre en quoi consistent les pratiques d'ambush marketing [5].

Le premier exemple concerne la diffusion d'une publicité faisant implicitement référence à un événement sportif, en l'occurrence, les Jeux Olympiques d'Atlanta. Dans les mois précédant ces jeux, la compagnie de téléphone Telecom New Zealand diffusa une campagne publicitaire alignant 5 fois le mot ring, dans les couleurs et selon la disposition des célèbres anneaux olympiques. Cette publicité s'accompagnait du slogan “Avec Telecom Mobile vous pouvez emporter votre propre téléphone aux Olympiques” [6]. Ainsi, grâce à sa campagne publicitaire, la compagnie de téléphone avait su associer son image à celle des Jeux Olympiques, alors même qu'elle n'était pas recensée parmi les sponsors officiels de l'événement.

Un autre exemple notoire d'ambush marketing, est celui qui fut pratiqué par la société American Express au cours des Jeux Olympiques d'Albertville, en 2002, alors que sa concurrente directe, la société Visa, faisait partie des sponsors officiels de l'événement. L'embuscade a pris, dans ce cas, la forme d'un slogan accompagnant un spot publicitaire télévisuel et mettant en scène une série d'athlètes inconnus. Le slogan en question était formulé de la façon suivante: “désormais, ils n'auront plus besoin de visa s'ils veulent jouir des jeux et de la diversion” [7].

C. Distinctions entre les formes d'ambush marketing

6.Si les techniques d'ambush marketing sont nombreuses, il est néanmoins possible d'opérer, entre certaines de ces pratiques, une série de distinctions qui ont leur importance dans la façon d'appréhender et de réglementer l'ambush marketing.

Premièrement, il faut distinguer les formes directes d'ambush marketing de ses formes indirectes. L'ambush marketing direct touche à la relation entre l'organisateur de l'événement et l'ambusher. L'ambush marketing indirect concerne, pour sa part, la relation entre l'ambusher et les sponsors officiels.

Il faut ensuite faire la distinction entre l'ambush marketing pratiqué au plan local et celui pratiqué sur un plan global. Le premier se déroule aux alentours des stades et prend par exemple la forme de distribution gratuite aux spectateurs, de matériel promotionnel, ou encore de l'organisation d'animations ou compétitions parallèles à l'événement. L'ambush marketing global, lui, se déroule par contre à plus grande échelle et même au-delà du territoire national dans lequel se déroule l'événement sportif en cause.

D. Licéité des pratiques d'ambush marketing

7.Les controverses concernant l'ambush marketing portent au premier chef sur le caractère licite ou non des pratiques en cause.

Or, à notre sens, cette controverse ne peut se résoudre que par une réponse nuancée qui, entre autres, implique que l'on se mette d'accord sur la définition même de la notion d'ambush marketing.

8.La définition généralement donnée, et reprise ci-avant, englobe un grand nombre de pratiques les plus diversifiées. Parmi celles-ci, certaines ne sont, à notre sens, pas condamnables, tant sur un plan éthique que juridique. En effet, le simple fait, pour une entreprise, d'associer son nom à un événement sportif d'importance ne constitue pas en soi une pratique condamnable ou illégale. C'est, entre autres, ce que font les entreprises qui achètent les droits de retransmission télévisuelle des grands événements sportifs. C'est par exemple également le cas des entreprises procédant à l'achat d'une série de billets pour un événement quelconque, afin de les offrir à ses meilleurs clients.

Il importera donc, avant toute chose, de faire le départ entre les pratiques qui ne peuvent raisonnablement être considérées comme illicites et les pratiques réellement problématiques, en ce qu'elles sont le fait d'entreprises qui se placent dans le sillage des sponsors officiels de grands événements et qu'elles créent dès lors une confusion dans l'esprit du public, entre le sponsor officiel et l'“ambusher”.

9.Cet effort de définition s'avère primordial, car il permettra de cadrer le débat en cours autour de la question de l'ambush marketing et d'éviter la disparité et les dérives que l'on observe à l'heure actuelle dans les décisions jurisprudentielles rendues en la matière [8].

À titre illustratif, citons un arrêt rendu le 12 décembre 2002, par le tribunal de commerce de Nantes, dans une affaire “24 heures du Mans”. Dans son arrêt, la cour qualifiait de pratique d'ambush marketing le fait, pour une société, d'avoir édité un ouvrage concernant l'événement sportif “les 24 heures du Mans”, et condamnait en conséquence la société éditrice au paiement de dommages et intérêts en faveur de l'organisateur de l'événement [9]. À juste titre, selon nous, C. Caron critique cette décision en précisant qu'une série de pratiques, souvent indirectement reliées à un événement sportif, ne peuvent faire l'objet d'un monopole par l'organisateur d'un événement sportif [10].

Il est important, en effet, de garder à l'esprit la balance des intérêts qui doit être faite entre, d'une part, les principes fondamentaux que sont la libre concurrence et la liberté d'expression et d'autre part les monopoles exceptionnels que les organisateurs d'événements sportifs sont en droit de se voir reconnaître.

III. Deuxième partie: quel régime juridique pour l'ambush marketing?

10.On l'a vu plus haut, la difficulté essentielle en matière d'ambush marketing réside dans le fait que cette technique publicitaire ne se réduit à aucun régime de droit existant et qu'elle bénéficie dès lors d'un certain “flou” juridique. À la faveur des quelques décisions jurisprudentielles, commentaires doctrinaux et législations particulières en la matière, diverses pistes de réflexion ont été élaborées pour tenter de rattacher l'ambush marketing à un régime de droit existant, ou même de lui confectionner un régime taillé sur mesure.

Une première option est de voir dans l'ambush marketing la violation d'un droit privatif, exclusif. C'est la voie qui fut choisie lors de l'élaboration de la plupart des lois ad hoc, prises à l'occasion de grands événements sportifs. C'est également la voie choisie par ceux qui tentent d'appréhender l'ambush marketing comme la violation d'un droit de marque ou d'un droit à l'image attaché à l'événement sportif en cause.

Une deuxième option peut être de considérer l'ambush marketing comme un nouveau type de concurrence déloyale.

La présente contribution a pour objet d'expliciter brièvement les différentes façons d'appréhender le phénomène de l'ambush marketing.

A. Législations ad hoc mises en place à l'occasion de grands événements sportifs

11.Depuis une dizaine d'années, les organisateurs d'événements sportifs majeurs ont pris l'habitude, en partenariat avec les villes accueillant l'événement, de faire procéder à l'adoption de mesures législatives ponctuelles, propres à l'événement dont question, et réglementant la pratique de l'ambush marketing.

En 2000, par exemple, lors des Jeux Olympiques de Sydney, les pouvoirs publics australiens avaient choisi d'adopter deux lois distinctes. La première était relative à la protection des signes et des images et visait essentiellement à protéger les organisateurs et sponsors de l'événement contre toute utilisation de signes relatifs aux jeux olympiques, tels que “jeux de Sydney”, “olympiade”, “olympique”, etc. La protection légale prévue s'étendait même aux références indirectes à l'événement, en interdisant par exemple toute représentation visuelle ou orale susceptible de suggérer à une personne raisonnable un lien entre les Jeux et une entreprise ou une marque non autorisée [11]. La seconde loi prise à l'occasion des Jeux de Sydney, concernait, cette fois, la publicité réalisée dans l'enceinte et aux abords du site de l'événement [12].

En 2004, lors des Jeux Olympiques d'Athènes, on observa le même phénomène, à savoir qu'à nouveau, une loi ad hoc fut adoptée. À nouveau, également, cette loi réglementait la publicité réalisée par des entreprises non autorisées, dans l'enceinte des jeux, ainsi que dans un certain périmètre alentour. Cette loi allait plus loin que les précédentes initiatives législatives, car elle interdisait même ce type de publicité dans l'espace aérien au-dessus du site de l'événement, mais également sur les bus, trains, métros et voitures visibles depuis les structures olympiques [13].

La technique de l'adoption de lois ad hoc à l'occasion d'événements sportifs est, aujourd'hui, devenue monnaie courante, et des législations similaires à celles évoquées plus haut, sont adoptées lors de la plupart des grands événements sportifs [14].

12.Ces législations ont ceci d'innovant qu'elles constituent les premiers textes législatifs traitant expressément de la notion d'ambush marketing et prévoyant une réglementation spécifique de ces pratiques. À cet effet, elles définissent les pratiques d'ambush marketing comme celles commises en violation d'un droit “d'association à l'événement sportif”.

Ainsi, à l'aune de ces lois spécifiques, est né un nouveau droit exclusif reconnu aux sponsors et organisateurs de l'événement en cause. La définition la plus aboutie de ce droit se trouve à l'article 2 de l'annexe 3 du London Olympics Bill [15]. Selon cette disposition, “constitue une violation du droit d'association exclusif aux Jeux Olympiques de Londres, le fait pour une personne, dans le cadre de son activité commerciale, d'utiliser en relation avec des produits ou services tout type de représentation visuelle ou verbale d'une façon susceptible de créer dans l'esprit du public une association entre les Jeux Olympiques de Londres et ces produits ou services, ou le fournisseur de ces produits ou services.”

13.La doctrine n'a pas manqué de détailler les avantages et inconvénients de cette nouvelle pratique consistant à adopter des lois spécifiques à l'occasion de tout grand événement sportif.

Au nombre des points positifs qui la soutiennent, il faut noter le fait que les législations en cause sont les premières à traiter spécifiquement de l'ambush marketing. En cela, elles se situent dans la lignée d'une réflexion visant à appréhender le phénomène d'une manière spécifique et appropriée.

Les inconvénients de cette tendance à légiférer de manière ponctuelle ne sont cependant pas des moindres. Certains auteurs ont relevé le fait que la notion, trop large, de “violation d'un droit spécifique à l'événement” rend même illégales certaines pratiques de parrainage dont la légalité n'a jamais été contestée. Les auteurs des lois ad hoc se sont donc souvent vus dans l'obligation d'y insérer de longues listes de cas exceptionnels dans lesquels il n'est pas question de pratiques illégales. Fut également recensée sur la liste des inconvénients, la mise en oeuvre excessivement formaliste de ces législations ad hoc portant essentiellement sur les pratiques d'ambush marketing local. A ce propos, la majorité de la doctrine déplore le fait que la mise en oeuvre des mesures prises se fait par l'intermédiaire des autorités locales du pays concerné [16]. Le caractère essentiellement répressif de ces lois ponctuelles, peut également être repris sur la liste des regrets.

Pour notre part, nous ajouterons aux points relevés plus haut le fait que l'adoption d'une législation propre à un événement limite nécessairement le champ de cette loi à la fois dans le temps et dans l'espace. Or, on a pu constater plus haut que les pratiques d'ambush marketing ne se développent pas uniquement entre le premier et le dernier jour de l'événement sportif, ni ne se confinent aux lieux de l'événement en cause. Entre autres, l'on a pu voir qu'à côté des techniques de marketing dites “locales”, se développent également des pratiques d'ambush marketing à un niveau global, et même à une échelle mondiale, que des législations ad hoc ne peuvent raisonnablement appréhender dans leur complexité.

B. L'ambush marketing comme violation d'un droit de marque ou d'un droit à l'image sur l'événement sportif

14.Certains auteurs de doctrine sont tentés de définir l'ambush marketing comme la violation d'un droit exclusif autre que le droit d'association à l'événement sportif, que ce soit par référence à l'existence d'un droit de marque sur l'événement en question ou, plus original encore, par référence à un droit à l'image sur cet événement.

15.La théorie selon laquelle il existe un droit à l'image sur l'événement sportif reste à l'heure actuelle une position doctrinale que les juridictions, belges ou étrangères, refusent de reconnaître. Cette conception en germe et défendue par une minorité d'auteurs, consiste à étendre le droit à l'image reconnu à tout sportif, à l'événement sportif lui-même et ce, au profit de l'organisateur de l'événement [17].

16.Une deuxième solution avancée consiste à appréhender l'ambush marketing via les mécanismes propres au droit des marques. La plupart des auteurs, cependant, refusent de voir dans le droit des marques un régime suffisant à appréhender l'ambush marketing dans toutes ses facettes. En effet, le droit des marques constitue bien entendu un moyen de lutte contre l'ambush marketing lorsque celui-ci passe par l'utilisation des marques propres à l'événement et déposées par l'organisateur d'événement. La solution est certaine depuis longtemps et a été consacrée par la jurisprudence notamment dans l'affaire “VIP-Roland Garros” [18]. On remarque d'ailleurs, à ce propos, que la plupart des organisateurs d'événements développent, depuis quelques années déjà, des campagnes massives d'enregistrement des signes relatifs à leur événement, comme par exemple, le nom officiel qui lui est donné, sa mascotte, le nom de la ville hôte, etc.

Cependant, la plupart des auteurs considèrent que les mécanismes propres au droit des marques ne permettent de lutter que contre les formes les plus sommaires d'ambush marketing.

En effet, le droit des marques n'aura vocation à s'appliquer que si l'ambusher se rend coupable d'utilisations contrefaisantes des marques relatives à un événement sportif, ce qui n'est pas toujours le cas. On a vu, d'ailleurs, que les ambushers ne manquaient pas d'imagination dans l'utilisation de techniques de plus en plus inventives, permettant de contourner les ruses mises en place par les organisateurs et sponsors officiels d'événements sportifs. La plupart du temps, d'ailleurs, les ambushers ont plutôt recours à l'utilisation de leurs propres marques ou noms commerciaux afin de s'associer à l'événement [19].

C. L'ambush marketing comme acte de concurrence déloyale

17.Une dernière solution a été consacrée à plusieurs reprises par la jurisprudence et consiste à considérer l'ambush marketing comme un acte de concurrence déloyale ou parasitaire. On opère parfois, sur ce point, une distinction entre les actes de concurrence parasitaire qui permettront de lutter contre les formes d'ambush marketing direct et les agissements parasitaires permettant eux, de mettre à mal les pratiques d'ambush marketing indirect [20]. Nous n'entrerons pas dans les considérations propres à cette distinction, mais nous attacherons plutôt à quelques cas jurisprudentiels qui se sont déjà engagés dans la voie d'une appréhension de l'ambush marketing par le droit de la concurrence.

En France, entre autres, une série de décisions ont déjà qualifié certaines pratiques d'ambush marketing de “concurrence parasitaire” ou à tout le moins, permettent, sans se prononcer sur l'ambush marketing, de tirer certains enseignements en la matière.

Par exemple, dans un arrêt du 30 janvier 1996, la Cour de cassation française a reconnu que le fait de faire perdre à un concurrent la rentabilité de ses investissements publicitaires constituait un acte de concurrence parasitaire [21]. À l'évidence, cette jurisprudence peut être appliquée aux cas d'ambush marketing. Le tribunal de grande instance de Paris a également été amené à se prononcer sur la question, dans un arrêt du 4 octobre 1996, dans lequel il considère expressément un acte d'ambush marketing comme “agissement parasitaire”. Dans cette affaire, le tribunal condamna la société Henri Maire pour avoir utilisé les symboles olympiques “dans le but de profiter de la notoriété d'un événement entretenue par les efforts du CNO français” [22].

18.À nouveau, cependant, et comme pour les solutions déjà énoncées ci-avant, la qualification de l'ambush marketing comme un acte de concurrence déloyale emporte certains inconvénients. Entre autres et principalement, elle entraîne des différences importantes selon les pays dans lesquels elle est perpétrée, car le régime de la concurrence déloyale s'est construit différemment selon les pays. Or, on a pu noter plus haut que l'ambush marketing est loin de se limiter à une seule nation, étant donné qu'il est susceptible d'être mis en oeuvre pour des événements sportifs au rayonnement mondial et qu'il ne se développe pas seulement à un niveau local.

IV. Conclusion

19.La question de l'ambush marketing est loin d'être résolue et fait l'objet, à l'heure actuelle, de réponses diversifiées. Au vu de ce qui précède, cependant, une série de pistes de réflexions peuvent être dégagées permettant déjà de fournir quelques éléments de réponse.

20.Premièrement, il importe, au premier chef, de se mettre d'accord sur une définition précise de ce que l'on appelle ambush marketing. En effet, l'examen des contributions ayant déjà traité de la matière démontre que les limites du phénomène ne sont pas encore réellement cadrées. Une telle définition sera primordiale afin de déterminer quelles pratiques peuvent être considérées ou non comme licites. Elle devra nécessairement être établie au regard de la balance des intérêts en présence. Il s'agira, en fait, de délimiter les cas dans lesquels il peut être fait exception aux principes de libre concurrence et de liberté d'expression, en faveur des organisateurs d'événements sportifs.

Définir l'ambush marketing ne sera, cependant, pas une tâche simple. Il est certain qu'il restera certaines “zones grises” qu'il sera difficile de catégoriser comme actes licites ou non. Entre autres, on pourra se poser la question des publicités utilisant la voie de l'humour. Dans un autre ordre d'idée, qu'en est-il, par exemple, du cas dans lequel une société qui n'est pas sponsor d'un événement se réfère, dans sa publicité, à l'événement en cause en ajoutant qu'elle n'est pas sponsor officiel de cet événement. C'est d'ailleurs, la question qui s'est posée dans le cadre de l'affaire “Marie-Jo Pérec”, au cours des J.O. d'Atlanta en 1996. Alors que la célèbre athlète avait un contrat avec la société Pepsi, elle remporta une compétition que Coca-Cola sponsorisait officiellement. Pepsi accompagna donc publicitairement la victoire de la championne du slogan: “Marie-José Pérec, représentante officielle d'une boisson non officielle à Atlanta.” Le cas “Pérec” démontre donc la difficulté qu'il y aura à dégager des critères permettant de définir les pratiques illégales d'ambush marketing.

21.Deuxièmement, dans la lignée des législations ad hoc adoptées à l'occasion de grands événements sportifs, la voie d'une réglementation spécifique à l'ambush marketing, semble être préférable à la tentative de le rattacher à un régime juridique existant. La diversité des pratiques d'ambush marketing et la spécificité de la matière, qu'aucun régime de droit ne permet d'appréhender, amènent en effet à la conclusion que cette solution doit être préférée à celles relevées plus haut.

22.Troisièmement, enfin, ce régime juridique spécifique devrait, à l'évidence, comporter une dimension internationale afin d'appréhender au mieux l'impact médiatique international que connaissent aujourd'hui les grands événements sportifs. Bien entendu, la mise en place d'un régime international pose question à plusieurs niveaux. Des questions de forme, comme celle de savoir si l'on aura recours au droit international pur ou au droit communautaire. Des questions de fond également, comme celle de savoir si l'on empruntera à un régime existant dans l'un des états qui participeront au processus législatif, ou à l'une des lois ad hoc visées plus haut.

[1] Paul Van den Bulck est avocat et chargé d'enseignement à l'Université Robert Schuman. Marie de Bellefroid est avocate.
[2] C. Guarrigues, Ambush marketing: A threat to global sponsored events?, 26 mars 2004, http://twobirds.com/english/publications/articles/Ambush_Marketing_Sponsored_Events.cfm .
[3] C. Pina et A. Gil-Robles, “Sponsorship of Sports Events and Ambush Marketing”, European Intellectual Property Review 2005, p. 93.
[4] C. Garrigues, o.c., http://www.twobirds.com .
[5] Pour des exemples de pratiques d'ambush marketing, voy. A. Sauer, Ambush marketing steals the show, 2002, http://www.brandchannel.com/features_effects.asp .
[6] E. Vassallo, K. Blemaster et P. Werner, “An international look at ambush marketing”, The trademark Reporter, vol. 95, novembre-décembre, 2005, p. 1347; voy. également J. Hoek et P. Gendall, “Ambush marketing: More than just a commercial irritant?”, Entertainment law, vol. 1, n° 2, 2002, pp. 72-91.
[7] J. De Dios Crespo Perez, Ambush marketing dans la publicité sportive, www.iusport.es/opinion/crespo98.htm ; voy. également R. H. Falconer, “Ambush marketing and how to avoid it”, Euromoney's Managing Intellectual Property, décembre-janvier 1996, http://www.geocities.com/Athens/Acropolis/5232/ambush.html .
[8] Pour un apercu des décisions déjà rendues dans différents pays, voy. E. Vassalo, K. Blemaster et P. Werner, o.c.
[9] Trib. comm. Nanterre 12 décembre 2002, ACO et ASAACO/SARL Dragoon Éditions, note C. Caron.
[10] C. Caron, “À propos de l'appropriation de l'événement sportif par le droit de propriété intellectuelle”, Comm. Comm. Elect. février 2003, p. 33.
[11] J. Curthoys et C.N. Kendall, “Ambush marketing and the Sydney 2000 Games (indicia and images) protection act: A retrospective”, Murdoch University Electronic Journal of Law 2001, http://www.murdoch.edu.au/elaw/issues/v8n2/Kendall82_text.html .
[12] Olympic Arrangements Act 2000, n° 1 2000.
[13] Loi n° 3254 du 22 juillet 2004 relative à la réglementation des Jeux Olympiques d'Athènes.
[14] Voy. par exemple loi italienne n° 167. Mesures pour la protection du symbole olympique en relation avec l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver de Turin 2006; voy. également décret-loi n° 86-2004 concernant la protection des droits de l'UEFA Euro 2004.
[15] London Olympics Bill. Loi n° 45, 14 juillet 2005, http://www.out-law.com/page-5895 .
[16] C. Guarrigues, “Ambush marketing: Robbery or smart advertising?”, European Intellectual Property Review 2002, 24 (11), p. 505.
[17] J. Henningan, “Alterned Image rights”, Entertainment Law Review 2003, 14 (7), p. 161.
[18] Paris (4e ch.) 20 novembre 1995, SARL Acromedia/Fédération française de tennis, PIBD 1996, n° 604, p. III-71.
[19] E. Vassalo, K. Blemaster et P. Werner, o.c., p. 1341.
[20] P. Le Tourneau, “Parasitisme, concurrence parasitaire et agissements parasitaires”, Jurisclasseur Concurrence Consommation, fascicule 227, juin 2002.
[21] Cass. comm. 30 janvier 1996, SA Fleurs Éclairs/Office néerlandais des produits laitiers, Juris-data, n° 000294.
[22] Trib. gr. inst. Paris (3e ch.) 4 octobre 1996, Cady Roustand de Navacelle de Coubertin et CNOSF/Société Henri Maire, PIBD 1997, III, p. 39.