Il est de jurisprudence bien établie que l'agent bancaire indépendant n'agit pas dans le cadre d'un lien de subordination à l'égard de l'établissement de crédit qu'il représente et que l'article 1384 § 3 du Code civil ne s'applique pas aux actes posés par un tel agent [1].
L'agent est mandataire de la banque et engage directement cette dernière pour les actes qui relèvent de sa mission.
Comme le rappelle le tribunal de commerce de Huy, le mandant ne répond normalement pas des délits ou quasi-délits accomplis par le mandataire, dans la mesure où il s'agit de faits juridiques auxquels ne s'applique pas la représentation.
Seuls les délits ou quasi-délits inhérents à l'exécution du mandat - hypothèse impie en l'espèce, s'agissant d'un détournement de fonds opéré par le mandataire à son seul profit - entraînent la responsabilité du mandant.
L'absence de tout lien de subordination et la large autonomie dont dispose l'agent dans l'organisation de son travail n'exclut pas que la banque qui a recours à des agents indépendants ait le droit et même le devoir d'exercer, sur l'activité de ces agents, un contrôle adéquat [2].
Ce devoir de surveillance est exprimé de longue date par la Commission bancaire, financière et des assurances [3] qui impose d'une part que la collaboration entre l'agent délégué et l'établissement de crédit doit être basée sur un contrat écrit qui doit contenir les principes indispensables afin d'assurer la sécurité des opérations effectuées pour le compte dudit établissement et d'autre part que l'établissement de crédit doit veiller à soumettre l'activité des agents délégués à des procédures internes appropriées permettant un contrôle interne adéquat.
Le tribunal de commerce de Huy relève que “le consommateur est en droit de considérer qu'en entrant dans une agence bancaire, il contracte avec la banque et non pas avec son agent ou mandataire dont par ailleurs, il a la conviction que ce dernier fait l'objet d'un contrôle rigoureux après avoir été choisi pour son sérieux et ses compétences”.
Cette constatation comporte en réalité deux éléments qui, s'ils conduisent en l'espèce à une même conclusion, à savoir la responsabilité de la banque, reposent néanmoins sur deux bases juridiques différentes dont le tribunal semble faire une application cumulée:
- la théorie de l'apparence suivant laquelle le mandant répond des dépassements de pouvoirs de son mandataire si le tiers victime de ces dépassements a pu légitimement croire dans l'existence du mandat et si cette apparence est imputable au mandant. Le tribunal relève un certain nombre d'éléments de fait dont l'obligation d'exclusivité figurant dans le contrat d'agence pour en déduire que les clients de l'agent indépendant pouvaient légitimement croire qu'ils s'adressaient à un “établissement bancaire ordinaire”;
- la responsabilité civile de droit commun suivant laquelle un établissement de crédit doit agir avec prudence et adopter le comportement d'un professionnel normalement diligent notamment dans le choix et la surveillance de ses agents délégués.
Si on peut suivre le raisonnement du tribunal en ce qui concerne la croyance légitime que peuvent avoir, dans certaines circonstances, les clients qui pénètrent dans une agence tenue par un agent indépendant de traiter avec l'établissement de crédit sous l'enseigne duquel l'agent exerce ses activités et si la solution à laquelle aboutit le tribunal peut être conforme à l'équité, la rigueur du raisonnement juridique nous semble présenter un chaînon manquant.
L'apparence doit, pour engager le mandant porter sur le fait que le mandataire reste dans les limites de son mandat - peut-on réellement soutenir qu'un détournement de fonds entre dans les limites d'un mandat donné par un établissement de crédit?
En réalité - et c'est le second élément retenu par le tribunal - la croyance légitime du client porte surtout sur le fait qu'il ne fait pas la différence, en l'espèce entre un préposé de la banque (dont celle-ci répond) et un agent indépendant qui ne l'engage que dans les limites de son pouvoir de représentation.
Or, la jurisprudence dominante exclut précisément qu'un établissement de crédit puisse, en ce qui concerne un de ses agents indépendants, être engagé sur base de la responsabilité du commettant vis-à-vis de ses préposés.
Par ailleurs, si on envisage la responsabilité civile de droit commun, il faudrait que soit démontrée en l'espèce l'existence d'une faute ou à tout le moins d'une imprudence de la banque au niveau de la surveillance de son agent délégué. Cette démonstration n'est pas toujours aisée sachant qu'il est impossible pour un établissement de crédit de placer un inspecteur à côté de chaque gérant d'agence qu'il soit préposé ou agent indépendant [4].
Dès lors, en l'absence d'un texte légal spécifique et si l'on admet que l'agent bancaire indépendant n'est pas un préposé dont l'établissement de crédit répond dans le cadre de l'article 1384 § 3 du Code civil, la démonstration d'une faute ou d'une imprudence de la banque risque de poser problème dans un certain nombre de cas.
De telles situations conduisent à un vide juridique peu conforme à l'équité tant il est vrai, que le client n'a pas les moyens de faire clairement la différence entre le statut juridique d'un agent bancaire indépendant travaillant exclusivement pour un établissement de crédit déterminé et un préposé de cet établissement.
C'est ce souci d'équité qui a conduit la jurisprudence à combler le vide juridique par le recours à la théorie de l'apparence qui toutefois ne nous semble pas satisfaire dans tous les cas à la rigueur d'un raisonnement (trop?) strictement juridique.
Ce vide juridique pourrait bien être aujourd'hui comblé par la loi du 22 mars 2006 relative à l'intermédiation en services bancaires et en services d'investissement et à la distribution d'instruments financiers [5].
Cette loi [6] reprend la distinction - qui figurait déjà dans la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation - entre “l'agent en services bancaires et en services d'investissement” (dans la loi sur le crédit à la consommation, il était question d'“agent délégué”) et le “courtier en services bancaires et en services d'investissement” (courtier de crédit dans la loi sur le crédit à la consommation).
L'agent en services bancaires et d'investissement agit pour nom et pour compte d'une seule entreprise mandante et “sous la responsabilité entière et inconditionnelle de son mandant” qui contrôle le respect par l'agent des dispositions de la loi et de ses arrêtés d'exécution [7].
Le courtier en services bancaires et d'investissement est “l'intermédiaire qui n'est pas un agent en services bancaires et en services d'investissement et qui ne se trouve pas, pour ce qui est du choix de l'entreprise réglementée dans un lien durable avec une ou plusieurs de ces entreprises” [8]. Contrairement à l'agent, le courtier ne peut exercer ses activités qu'en dehors de tout contrat comportant une exclusivité [9].
Il n'est dès lors pas question qu'il travaille sous la responsabilité entière et inconditionnelle d'un établissement particulier. La collaboration entre un courtier et l'entreprise réglementée avec laquelle il traite doit par ailleurs faire l'objet d'une convention écrite contenant les procédures comptables et administratives qu'il doit respecter.
Tout intermédiaire en services bancaires et en services d'investissement qu'il soit agent ou courtier doit être inscrit sur un registre particulier soit dans la catégorie agent soit dans la catégorie courtier. La liste des intermédiaires est publiée et actualisée régulièrement par la CBFA qui subordonne l'inscription et le maintien de l'inscription aux conditions énumérées par la loi et ses arrêtés d'exécution [10]. L'intermédiaire en services bancaires et en services d'investissement doit informer ses clients notamment de la catégorie (agent ou courtier) à laquelle il appartient. Cette information doit figurer sur son papier à lettre et sur tout document relatif à son activité d'intermédiation [11].
[1] | Voy. notamment Liège 29 avril 2004, R.D.C. 2006, pp. 131 et s. et nos observations et Liège 26 mai 2003, R.D.C. 2005, pp. 195 et s. et nos observations. |
[2] | Liège 26 mai 2003, R.D.C. 2005, pp. 195 et s. et nos observations. |
[3] | Circulaire B 93/5 aux établissements de crédit du 21 octobre 1993 qui précise “dans une optique de protection de l'épargne publique et de contrôle prudentiel le cadre dans lequel les établissements de crédit peuvent avoir recours à des agents délégués et les contrôles à exercer sur ce type de réseau”. |
[4] | Une faute de la banque est cependant parfois retenue pour défaut de surveillance: Liège 26 mai 2003, R.D.C. 2005, pp. 195 et s. et nos observations, ou pour n'avoir pas suffisamment averti les tiers d'une cessation des relations de la banque avec l'agent délégué: Mons 16 décembre 1996, D.C.C.R. 1997, p. 167. |
[5] | Mon. b. 28 avril 2006. Loi entrée en vigueur le 1er juillet 2006. Voy. également l'A.R. du 1er juillet 2006, Mon. b. 6 juillet 2006. |
[6] | Art. 4, 3° et 4°. |
[7] | Art. 10 § 4. |
[8] | Art. 4, 4°. |
[9] | Art. 11 § 1er. |
[10] | Art. 8. |
[11] | Art. 15 § 1er. |