Cette décision est frappée d'appel.
Un client demande à être indemnisé des conséquences d'un placement en parts d'un fonds de placement en dollars opéré pour son compte par sa banque sans que celle-ci ait recueilli sa signature.
Au-delà des aspects factuels de cette affaire, deux éléments de la motivation du tribunal de première instance de Bruxelles retiennent l'attention, voire suscitent l'interrogation:
- le cadre juridique dans lequel s'inscrit l'investissement incriminé;
- l'attitude du client face à cet investissement.
Les interventions d'un établissement bancaire dans les opérations patrimoniales de leurs clients peuvent revêtir différentes formes.
La loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements distingue la gestion sur une base discrétionnaire et individualisée, de portefeuilles d'investissement dans le cadre d'un mandat donné par les investisseurs [1] du conseil en investissement portant sur un ou plusieurs instruments financiers [2].
Alors que le gérant de fortune accomplit comme mandataire, pour le compte et au nom de ses clients des actes d'administration (encaissement de coupons ou de dividendes par exemple) et/ou de disposition des avoirs desdits clients [3], le conseiller en placements suggère des investissements à son client dont le client apprécie seul l'opportunité de les réaliser par l'intermédiaire de son conseiller ou d'un autre intervenant ayant accès au marché [4]. C'est donc le client qui prend la décision sur base du conseil reçu. Le conseiller ne peut poser des actes de disposition que sur base d'instructions exprès reçues de son client [5].
En marge de ces deux grandes catégories-types d'intervention prévues par la loi, la pratique a développé différents services qui tantôt constituent des nuances ou des sous-catégories des “catégories légales” tantôt coexistent avec celles-ci: la “gestion conseil” ou “gestion surveillée” (dans le cadre de laquelle le gestionnaire, sur base d'une liste de titres se trouvant en possession du client donne des conseils de placement qui ne seront exécutés que moyennant l'accord du client), la “gestion discrétionnaire” (dans le cadre de laquelle le gestionnaire effectue des opérations “discrétionnairement”, en vertu d'un mandat global donné par le client, au mieux des intérêts de ce dernier), le conseil ponctuel isolé (suivi ou non d'un ordre d'exécution donné par le client à l'établissement dont émane le conseil ou à un autre intervenant sur le marché) ou la simple exécution d'ordres émanant du client en dehors de tout conseil. Ces deux derniers services ne sont pas visés par une réglementation spécifique et c'est par référence aux conventions éventuellement passées entre parties que s'apprécieront, le cas échéant, les manquements reprochés à l'établissement intervenant.
Selon le tribunal de première instance de Bruxelles, la banque en effectuant elle-même un achat de titres sans recueillir la signature du client a posé un acte de disposition contraire au mécanisme du conseil en placements et “assuré une véritable gestion de patrimoine”.
Cette affirmation non autrement argumentée semble peu nuancée, compte tenu d'une part de la palette de possibilité d'intervention énumérées ci-dessus et d'autre part de ce que l'existence d'un acte isolé, en l'absence de toute convention passée entre la banque et le client est difficilement compatible avec la notion même de gestion, laquelle suppose - à tout le moins potentiellement - des interventions multiples.
Il convient de relever par ailleurs, que tant l'activité de conseil en placement que celle de gestion de fortune ne font l'objet d'un statut légal spécifique que depuis la loi du 4 décembre 1990 relative aux marchés financiers et aux opérations financières et l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements [6].
À l'époque des faits examinés par le tribunal de première instance de Bruxelles lesquels étaient consommés en septembre 1989, seul le droit commun du mandat et du louage de services s'appliquait à ce type de relation entre une banque et ses clients.
Dès lors, que l'on considère le fait d'un investissement isolé - incompatible avec la notion de gestion de patrimoine - ou simplement l'époque des faits litigieux, seul le droit commun fournit le cadre légal dans lequel devait s'apprécier le comportement des parties en vue de déterminer une responsabilité éventuelle.
Un acte juridique posé sans ordre ne peut lier le “mandant”.
Dès lors, un acte de disposition des actifs appartenant à un client sans l'accord dudit client est inopposable à ce dernier à moins qu'intervienne une ratification de sa part.
La jurisprudence admet très généralement qu'un client qui ne conteste pas une opération de bourse effectuée par son banquier sans ordre écrit de sa part peut se voir opposer la validité de cette opération s'il ne réagit pas à la réception de son extrait de compte ou à la réception des titres [7].
En contradiction avec cette jurisprudence bien établie et de manière quelque peu lapidaire, le tribunal se borne à affirmer que la signature par le client des avis de réception des titres ne peut être considérée comme une approbation des ordres ni comme déchargeant la banque de sa responsabilité.
Cette affirmation non autrement argumentée paraît surprenante si l'on relève par ailleurs, dans l'exposé des faits que fournit le jugement, qu'en l'espèce, la signature - apparemment sans réserves - par le client des avis de réception des titres date du 13 septembre 1989 alors que ses doléances en rapport avec cet investissement ne semble s'être manifestées qu'en mars 1990 et alors même que, dans l'intervalle, de nouveaux investissements de même nature et dans les mêmes valeurs avaient été effectués à l'initiative du client et sous la signature de ce dernier.
[1] | Loi du 6 avril 1995, art. 46, 1°, 3. |
[2] | Loi du 6 avril 1995, art. 46, 1°, 6. |
[3] | Voy. not. J.F. Romain, “La réforme financière de 1990 - La gestion de fortune et le conseil en placements”, J.T. 1991, p. 629. |
[4] | D. Roger et M. Salmon, “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle de gérants de fortune et de conseillers en placements”, J.T. 1998, p. 394 . |
[5] | B. Feron, “La responsabilité de l'intermédiaire financier en matière d'investissement”, in Questions d'actualité en matière de responsabilité civile liée à l'information et au conseil, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1999, p. 4; J.-F. Romain, “La réforme financière de 1990 - La gestion de fortune et le conseil en placements”, J.T. 1991, p. 629. |
[6] | Tant la loi que l'arrêté royal sont entrés en vigueur - sans rétroactivité - le 1er septembre 1991. |
[7] | Voy. not. Bruxelles 23 janvier 2004, R.D.C. 2006, p. 112 avec nos observations et les réf. citées en note 132; Anvers 11 avril 1994, R.D.C. 1995, p. 1063 avec les observations de J.-P. Buyle et X. Thunis; Comm. Louvain 26 octobre 1993, R.D.C. 1994, p. 1137 avec les observations de J.-P. Buyle et X. Thunis; Comm. Bruxelles 27 avril 1992 et Trib. Anvers 29 avril 1992 avec les observations de J.-P. Buyle et X. Thunis, R.D.C. 1993, pp. 1059 et 1062. |