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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2007/1, p. 66-68

BANQUE ET CRÉDIT
Généralités - Responsabilité contractuelle
La responsabilité de la banque peut être engagée si celle-ci a octroyé à son client inexpérimenté un crédit manifestement déraisonnable. Mais le crédité - auquel il est permis d'assimiler le principal responsable de la société - qui possède une connaissance parfaite de sa situation financière ne saurait reprocher à la banque de lui avoir octroyé un crédit nonobstant sa situation financière difficile.
L'activité commerciale tout comme l'activité bancaire impliquant nécessairement une part de risque, la réalisation de celui-ci ne suffit pas à démontrer que la prise de risque était fautive dans le chef du banquier.
Il ne peut être reproché à une banque d'avoir maintenu sa confiance en des clients fidèles et travailleurs et d'avoir pris le risque non déraisonnable de spéculer sur le redressement d'une entreprise familiale.

BANK EN KREDIET
Algemeen - Contractuele aansprakelijkheid
De aansprakelijkheid van de bank kan in het gedrang komen wanneer zij aan haar onervaren cliënt een manifest onredelijk krediet heeft toegekend. Maar de gecrediteerde - waarmee de belangrijkste verantwoordelijke van de vennootschap mee gelijk gesteld kan worden - die een perfecte kennis bezit van de financiële situatie kan aan de bank niet verwijten een krediet te hebben toegekend ongeacht haar moeilijke financiële situatie.
Aangezien iedere commerciële activiteit, zoals tevens de bancaire activiteit, noodzakelijkerwijze een risico inhoudt, volstaat de uitvoering van deze activiteit niet om aan te tonen dat het nemen van het risico een fout uitmaakt in hoofde van de bankier.
Het kan niet aan de bank verweten worden haar vertrouwen te hebben behouden in trouwe en hardwerkende cliënten en het niet onredelijke risico te hebben genomen om te speculeren op het herstel van een familiale onderneming.

1.L'arrêt commenté aborde la question devenue classique de la mise en cause par un client de la responsabilité contractuelle de son banquier pour lui avoir consenti un crédit inconsidéré, excédant ses capacités de remboursement et ce à un moment où sa situation était déjà gravement, sinon irrémédiablement, compromise.

Cette problématique a fait couler beaucoup d'encre, particulièrement en France où depuis 10 ans, la Cour de cassation a rendu une quinzaine d'arrêts, en affinant et en rapprochant progressivement la jurisprudence au départ divergente des chambres civile et commerciale [1].

Schématiquement, on peut résumer les devoirs du banquier, au moment de l'octroi du crédit, à l'investigation, à la prudence, à la diligence et à l'information.

2.Le devoir d'investigation, d'abord.

Avant d'octroyer un crédit, le banquier doit se renseigner sur la situation personnelle du candidat emprunteur, sur ses ressources et ses capacités de remboursement. Il doit s'interroger sur les revenus actuels et futurs de son client. “Cette situation vise les revenus professionnels, immobiliers et mobiliers promérités et attendus par le candidat au crédit” [2]. L'établissement de crédit va naturellement s'intéresser aux perspectives socio-économiques de son client, à ses revenus probables, voire aléatoires liés à la perspective de l'entreprise. Il tient compte des informations dont il dispose au moment où il prend sa décision. La survenance par la suite de circonstances imprévues, imprévisibles ou extérieures (perte d'un emploi, disparition d'un locataire, dévalorisation d'un immeuble, impossibilité d'obtenir des avantages fiscaux prévus, …) est indifférente.

Le banquier peut croire sur parole son client lorsqu'il lui communique des informations dont rien ne lui donne à penser que celles-ci sont inexactes, fausses ou fantaisistes. Il n'a pas à vérifier les renseignements fournis par le candidat emprunteur. La banque ne doit pas “procéder elle-même à des études techniques et à des analyses comptables en vue de confirmer ou de rejeter les documents du candidat au crédit qu'une vérification raisonnable fait apparaître comme normaux. Le droit de toute personne de gérer ses biens et d'entreprendre ses affaires comme elle l'entend, exclut de transformer l'obligation du banquier en une tutelle des banques jugeant souverainement de l'opportunité de traiter les opérations nécessitant un crédit et réexaminant en lieu et place du crédité 'minorisé' tous les aspects de son projet comme celui-ci devrait le faire en adulte responsable gérant ses intérêts 'en bon père de famille.'” [3].

Le client est tenu de son côté à une obligation d'information exacte et loyale, à un devoir de collaboration et de sincérité à l'égard de son banquier [4]. Ce dernier doit se faire une idée précise de la rentabilité escomptée du projet que lui soumet le candidat emprunteur, mais sans avoir “l'obligation de procéder à une analyse approfondie de la situation existante et projetée de la société pour en vérifier notamment la faisabilité” [5]. Le banquier ne sera en aucun cas responsable de l'absence ultérieure de rentabilité réelle du projet financé [6]. Ceci ressort de la responsabilité de l'emprunteur. Le banquier est tenu par une obligation de non ingérence dans les affaires de son client.

3.Le devoir de prudence et de diligence, ensuite.

Au terme de son analyse, si le banquier décide d'octroyer le crédit sollicité, il veille à ce que celui-ci soit adapté aux capacités de remboursement de l'emprunteur. C'est une application du principe de proportionnalité. “Il y a faute si le crédit est accordé à la légère ou maintenu en faveur de l'entreprise dont la faillite apparaît ou devait apparaître comme inévitable(…). Au moment de l'octroi du crédit, le banquier doit notamment vérifier que le type de crédit et son montant sont adaptés aux dimensions et aux besoins de l'entreprise et s'il ne finance pas une entreprise disproportionnée” [7].

Cette décision implique par nature une prise de risques. Rares sont, en effet, les crédits octroyés sans risque. Le banquier doit donc veiller à ce que les risques ne soient pas manifestement déraisonnables, précise la cour d'appel de Liège, dans la décision commentée.

Dans ses arrêts précités des 21 février 2006 (chambre civile) et 3 mai 2006 (chambre commerciale), la Cour de cassation de France rejette toute obligation de vigilance dans le chef du banquier. Un crédit excessif pourrait ainsi être octroyé à un client pour autant que celui-ci ait été alerté (cf. infra, n° 4) et ait accepté de courir le risque. La situation est comparable à celle du chirurgien qui prend le risque de procéder à une opération à haut risque, après en avoir informé son patient et obtenu son consentement.

La décision commentée s'inscrit dans cet enseignement: “le crédité - auquel il est permis d'assimiler le principal responsable de la société - qui possède une connaissance parfaite de sa situation financière ne saurait reprocher à la banque de lui avoir octroyé du crédit nonobstant sa situation financière difficile” [8].

4.Le devoir d'information, enfin.

Ce devoir s'apprécie différemment, selon que le candidat emprunteur soit averti ou profane.

À l'égard du client averti, le banquier n'a aucune obligation d'information particulière, sauf s'il connaissait une donnée importante ou déterminante sur la situation financière de l'emprunteur et que celui-ci ignorait (hypothèse de l'asymétrie d'information), auquel cas ce renseignement doit être transmis par le banquier.

À l'égard du profane, le banquier doit communiquer les informations relatives au crédit octroyé, à ses caractéristiques, ses modalités et à son coût. Il doit préciser au client la manière dont il entend que le crédit soit remboursé. Il doit l'informer sur les risques pris (ce que certains qualifient de devoir de mise en garde). Cette information peut se traduire par une invitation à constituer des sûretés. Ceci permet de rendre le client attentif aux risques encourus. Ainsi, en matière d'opérations sur instruments financiers, le devoir de mise en garde de l'intermédiaire se traduit souvent par une demande de constitution d'une couverture adéquate dans le chef du client [9].

Il n'y a en tous les cas, à ce stade, aucun devoir de conseil dans le chef du banquier et qui l'obligerait à orienter positivement le client vers une décision déterminée. Dans ses arrêts précités des 3 mai 2006 (chambre civile) et 20 juin 2006 (chambre commerciale), la Cour de cassation de France confirme l'inexistence de ce devoir.

La distinction entre client averti et profane n'est pas propre à la matière du crédit. On le retrouve par exemple en matière financière. L'investisseur averti bénéficie d'une protection moindre que l'investisseur profane. Seul le second et non le premier doit être informé des risques encourus dans les opérations spéculatives sur le marché à terme, particulièrement lorsque celles-ci risquent de s'avérer à l'évidence déficitaires [10].

Si la loi et la jurisprudence ne définissent pas ces catégories de client, on peut avancer que le client averti est celui qui, par sa situation personnelle (âge, formation, catégorie sociale, profession, fonction de dirigeant, qualité d'actionnaire important, …) dispose ou doit disposer, au moment où le crédit est octroyé, d'informations suffisantes pour apprécier la situation relative au crédit sollicité et aux risques pris. C'est en principe le cas du professionnel, du commerçant ou du gérant d'entreprise. Un particulier peut aussi être qualifié d'emprunteur averti, s'il est lui-même informé, voire conseillé, par un tiers (un parent, une connaissance professionnelle telle qu'un comptable ou un expert). Dans un cas d'espèce, il a été considéré qu'un emprunteur n'était pas profane s'il était assisté de son conjoint, cadre supérieur au sein de l'établissement de crédit prêteur [11]. Dans l'espèce commentée, les emprunteurs étaient apparemment tous deux commerçants et ont été considérés implicitement comme étant “avertis” par la cour d'appel de Liège.

À côté des devoirs habituels du banquier, il n'est pas inutile de rappeler que le candidat emprunteur a lui-même des obligations et qu'il ne peut pas rester béat et passif. “Le crédité a également des devoirs lorsqu'il négocie un crédit avec une banque, il doit s'informer et faire preuve de diligence; il est en outre mieux placé que son banquier pour connaître sa situation financière ainsi que pour apprécier sa capacité à rembourser le crédit” [12]. En cas de fautes concurrentes du banquier et du client, rien n'empêche de partager les responsabilités, en application de l'équivalence des conditions.

Enfin, on rappellera que sur le plan de la charge de la preuve, “il incombe à l'emprunteur de prouver que le prêteur n'a pas respecté ses obligations, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, de s'informer au sujet de la situation financière et des possibilités de remboursement de l'emprunteur et de lui recommander le type et le montant du crédit le plus adapté à sa situation financière, sans préjudice à l'obligation du prêteur de collaborer à cette preuve” [13].

[1] Cons. not. Cass. civ. 8 juin 1994, Rev. dr. banc. 1994, p. 173, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard; Cass. civ. 27 juin 1995, Rev. dr. banc. 1995, p. 185, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard; Cass. comm. 11 mai 1999, Rev. trim. dr. com. 1999, p. 733, obs. M. Cabrillac; Cass. comm. 26 mai 2002, Rev. trim. dr. com. 2002, p. 523, obs. M. Cabrillac; Cass. 24 septembre 2003, Banque et droit janvier-février 2004, p. 57 et obs. Th. Bonneau; Cass. civ. 8 juin 2004, Banque et droit novembre-décembre 2004, p. 56 et obs. Th. Bonneau; Cass. civ. 12 juillet 2005 (3 arrêts), D. 2005, A.J., p. 2276 et obs. X. Delpech; Cass. civ. 2 novembre 2005, D. 2005, A.J., p. 3084 et obs. V. Avena-Robardet; Cass. civ. 21 février 2006, D., Cah. des aff., 2006, p. 1618 et obs. J. François; Cass. comm. 3 mai 2006 (2 arrêts), D. 2006, A.J., p. 1445 et obs. X. Delpech; Cass. comm. 20 juin 2006 et Cass. civ. 27 juin 2006, D. 2006, A.J., p. 1887 et obs. X. Delpech; Cass. comm. 20 juin 2006, Cass. civ. 27 juin 2006 et Cass. civ. 12 juillet 2006, Banque et droit septembre-octobre 2006, et obs. Th. Bonneau.
[2] Civ. Bruxelles (8e ch.) 5 mai 2006, Grand Henry/SA Fortis Banque, R.G. 03/8217/A, inédit.
[3] Civ. Bruxelles (70e ch.) 7 janvier 2005, Sohie et crts/Monnet, SA Fortis Banque, R.G. 95/13756/A et 96/1862/A, inédit, se référant à Civ. Liège 18 février 1987, R.D.C. 1989, p. 73.
[4] “La production d'un compte de résultat non sincère constitue un comportement gravement répréhensible justifiant la résiliation sans préavis du crédit consenti par la banque” (Cass. Com F. 20 juin 2006, banque & droit, nov-déc 2006, p. 24).
[5] Civ. Bruxelles (70e ch.) 7 janvier 2005, o.c.
[6] Une erreur commise sur les chances de succès d'une entreprise ne constitue pas nécessairement une faute, rappelle à bon droit l'arrêt commenté.
[7] Civ. Bruxelles (74e ch.) 20 mai 2005, SA CBC Banque/Mathieu-Gueulette, inédit, R.G. 98/1420/A, citant not. Mons 4 octobre 1988, J.L.M.B. 1989, p. 1151.
[8] En ce sens, Liège 28 avril 1994, R.D.C. 1995, p. 1032 et obs. J.-P. Buyle et X. Thunis; Liège 29 juin 2001, J.T. 2001, p. 864 ; Liège 29 avril 2004, R.D.C. 2006, p. 86 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[9] La couverture est destinée non seulement à protéger le professionnel d'éventuelles défaillances de son client mais encore à mettre en garde ce dernier (Cass. comm. fr. 10 décembre 1996, Bull. Joly Bourse 1997, p. 205, § 22, note H. De Vauplane; Bruxelles 21 mars 2002, R.D.C. 2004, p. 193 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux; J.-P. Buyle et O. Creplet, “Les conditions générales de banque, les opérations sur instruments financiers”, in Les conditions générales bancaires, Cahier de l'AEDBF-Belgium, n° 17, Bruylant, 2005, p. 372).
[10] Cons. not. Cass. comm. fr. 5 novembre 1991, Banque et droit 1992, p. 106; Liège 16 janvier 1997, R.D.C. 1999, p. 22 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
[11] Cass. comm. fr. 3 mai 2006, D. 2006, A.J., p. 1445.
[12] Civ. Bruxelles (8e ch.) 5 mai 2006, o.c.
[13] Cass. 10 décembre 2004, R.C.J.B. 2005/4, p. 683 et note J.-P. Buyle; “Les devoirs précontractuels du prêteur en matière de crédit à la consommation et la charge de la preuve du manquement à ces obligations”, Annuaire juridique du crédit et du règlement collectif de dette 2005, p. 19 et commentaire F. De Patoul.