Article

Cour d'appel Bruxelles, 25/11/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/1, p. 52-54

Cour d'appel de Bruxelles 25 novembre 2005

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Virement - Erreur du donneur d'ordre - Faillite du bénéficiaire - Action en revendication (non) - Répétition de l'indu (oui)
Le donneur d'ordre qui commet une erreur, au niveau du montant, dans l'ordre de virement qu'il transmet à sa banque, est créancier chirographaire en cas de faillite du bénéficiaire du virement erroné, pour le montant en trop versé. Il ne peut se prévaloir de l'action en revendication du propriétaire sur le bien détenu par le failli, dans la mesure où il n'est pas propriétaire de la somme virée par erreur. Le déposant est créancier de l'établissement de crédit, et non propriétaire du solde de son compte. Le virement n'a pas pour effet de le rendre propriétaire des fonds transférés.
Au surplus, eu égard aux caractéristiques du compte courant, dont notamment la fongibilité des remises, et la confusion entre articles de débit et de crédit, il est impossible de procéder à une individualisation des fonds transférés par erreur.
L'erreur commise par le donneur d'ordre n'a pas pour conséquence de rendre l'acte juridique, que constitue le paiement, nul. Le paiement avait pour objet d'éteindre une dette, et est, dès lors, valable. Le client ne peut se fonder que sur la répétition de l'indu afin de récupérer la somme excédentaire.


BANKRECHT
Bankverrichtingen - Overschrijving - Vergissing van de opdrachtgever - Faillissement van de begunstigde - Revindicatievordering (neen) - Onverschuldigde betaling (ja)
De opdrachtgever die in de overschrijvingsorder die hij overmaakt aan zijn bank een fout begaat met betrekking tot het bedrag, is chirographaire schuldeiser in het geval van het faillissement van de begunstigde van de foutieve overschrijving ten belope van het bedrag dat teveel werd overgemaakt. Hij kan zich niet beroepen op de revindicatievordering van de eigenaar op het goed dat wordt gehouden door gefailleerde, aangezien hij geen eigenaar is van de som die verkeerdelijk werd overgeschreven. De depositaris is schuldeiser van de kredietinstelling, en geen eigenaar van het saldo van zijn rekening. Ingevolge de overschrijving wordt hij geen eigenaar van de getransfereerde fondsen.
Daarenboven, gelet op de karakteristieken van de rekening-courant, en meer bepaald de fungibiliteit van de bedragen en de samensmelting tussen debet en creditverrichtingen, is het onmogelijk om over te gaan tot een individualisering van fondsen die per vergissing werden overgemaakt.
De vergissing die begaan werd door de opdrachtgever heeft niet tot gevolg om de juridische akte, te weten de betaling, nietig te maken. De betaling had tot doel om een schuld te doen uitdoven en, is bijgevolg geldig. De cliënt kan zich enkel baseren op de onverschuldigde betaling teneinde de teveel betaalde som te recupereren.

SA BASF Printing Systems / Me J.-L. Jaspar q.q. faillite SPRL Aadis

Siég.: H. Mackelbert (conseiller unique)
Pl.: Mes Ch. Dumont de Chassart loco Ch. Van Buggenhout et Th. Hudsyn

(...)

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par BASF au greffe de la cour, le 15 octobre 2004.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Le 14 février 2002, la société Aadis adresse à BASF une facture d'un montant de € 365,94.

Le 11 avril 2002, BASF verse par erreur sur le compte 310-0198591-21 ouvert par Aadis auprès de la BBL une somme de € 365.394.

Le 12 avril 2002, elle adresse un fax à Aadis pour lui signaler cette erreur et lui demande de bien vouloir virer le plus rapidement possible la différence entre ce qui était dû et ce qui a été payé, soit € 365.028,06.

2. Lorsque Aadis reçoit ce paiement, son compte à la BBL était débiteur de € 78.398,05.

Le préposé chargé de la comptabilité mentionne sur l'extrait de compte qu'il s'agit d'une erreur de BASF et que le montant payé en trop s'élève à € 365.028,06.

Après le paiement de BASF, les opérations suivantes sont enregistrées sur le compte bancaire d'Aadis:

Date Libellé Montant
12.04.02 solde débiteur -78.398,05
12.04.02 de BASF +365.394,00
15.04.02 de Wormaid +287,90
15.04.02 de Emac +68.985,30
15.04.02 à Shell -30,48
15.04.02 à Shell -37,00
15.04.02 à Shell -44,98
15.04.02 à Belgacom Mobile -247,23
15.04.02 à Shell -485,42
15.04.02 à Yousmi -3.525,63
15.04.02 Financement des primes -5.315,46
15.04.02 à BFM -12.907,92
15.04.02 à Courcelles Mécanique -18.382,30

Aadis est déclarée en faillite sur aveu par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 16 avril 2002 qui désigne Me Jaspar comme curateur.

Après la faillite, les opérations suivantes sont enregistrées sur le compte bancaire de Aadis

16.04.02 Virement acomptes travailleurs -7.064,96
16.04.02 à Emac -68.985,30
16.04.02 à Electrabel -135,28
17.04.02 Annulation Electrabel +135,28
18.04.02 Intérêts -363,64
22.04.02 Versement de Ancotech +239,41
22.04.02 Versement de Leda +267,65
25.04.02 Versement de Bosch +339,37
29.04.02 Versement de Artesimmo +176,19
02.05.02 Versement de Viangros +112,53
06.05.02 Versement de Viangros +306,55
06.05.02 Versement de Viangros +586,85
06.05.02 Compensation -49.815,76
06.05.02 Versement du solde au curateur -191.091,62

Le 7 mai 2002, la KBC, banquier de BASF écrit à la BBL pour lui signaler que le paiement du 11 avril 2002 résulte d'une erreur et lui demande de rembourser le trop perçu. Aucune suite n'est réservée à ce courrier.

3. Le 17 mai 2002, BASF introduit une déclaration de créance par laquelle elle revendique, à titre principal, la somme de € 365.028,06 qu'elle a versée en trop et, à titre subsidiaire, l'inscription au passif privilégié d'une créance de ce montant.

Par conclusions, BASF réduit sa demande de revendication des fonds se trouvant sur le compte bancaire d'Aadis à € 191,091,62.

Le premier juge déboute BASF de sa demande et admet la créance de BASF au passif chirographaire de la faillite.

4. BASF interjette appel de cette décision.

Elle demande à la cour d'ordonner au curateur de libérer entre ses mains le solde positif du compte bancaire de la SPRL Aadis à concurrence de € 191.091,62. Elle sollicite également la condamnation du curateur, q.q., au titre de dettes de la masse à lui rembourser les frais d'avocat qu'elle a dû supporter dans le cadre de ce litige, évalués à titre provisionnel à € 1.

IV. Discussion

5. La demande est formée sur la base de l'article 101 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites qui dispose que la faillite ne porte pas atteinte au droit de revendication du propriétaire de biens détenus par le débiteur, à la condition qu'ils se retrouvent en nature chez le débiteur et qu'ils n'ont pas été confondus à un autre bien meuble.

6. L'action en revendication est une action réelle tendant à faire reconnaître ou à protéger le droit de propriété qui a pour objet direct une chose mobilière ou immobilière; elle existe contre tout tiers détenteur en vue de le contraindre à délaisser la chose; le revendiquant n'agit pas, dès lors, en vertu d'un contrat ou d'une obligation, mais en vertu du droit qu'il a sur la chose (Cass. 3 mai 1996, Pas. 1996, I, 145).

La revendication ne peut se concevoir qu'à l'égard de corps certains ou de choses fongibles qui sont devenues des corps certains par individualisation. La revendication ne peut, dès lors, s'exercer sur le montant de sommes dues, mais seulement sur des espèces ou billets individualisés. Quant à la revendication de montants se trouvant au crédit d'un compte bancaire, il a été jugé que lorsqu'une somme d'argent portée par un banquier au crédit d'un compte courant au nom d'un de ses clients est ensuite transférée à un autre compte de celui-ci pour être affectée à l'achat de titres au porteur, ce mandat et ce transfert ne sont pas, en eux-mêmes, démonstratifs de l'individualisation des espèces ou billets représentant ces sommes (Cass. 9 mai 1947, Pas. 1947, I, 192).

Un compte à vue ouvert auprès d'une banque n'est pas un dépôt (Cass. 16 septembre 1993, Pas. 1993, I, 703). Ce n'est même pas un dépôt irrégulier (De Page, t. V, p. 257, n° 268). Il s'agit d'une convention de compte (G.-A. Dal, “La nature juridique du compte de dépôt à vue”, in Mélanges Roger O. Dalcq, Larcier, 1994, p. 61).

L'action en restitution du solde disponible par le déposant lui-même n'est pas une action réelle mais une action personnelle qui résulte du contrat sui generis conclu avec la banque. Le déposant est créancier, et non propriétaire. Il ne pourra donc pas revendiquer, nonobstant l'inscription des sommes à son compte (De Page, o.c., n° 268).

Il s'en déduit que BASF ne peut prétendre qu'elle était propriétaire des sommes qui se trouvaient originairement sur son compte à la KBC.

7. Un virement bancaire est un transfert de créance d'un titulaire d'un compte bancaire au profit d'un autre titulaire, contre le même ou un autre banquier.

En effet, le virement est une opération par laquelle un compte en banque est, à la demande de son titulaire, débité d'une certaine somme afin de la porter au crédit d'un autre compte. Lorsque deux banquiers interviennent dans l'opération, par l'entremise de la chambre de compensation, la banque du bénéficiaire de l'ordre de virement ne reçoit pas, à proprement parler, la somme qui est destinée à son client, car celle-ci est noyée dans l'ensemble des montants à compenser. À la suite du virement, le bénéficiaire acquiert une créance nouvelle qui est aussitôt inscrite à son compte (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, nos 440, 442 et 449).

Aadis et la BBL ne se sont d'ailleurs pas privés d'exercer leurs droits réciproques qui résultaient de la convention de compte courant puisque le transfert a permis à la BBL de mettre fin à une position négative et à Aadis de donner des instructions à la BBL d'effectuer certains virements.

BASF n'ayant jamais été propriétaire du solde de son compte ouvert à la KBC, elle ne peut donc soutenir qu'elle serait devenue propriétaire, par le seul effet du virement, du solde disponible du compte bancaire ouvert par Aadis à la BBL.

8. C'est à tort que BASF soutient que l'erreur qu'elle a commise aurait eu pour effet de rendre l'acte juridique qu'elle a entaché, à savoir le paiement, inexistant.

BASF était bien débitrice d'Aadis en exécution de la facture du 14 février 2002. Sa dette s'est éteinte par le paiement, mais en payant plus qu'elle ne devait, BASF bénéficie d'un droit de répétition de l'indu, à charge d'Aadis, sur la base de l'article 1235 du Code civil.

Ni la KBC ni la BBL n'ont commis de faute à l'occasion du virement puisqu'elles ont exécuté les instructions de BASF et qu'il n'est pas soutenu que l'erreur dans le montant était décelable. La régularité du virement ne peut donc être mise en cause.

BASF ne possède dès lors qu'un droit de créance et pas un droit réel.

9. À supposer que BASF puisse faire valoir l'existence d'un droit réel, il convient, en l'espèce, de constater que le compte ouvert par Aadis était en outre un compte courant puisqu'un crédit lui avait été consenti. En effet, au moment du paiement, le solde du compte était débiteur de € 78.398,05 et la BBL a opéré, après faillite, une compensation de € 49.815,76 pour des sommes qui lui restaient encore dues.

Or, une des caractéristiques du compte courant est que les créances entrées en compte sont novées et remplacées par des articles de crédit et de débit qui forment un tout indivisible (Van Ryn et Heenen, o.c., p. 360, n° 487).

Par ailleurs, et contrairement à ce que BASF soutient, la somme qu'elle revendique ne constitue pas l'équivalent du montant qu'elle a versé par erreur, dont à déduire les retraits qu'Aadis aurait opérés en fraude de ses droits. En effet, il résulte du relevé des opérations bancaires (cf. point 2) que de nombreux crédits ont été enregistrés entre la date du paiement et celle de la revendication. Le solde de € 191.091,62 qui a été viré au curateur est donc le produit d'un mélange de crédits et de débits divers intervenus tant avant qu'après la faillite.

Il s'en déduit qu'en raison de la fongibilité des remises et de la confusion qui s'est opérée entre les montants portés au crédit et au débit du compte bancaire, eu égard à sa nature, toute individualisation des fonds est impossible.

10. C'est donc à bon droit que le premier juge a débouté BASF de sa demande en revendication.

Il n'est plus soutenu devant la cour que la créance de BASF devrait être inscrite au passif privilégié de la faillite.

L'appel est dès lors non fondé.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit l'appel non fondé et en déboute BASF.

(...)