1.Ce litige concerne le paiement d'un chèque présenté à l'encaissement six mois après son émission. Entre-temps, le compte du tireur avait été clôturé. La banque du donneur d'ordre refusa de payer la banque du bénéficiaire, qui dès lors contrepassa la somme dont elle avait à l'avance crédité le compte de son client, en lui octroyant un “crédit sauf direct” [1], Cependant, ce dernier compte avait lui aussi été entre-temps clôturé. La banque le rouvrit donc en le débitant de la contre-valeur du chèque. Le client ne souhaitant pas procéder au remboursement du débit enregistré, la banque assigna ce dernier en justice.
2.Le premier point de l'argumentation du client qui s'était vu crédité “sauf bonne fin” du chèque présenté à l'encaissement réside dans une exception de prescription fondée sur la loi uniforme sur le chèque. Cette exception est écartée, dans la mesure où l'action de la banque était fondée sur le droit commun et non sur le droit cambiaire, la loi uniforme sur le chèque étant invoquée à tort. En effet, l'article 52 de la loi uniforme sur le chèque prévoit que les actions en recours du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés se prescrivent par six mois à partir du délai de présentation.
Au vu de cet article, la demande de la banque aurait dû être prescrite. Cependant, en l'espèce le client n'avait en réalité jamais endossé valablement le chèque payable à ordre, et dès lors, n'en avait jamais été le porteur. En conséquence, tout recours cambiaire à son égard était exclu. Dans la mesure où l'article 52 concerne exclusivement les actions de droit cambiaire, et non celles de droit commun, il n'y a pas lieu à prescription en l'espèce.
L'article 52bis prévoit d'ailleurs qu'en cas d'inapplicabilité de l'article 52 pour cause de prescription, les actions de droit commun subsistent [2].
3.Le deuxième problème posé par cet arrêt a trait à l'opposabilité au client du règlement interbancaire relatif à la chambre de compensation. L'arrêt considère que le client qui remet un chèque à sa banque doit être conscient de ce que l'encaissement s'effectue en chambre de compensation, et que l'opération est dès lors soumise au règlement de cette chambre.
Les opérations de paiement entre différents établissements de crédit s'effectuent aujourd'hui en Belgique à l'intermédiaire de trois systèmes [3].
Le premier est dénommé “Centre d'échange et de compensation” (CEC). Il s'agit d'une ASBL créée en 1974 gérée par la Banque Nationale dont font partie la plupart des établissements de crédit. Son rôle est d'organiser les échanges d'informations standardisées relatives principalement à des paiements scripturaux de petits montants. Il ne s'agit pas stricto sensu d'une chambre de compensation, mais les soldes comptables sont transmis à la chambre de compensation de Belgique à l'entremise de laquelle se fera la compensation. Le CEC clôture, sur base des données transmises, les échanges pour la journée et calcule les soldes qui seront automatiquement intégrés dans la situation de trésorerie des membres en chambre de compensation. Ces soldes, cumulés avec ceux résultant des autres opérations à compenser, sont réglés par inscription dans les comptes d'avances que les banques détiennent auprès de la Banque Nationale, qui fait office d'agent centralisateur [4].
Les opérations relatives aux montants plus importants (chèques, assignations postales) sont traitées par le second organisme, la chambre de compensation, suivant la procédure manuelle, sans transiter par le CEC [5].
Enfin, depuis 1996, un système appelé ELLIPS (“Electronic Large Value Interbank Payment System”), organisé sous forme d'ASBL, s'occupe du traitement automatisé des virements de montants élevés. Il repose sur le réseau SWIFT pour les échanges d'information [6].
Le traitement des paiements diffère entre d'une part, la chambre de compensation et le CEC, et d'autre part, le système ELLIPS. Dans ce dernier, le règlement s'opère en brut en temps réel, c'est-à-dire que chaque paiement individuel est immédiatement et définitivement exécuté par comptabilisation dans les comptes que les intermédiaires financiers détiennent auprès de la Banque Nationale. Pour les deux premiers systèmes, une compensation multilatérale nette s'applique, caractérisée par le calcul d'un solde final journalier par participant. Ces soldes sont ensuite liquidés sur les comptes des participants auprès de la Banque Nationale [7].
En l'espèce, l'encaissement du chèque se faisait à l'intermédiaire de la chambre de compensation. En vertu de l'article 25 de son règlement, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, le banquier auquel est présenté un chèque s'engage à l'accepter, avec crédit immédiat au membre présentateur et sauf bonne fin, ceci en vue de son règlement par compensation. L'article 26 alinéa 2 de ce même règlement précise que par l'apposition du cachet d'acquit, le membre présentateur est tenu de rembourser le tiré à sa première demande, fondée sur l'absence ou l'irrégularité de l'endos, pour autant que la demande soit faite dans les trois mois à compter de la date du règlement du chèque.
En se prévalant de ce règlement, la banque payeuse invoque le fait que le crédit porté au compte du client ne l'était que sous réserve de bonne fin, et que le chèque ne lui a pas été endossé.
La question se centre donc sur l'opposabilité du règlement de la chambre de compensation au client. Lorsqu'il ouvre un compte en banque, le client s'engage à se conformer aux dispositions légales et administratives le régissant, et notamment au règlement général de la banque, complété par des règlements spécifiques, dont le règlement de la chambre de compensation. Mais le client s'engage-t-il en pleine connaissance de cause?
La Cour de cassation de France a considéré dans un arrêt du 17 juillet 2001, en matière de billet à ordre, que la cliente donneuse d'ordre était, “(…) en l'absence de convention contraire non alléguée en l'espèce, censée avoir adhéré, par le fait même, au règlement de la chambre de compensation et s'être soumise, pour le paiement de l'effet, à la procédure résultant des accords interprofessionnels (…)” [8].
M. Romain souligne que cette décision peut poser certains problèmes par rapport au principe de relativité des effets internes des conventions, ainsi qu'à celui de l'opposabilité des effets externes, strictement limitée aux éléments qui tiennent à l'existence même de la convention, et non au contenu générateur de droits entre parties [9]. Dans l'arrêt commenté, on résout ce problème en invoquant la convention de compte en banque, dans laquelle le client a accepté que les règles spéciales des règlements interbancaires lui soient opposables.
M. Wymeersch se base sur la notion d'avoir scriptural pour justifier l'opposabilité aux clients. L'avoir scriptural repose sur l'obligation irrévocable de la banque à l'égard du bénéficiaire de tenir à sa disposition un avoir, dont il pourra disposer de la manière scripturale convenue (virement, chèque,…). Cette obligation naît d'une déclaration de volonté de la banque qui affecte les fonds disponibles à la catégorie des avoirs scripturaux, le plus souvent à la suite d'une convention résultant d'une inscription en compte. Il s'agit d'un engagement propre de la banque, détaché de sa cause, laquelle peut être un virement ou un dépôt en faveur du bénéficiaire. Cet engagement irrévocable repose sur la volonté de la banque, qui doit avoir été extériorisée et portée à la connaissance du bénéficiaire. Dans le processus des compensations “en net”, tel qu'il s'opère au sein de la chambre de compensation, l'avoir n'est acquis au bénéficiaire qu'au moment où il est crédité de façon définitive, eu égard aux multiples complications qui peuvent intervenir. Le simple fait que la banque ait acquis une créance destinée à être inscrite au compte du bénéficiaire ne suffit donc pas. Il faut en outre que la créance ait été convertie en une dette propre de la banque, utilisable de manière scripturale [10]. En nous fondant sur cette théorie, nous pourrions dès lors considérer que l'argent ayant été crédité sauf bonne fin, il ne s'agissait pas d'un engagement définitif de la banque, de telle sorte que les clients ne bénéficiaient pas d'un avoir scriptural, et que la contrepassation effectuée par la suite leur était parfaitement opposable.
Le tribunal de commerce de Bruxelles avait décidé le 2 septembre 1998, que le règlement CEC n'était applicable qu'entre banquiers adhérents au système. La cliente n'étant pas adhérente au système, et le règlement des opérations de la banque ne renvoyant pas aux règles du CEC, celles-ci ne lui sont dès lors pas opposables [11].
La décision de la cour d'appel commentée mérite d'être approuvée, même si, au premier abord, on peut s'interroger sur la connaissance par le client des mécanismes de compensations qui interviennent dans le cadre du règlement d'un chèque. L'arrêt constate que les clients ont accepté par la convention de compte de se voir opposer les règles du CEC. En outre, la jurisprudence a tendance à reconnaître certains effets aux conventions interbancaires à l'égard des clients, même si ceux-ci n'y ont pas explicitement souscrit [12].
4.La jurisprudence relative aux opérations passées après la clôture du compte, concerne principalement l'utilisation de cartes de paiement ou l'encaissement de chèques frauduleux. Il a ainsi été jugé que la simple clôture d'un compte bancaire sur lequel des prélèvements “Bancontact” ont été débités après la clôture, n'a pas pour conséquence de dégager le client de ses obligations contractuelles relatives à l'emploi de cette carte [13]. La clôture de comptes bancaires liés à l'emploi de chèques encaissés frauduleusement est également sans incidence sur la responsabilité du client [14].
Dans l'espèce commentée, la banque se prévalait en outre de son règlement général des opérations qui lui permettait de rouvrir un compte lorsque des opérations relevant de la responsabilité du titulaire sont passées après la liquidation du compte. Ceci concerne l'opposabilité du règlement bancaire, lequel est entré dans la sphère contractuelle, par la convention de compte qu'ont signée les parties [15].
La banque avait le droit de rouvrir le compte bancaire parce que la clôture de celui-ci ne peut avoir pour conséquence de dégager le client de ses obligations. Le chèque présenté à l'encaissement n'avait été crédité que sous réserve de bonne fin. Le client ne disposait donc de la somme que pour autant que la banque tirée paie effectivement la banque du bénéficiaire présentateur.
5.En conclusion, il y a lieu de souscrire à la solution dégagée par la cour d'appel. Elle réforme à juste titre la décision du premier juge. Celle-ci se fondait notamment sur la bonne foi des clients pour ne pas les condamner à rembourser le chèque. Il s'agit d'une argumentation fort curieuse, d'autant plus que le chèque n'avait été présenté que six mois après son émission.
[1] | Sur la notion de “crédit direct” et de “crédit sauf bonne fin”, cons. not. J.-P. Buyle, M. Delierneux, obs. sous Comm. Bruxelles 8 février 1996, R.D.C. 1997, p. 750; Comm. Bruxelles 19 février 1997, R.D.C. 1998, p. 816. |
[2] | L'art. 52bis de la loi uniforme sur le chèque vise les actions de droit commun (Cass. 26 novembre 1992, J.L.M.B. 1993, p. 866). |
[3] | Cf. loi du 28 avril 1999 visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (art. 2). |
[4] | J.-P. Buyle et O. Creplet, “La responsabilité civile des établissements de crédit”, in Les responsabilités professionnelles, note n° 105, pp. 129-130; E. Wymeersch, “Aspects juridiques de certains nouveaux moyens de paiement”, Rev. banque 1995, pp. 17 et s.; X. Thunis, Responsabilité du banquier et automatisation des paiements, 1996, n° 27, p. 39, nos 88 et s., pp. 128 et s.; A. Bruyneel, “Le virement”, in La banque dans la vie quotidienne, 1986, Éd. du Jeune Barreau, nos 16 et s., pp. 368 et s.; P. Tellier, “Het uitwisselings- en verrekeningscentrum (UCV): een cruciale functie, een miskende rol”, Rev. banque 2000, pp. 6 et s. |
[5] | J.-P. Buyle et O. Creplet, o.c., pp. 129-130; E. Wymeersch, o.c., p. 18. |
[6] | J.-P. Buyle et O. Creplet, o.c., pp. 129-130; E. Wymeersch, o.c., p. 18. |
[7] | J.-F. Romain, “Éléments de réflexion au sujet des principes applicables dans les systèmes de paiements intégrés (virements, chèques, cartes, etc.) en droit bancaire privé”, in Liber Amicorum Lucien Simont 2002, pp. 833 et s.; J.-P. Buyle et O. Creplet, o.c., pp. 129-130; E. Wymeersch, o.c., p. 18. |
[8] | Cass. fr. 17 juillet 2001, www.courdecassation.fr . |
[9] | J.-F. Romain, o.c., pp. 845 et s. |
[10] | E. Wymeersch, o.c., n° 29, pp. 25-26. |
[11] | Comm. Bruxelles 2 septembre 1998, R.D.C. 1999, p. 691 et obs. critiques J.-P. Buyle et M. Delierneux. |
[12] | Cf. not. obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux sous Comm. Bruxelles 2 septembre 1998, R.D.C. 1999, p. 695. |
[13] | Civ. Bruxelles (17e ch.) 10 juin 1988, J.T. 1989, pp. 148 et s., Rev. banque 1988, liv. 9, pp. 57 et s. |
[14] | Bruxelles (1ère ch.) 27 mars 1990, J.T. 1990, p. 707. |
[15] | L. Cornelis et I. Claeys, “De tegenstelbaarheid van algemene bankvoorwaarden en hun éénzijdige wijziging”, in Les conditions générales bancaires, Cahier AEDBF-Belgium, t. 17, 2005, p. 73. |